Quand il était plus jeune, les jours d'été, Albus les adorait. Tous les trois, ils passaient des heures dehors, du lever au coucher du soleil, vivant de nombreuses aventures imaginaires. Ils exploraient chaque recoin de la forêt qui bordait Sunnyfield au nord, ou allaient flâner au bord du lac. Parfois chacun de leur côté, le plus souvent ensemble, ils profitaient de chacun des rayons du soleil. Les trois petits Dumbledore. On avait beaucoup parlé d'eux, de leur famille étrange. Mais ces enfants n'en avaient que faire. Ils étaient innocents, trop insouciants pour croire que quiconque pourrait leur vouloir du mal. Et ils avaient fini par l'apprendre, à leurs dépends.
L'été, désormais, était la saison qu'Albus redoutait le plus. Celle où il rentrait à Godric's Hollow. Celle où il rentrait chez lui. Celle où il retrouvait sa famille. Il aimait sa mère, sa sœur, son frère. Mais cette maison qu'il ne parvenait toujours pas à réellement considérer comme son foyer lui rappelait sans cesse que rien ne serait plus jamais pareil. Qu'un jour d'été, tout avait changé. Qu'un jour d'été, deux imbéciles s'en étaient pris à elle, et l'avaient changée, l'avaient détruite. Cette maison lui rappelait tout ce qu'il avait perdu.
Il se sentait coupable, égoïste. Il s'en voulait et pourtant, il ne pouvait s'empêcher d'attendre avec impatience le premier septembre, le jour de son départ. Car la voir ainsi, voir sa famille ainsi, lui fendait le cœur. Lui était insupportable. Alors il voulait retourner au château, et étudier. Il avait soif d'apprendre, de progresser. Car il espérait secrètement pouvoir, un jour, trouver une sorte de remède. Quelque chose qui pourrait sauver sa sœur, quelque chose qui pourrait lui ramener leurs belles journée d'été. Il devait savoir, au fond, que c'était impossible. Mais il s'accrochait à l'espoir, refusant d'accepter qu'Ariana ne redeviendrait jamais celle qu'elle avait été.
Mais l'été ne faisait que commencer, et Albus ne supportait déjà plus de rester enfermé entre ces murs, où il avait l'impression d'étouffer. Il voulait s'enfuir, loin, n'importe où. Il avait besoin d'air. Il ne supportait plus le regard triste, résigné et fatigué de sa mère. Il ne supportait plus les cris de souffrance de sa sœur, sa terreur, sa peur d'elle même. Il ne supportait plus le regard de reproche d'Abelforth, qui depuis longtemps en voulait à tout le monde. Il ne se sentait pas chez lui. On lui avait volé sa famille, en les transformant en d'autres personnes. Il voulait s'échapper.
Deux ans auparavant, alors que cette même sensation d'asphyxie l'enserrait comme un étau, il avait découvert une vielle cabane, au beau milieu d'un champ abandonné. Il y avait trouvé une cheminée, qui, par chance, était reliée au réseau de cheminées des sorciers. Depuis ce jour, lorsque l'envie de s'enfuir lui prenait, il attrapait une poignée de poudre de Cheminette et s'y rendait. Il emmenait souvent sa sœur avec lui, pour lui permettre de voir autre chose que les murs grisâtres de sa chambre. Ce vieux champ était devenu leur repère. Albus aimait le calme qui y régnait, et les roseaux plus hauts que lui. Personne ne risquait de les déranger.
Comme chaque fois, il était descendu, avait attrapé Ariana par la main, et l'avait emmenée avec lui, vers ce petit coin de paradis, le seul où elle pouvait réellement être libre. Il n'y avait pas de danger ici, pas de bruit. Juste le silence, et leur bonheur.
Elle avait rit, dansé. Il aimait la voir ainsi, simplement heureuse. Il aimait voir le sourire qui s'étalait sur son visage, et ses petites dents, blanches comme de la porcelaine, que ses lèvres dévoilaient quand elle riait. Il aimait la voir tournoyer comme une petite ballerine sur ses jambes instables, et sa robe qui semblait voler autour d'elle. Il aimait les rayons du soleil qui jouaient dans ses cheveux blonds, et ses yeux bleus qui pétillaient. Quand il l'emmenait dans leur champ de roseaux, il retrouvait espoir. Quand il la voyait ainsi, il ne pouvait pas croire que tout était perdu. Elle était si jeune, encore si enfantine. Il ne pouvait pas croire qu'on l'ait détruite si simplement. Il voyait dans son regard qu'il restait toujours quelque chose de l'ancienne Ariana, celle qui explorait les bois avec ses deux grands frères et jouait en solitaire au bord de sa mare. Il restait encore des fragments de cette petite fille qui souriait toujours et qui avait fait la joie de sa famille. Elle n'était pas totalement partie.
Ils avaient longtemps dansé tous les deux, joué, chanté. Comme des enfants. Comme avant. Il aimait ces instants où elle semblait revivre, et aurait aimé qu'ils durent éternellement. Mais elle finissait par s'épuiser. Elle n'avait pas l'habitude d'autant d'activité, sa petite sœur qui, contre la volonté de tous, était contrainte de rester enfermée toute la journée chez eux. Elle grandissait, devenait plus forte, mais finissait toujours par être épuisée. En un sens, son manque d'endurance était une nécessité, Albus le savait. Car leur mère vieillissait, et ils avaient tous peur qu'un jour, elle ne réussisse plus à maîtriser Ariana durant ses crises. Cet instant fatal où elle tombait au sol, qui arrivait toujours, marquait le retour à la réalité. La fin de leur utopie d'un après midi. Mais Albus ne cessait tout de même pas d'espérer.
N'ayant ni l'un ni l'autre envie de rentrer, Albus s'assit dans le champ de blé, et Ariana s'allongea à ses côtés, sa tête appuyée sur le genou de son frère. Quelques bridillent lui piquèrent les bras et se prirent dans ses cheveux. Albus la regarda un instant. Elle semblait heureuse, paisible, malgré sa respiration haletante. Sa petite sœur. Celle qu'il n'avait pas pu protéger. Et il s'en voudrait sûrement toute sa vie, même s'il en voulait encore plus à ces Moldus qui lui avaient fait subir cela, ces Moldus qu'il haïssait.
Ariana avait toujours été, pour eux, un petit bijou. Une petite fille qui respirait la joie, qui resplendissait. Elle était le soleil de leur famille. Elle brillait, et ils la chérissaient tous comme le plus beau des trésors, ce qu'elle était à leur yeux. Leur petit bijou. On le leur avait prit, on l'avait abîmé plus que de raison, massacré. On le leur avait rendu dans le pire était imaginable, son or écaillé, ses diamants rayés. Elle était une boîte à musique qui avait perdu ses notes. Mais Albus espérait, savait, qu'il y avait toujours un moyen de le réparer, son petit bijou. Il le trouverait, un jour. Il se l'était promis. Et alors, il serait étincelant, plus brillant que jamais. Il lui ferait retrouver son éclat, et ferait disparaître ses cauchemars. Il rendrait la raison à sa sœur, lui enlèverait cette peur de la magie. Et elle serait à nouveau elle même.
Mais pour l'instant, il fallait attendre, et accepter. Et Albus n'en pouvait plus, d'attendre, ni de cette situation, de cette maison en décrépitude, de cette famille qui était devenue l'ombre d'elle même. Ils étaient tous un peu morts en ce jour funeste, mais Albus ne l'acceptait pas. Il brûlait d'espoir, et d'un désir de vengeance. Sa tristesse s'était transformée en colère, et sa colère en haine. Il haïssait ces Moldus. Il voulait se venger, la venger. Qu'ils comprennent.
Mais, au fond, il savait que ce n'était pas ce qu'elle aurait voulu. La Ariana qu'il avait connu était paisible et aimante, envers tous. Elle aurait voulu qu'il pardonne, et il essayait, sincèrement. Il éloignait ses sentiments noirs le plus qu'il pouvait. Il devait les garder sous contrôle, ne pas exploser. Et tout irait bien. Il devait se concentrer sur ses études, et son espoir, celui d'un remède. Il devait être fort pour elle, pour sa mère aussi, ne rien lâcher. Et tout irait bien.
Il caressa doucement les cheveux de sa sœur, tandis que sa respiration se calmait. Il savait, au fond, qu'au delà de l'atmosphère insoutenable qui régnait dans leur maison, c'étaient ses regrets qui l'étouffaient. Une culpabilité sourde, qui lui déchirait les entrailles. Il s'en voulait. Pourtant, il n'aurait rien pu faire. Il était trop loin au moment des faits pour avoir pu entendre quoi que ce soit. Mais il s'en voulait tout de même de n'avoir, depuis, rien pu faire pour l'aider à se reconstruire. Il essayait, il avait tout essayé. Il désespérait, malgré cet espoir d'un remède auquel il s'accrochait. Les moments comme cet après midi étaient ceux qui lui permettaient de ne pas sombrer, de ne pas abandonner. De ne pas la condamner.
Ariana se releva et le prit dans ses bras. Il la serra de toutes ses forces. Il l'aimait, il adorait sa petite sœur. Il voulait la voir toujours sourire, comme elle le faisait. Il voulait que ces instants de bonheur ne prennent jamais fin. Mais le soleil se couchait, et il faudrait bientôt rentrer. La magie s'estompait peu à peu, et il fallait retourner à la réalité. Ariana n'était pas comme tout le monde, et ne le serait peut-être plus jamais. Mais il leur restait l'espoir, et Albus n'était pas prêt de l'abandonner.
Il la prit dans ses bras et la souleva de terre. Elle s'agita, comprenant qu'il fallait rentrer. Il l'entendit gémir. Il aurait voulu qu'elle comprenne qu'il n'y pouvait rien. Qu'elle sache qu'ils ne voulaient que son bonheur, mais que pour sa sécurité, ils étaient obligé de l'enfermer. Elle était dangereuse, tant pour elle même que pour les autres. Il lui était déjà arrivé de devoir l'immobiliser, l'empêcher de bouger, alors que ses crises survenaient lors de leurs après midi. Il savait que c'était nécessaire. Mais elle ne pouvait pas le comprendre.
Ils franchirent le seuil de la cabane, et se dirigèrent vers la cheminée. La journée se terminerait comme toutes les autres, et demain ne serait qu'un autre jour ensoleillé, semblable au précédent. Mais malgré tout, Albus ne perdrait jamais espoir, il en était convaincu.