Tonks était accoudée au rebord de la fenêtre depuis plus de deux heures, regardant le peu de voiture qui passaient devant sa fenêtre. En face, Mrs Hawell, la voisine de Remus depuis plusieurs années, fermait ses volets en saluant la métamorphomage. Depuis plusieurs semaines les deux femmes se croisaient plus souvent à la fenêtre, sans pour autant s’adresser la parole, et entamer une réelle conversation.
Les lumières de la rue s’allumaient une fois sur deux, éclairant tantôt la maison des Lupin tantôt celle des Hawell et, à 23 :00 passées, Tonks étudiait, de manière très sérieuse, cette simultanéité électrique, la main droite posée sur son ventre tout juste rebondi par les premiers mois de la grossesse, et la gauche soutenant le poids de sa tête.
Dans la cuisine, la théière grondait en un sifflement strident, ce qui força la métamorphomage à sortir une tasse et à y verser l’eau chaude avant de s’installer dans le canapé qu’elle avait quitté quelques minutes avant pour se défouler les jambes.
Nymphadora, qui avait pourtant été invitée chez les Weasley ce soir-là, n’était pas sortie de la journée, préférant végéter sur le canapé depuis 8 :00 et errant d’un bout à l’autre du salon de la maison depuis plus de deux heures. Remus était parti très tôt le matin même en mission pour l’Ordre et ne devait rentrer que tard dans la nuit ; et pourtant, malgré la fatigue qui pesait sur les paupières de Tonks et qui ankylosait ses muscles, elle ne pouvait pas fermer les yeux sans imaginer recevoir un patronus de Shakelbot lui annonçant la mort de son mari.
Depuis la fuite de Harry, les membres potentiels de l’Ordre se relayaient pour défendre les moldus et les personnes qui ne pouvaient pas, ou plus, se défendre. Et ce soir, Remus devait surveiller la maison d’un mangemort, susceptible de détenir des informations sur les prochaines actions des sbires de Voldemort.
Avalant une gorgée de thé, Tonks ouvrit la première page de la Gazette du Sorcier, qui attendait patiemment d’être lu depuis le matin même. Pas de grande nouvelle ; mais Tonks s’y attendait, depuis que Voldemort avait pris possession du ministère, plus rien ne sonnait vrai dans ce torchon porté au rang de « meilleur journal sorcier d’Angleterre » par Skeeter. Même Lovegood s’était reconverti à la peur qui régentait dans le cœur des anglais. Ils avaient fini par changer d’allégeance, ne défendant ainsi plus l’Elu.
Nymphadora releva le regard vers la cheminée, la photo des Maraudeurs et le recueil de John Keats ; la dernière fois qu’elle avait regardé cet endroit de la pièce, elle s’entendait encore parfaitement bien avec son mari, sans qu’aucune tension ne s’immisce dans son couple, unit par la guerre. Mais depuis, un mois s’était écoulé et les nouvelles avaient changés.
Tonks avait appris sa grossesse et en avait parlé à Remus, rompant définitivement la tendresse et les attentions quotidiennes de son époux à son égard ; comme si être enceinte lui offrait un statut « d’intouchable ».
Dans le dos de la métamorphomage, les verrous se débloquèrent et la porte sauta comme si une décharge explosive y avait été déposée ; ne laissant à Tonks que le temps de se cacher derrière le canapé et d’attraper sa baguette restée sur la table basse.
Lorsque le fracas se calma, Nymphadora se permit de relever la tête ; en face d’elle se trouvait son mari, la moitié de sa chemise complètement arraché, dévoilant ainsi de longues trainées de sang, tâchant chaque millimètre de sa peau.
« Tonks… appela-t-il à l’aide en tendant la main vers son épouse.
Nymphadora était figée par la vue ensanglantée de son mari, mais dû se faire violence pour le caler sous son épaule et l’emmener sur le canapé.
- Tu… tu ne m’as pas demandé qui j’étais… indiqua Remus, le visage transpirant à chaudes gouttes.
Cette obligation donnée par Shakelbot répugnait au plus haut point Tonks ; elle savait reconnaître son mari à des kilomètres. Son odeur boisée qui l’avait rassuré et son regard noisette qui l’avait fait frémir tant de fois n’étaient pas imitables, en tout cas pas assez bien pour tromper la femme amoureuse qui vivait dans le cœur de la jeune femme. Mais puisque son mari insistait pour qu’elle s’assure de son identité, elle fit la première chose censée qui lui passa par l’esprit. Elle posa tendrement ses lèvres sur celles, sèches et rugueuses, de Remus, prolongeant ce baiser pendant plusieurs secondes avant de se redresser et d’aller chercher la trousse de secours, laissant derrière elle son mari abasourdi par ses manières.
- Je sais que c’est toi Remus, assura-t-elle en faisant chauffer de l’eau, et en attrapant un tas de serviettes. Enlève les restes de cette guenille que tu portes sur le dos, je vais te soigner, ajouta-t-elle en fermant les volets et la porte d’entrée d’un coup de baguette magique.
Elle détestait la relation qu’elle entretenait en ce moment avec son mari, avec l’homme qui avait permis à une colonie de papillons de s’installer dans son ventre, avant de laisser la place à un seul cocon qui abritait à présent le plus beau papillon que la nature ait connu.
Cette sensation de devoir rester loin de lui alors qu’elle rêvait d’être serrée chaque soir dans ses bras lui pesait lourdement sur la conscience ; depuis qu’elle lui avait annoncé sa grossesse enfaite. Et depuis qu’il était revenu, plus rien n’était pareil entre eux, et leurs manières de réagir l’un envers l’autre s’étaient transformées, telle le jour laissant place à la nuit dans un ciel rempli d’étoiles.
Lorsqu’elle se rapprocha de son mari, les bras chargés, elle prit conscience de la gravité de ses blessures. De nombreuses plaies asséchées recouvraient tout son dos déjà marqué par les cicatrices de griffures qu’il s’administrait lui-même pendant les nuits de pleines lunes- ainsi que sur ses bras et son torse. Seule la plaie béante sur son abdomen ne cessait de couler sur son ventre.
- Ca va piquer, prévint Tonks en trempant le linge dans l’eau bouillante et en l’appliquant délicatement sur la tâche de sang.
Les cris de douleur de son mari lui transpercèrent le cœur, comme si en appliquant la serviette bouillante sur le corps de Remus elle se l’appliquait elle-même sur le ventre. Cette sensation était la même depuis qu’elle avait appris qu’elle était enceinte ; elle abritait en son sein une part de Remus, tout ce qu’il vivait, le bébé le vivait et le lui transmettait.
Entre les trois Lupin, un lien s’était brusquement crée.
- Comment… comment ça t’es arrivé ? interrogea Tonks en refermant la plaie à l’aide de sa baguette magique avant de déposer doucement une bande pour que son mari ne s’ouvre pas encore.
- Ce fils de chien de Green… il m’a surpris… commença-t-il avant de pousser un cri alors que sa femme lui appliquait un onguent sur les griffures de ses bras. Il m’a envoyé tout un tas de sortilèges, continua-t-il, les crispements de sa mâchoire ponctuant son récit. Je n’ai pas pu transplaner tout de suite et quand j’ai enfin pu, il m’a envoyé un Sectum Sempra ; je l’ai pris juste avant de disparaître.
Tonks indiquait par des petits « hum » qu’elle écoutait toujours le récit de son mari. Il raconta tout ce qu’il avait appris à sa femme, pendant que cette dernière l’inspectait de haut en bas, à la recherche de la moindre coupure.
Lorsqu’elle s’attela à soigner son dos, elle faillit perdre connaissance. Elle s’était habituée aux griffures cicatrisées que la lycanthropie avait façonnée, mais les giclées et les traînées de sang faites par les sortilèges recouvraient plus de la moitié du dos de Remus. De ses mains rougies par le sang coagulé, Tonks s’attelait à rincer chaque plaie, avec encore plus de minutie que la dernière ; refermant lentement grâce à sa baguette la chaire sectionnée et ouverte, recouvrant avec la délicatesse d’un ange chaque fine cicatrice d’un énorme pansement.
Pendant plus d’une demi-heure, la métamorphomage ne dit rien, essuyant de temps à autre ses mains sur son jogging pour ne pas salir de trop sa baguette. Lorsqu’elle eut finit de soigner chaque blessure, elle attrapa une chemise qu’elle venait de laver et le passa sur le corps chaud de son mari, frôlant ses côtes de ses doigts fins. Remus les lui attrapa et les entremêla aux siens ; la remerciant pendant de longs instants avant de se retourner pour déposer sur ses lèvres un baiser passionné. Sa langue frôla celle de son épouse et partit dans une longue et lente danse.
Ils restèrent ainsi, blottis l’un contre l’autre, s’embrassant amoureusement comme si plus aucune tension n’existait entre eux. Lorsque Remus dénoua ses mains de celle de Tonks pour les passer sur ses côtes, il sentit le ventre arrondi dans lequel se développait son bébé et s’écarta de son épouse.
Cet enfant était l’exacte raison pour laquelle Remus s’éloignait de sa femme et de sa famille ; il n’était pas fait pour en avoir une, pour appartenir à un clan. Aucun loup-garou n’avait fait d’enfant, aucun loup-garou ne s’était marié ; aucun loup-garou n’avait défié les regards des autres en devenant un élève brillant, et un meilleur ami attentionné. Non, aucun loup-garou n’avait vécu tout ce que Remus avait vécu depuis son enfance, aucun loup-garou ne s’était fondu dans la masse des sorciers ; mais en même temps, aucun loup-garou n’avait Nymphadora Tonks pour épouse et James Potter et Sirius Black pour meilleurs amis.
Devant lui à cet instant, se trouvait les cheveux roses bonbons de sa femme, qui, pour la première fois depuis des semaines, avaient retrouvé leur éclat, tout comme ses yeux et son sourire. Celui qui faisait fondre Remus, et pour la première fois depuis l’annonce de la grossesse, il n’allait pas quitter le canapé pour monter se coucher, comme toutes les nuits précédentes. Cette nuit-là, il n’allait pas fuir sa femme comme il le faisait depuis si longtemps ; ce soir-là il prendrait soin d’elle et ce soir-là, il allait l’aimer…