Perdu au milieu de ses pensées, Remus n’entendit pas la porte claquer derrière lui. Il n’entendit pas non plus les pas lourds de reproches arriver à tâtons vers lui, pour se laisser choir sur le canapé d’en face.
Non.
Remus Lupin était bien trop occupé à vérifier l’état de sa baguette, et à enfiler son manteau vert kaki, maintes fois rapiécé au niveau des coudes et des poignets, avant de réaliser que quelqu’un venait de rentrer dans la pièce, depuis déjà quelques secondes. Lorsqu’il releva la tête et qu’il croisa le regard vert de Harry Potter, il sursauta, visiblement mal à l’aise.
- Oh non, déclara Remus en soupirant. Je connais très bien ce regard…
- Quel regard? demanda Harry, étonné.
- Ce regard culpabilisant, rempli de reproches jusqu’au fin fond des pupilles, souligna-t-il en fronçant les sourcils. C’est le même que celui de votre mère, marmonna-t-il.
Remus secoua légèrement la tête, tentant une nouvelle fois d’oublier ses souvenirs avec Lily Evans, celle qui avait été, pendant de nombreuses années, sa meilleure amie.
Harry, lui, avait un petit sourire sur la bouche, illuminant ainsi son visage, malgré l’état de fatigue on-ne-peut-plus visible sur ses traits fins et anguleux. Ses cernes violets descendaient de plus en plus sur ses hautes pommettes, lui donnant un air plus vieux que ses seize ans.
Tout comme son professeur, le jeune Gryffondor n’avait pas dormi depuis plusieurs nuits, et son esprit semblait vagabonder ailleurs. Loin de la petite pièce miteuse qui servait de salon passager, ici, à Square Grimmaud. L’un comme l’autre, ils ne supportaient pas de devoir rester dans cette demeure. Rappelant sans cesse à Harry que Sirius, son parrain, n’y était plus… et à Remus, la sensation d’emprisonnement que son coeur subissait à chaque fois qu’il rencontrait ses yeux sombres ou ses cheveux roses.
Il frissonna, comme à chaque fois qu’il pensait à elle.
- Je sais, marmonna Harry à son tour en baissant le regard sur le parquet mal ciré, et poussiéreux. Alors… pourquoi vous ne lui dites pas? demanda-t-il au bout d’un moment en relevant la tête vers son ancien professeur de Défense Contre les Forces du Mal.
- Ne recommencez pas avec ça, Harry, supplia Remus en soupirant gravement. On en a déjà assez discuté.
- Vous parlez et moi j’écoute, précisa le jeune homme, en levant les yeux au ciel. Ce n’est pas ce que j’appelle « discuter »…
A son tour, Remus leva les yeux au ciel avant de les redescendre sur le visage d’Harry. Là, à cet instant présent, il ressemblait beaucoup à son père. Et l’ancien professeur le vit aussitôt. Ce sourire en coin, ce haussement de sourcil, cette toute petite fossette sur la joue. Un copié-collé de la version James Potter, d’il y a vingt ans, se dit Remus.
- Là, vous avez le visage insolent et arrogant de votre père, fit remarquer Remus, en arquant un sourcil.
Harry émit un petit rire avant de reprendre son sérieux. Si Remus Lupin lui faisait ce genre de remarque, c’était sans nul doute en raison de ce petit point faible que représentait Nymphadora Tonks à ses yeux… Et que Harry, tout comme l’aurait sans doute fait son père, ne manquait jamais une occasion de le rappeler à Remus.
- Ça aussi, je le sais, confia Harry en hochant la tête.
Le lycanthrope ouvrit la bouche pour répliquer mais un fracas assourdissant se fit entendre de l’autre côté de la porte, suivie par une belle échappée de jurons, résonnant dans tous les escaliers.
Harry regarda son ancien professeur avec insistance, avant de hausser les épaules et de se lever pour ouvrir la porte, sachant pertinemment à qui appartenait cette voix mélodieusement grave de l’autre côté de la cloison.
- Ah Harry, soupira Tonks, lorsque celui-ci ouvrit la porte du petit salon. Salut! Ce… c’est… bref, je me suis fait attaquer par les parapluies, encore, bégaya-t-elle en sentant ses pommettes rosir.
- Salut Tonks, lui dit Harry en ouvrant la porte en grand, Remus sur ses talons.
Nymphadora Tonks était une jeune femme, à la vingtaine d’année bien engagée, réputée pour sa maladresse légendaire et son incroyable pouvoir de métamorphomage qui la rendait unique en son genre. Aujourd’hui, elle avait décidé de nuancer ses cheveux courts et lisses, coupés à la garçonne, en une jolie couleur violette, soulignant ainsi son regard noir, aussi sombre et obscur qu’un puits sans fond, avec en plus, un éclat lumineux qui faisait qu’on ne pouvait pas quitter ses yeux du regard, tant ils paraissaient hypnotisant. Son visage était assez fin, arpentant toujours sa forme de coeur originel, mais cette fois-ci, ses pommettes étaient plus hautes et sa peau légèrement plus hâlé qu’au quotidien.
Elle batailla encore quelques secondes avec les trois parapluies avant d’entendre Molly Weasley pester de l’autre côté du mur, là où se trouvait la cuisine, sur son manque d’agilité, ce qui fit grimacer Tonks. Cette dernière se sentait toujours aussi gênée de ses impairs, mais si son don lui donnait la capacité de se dissimuler à sa guise, ça ne lui conférait absolument pas une aisance inhumaine. Bien au contraire. La jeune femme pensait fermement que tout n’était qu’une question de balance, d’harmonie, dans la vie et que si elle était aussi doué en une chose, une autre en était forcément désavantagée. Et en l’occurrence, elle était une réelle petite étourdie…
- Besoin d’aide? demanda Harry en l’aidant à remettre le dernier parapluie sur son socle.
- Merci, rit-elle avant d’épousseter son jean noir, et sa veste en cuir.
Elle releva les yeux vers Harry, et croisa alors ceux de Remus, noisettes et ternis, usés jusqu’à l’iris de par les deux guerres qu’il avait dû subir en l’espace d’à peine quinze ans.
- Salut Remus, sourit-elle, en sentant son coeur tambouriner dans sa poitrine.
- Bonjour Tonks, répondit-il, sans sourire, avant de refermer la porte derrière lui et de s’avancer dans le couloir.
Il croisa le regard accusateur d’Harry, et préféra l’ignorer. Il connaissait très bien les pensées, et les opinions, du jeune homme sur sa conduite à l’égard de Nymphadora, mais, une fois de plus, il préféra l’ignorer. De toute façon, pourquoi l’écouter, alors que la décision de l’oublier avait déjà été prise?
- Tu es prêt? demanda-t-elle, pleine d’espoirs, alors qu’il ne s’agissait que d’une petite mission de surveillance nocturne à effectuer sur le chemin de Traverse.
- Oui, allons-y, lui dit-il en rangeant sa baguette dans son étui, accroché à sa ceinture.
Il se passa une main nerveuse dans ses cheveux châtains, alors que Tonks tira, maladroitement, sur le bas de son pull en laine, violet aussi, gênée de voir que la sensation de vide intersidéral ne faisait qu’augmenter entre eux deux. Elle n’en pouvait plus de le voir si proche d’elle, mais en même temps si loin. Comme si leurs quatorze ans d’écart s’allongeaient à vue de nez, au fil des jours. Un peu comme son propre nez lorsqu’elle se mettait en colère… ce qui faisait bien rire la petite Ginny, qui n’était plus si petite que cela.
- A bientôt, Harry, lui dit Nymphadora en agitant sa main.
- Faites attention à vous, ne put-il s’empêcher de leur dire, le coeur serré, angoissé de ne pas les revoir le lendemain au petit déjeuner.
- Ne t’inquiète pas, je suis une Auror hors-pair, plaisanta-t-elle en se prenant les pieds dans le tapis.
Elle trébucha à deux reprises avant de se relever, toujours dignement, un sourire blasé sur sa bouche pulpeuse, et qui devint vite gêné lorsqu’elle réalisa que sa main était coincée dans celle, protectrice et rugueuse, de Remus. Il la remit sur pieds en quelques secondes avant de partir d’un pas précipité vers la porte d’entrée, laissant alors Tonks et Harry, seuls, au milieu du long couloir sombre de Square Grimmaurd.
Nymphadora fronça les sourcils, avant que son regard ne se ternisse à son tour. Elle ne comprendrait jamais pourquoi l’homme qu’elle aimait éperdument depuis presque deux ans, s’évertuait à l’ignorer, et à ignorer ses propres sentiments envers elle. Etait-ce parce qu’il était loup-garou? Etait-ce, réellement, la seule et unique petite raison? Parfois, la jeune femme pensait qu’il y avait autre chose, sans jamais réussir à déceler cette partie sombre de son âme si lumineuse.
- Il est toujours comme ça, avec les autres? ne put s’empêcher de demander Tonks à Harry, la gorge serré
- Je… je ne sais pas vraiment, répondit Harry en baissant les yeux, par crainte qu’elle ne puisse y lire le mensonge.
- Je vois, marmonna-t-elle en prenant elle aussi la direction de la sortie. Prends-soin de toi, Harry, et dors un peu, tu as une mine affreuse, lui conseilla-t-elle en lui adressant un sourire plus chaleureux, presque maternel. On dirait celle de Remus…
Sa voix n’était plus qu’un murmure, et lorsque la porte d’entrée claqua derrière elle, Harry sut que cette mission de surveillance allait vite tourner au drame entre eux d’eux… Mais il espérait se tromper. Il l’espérait de tout coeur, à vrai dire.
A peine étaient-ils arrivés sur le chemin de Traverse, vide et sombre, que la tension entre eux avait grimpé d’un cran. Inutile de mettre des mots sur cette sensation, sur cette situation, il n’y en avait simplement pas… Ou tout du moins, aucun assez fort n’existait dans la littérature pour la décrire.
- On s’organise comment alors? demanda Nymphadora en réajustant ses mitaines en cuir sur ses poignets.
Elle faisait partie de ces personnes qui tentaient de garder leur bonne humeur coûte que coûte, comme une sorte de bouée de sauvetage. Même si parfois, c’était dur et compliqué. Comme cette fois où elle s’était rendue compte qu’elle avait perdu son lièvre pour toujours… A présent, et cela depuis quelques mois, la jeune femme devait apprendre à faire connaissance avec son nouveau patronus. Un loup… ç’avait été dur pour elle, de rester optimiste alors que tout lui criait qu’elle était amoureuse de Remus, tandis que ce dernier semblait être déterminé à l’ignorer. Alors qu’au fond, il l’aimait. De manière indéniable… Sans l’assumer. Comment assumer de telles émotions lorsque l’on ne s’assume pas soi-même?
- Petite ronde et on se retrouve d’ici deux heure? reprit-elle face au silence de son partenaire de mission.
Celui-ci acquiesça, et prit les devants en prenant la première ruelle, sombre et exiguë, sur la droite, laissant alors le chemin principal, et donc le moins périlleux, à Nymphadora. Il avait du mal à rester près d’elle, lui aussi. Surtout en raison de sa peau si attirante, et son odeur si envoûtante. C’était une odeur de lilas. Extrêmement sucrée. Et il adorait ça.
Pourtant, Remus s’arrêta au beau milieu de la petite ruelle sombre, comme si ses pieds s’étaient enlisés dans le sol, refusant de le faire avancer ne serait-ce que d’un seul centimètre. Il ne pouvait plus avancer. Il ne pouvait plus avancer sans s’assurer que Tonks aille bien, alors qu’il ne l’avait quitté que depuis quelques minutes. Il leva les yeux au ciel, sentant son mental défaillir, et rebroussa chemin à grandes enjambées avant d’atterrir de nouveau sur le chemin de Traverses, à quelques dizaine de mètre de la jeune femme, presque méconnaissable, puisqu’elle avait revêtu les traits des femmes de joie qui avaient l’habitude de traîner dans le quartier à la nuit tombée, avant de s’échapper par l’allée des embrumes.
Il l’appela une première fois. Puis une seconde fois, et ce n’est qu’au troisième appel qu’elle se retourna, étonnée de le voir revenir si vite. A son tour, elle rebroussa chemin, et lorsqu’elle arriva à sa hauteur, Remus la vit reprendre son visage d’origine. Les petits yeux trop rapprochés et secs, devinrent ses yeux sombres et lumineux. Ses longs cheveux bouclés se raccourcirent en quelques mèches rebelles violettes, et son corps s’amenuisait au rythme de sa respiration. Elle redevint en quelques secondes la femme qu’il aimait…
- Qu’est ce qui se passe? demanda-t-elle, inquiète en l’entraînant dans un coin plus sombre, à l’abri des regards indiscrets.
Par temps de guerre, et de complots, il fallait être prudents. Très prudents. C’est ce qu’on lui répétait sans cesse depuis qu’elle avait terminé sa formation d’Auror il y a quelques années.
- Rien, répondit Remus, se sentant tout bonnement ridicule. Je… Je voulais juste te dire de faire attention à toi…
Ses yeux étaient rivés sur les pavés du chemin, désireux de ne pas se retrouver ancrés dans ceux, hypnotisant, de sa partenaire de mission. Et puis, il se sentait vraiment stupide, maladroit, à présent qu’il était revenu pour lui dire ça. Il n’avait jamais été doué pour ses relations… Il n’y avait qu’à voir son adolescence pour s’en rendre compte.
Les maraudeurs avaient été ses seuls amis, sa famille en un sens. Présents pour lui, et cela malgré les situations à risques qu’il leur faisait encourir. Ils avaient été jusqu’à devenir des animagus pour lui… Leurs avait-il seulement manifesté ce qu’il avait au plus profond de lui-même pour ce geste si important à ses yeux? Il n’en était pas certain…
Il y avait Lily, aussi. La douce et jolie Lily. Une oreille attentive et une épaule réconfortante. Elle avait su adoucir ses peurs et ses craintes avec des simples mots. Alors pourquoi n’arrivait-il pas à en faire autant?
Puis Cassiopée avait été présente dans sa vie. Avant que tout ceci ne se produise, que toute cette guerre n’éclate. Il ne parlait jamais d’elle… Même quand Sirius était encore de ce monde. Cette histoire avait toujours été son point faible. Leur point faible.
Et comment ne pas penser à Mary? A chaque fois qu’il repensait aux beaux yeux bleus de Mary Macdonald, son amour d’adolescence, il n’arrivait pas à faire taire les lamentations de son âme. La fin tragique de leur histoire, la fin tragique de sa vie, avait été un réel supplice pour lui. Et il la retrouvait un petit peu en Nymphadora. Au moins pour son courage… Et il ne voulait pas que l’histoire se répète. Remus savait que la jeune femme qu’il avait en face de lui, était la seule à détenir le pouvoir de l’apaiser, de rendre ses nuits plus douces, et ses journées plus sereines. Raison principale pour laquelle il était revenue vers elle à la va-vite. Il avait eu peur. Peur qu’il ne lui arrive quelque chose, comme ça avait été le cas pour Mary…
- Je… reprit Remus. Fais attention à toi, s’il te plait, c’est tout ce que je te demande, finit-il par marmonner dans sa barbe de quelques jours, les yeux toujours rivés sur le sol pavé et crasseux.
Nymphadora sourit, bêtement. S’inquiétait-il vraiment pour elle? Juste parce qu’elle était elle… Ou parce qu’elle était une recrue de l’Ordre, comme l’était Hestia ou Emmeline, par exemple? Elle espérait que c’était simplement parce qu’elle était elle. Nymphadora Tonks. Et pas une autre…
- Tu es inquiet pour moi? demanda-t-elle, tout bas, en cherchant son regard, occupé à user les pavés.
Elle posa ses mains sur sa veste en tweed, qui dépassait de son manteau, et lorsqu’il sursauta à cause de son contact, la jeune femme raffermit sa prise sur sa veste. Elle ne comptait pas le laisser s’échapper.
- Tu es inquiet pour moi? répéta-t-elle, avec plus d’assurance.
- Bien sûr, marmonna Remus, agacé de penser qu’elle puisse croire qu’il n’était pas inquiet pour elle.
- Il ne va rien m’arriver, d’accord, rassura-t-elle en souriant.
Le visage de Nymphadora s’assombrit. La tristesse venait de l’envahir lorsqu’elle réalisa qu’il s’était reculé d’elle, trop rapidement. Comme si son simple contact le dérangeait. C’était assommant comme sensation. Ce sentiment d’éloignement quotidien entre leurs deux esprits. Pourtant, elle gardait espoir. Peut-être n’avait-elle juste pas su trouver les bons mots auparavant? La bonne parade tout du moins? Oui, peut-être.
A son tour, ses pas l’éloignèrent de l’homme qu’elle aimait au rythme que ses traits se transformaient en ceux d’une femme de joie. Allongeant ses cheveux en une crinière brune et bouclée, augmentant la masse de sa poitrine, tout en affinant ses pommettes et ses joues, presque creuses.
Finalement, elle détourna la tête au bout du chemin, laissant Remus, seul, sa baguette à la main en proie à des sentiments qui lui étaient, jusqu’à lors, totalement méconnus.
La jeune Auror, elle, arpentait le chemin de Traverse, de long en large, l’oeil bien ouvert et l’oreille tendue, prête à dégainer sa baguette au moindre son suspect. Mais rien n’arriva. Cette nuit avait été de loin la plus tranquille depuis des jours, voire peut-être même depuis des semaines. Alors Nymphadora laissa libre court à ses pensées. Ces dernières s’orientèrent directement sur Remus Lupin. Encore. C’était plus fort qu’elle. Cette sensation envoûtante et asphyxiante qui s’emparait de ses poumons lorsqu’elle voyait ses yeux danser devant elle, ou qu’elle humait son parfum trop musqué pour elle, mais qu’importe. Elle l’aimait tout de même.
Les minutes défilèrent, puis vint les heures et la jeune femme réalisa que ses pas l’avaient ramenée à son point initial, là, juste sous la petite boutique complètement démolie de Mme Guipure. Elle s’adossa un moment contre la vieille porte sombre, autrefois teinté d’un joli bleu lavande, et attendit que Remus apparaisse, le coeur serré, comme à chaque fois qu’il sortait de son champs de vision. C’était bête, elle le savait. Mais elle savait aussi, depuis un moment déjà, que l’amour était quelque chose de bête. Mais extraordinaire, aussi.
- Rien à signaler? demanda Remus en arrivant à pas de loup près de la jeune femme.
- Hormis l’odeur puante du cramé vers Gringotts, c’est la mort complet, confia Nymphadora en cognant dans quelques cailloux qui se trouvait à portée de ses vieilles baskets à lacets fluorescents.
Le silence s’installa entre eux, Nymphadora fronça les sourcils. La minuscule complicité qu’ils avaient eu tout à l’heure venait de disparaître. C’était indéniable. Elle se mit à clapoter de la bouche, imitant à la perfection le petit poisson rouge qu’elle avait lorsqu’elle était encore une enfant, signe incontestable qu’elle s’ennuyait. Et qu’elle était gênée par la tournure des évènements, aussi. Gênée par ce silence qui paraissait les engloutir.
L’ancien professeur la regarda du coin de l’oeil. Les pommettes hautes, la tignasse violette, la bouche pulpeuse. Tout en elle était un appel à la soif de vivre, à la jeunesse, à l’optimisme, à la sensualité… De quoi lui faire perdre la tête. Même ses défauts étaient captivants. De sa maladresse légendaire, à son hypersensibilité, en passant par son tempérament colérique. Nymphadora était simplement vivante. Et qu’est-ce que c’était bon de la voir ainsi…
- Qu’est-ce qu’on fait maintenant? demanda-t-elle, au bout d’un moment en chassant un papillon de nuit qui venait de se poser tout près d’elle. On reste ici à se geler, ou on va prendre une bière-au-beurre au Chaudron Baveur, avant de refaire une patrouille?
Cette question fit sursauter Remus. Oui, Nymphadora était incroyable comme jeune fille.
- Ok, marmonna-t-il. Mais pas longtemps…
- Tu as peur que je te saoule? demanda-t-elle, du tac au tac, un sourire amusée sur la bouche.
Remus se mit à sourire, lui aussi, et le coeur de Nymphadora s’envola très loin.
- Tu n’étais même pas née que je buvais déjà de l’alcool, je te rappelle, lui dit-il avant de marcher en direction du Chaudron Baveur, ouvert jusqu’à l’aube.
La jeune femme se mit à rire. Mais d’un rire forcé. Cachant alors la déception que l’on pouvait lire aisément dans ses grands yeux sombres. En une seule phrase, Remus Lupin, avait su résumé leur situation. Comme si leurs quatorze ans d’écart pouvaient tenir en quelques mots. Oui, elle était trop jeune… Elle le savait. Remus n’arrêtait pas de lui répéter.
Alors c’est le coeur lourd, que Nymphadora se traîna derrière lui, regrettant pour la première fois de sa vie, de ne pas avoir la trentaine bien entamée.
De retour à Square Grimmaurd, l’ambiance entre les deux sorciers était encore plus tendue qu’à leur départ. Remus s’obstinait à s’emmurer dans son silence, à se voiler la face quant à ses sentiments pour la jeune femme. Et cette dernière s’évertuait à lui faire comprendre qu’elle n’était plus une enfant. Qu’elle n’était plus cette gamine qui courait partout en salopette en jean, son chat Mitou sur les talons, une tétine dans la bouche. Non. Elle avait changé. Elle avait presque vingt-quatre ans, à présent, et était Auror de surcroît. De quoi remettre les pendules à l’heure, normalement. Mais cela ne suffisait pas à Remus.
Dépassée par les évènements, Nymphadora se sentit lasse. Lasse d’aimer pour deux. Alors elle planta Remus au beau milieu du salon, sans cérémonie, ni paroles, à presque quatre heures du matin, grimpant les escaliers aussi rapidement que sa maladresse le lui permettait. Elle entendit vaguement grogner Walburga Black derrière son rideau creusé aux mites, et siffla à son tour d’agacement. Ce n’était pas le moment de la déranger. Elle aussi avait son mauvais caractère. Elle aussi avait le mauvais caractère des Black. Sauf qu’elle ne le montrait jamais. Mais à cet instant précis, tout était différent. Elle en avait assez de ne pas exister comme une femme aux yeux de l’homme qu’elle aimait. Alors elle claqua la porte de sa chambre, et s’y adossa, le regard en colère, et la bouche grimaçante.
Que devait-elle faire pour que Remus comprenne? Que devait-elle lui dire? Que devait-elle lui montrer?
Nymphadora se prit la tête dans les mains, troublée de sentir l’ébullition qui lui esquintait le cerveau. Peut-être n’avait-elle pas été assez directe? Assez explicite? Elle ne voyait que cela comme solution. Au départ, elle avait tenté quelques approches, très lointaines, très implicites, trop modérées, en somme. Et puis, ces tentatives, se soldant en échec à chaque fois, s’étaient transformées petit à petit en quelque chose de plus frappant, de plus cogné. Comme cette fois, où elle lui avait avoué, à demi-mot qu’elle avait des sentiments à son égard. C’était la fois où ils étaient en mission à Pré-au-lard. Mais peut-être l’avait-il oublié? Pourtant, Nymphadora aurait juré voir son regard s’illuminer à ce moment-là. Mais, peut-être était-ce le fruit de son imagination? Celle-ci était toujours phénoménale lorsqu’il s’agissait de Remus Lupin.
Elle soupira, et sentit les larmes lui monter aux yeux. Elle souffrait terriblement, et il n’avait pas l’air de s’en soucier. De quoi lui donner le vertige plus d’une fois. Pourtant, elle ravala ses pleurs, trop fière pour les laisser prendre le dessus, et décida de redescendre dans le salon, là où Remus devait toujours se trouver. Dévalant les marches deux à deux, la jeune femme ne réalisa même pas qu’elle n’avait rien à lui dire. Elle voulait seulement le voir. Lui rappeler qu’elle existait.
Dans ces moments-là, Nymphadora n’était plus maître d’elle-même. C’était comme si son caractère électrique reprenait le dessus. Et cela se voyait sur son physique. Elle avait du mal à contenir son don de métamorphomage. Tantôt ses cheveux s’allongeait puis se raccourcissaient, tout comme sa taille et son nez, mais peu lui importait. Elle savait que la tempête en son âme cesserait lorsqu’elle planterait ses yeux sombres dans les siens noisettes. Et cela ne loupa pas…
A peine avait-elle ouvert la porte du salon, découvrant un Remus Lupin concentré, figé, devant une partie d’échec face à un adversaire inexistant, qu’elle sentit son corps redevenir telle qu’il était. Tel qu’il avait l’habitude d’être. Un concentré d’atomes en ébullition perpétuel, faisant alors ressortir ses cheveux en une masse hirsute, mais disciplinée, violet vif, et ses yeux, habituellement caramels, en deux gros calots noirs brillants. Elle était la Nymphadora Tonks, qu’elle avait créé depuis quelques années, déjà.
- Il y a un problème, Tonks? s’inquiéta-t-il en relevant ses yeux cernés vers la jeune femme.
Elle était adossé à la vieille porte en bois, le teint rosit, mais les lèvres pincées. Parfois, Nymphadora pensait que cet homme se moquait ouvertement d’elle. Qu’il la prenait, soit pour une folle, soit pour une horrible mégère qui ressassait tout le temps la même rengaine. En vrai, il était simplement trop happé par son doux visage, aux traits affirmés, pour penser ne serait-ce qu’un dixième de ce que s’imaginait Nymphadora. La seule chose qu’il voulait, c’était qu’elle l’oublie. Pour son propre bien. C’était ce que la partie saine d’esprit en lui, désirait ardemment. En revanche, son coté égoïste ne pouvait pas se faire à cette idée… Remus Lupin était amoureux d’elle. Depuis un bon moment déjà. Mais il s’y refusait corps et âme. Quel avenir avait-il à lui offrir? Lui qui ne pouvait pas rester dans le même appartement plus d’un semestre, ou dans le même travail plus d’un trimestre. Un loup-garou, voilà ce qu’il était… Il n’avait rien de mieux à lui offrir. Et il se haïssait de ne pas pouvoir faire autrement.
- Est-ce que tu penses que je suis stupide, Remus? demanda-t-elle, en fronçant les sourcils.
- Euh… non, bien sûr que non, répondit le sorcier, mal à l’aise, certain qu’il n’allait pas apprécier la tournure qu’allait prendre cette conversation nocturne.
- Est-ce que tu penses que je suis aveugle, alors? insista-t-elle, la voix grave.
- Non, plus… Mais… où… où veux-tu en venir? demanda Remus à son tour en se levant de sa chaise.
Debout près de la petite table d’échiquier, Remus semblait contrarié. Complètement déconnecté de la situation, comme si tous ses sens s’étaient mis en alerte pour tenir Nymphadora éloignée de lui. Et la jeune fille le voyait très bien. Elle le voyait si bien, qu’elle sentit son coeur se tordre dans sa poitrine, et sa magie s’accumuler au bout de ses doigts et de ses orteils, prête à s’échapper à la moindre faiblesse de sa part. Elle commençait à savoir reconnaître ce genre de signes… Après avoir passé des années avec les cheveux bicolores en raison de ses crises de rires ou de larmes, et après avoir subi la transformation de son patronus, l’ancienne poufousffle n’était plus surprise par son don si unique. C’était une partie d’elle-même. Et encore plus aujourd’hui, alors qu’elle sentait son sang bouillir sur ses joues, et ses mèches de cheveux s’allonger de quelques centimètres dans sa nuque. Elle voulait des réponses. Et elle en obtiendrait, quitte à veiller jusqu’à l’aube.
- Qu’est-ce qu’il faut que je fasse pour que tu comprennes… Pour que tu me remarques? questionna-t-elle en plantant ses yeux dans ceux de Remus.
- Je… je te remarque, lui dit-il, calmement ce qui agaça encore plus la jeune femme, de nature joviale.
- Bien sûr que non! répliqua-t-elle. Tu… Tu passes ton temps à mentir! s’énerva-t-elle.
Elle avança vers lui, furieuse, alors que Remus venait de reculer de quelques pas, résumant alors, à la perfection, ce que pouvait être leur relation. Un pas en avant pour trois en arrière.
- Pourquoi tu ne veux pas l’entendre? Pourquoi tu ne veux pas entendre que j’ai des sentiments pour toi…
La voix de Nymphadora n’était plus qu’un murmure, relayant au second plan l’assurance avec laquelle elle avait dévalé les escaliers de Square Grimmaud, au point d’en avoir fait gronder le portrait de sa grande-tante, Walburga Black.
- Ecoute Tonks, c’est ridicule, commença Remus, le visage fermé. Tu… Tu ne peux pas m’aimer! Je… Tu comprendras un jour, acheva-t-il sèchement en lui tournant le dos, ne supportant pas de regarder la tristesse se peindre sur beau visage.
- Tu as peur de quoi au juste? reprit-elle, ignorant la sensation de ses cheveux qui glissaient le long de ses épaules et de son dos.
- De rien…
- Pourquoi tu me mens sans cesse? Je suis une adulte. Je peux très bien entendre la vérité, lui dit-elle, alors que ses yeux sombre prenaient la couleur de la mer.
- Si tu pouvais l’entendre, tu ne serais pas là, s’irrita Remus en se retournant pour lui faire face. Tu…
Mais sa phrase se perdit dans l’air.
Face à lui, la jeune et insouciante Nymphadora Tonks avait disparu, effacé par le visage triste et fade qui apparaissait devant lui. Un visage qu’il n’avait jamais vu sur elle.
- Que… Qu’est-ce que tu fais? demanda-t-il, curieux.
- Je pleure…
Elle s’essuya quelques larmes de ses longs doigts et releva la tête, rejetant sa masse de cheveux derrière ses épaules.
- Ton… ton visage…
Remus était captivé par les traits de sa nouvelle personnalité. Qui ne devait pas être si nouvelle que cela s’il en jugeait par la finesse de ses traits, et la délicatesse de ses courbes. Ce pourrait-il que cela soit son vrai visage?
- Je ne contrôle pas mon don, quand je pleure, marmonna-t-elle, en croisant les bras. Il s’efface… il s’efface au profit de ce que je ressens.
Ses cheveux étaient longs, d’un gris souris qui devait tirer sur un beau brun lumineux lorsqu’elle souriait. Tout comme ses yeux, en amande, d’un bleu perle, qui devaient s’éclaircir, et ses pommettes, rondes et pleines, qui devaient se creuser lorsqu’elle riait. Mais ce n’était pas le cas en ce moment. Deux sillons humides venaient fissurer ses joues pour mourir sur ses fines lèvres roses.
- C’est…, reprit-il, abasourdis.
- C’est moi, oui, chuchota-t-elle. La vraie moi. La vraie Nymphadora Tonks. Pas celle qui se cache derrière des cheveux violets, ou un teint trop bronzé.
Remus la détailla longuement. Elle ne faisait plus si jeune, si frêle, si délicate. Au contraire, elle paraissait plus forte, plus stable. Comme si ce retour aux sources était sa seule barrière, son dernier rempart avant de craquer. Et il la trouva encore plus belle. Elle n’était pas vraiment la Tonks qu’il aimait, certes, mais elle était loin de l’inconnue qu’il s’était imaginé. Il voyait toujours son sourire au coin des lèvres, sa douceur dans son regard, sa souplesse dans ses longs cheveux, son courage dans le regard. Il voyait tout ça. Et il s’en voulut… Il s’en voulut terriblement pour tout ce qu’il lui avait fait subir ces derniers mois.
- Pourquoi tu ne restes pas comme ça? voulut-il savoir, en s’approchant d’elle.
- Je n’en sais rien, répondit-elle en haussant les épaules. Ce n’est pas moi, ça. Je vois trop ma mère quand je me regarde dans un miroir. Et je vois trop les yeux de Sirius… J’ai jamais aimé les voir en moi.
Elle baissa les yeux, et sentit ses cheveux ondulés lui caresser la joue. Cela faisait longtemps qu’elle n’avait pas laissé Nymphadora prendre la place de Tonks. Elle trouvait cela étrange. Pire encore, lorsqu’elle constata que Remus s’était tu. Agrandissant encore plus le fossé qui les séparait l’un de l’autre. Il n’avait même pas répondu à sa question.
- Pourquoi tu me mens sans cesse? répéta-t-elle, fermement, en laissant tomber ses bras le long de son corps, dévoilant ainsi une taille plus marqué, et une poitrine plus menue qu’à l’habitude.
Remus soupira et se passa une main sur le visage. Comment lui dire qu’il l’aimait passionnément, tout en lui faisant comprendre que c’était cet amour qui allait causer sa perte. Il ne voulait pas prendre le risque de la blesser lors d’une nuit de pleine lune, ou l’entraîner dans une vie de nomade pauvre et insultante. Il la voulait heureuse… même si cela voulait dire loin de lui.
- Regarde-moi, lui dit-il tout bas, la gorge sèche. Qu’est-ce que j’ai à t’offrir? Je suis usé par le temps… et tu es… tu es comme la rosée du matin. On est le jour et la nuit, toi et moi. Tu mérites tellement mieux…
- C’est ce que toi tu vois, lui fit-elle remarquer. Ce n’est pas ce que moi, je vois…
- Qu’est-ce que tu vois, alors? demanda-t-il, amèrement.
- Un homme bon… et courageux. Qui est prêt à tout pour tout le monde, qui est prêt à tous les sacrifices, et qui ne connaît pas le mot « égoïsme ». Et c’est tout ce que je demande! Je n’ai besoin de rien d’autre… Je… j’aimerais tellement que tu te voies avec mes yeux, Remus. Tu n’aurais plus peur, plus aucun doute.
Les phrases de Nymphadora étaient un onguent apaisant pour l’âme de Remus. Et plus elle parlait, et plus le sorcier se sentait envoûté. Hypnotisé par cette voix douce, légèrement rauque lorsqu’elle prononçait certains sons. C’était ensorcelant. Aussi ensorcelant que la couleur perle de ses yeux, que la forme pointue de son nez, que l’angle délicat de sa mâchoire. Il avait terriblement envie de l’embrasser. Mais la dernière barrière n’était pas tombée. Pas encore. Là, derrière ce visage, il y avait la fleur de la jeunesse… Qui était-il pour pouvoir la cueillir?
• Je t’aime, Remus…, termina-t-elle par avouer, calmement. Depuis tellement longtemps…
Le lycanthrope déglutit difficilement. Elle venait de lui dire. Elle venait vraiment de lui dire. Avec des mots simples et percutants, ces deux petits mots qui venaient de faire éclater son coeur en miette. Je t’aime… c’était bon, tout simplement. Encore plus puissant lorsque ces mots étaient formés par des lèvres aussi fines.
- Je ne peux pas…, chuchota-t-il, plus pour lui que pour Nymphadora. Tu es si jeune, Tonks. C’est… personne ne comprendrait.
- Trop jeune? répéta la jeune femme, vexée.
C’était donc ça, ce mur invisible qui se dressait entre eux? Une question d’âge? Une question de temps? Il n’y avait que Remus Lupin pour réfléchir à ce genre de détail… Que préférait-il? Une vieille femme de soixante-dix ans? Au regard creusé, à la peau toute fripé, au corps décharné… plutôt que la fermeté et la douceur d’une femme de vingt-trois ans.
Nymphadora sentit de nouveau sa magie s’accumuler au bout de ses doigts, alors que le regard de Remus avait quitté son visage pour s’ancrer entre les fines rayures du parquet. Peut-être comptait-il s’y faire aspirer… Mais pas avant que Nymphadora lui montre. Pas avant qu’elle ne lui montre de quoi elle était capable.
Sous le coup d’une harmonie parfaite entre la colère et la tristesse, la jeune femme sentit son corps subir une des plus grandes transformations de sa vie. Elle perdit quelques centimètres, de plus en plus, sentant ses os et ses articulations se ratatiner, se recroqueviller sur eux-mêmes. Ses doigts se boudinèrent, et elle sentit ses seins descendre contre ses côtes, au même moment que ses paupières s’alourdirent. La peau de son visage et de son cou pendaient de manière très disgracieuse sur ses os, et elle n’arrivait même pas à sentir ses lèvres remuer tant elles étaient ridées.
- Et là, c’est mieux? demanda-t-elle, en tentant d’arquer un sourcil.
Remus releva les yeux et ce qu’il vit lui fit pousser un cri d’effroi.
- Et là, c’est mieux? répéta-t-elle, plus fortement. J’ai l’air moins jeune, non? Plus… vieille… un peu comme toi, en fait. Vieille et rabougrie, toute ridée. Puisque c’est comme ça que tu te vois toi-même, non?
Le sorcier n’arrivait pas à bouger ses yeux, ni le moindre centimètre carré de sa peau, tant il était tétanisé par la vieille dame qui se trouvait face à lui. Encore plus vieille que Bathilda Tourdesac.
- Non, ça ne te convient pas? repris Nymphadora, visiblement amusée par la situation. Trop vieille? Tu préfères comme ça, alors?
Elle changea une nouvelle fois de physique. Celui d’une femme un peu plus jeune que la précédente. Une petite soixantaine. Aux paupières tirées, et aux joues creusés. Les veines de son cou ressortant à outrance sur sa peau diaphane.
- Arrête, murmura-t-il, sans pouvoir la lâcher des yeux, tant il était choqué par ce qu’elle faisait.
- J’essaie juste de savoir quel âge te conviendrait, répondit-elle, sur le ton de l’évidence. Donc si j’ai bien compris, tu préfères quand même plus jeune… Genre, ça?
Ses cheveux courts et blancs disparurent pour laisser place à une fine chevelure auburn, et à des traits plus carrés, mais moins ridés. Ses lèvres étaient plus fines aussi, mais ses yeux avaient pris une couleur terne, fade. Elle n’avait même pas quarante ans. Seulement quelques années de plus que Remus. Mais ça n’avait pas l’air non plus de l’enchanter.
- J’ai presque ton âge, là. A deux ou trois ans près on va dire, déclara-t-elle.
Son nez était rond et sur son visage, les stigmates de l’âge commençaient à se faire sentir, surtout au niveau des pommettes qui avaient perdu leurs volumes.
- Il va falloir choisir Remus. Je ne peux pas être vieille tout en paraissant jeune. Ça ne marche pas dans ce sens-là, insista-t-elle en plantant ses yeux creux dans les siens. Alors, qu’est-ce que je…
- ARRETE! s’exclama-t-il en lui saisissant les épaules, la stoppant net dans sa prochaine métamorphose.
Le contact de ses mains sur elle, de manière si spontanée, lui fit l’effet d’un électrochoc. C’était comme un courant électrique qui s’infiltrait sous sa peau, naviguant entre chacun de ses atomes, déliant certains pour en raccrocher d’autres. Et au bout de quelques secondes, Nymphadora revint à elle. Telle qu’elle avait l’habitude d’être, telle que Remus l’aimait… Ses cheveux étaient redevenus court et violet, son visage possédait de nouveau une jolie forme de coeur, et son teint hâlé s’harmonisait à la perfection avec ses grands yeux sombres.
- Ne refais plus jamais ça, lui dit Remus, sur le ton du reproche, mais avec une once d’inquiétude dans sa voix grave et usée.
Nymphadora acquiesça de la tête. Que venait-il de se passer exactement? Une fois de plus, la jeune femme avait laissé son pouvoir la dominer. Et visiblement, pour une fois, cela lui avait peut-être servi.
Les yeux de Remus étaient ancrés dans les siens. Et ses mains glissaient lentement de ses épaules jusqu’à ses poignets, rendant la jeune femme complètement léthargique entre ses bras. Il était loin de s’imaginer ce qui allait se produire quand elle était rentrée dans le salon tout à l’heure, l’air irrité. Mais finalement, elle avait eu raison de descendre. Elle avait eu raison de le pousser dans ses retranchements. Cela lui avait fait comprendre certaine chose… A commencer que la jeune femme en face de lui n’était pas si fragile que cela.
- C’est comme ça que je t’aime…, avoua Remus en un chuchotement bas et rauque, alors que ses doigts se perdirent dans ses cheveux hirsutes.
Le coeur de Nymphadora explosa dans sa poitrine. Elle avait quelques difficultés à respirer, ne s’attendant absolument pas à cet aveu. Remus Lupin était décidément un homme surprenant.
- J’aurais dû me métamorphoser en une vieille peau frigide plus tôt…, chuchota Nymphadora, un sourire amusé sur les lèvres, les yeux brillants.
Remus leva les yeux au ciel. Elle était surprenante. A chacune de ses répliques.
- Peut-être, confirma-t-il, un sourire timide sur le visage.
Il avait envie de lui dire tellement d’autre chose mais la jeune femme ne lui en avait pas laissé le temps. Ses mains s’étaient glissées derrière sa nuque et ses lèvres s’étaient posées, malicieusement, sur les siennes, l’embrassant alors comme elle en rêvait depuis des mois, depuis qu’elle avait vu son patronus se changer en loup et non en lièvre. Et sa respiration se fit plus saccadée lorsqu’elle sentit les mains de Remus se refermer avidement sur sa taille et sa langue glisser contre la sienne.
Remus était surpris de la sentir si douce, mais si forte, contre lui, bien loin de ce qu’il avait imaginé. Il la voyait toujours comme l’enfant qu’elle avait été, et non pas comme la femme qu’elle était devenue. C’était si bon, si rassurant, de pouvoir l’embrasser à en perdre haleine, de pouvoir la prendre dans ses bras.
En fait Nymphadora avait eu raison depuis le début, et il aurait dû succomber plus rapidement à ses charmes métamorphiques dévastateurs. Embrasser une fleur de vingt-trois ans était bien plus agréable, bien plus euphorisant, qu’embrasser une vieille mégère de cinquante ans…
Toujours écouter les femmes, Remus s’en souviendra longtemps.