2 septembre 1993
« Serpentard ! » S'exclama le Choixpeau magique.
Astoria Greengrass se figea sur place, saisie de l'incompréhension la plus totale.
« Quoi ? Non, attendez... Il doit y avoir une erreur... » bredouilla-t-elle en regardant de ses grands yeux bleus crème tout autour d'elle à la recherche d'un soutien, les larmes commençant déjà à lui monter aux joues.
Elle croisa finalement, du côté de la table verte le regard de sa sœur mais le regretta aussitôt : Daphné l'observait avec un air réprobateur planté sur le visage, comme si elle était prête à la traîner jusqu'à elle en la tirant par les cheveux si elle ne se décidait pas fissa à lever ses fesses du tabouret.
Astoria déglutit et détourna la tête, le cœur battant. Elle tâcha de rassembler ses idées afin de se ressaisir, en vain.
« Miss Greengrass, lui chuchota la sorcière en robe émeraude qui avait tantôt posé le Choixpeau sur sa tête, je vous aurais bien proposée de rester ici un peu plus longtemps mais vos camarades s'impatientent.
— Ou... oui, répondit-elle timidement, je... je comprends... »
Se faisant mentalement, voire même physiquement violence, Astoria descendit lentement du tabouret avec la sensation de ne pas avoir suffisamment insisté.
Pour elle, cela ne faisait aucun doute que le Choixpeau s'était trompé. Serpentard ne pouvait pas être sa maison. Elle n'avait rien à voir avec sa froide et mesquine grande sœur, alors pourquoi lui imposer ce supplice ? La Répartition n'était-elle pas vouée à placer les élèves, non pas dans la maison où leurs ascendants les attendaient mais plutôt en fonction, simplement en fonction de leur nature profonde ?
La tête baissée, Astoria fit de son mieux pour ne pas prêter attention à toutes les paires d'yeux qui suivaient son trajet et s'assit nerveusement sur le banc des Serpentard, à côté d'un garçon particulièrement massif. C'était ça ou bien s'asseoir juste à côté de sa sœur.
Elle manqua de sursauter lorsque, une fois que le Choixpeau fut posé sur la tête d'un autre élève, sa sœur Daphné lui dit avec mauvaise humeur :
« Non mais qu'est-ce qui ne va pas dans ta fichue tête ?! Tu veux me faire honte dès le premier soir, ou quoi ?! Eh bien si c'est le cas, bravo, tu as réussi ! »
Astoria ne trouva même pas le courage de relever la tête, alors lui répondre... Emmurée dans un silence complet, elle rumina et, lorsque le festin commença, elle parvint à peine à manger quelque chose, d'autant plus que son voisin le costaud ne semblait pas avoir appris à manger correctement. À de nombreuses reprises, la jeune fille dût retirer des projectiles de sa robe de sorcière, terrifiée à l'idée que le garçon ne la voie avec son air dégoûté et ne choisisse plutôt de la prendre, elle, comme repas. Au beau milieu du dessert, une voix s'éleva pour enfin le réprimander :
« Bon sang, Crabbe ! C'est la troisième fois que je reçois de la nourriture sur moi ! Fais-voir attention, crétin ! »
Mais elle ne vit pas le visage de son propriétaire : son voisin en cachait totalement la vue. En revanche, sa voix était déjà très révélatrice : il semblait fort imbus de sa personne, en parlant à son camarade comme s'il était son larbin...
« Désolé, Drago » s'excusa en un rien de temps ce dernier.
Astoria put ainsi constater que sa voix à lui ne dégageait aucune assurance, ni même une véritable forme d'intelligence. Elle n'aimait pas formuler ainsi de tels jugements, mais cela lui avait comme sauté à la figure.
De manière générale, du haut de ses onze ans, Astoria faisait preuve d'une intelligence et d'un discernement peu communs. C'était, entre autres, ce qui l'avait persuadée que Serdaigle était la maison qui lui était destinée. De plus, elle avait un caractère doux et conciliant en dehors de quelques épisodes rares où elle eut démontré un caractère plus affirmé, tellement rares que, lorsque cela fut arrivé, Astoria ne s'était pas reconnue. Autrement dit, rien, absolument rien à voir avec le comportement de...
« Eh ! L'interpella alors Daphné pour la seconde fois. Arrêtes de faire ta pauvresse et présentes-toi un peu aux autres ! »
Puis, en voyant qu'Astoria ne lui démontrait que peu d'attention supplémentaire, elle ajouta à l'adresse de sa voisine :
« Vois ce à quoi je suis confrontée tous les jours... Bon sang, elle me fatigue déjà. EH ! Astoria ! Lève la tête, par Merlin ! »
Elle se mit à claquer frénétiquement des doigts jusqu'à ce que Astoria n'obéisse, bien à contrecœur. Ses grands yeux bleus et perdus se posèrent sur ceux, sombres de sa sœur, dans lesquels elle ne chercha pas le moindre soutien. Elle ne l'aurait pas de toute façon, elle le savait.
Elle garda la bouche fermée, sentant ses joues rougir de plus en plus au rythme des secondes qui s'écoulaient. Les regards de ses camarades environnants, tantôt curieux, indifférents ou moqueurs, ne firent qu'accentuer son malaise.
« Là, c'est le moment où tu parles, Astoria. Tu te souviens encore comment on fait, j'espère ? » reprit sa sœur, impitoyable.
Des petits rires s’élevèrent par endroits. Et ça, c'était supposé la motiver à s'exprimer ?
Parmi ces rires, Astoria reconnut la voix du garçon qui réprimandait le costaud un peu plus tôt. Sans qu'elle ne comprenne pourquoi, le caractère affirmé qu'elle ne s'était toujours pas reconnue ressortit tout à coup, comme si l'on avait appuyé sur un bouton :
« Je parlerai lorsque j'en aurai envie, et pour l'instant, la seule chose dont vous me donnez envie, vous tous, c'est d'aller me coucher et de changer de maison, alors fichez-moi la paix ! » s'exclama-t-elle d'une voix acerbe.
Les rires s’arrêtèrent aussitôt, muant peu à peu en des yeux écarquillés et des bouches en forme de « o » ; mais de tous les visages, celui de Daphné était de loin le plus réjouissant à regarder. Astoria aurait donné tout son argent de poche pour avoir, à ce moment précis, un appareil photo afin de l'immortaliser.
Sentant que son élan d'affirmation n'était pas encore terminé, Astoria en profita pour ajouter, rien que pour Daphné :
« Et toi, ce n'est pas parce que tu es ma sœur et que tu es plus âgée que moi que tu vas diriger ma scolarité. Tu n'es pas préfète, tu n'es pas maman, ni papa, alors tu n'as rien à me dire. Tu as juste à vivre ta vie sans te soucier de la mienne, exactement comme tu le fais à la maison. Tu te souviens encore comment on fait, j'espère ? » acheva-t-elle en l'imitant grossièrement.
Elle se retint de sourire mais, intérieurement, le moindre de ses neurones dansait le train magique*. Les camarades proches de Daphné se mirent à la regarder avec grand intérêt, attendant qu'elle réplique quelque chose... ce qu'elle ne fit pas, bien trop choquée que sa petite sœur, sa terne et fragile petite sœur, ait osé lui parler sur ce ton.
Doucement, l'élan d'Astoria s'estompa, mais elle fit de son mieux pour ne pas que Daphné le remarque ; autrement, elle savait que son aînée sauterait sur l'occasion pour reprendre douloureusement le dessus.
Heureusement pour la petite fille, le repas prit fin à ce moment-là et elle dut suivre la préfète Gemma Farley, une élève de dernière année jusqu'à sa future salle commune... qu'elle détesta dès l'instant où elle y posa le pied.
L'année s'annonçait... non, en fait, elle ne s'annonçait pas. La vérité, c'était qu'Astoria n'avait aucune idée de ce qui allait se produire à partir de cet instant et que, à onze ans, il y avait difficilement plus terrifiante pensée.