Un souffle glacial traversa la cellule, et Rabastan se recroquevilla le plus loin possible de la main hideuse du détraqueur qui se tendait vers lui à travers les barreaux. Il croisait ses bras sur sa poitrine, les mains sur les épaules, comme s'il voulait se donner à lui-même l'étreinte qu'il ne recevrai plus jamais. Ses doigts venaient trouver les marques noires qui dépassaient de sa peau, comme si ces dessins dérisoires pouvaient lui venir en secours. Il l'avait cru, autrefois, mais aujourd'hui, il les associait aux pires moments de sa vie, à ces moments que les détraqueurs lui faisaient revivre chaque fois qu'ils s'approchaient de sa cellule. Les détraqueurs ne pouvaient pas lui ôter sa douleur, et sa douleur lui conservait son humanité. Alors, chaque jour, Rabastan repensait à ces moments. Il s'y accrochait, il les chérissait, et il les caressait de ses doigts pour ne pas les perdre.
Le mariage de Rodolphus, c'était le début de son agonie. Les détraqueurs ne pouvaient pas lui enlever le mariage de son frère, car ce jour-là n'était que terreur et angoisse, et la marque noire sur son bras lui rappelait sans cesse cette terreur. Ensuite, il y avait eu les premiers mots de Rachel, sa magnifique petite fille. Les détraqueurs lui arrachaient les souvenirs de ses autres enfants, mais lorsque Rachel avait parlé, c'était le jour où il était devenu un monstre. L'arbre d'encre qui poussait sur son dos était une preuve tangible que ce jour avait réellement existé. Et puis il y avait aussi la naissance de Rodric. Il avait vu la naissance de son troisième enfant le jour où il avait perdu sa famille, et les entrelacs celtiques de son bras droit étaient sensés symboliser cette force de vie. Rafael, Rachel, Rodric, Sarah. Tant qu'il pleurait la douleur de leur perte, il gardait son identité, et les détraqueurs ne pouvaient pas lui enlever cette douleur. La main froide lâcha le barreau et poursuivit sa ronde macabre, laissant à Rabastan un peu de répit. Sa main glissa vers la première marque qui avait scarifié sa peau. La pire. La Marque des Ténèbres.
– Tu es en colère papa ?
La voix claire de Rafael résonnait dans la tête du mangemort, tandis qu'il revoyait l'enfant blond assis sur son établi, une baguette pour enfant entre les mains. Il aurait voulu ne pas lui répondre, mais le bambin avait insisté avec la naïveté de son âge.
– Tu es en colère contre moi ?
Rabastan était incapable de résister à la candeur de son fils. Alors, il avait posé sa propre baguette, et jeté l'instrument de bois brisé qu'il venait rageusement de fendre et dont il savait qu'il n'arriverait plus à réparer l'enchantement. Il avait pris son fils par les épaules, et déposé un baiser sur son front lisse, s'attardant pour profiter de la douceur de sa peau d'enfant.
– Non bonhomme, je ne suis pas en colère contre toi, je te le promets.
– Contre oncle Rodolphus, alors ?
La perspicacité de l'enfant avait toujours sidéré Rabastan, mais cette fois, elle lui fit véritablement mal. Qu'est-ce que ce bébé avait compris d'autre de ce qui se passait chez les adultes qui l'entouraient ?
– Pourquoi serai-je en colère contre oncle Rodolphus ?
– Parce qu'il va se marier avec une méchante dame, répondit candidement l'enfant.
Rabastan n'avait pas voulu s'engager sur ce terrain glissant, et s'était lâchement défaussé avec une pirouette.
– Tu veux une glace, bonhomme ?
– Oh Oui !
Enthousiaste, le petit garçon tendit ses deux mains vers son père qui le prit dans ses bras pour l'emmener vers la cuisine. Mais Rafael ne l'entendait pas de cette oreille, et se débattit :
– Pose moi ! Pose moi !
Rabastan céda à son fils, et le petit garçon courut jusqu’à la cuisine. Quand Rabastan arriva à son tour, Rafael avait entrepris d’escalader la glacière, et son père dû l’en déloger pour lui donner la sucrerie convoitée.
– Vous avez terminé ? Demanda une voix féminine depuis la salle de séjour.
– Non, répondit Rabastan à sa femme. Je finirai plus tard. Il faut que je me prépare pour le mariage.
La petite Rachel dans les bras, Sarah vint rejoindre son mari et son fils.
– Tu es sûr que tu veux y aller ? Je peux leur envoyer un hibou et leur dire que tu es malade.
– Sarah, c’est mon frère. Je devrais déjà être avec lui.
– Ne dis pas de bêtise. Je suis sûre que Druella a monté un périmètre de sécurité autour de son futur gendre, et tu es le dernier qu’elle laissera approcher.
Rabastan savait que c’était vrai. Il savait aussi que Walburga, la tante de Bellatrix, avait demandé à ce qu'il soit exclu de la réception. Cela n’enlevait rien à la peine qu’il ressentait à l’idée de se rendre au mariage de son propre frère comme s’il n’était qu’un étranger.
Rabastan aimait Rodolphus. Avant de rencontrer Sarah, son petit frère était la personne la plus chère à son cœur. Il l'avait vu avec tristesse suivre les pas de leur père et rejoindre les mangemorts, mais il lui avait promis qu'il serait toujours là pour le protéger. Il ne se sentait pas le droit de trahir cette promesse le jour de ses noces. Rodolphus avait accepté d'être le témoin de Rabastan lors de son mariage avec Sarah. C'était la seule fois de sa vie où il avait osé défier la volonté paternelle, et Rabastan ressentait toujours une gratitude immense pour le courage dont il avait fait preuve ce jour là. Aujourd'hui, c'était à son tour de le soutenir, même s'il ne comprenait pas pourquoi il épousait cette femme plus âgée que lui, avec laquelle il n'avait rien en commun.
Dans son délire, Rabastan revoyait les mains de Bellatrix et de Rodolphus s'unir, et elles étaient étrangement floutées, comme sur ces vieux tableaux pointillistes que leur mère haïssait tant. Il entendait les cris d'une joie non feinte qui venaient de l'assemblée, la fierté sur le visage de son père, la satisfaction sur celui de Druella Black. Il était resté malgré ses préventions. Rabastan frappa la pierre noire du mur de sa cellule à plusieurs reprises. Quel imbécile il avait été ! Pourquoi n'avait-il pas écouté Sarah ?
Rabastan vécut la réception comme une épreuve. En s’approchant de cette foule rassemblée entre les grandes tables garnies, il s'était senti comme un petit animal au milieu d’une meute de bêtes fauves. Une voix égoïste dans sa tête lui disait que la compagnie de Sarah l'aurait aidé à affronter leurs regards hostiles, et une autre voix lui reprochait ces pensées. Quel genre d'homme pouvait amener sa femme dans un lieu où elle ne trouverait pas le moindre ami ? Sa femme avait aux yeux de cette assemblée la tare d'être née de parents moldus. Rabastan n'aurait fait que l'exposer au danger en la mettant en présence de la nouvelle famille de son frère. Rabastan avait serré les dents et supporté cette réception. Pour l'amour de son frère. Parce qu'il le devait à Rodolphus.
Le jeune Regulus Black était venu lui parler un moment, et sans la moindre animosité, ce qui surprit Rabastan. Plus étonnant encore, le jeune homme se tenait à l’écart des autres conversations, observant la réception avec la moue dédaigneuse qu'il réservait habituellement à son frère Sirius. Rabastan mit cette soudaine misanthropie sur le compte de la fascination malsaine que Bellatrix avait longtemps exercé sur le gamin, et dont il semblait avoir guéri récemment –peut-être à cause du mariage de son idole-.
Rabastan connaissait ses obligations sociales, et n’hésita pas à se plonger dans la foule hostile des sorciers les plus nobles d’Angleterre. Il n’avait rien à dire à aucun d’entre eux, et tint pourtant la conversation avec réserve, mais courtoisie. Il eut un mot pour chacun des Rosier, Malefoy, Goyle et autres Selwyn présents, s’enquérant de la santé de l’oncle de l’un, félicitant l’autre pour la beauté de ses enfants, trouvant une raison de changer de groupe dès que les sujets devenaient politiques et comptant toujours mentalement combien il lui restait de compliments à donner pour pouvoir partir sans paraître incorrect.
Du fond de sa prison, Rabastan revivait une histoire où il quittait cette noce en avance, et dans laquelle tous ces joyeux invités oubliaient jusqu’à son existence. Mais dans la réalité, un camarade d’école de Rodolphus était venu le trouver, un certain Severus Rogue, pour lui demander de le suivre. La mariée voulait lui parler seule à seul, avait-il dit. Rabastan aurait du courir, transplaner, ne plus jamais revenir, mais encore une fois, il n’avait pu s’empêcher de se comporter en Lestrange, et un Lestrange ne refusait pas une faveur à une dame le jour de son mariage. Il avait suivi Rogue dans les couloirs, oubliant pendant un instant fatal que sa belle-soeur n'avait rien d'une dame.
Bellatrix l’attendait, dans sa robe blanche, traditionel symbole de pureté si incongru sur elle, et elle était souriante et radieuse. Elle n’était pas seule. L'homme qui la rendait si heureuse, comme Rabastan aurait du s'en douter, n'était pas son jeune époux, mais une créature mince qui se tenait à côté d’elle, et fixait Rabastan d’un regard rougeoyant. Le seigneur des ténèbres en personne était venu féliciter sa disciple la plus fidèle et Rabastan resta pétrifié de terreur alors qu'il s'approchait de lui jusqu'à faire sentir son souffle glacé sur le cou de l'artisan.
– Rabastan Lestrange, fit le mage noir d’une voix aiguë et doucereuse. Ton père est l’un de mes amis les plus proches, sais-tu ? Et ton frère a prouvé combien il m’était précieux. Et toi ?
Voldemort laissa glisser ses longs doigts sur le visage de Rabastan, comme pour en imprimer la forme, et il n’eut pas le courage de reculer, de se soustraire à cette caresse infernale.
– Bellatrix m’a dit que tu étais un artisan très doué. Que tu réalises des enchantements tout à fait hors du commun, Rabastan. Ce serait une grande force pour nous d’avoir un homme tel que toi.
Rabastan se souvenait de la peur qui l’avait tétanisée ce jour-là. Du fond de sa prison, il se cramponna à la Marque. Il ne pouvait pas dire non au mage noir, mais il ne pouvait pas laisser son frère et sa nouvelle belle-sœur disposer ainsi de lui comme s’il n’était qu’une babiole qu’ils pouvaient donner à leur maître. Il se souvenait avoir balbutié quelque chose de confus.
– Ce… ce serait un honneur, mais je ne peux pas.. Abandonner mon travail… Je peux vous soutenir financièrement, peut-être ?
Oui, il s’en souvenait. Il avait tenté d’acheter sa liberté, comme si l’or intéressait le Seigneur des Ténèbres. Voldemort s’était contenté de le regarder s’enfoncer. Et tandis qu’il cherchait désespérément des arguments susceptibles de convaincre le mage noir qu’il ne pouvait pas quitter sa vie pour devenir mangemort, il avait dit le mot de trop.
– Je ne peux pas m’éloigner de Sarah…
Rabastan se saisit la tête dans les mains avec violence, pour tenter d'en extirper le souvenir du moment où il avait mentionné le nom de sa femme au mage noir. Il appuya sur ses tempes comme pour faire exploser son crâne. Peut-être que cela pourrait en faire sortir les paroles terrifiantes du seigneur des ténèbres.
– Oui, avait sifflé Voldemort avec un sourire froid, ton épouse née-moldue. Bellatrix m’a raconté ce fâcheux épisode. Qu’est-ce qui t’a donc pris, Rabastan ? Comment as-tu pu faire cela à ta pauvre mère ?
Rabastan en était resté sans voix. Une partie de son esprit lui hurlait de fuir à toute jambe. Une autre lui promettait une mort atroce s’il faisait le moindre geste pouvant être pris pour du défi.
– Je... j'étais venu présenter mes hommages à Bellatrix. Je dois partir.
– Partir ? Avait feint de s'étonner le mage noir. Mais la fête ne fait que commencer. Ta chère sang de bourbe d'épouse ne risque rien. J'ai envoyé Travers et Mulciber pour la protéger pendant ton absence. Tu sais à quel point Mulciber est consciencieux, n'est-ce pas ?
Rabastan songea avec dégoût à l’attitude qui avait alors été la sienne. Il s'était effondré. Il ne se souvenait plus clairement de ses pensées dans ce moment fatal. Il en retrouvait des bribes. La photo du massacre des McKinnon, sur laquelle la jeune Marlène avait le visage de Sarah et le petit Charles celui de Rafael. Il avait vaguement envisagé à rentrer, affronter Travers, puis à fuir avec sa famille, en France peut-être, ou en Amérique.
– Pitié... Je ferai ce que vous voudrez, mais ne leur faites pas de mal !
Il avait senti le regard dégoûté de Bellatrix sur lui tandis qu'il s'humiliait. Mais son amour-propre n'était pas grand chose. Sa vie elle-même n'était rien. Seule lui importait la sécurité de Sarah. Et il avait tout perdu, par amour pour elle.
Il avait supplié le seigneur des ténèbres. Il lui avait juré fidélité. Et Voldemort avait posé sur sa chair, pigment par pigment, la marque de son humiliation. La marque qu'il touchait lorsqu'il voulait se rappeler de l'amour qu'il avait porté à son frère, à sa femme.