La Neige. Voilà bien longtemps que Lily l'attendait, cette satanée poudre blanche. Le Parc a revêtu son manteau de givre, et la sorcière rousse ne peut que s'en réjouir. Le vent froid, le crissement des souliers sur la glace, la cime des arbres blanchie... Décidément, Lily aime la Neige. Plus que les hommes, en tout cas. Elle fait quelques pas, emmitouflée dans sa cape bien trop large. Elle a remonté son écharpe sur son nez rouge, et enfoui ses mains gelées dans ses grandes poches. L'espace d'une éternité, elle contemple le lac gelé, les yeux perdus dans l'infinie immensité de la Nature. Des pas, discrets, légers.
« Lily, le soleil va bientôt se coucher, rentrons. »
Alors la jeune sorcière attrape la main de son cousin, et le suit jusqu'au château. Arrivés dans la Grande Salle, Hugo la fait s'asseoir à ses côtés, malgré les protestations silencieuses de ses amis. Il hausse des épaules, souffle, et commence à manger. À ses côtés, Lily ne bouge pas. Elle se contente d'ignorer les regards moqueurs que lui lancent les autres élèves. Il faut dire qu'elle est étrange, Lily, avec ses cheveux courts, ébouriffés, et ses ongles ensanglantés.
« Lily, mange un peu, s'il te plaît. »
Sous les ordres de son cousin, elle attrape sa fourchette, et avale mécaniquement la nourriture qu'il a déposée dans son assiette. Puis, dès qu'elle a fini, elle se lève sans un mot. Elle pose une main fragile sur l'épaule de Hugo, qui la rassure aussitôt.
« Je te rejoins dans une minute, pars devant. »
Lily s'éloigne à contre-coeur. Elle sait bien qu'il ne viendra pas, qu'il préfère parler avec ses stupides et arrogants camarades. Ce n'est pas sa faute, à Lily, si elle est différente. Elle est solitaire, et personne ne daigne l'aimer, pas même Hugo qui feint de l'apprécier. Elle le sait, qu'il a promis à James et Albus de veiller sur elle. James et Al'. Son cœur se serre, ses mains se mettent à trembler alors qu'elle déambule entre les arcades du château. Depuis que le cadet de la famille a quitté Poudlard, Lily se sent terriblement seule. Les couloirs semblent vides, le Parc désert. À quoi bon rester dans cette école, s'ils n'y sont plus ? Ce sont eux qui lui ont donné l'envie de venir, d'être à Gryffondor, d'avoir de bonnes notes... Sans leur présence, rien n'a plus de sens. Al' et James. Les autres, les bizarres, les étranges comme elle les nommés secrètement, se permettent de se moquer d'elle à présent. Elle n'est plus protégée par les deux rejetons Potter, prêts à éloigner quiconque s'approchait d'elle avec de mauvaises intentions. Si personne toutefois ne la maltraite physiquement, elle est contrainte de subir les remarques acerbes et les rires mesquins. Les jours passent à une longueur exaspérante, et chaque seconde loin d'eux est une véritable torture. Lily ne l'écrit jamais dans ses lettres, mais sa solitude et ses soirées silencieuses pèsent sur elle comme un poids qu'il lui est impossible de soulever. Parfois, elle a la sensation d'étouffer, d'être à l'agonie, mise à terre par ses doutes et ses différences. Elle n'arrive plus à écouter les cours, ni à prendre les leçons. Avec son moral, ses notes dégringolent. Et les lettres agacées de ses parents ne l'aident pas à relever la tête. Tu dois plus travailler Lily, Hugo dit que tu ne fais rien de tes journées, regarde comme tes frères, eux, ont réussi. Et Lily acquiesce, répond qu'elle fera des efforts, qu'elle travaillera plus longtemps, plus dur, plus tard. C'est le bruit de la Neige sous sa chaussure qui la sort de ses pensées. Inconsciemment, elle est retournée dans le Parc, où la lune ne va pas tarder à se lever. Lily contemple une nouvelle fois la Nature gelée, et son souffle s'apaise, sa tristesse s'envole. Il neige. Et dans une semaine à peine, elle rentre chez elle, loin de ces regards agressifs et de ces paroles malines. Il neige, Al', James, il neige, et votre Lily vous rejoint bientôt.
Enfin. Le quai est bondé, peuplé d'élèves et de leurs familles venues les chercher. Certains courent, d'autres crient et s'enlacent. Au milieu de ce brouhaha, Lily se tient, immobile et solitaire, les yeux fixés sur un point au loin. Al' et James s'approchent à pas lents, mesurés. Un sourire incontrôlable étire les lèvres de Lily alors qu'elle les contemple. Ils sont beaux, dans leurs manteaux d'hommes. En un instant ils sont déjà là, contre elle. Ils l'enlacent, la bercent, lui murmurent des mots de réconfort, des paroles d'amour. Avec une tendresse infinie, elle s'écarte d'eux, avide d'observer leurs visages. Si Al' a troqué ses lunettes rondes contre une autre paire, carrée, si James a enfin laissé pousser sa tignasse brune, si tous deux portent fièrement une barbe mal rasée, ils n'ont pas changé. Ils n'ont pas changé. Ses frères échangent une blague à propose de la fureur de Ginny lorsqu'elle découvrira que sa fille s'est coupé les cheveux une nouvelle fois. Et Lily redresse le menton, son regard s'allume, ses épaules se relâchent enfin. La boule dans son ventre n'est qu'un souvenir, et les larmes qu'elle a versé plus que des sillons secs sur ses joues creuses. Elle détache les yeux de ses frères, et dévisage les autres élèves. Depuis le début, elle s'est leurrée, les étranges ne sont pas eux, mais elle et ses aînés. Fière et forte, elle les toise de tout son être, silencieuse. Ils se moquent d'elle, elle rit de leur ignorance. Ils la mettent à l'écart, elle dompte la solitude. Ils la qualifient d'étrange, elle fait de cet adjectif une cape, un manteau semblable à ceux de ses frères. Et, dans un rire clair et lumineux, se drape de ce mot aux consonances magiques.
Al' et James observent leur sœur, perdue dans ses pensées. Puis ils posent chacun une main sur ses épaules et transplanent. Les étranges ont disparu. Sur le quai, pas un ne remarque que le vent a cessé de souffler.