À la descente du bus qui l'avait menée jusqu'à Sienne, Lily inspira une grande bouffée d'air. Le soleil tapait fort, et elle avait eu si chaud pendant le voyage qu'elle avait la sensation de se liquéfier. Elle fit quelques pas hésitants, les jambes molles d'être restée assise si longtemps. Elle passa ensuite une main dans sa nuque raide, et grimaça en sentant la sueur coller à ses doigts fins. Puis elle roula des épaules, s'étira en quelques mouvements, remercia encore une fois le chauffeur, et se mit en route.
Elle avait d'abord été effondrée en découvrant le vol de son sac à dos en Allemagne, mais maintenant, elle essayait de voir le bon côté des choses : elle n'avait plus à le transporter. Elle enfouit dans un coin de son esprit les préoccupations liées à la manière dont elle allait trouver un logement le soir venu, acheter des sous-vêtements de rechange, contacter sa famille... Quoi que, pour ce dernier soucis, elle était plutôt heureuse d'avoir une excuse pour se tenir éloignée d'eux, encore un peu plus.
La jeune sorcière déambulait autour de la Piazza del Campo, les mains dans les poches de son short trop grand, à la recherche d'un endroit où elle pourrait se reposer quelques instants. Son corps était encore fourbu de son voyage, et ses bras bleuis par sa chute dans la Cascata delle Marmore. Elle avait bien cru qu’elle allait voir ses derniers instants ce jour là, et n’avait dû qu’à l’adresse de son guide de ne pas finir encastrer dans une roche humide. Elle effleura du regard les immenses murs orangés de la ville, géants curieux qui semblaient se pencher vers la place. Là-haut, tout en haut, le clocher dominait la cité comme un dieu bienveillant. Des créneaux rectangulaires, géométriques, venaient titiller les arabesques des pierres, créant un mélange de rigidité et de souplesse remarquable. Lily fit un tour sur elle-même, les bras grand ouverts, ébahie et émerveillée par ce lieu si différent de tout ce qu’elle avait pu découvrir jusque là.
Son regard fut attiré par une jolie fontaine, en bordure de la place en étoile, d'où s'échappait un glouglou insistant. Lily s'y précipita, et arrosa son visage avec un soupir de satisfaction. La chaleur était écrasante, et cette eau fraîche était la bienvenue. L’anglaise redressa la tête, et un sourire satisfait éclaira son visage constellé de tâches de rousseur. Elle se dirigea vers la petite brasserie qu’elle venait de repérer, d'où s'échappait un fumet délicieux, un mélange de tomates, d'épices et de fromage. Alors qu’elle allait y entrer, elle remarqua, quelques mètres plus loin, une petite échoppe qui capta tout de suite son attention. Des larges tissus colorés -rouges, bleus, orange, jaunes…- étaient suspendus à son entrée, et en plissant les yeux, on pouvait voir qu’ils changeaient imperceptiblement de couleur. Une douce musique s’échappait du magasin, et Lily retint un cri de surprise en reconnaissant les notes de la chanson de Julia Demini, la Célestina Moldubec italienne. Des sorciers ! Elle se rua vers la petite porte en bois blanc.
Lorsque Lily entra dans la boutique, sa bouche s’ouvrit d’émerveillement. Les murs étaient entièrement recouverts d’étagères, elles-mêmes chargées de millions d’objets qui menaçaient de tomber : statuettes, couverts à salade, cartes postales, bougies, chapeaux… Lily était certaine qu’on pouvait y trouver tout ce qu’on cherchait. Toutefois, il n’y avait pas âme qui vive dans le magasin. Elle réussit à détacher les yeux de ce spectacle, et remarqua, dans un coin sombre de la pièce, un immense cerf-volant rouge et bleu. Elle s'accroupit pour l'effleurer des doigts et un sourire illumina son visage lorsqu’elle réalisa qu’il s’agissait d’un magnifique oiseau en toile. Elle le trouvait magnifique. Prise d'une pulsion soudaine, elle sortit son porte-monnaie de sa poche, et compta ses pièces. Onze euros, il ne lui restait qu'onze euros pour la fin de son séjour. Après quoi, elle devrait vraiment trouver un travail, pour pouvoir payer son billet de transplanage. Après l'Irlande, la France et l'Allemagne, Lily avait poursuivi son tour d'Europe en Italie, où elle avait choisi la petite ville de Sienne. Lorsqu'elle avait parlé avec James par cheminée, il avait paru étonné, et lui avait demandé pourquoi elle n'avait pas plutôt choisi Rome, Bologne, ou encore Florence. Elle avait juste répondu que la place de Sienne était en forme d'étoile. Pour elle, c'était une raison suffisante. Lily était partie de chez elle à la fin de l'été, ne voulant pas tout de suite se lancer dans des études. Ses parents avaient mis du temps à accepter cette idée mais, pour une fois, elle ne leur avait pas laissé le choix. Appuyée par Roxanne qui avait inondé les Potter de lettres, elle avait construit son projet, et avait économisé quelques sous pour partir. C'était plus par nécessité que par envie qu'elle s'était échappée de chez elle.
Harry et sa douleur lui donnait envie de mourir, Ginny et ses yeux vides de pleurer. Elle ne pouvait pas, elle ne pouvait plus vivre avec eux. Il fallait qu'elle parte.
« Vuoi comprarlo ? Solo dieci euros, un bello prezzo per una bella ragazza, no ? »
La voix du vendeur stoppa net les larmes de Lily qui commençaient à déborder, et elle fourra ses pièces dans la main que lui tendait l'homme. Elle le remercia d'un regard, attrapa son précieux achat, et courut sur la Piazza del Campo. Là, elle déploya le grand cerf-volant, et, après quelques essais, réussit à faire voler sa trouvaille. L'oiseau, un immense héron ensorcelé, se mit à battre des ailes. Lily se prit à imaginer être le grand volatile, à avoir de si grandes plumes. Elle aussi aurait voulu être libre, et pouvoir vivre en se laissant guider par les courants d'air. Elle aurait voulu pouvoir être exemptée de tous ses soucis et ses tracas, ne plus penser à ses études, juste voler, voler, voler. Mais Harry et ses angoisses, Ginny et sa peine, James, Albus... La boule au ventre, qu'elle traînait depuis l'été, se resserra encore plus.
Mais lorsque le héron monta brusquement vers le ciel, obligeant Lily à lever haut les bras, elle éclata de rire.
Puis poussa un cri lorsque le cerf-volant lui échappa des mains.