La porte du compartiment s’ouvrit à nouveau, sur une femme élancée dont les cheveux blonds étaient relevés en un chignon impeccable. Elle portait une robe carmin qui lui tombait au genou. Sa taille était marquée d’une ceinture noire et ses longues jambes mises en valeur par de fines chaussures à bout rond. Elle affichait un sourire blanc éclatant. Rose lui sauta au cou et ce fut au tour de Kara de se renfrogner. Elle avait conscience de l’amitié qui liait Rose à Élisabeth, mais elle ne pouvait s’empêcher de ressentir une pointe de jalousie. Et puis, Kara et Élisabeth n’avaient décidément rien en commun qui aurait pu les faire s’apprécier, hormis leur attachement sans failles à Rose Weasley.

— Je t’ai cherchée partout, la naine !

— Et, pourtant ! J’étais là, fidèle au poste !

— Mouais, mouais…

Élisabeth fit un signe de tête à Kara et virevolta vers Roxanne :

— Tu as vu ?

— Scorpius et Augusta, bien sûr ! Tu me prends pour qui ? s'indigna celle-ci.

— Augusta est d’un ennui, c’est pathétique, réprouva Élisabeth en s’affalant mollement sur la banquette. Il me déçoit tellement !

— Et moi donc… marmonna Rose.

— Tu ne peux pas le supporter, Rosy, qu’est ce que ça peut faire ?

— Ne m’appelle pas comme ça ! protesta la jeune femme. Tu sais que ça m’exaspère.

Élisabeth ne releva pas et le calme revint momentanément dans le compartiment.

— Je n’ai pas aperçu James, sur le quai, lâcha innocemment Roxanne.

— Mmh, grommela la principale concernée.

— Y’aurait-il de l’eau dans le gaz ?

— C’est quoi cette expression moldue encore ?

— Quoi ? Tu n’aimes pas ? Je trouve ça assez représentatif, moi…

— Parce que tu vois ce que ça fait, « de l’eau dans du gaz », peut-être ?

— Non, affirma Roxanne, un sourire satisfait fendant son visage. Mais par contre je remarque que tu tentes d’esquiver la question.

Élisabeth fronça les sourcils. Elle semblait chercher ses mots. Entre elle et James, c’était toujours tout blanc ou tout noir. Les nuances de gris, ils ne connaissaient pas. Tous deux avec un caractère bien trempé qui compliquait forcément leur relation – et la distance qui s'était installée depuis que James avait quitté Poudlard n'aidait pas. L'homme avait suivi les traces de son père et avait intégré l’école chronophage des Aurors, ce qui lui laissait peu de temps à accorder à sa dulcinée – qui n’était pas très compréhensive.

— Magilite m’a contactée pour me faire signer un contrat, commença Élisabeth.

— Mais c’est génial ! s’exclama Rose.

Magilite était l’une des boites de mannequin les plus réputées du monde sorcier, et il s’agissait du boulot dont rêvait son amie. La jeune femme avait tous les atouts pour être l’une des prochaines égéries de la marque et elle avait beaucoup travaillé pour y parvenir. Cette proposition était une forme de consécration.

— Mmh, ils me demandent juste de valider six ASPICS, ce qui est jouable. Mais James a annoncé « je ne vois pas pourquoi je devrais tolérer que le monde entier voie ma femme en petite tenue en première page de Sorcière Hebdo ».

— Quel crétin !

— Je croyais que c’était Scorpius, le crétin ?

— Bah ils sont deux. J’espère que tu lui as dit ta façon de penser ?

— Oui. D’où son absence sur le quai et mon retard, j’ai failli rater le train avec ces bêtises…

Rose prit son amie dans ses bras pour lui apporter un peu de réconfort, tout en faisant un regard significatif à Roxanne. Elle escomptait que les confessions d'Élisabeth ne termineraient pas dans Poudlard Mag, le magazine mensuel que sa cousine avait fondé et distribuait dans le château – qui contenait moins d’informations utiles que de potins scabreux. Élisabeth consolée, leurs papotages enjoués ne s’arrêtèrent qu’au moment du passage du chariot qu’elles manquèrent de peu. Rose se précipita dans le couloir à sa poursuite, la bourse pleine de Mornilles d’argent.

— Un assortiment s’il vous plait. Mais mettez un peu moins de Dragées surprises, et un peu plus de Chocogrenouilles.

Rose allait récupérer le sac que lui tendait la vendeuse lorsque la personne qu’elle avait le moins envie de rencontrer dans le train sortit du wagon d’à côté.

— Tiens, Rosy !

Elle lui fit un sourire ironique, se retenant de lui cracher au visage tant elle abhorrait ce surnom qu’il lui donnait.

— Hé, Rose ! la salua Albus qui, une fois de plus, était collé aux talons de ce crétin de Scorpius.

— Je ne t’ai pas vu avec Ginny sur le quai.

— J’ai transplané seul. Supporter les filles, peu pour moi.

Rose lui fit une moue compatissante. Elle-même avait bien du mal à endurer Lucy et Lily lorsqu’elles étaient ensemble – et cela arrivait souvent – donc elle ne pouvait que comprendre que son taciturne cousin les fuit. Il avait eu son autorisation à transplaner quelques mois avant elle, et cela semblait avoir été une libération.

— Pas toi, Rosy ? C’est môman qui t’a emmené ? releva son acolyte.

— Et toi ? Tu n’as pas encore le permis, que je sache ?

Scorpius était né en fin d’année, c’était une attaque basse et mesquine mais qui la soulagea un peu. Elle n’attendit même pas la réponse, regagnant au plus vite la quiétude de son compartiment. Il y régnait un froid polaire puisque ni Kara, ni Élisabeth n'étaient prêtes à discuter malgré les efforts de Roxanne pour les dérider. Elle se laissa choir sur la banquette en ruminant de sombres pensées à l’égard du crétin d’à côté – et un peu également contre sa mère qui l’avait contrainte à cette humiliation.

— Qu'est-ce qui se passe, Rose ? s’enquit Kara.

— Scorpius.

— Ha.

Elles n’insistèrent pas. Une seule fois, Élisabeth avait osé emmètre l’hypothèse que leur amie et Scorpius s’aimaient plus qu’ils ne se haïssaient. La colère qu’elle leur avait piquée à la suite de ça avait été si mémorable qu’aucune n’avait retenté l’expérience. Elles mirent leurs uniformes alors que le château se dessinait à l’horizon, puis enfilèrent leurs capes. Les calèches les menèrent au portail et elles firent le reste du chemin jusqu’à la grande salle à pied, perdue au milieu de la foule des autres élèves.

— Super, siffla Rose. Alexa a été nommée préfète en chef.

— Quoi ? pesta Kara

— Regarde son torse, elle gonfle sa poitrine comme pour nous la mettre dans l’œil – son insigne hein, pas sa poitrine !

— J’aurais presque préféré que ce soit Élisabeth, admit sa compère.

— Je te remercie, de la Croix.

— De rien, Parkinson !

Rose leva les yeux au ciel alors que Roxanne s’éloignait. Ces deux-là ne s’entendraient jamais, il n’y avait rien à y faire. Rose et Elisabeth étaient devenues amies lors d’un cours de potion, que Serpentard et Gryffondor avaient en commun. Leur professeur avait imposé que les élèves de premières années soient mêlés et ça avait été l’occasion pour les deux jeunes femmes de se connaitre mieux. Elles s'étaient rapidement rapprochées, ce qui n’avait pas été du gout de Kara – chose que Rose comprenait tant ses deux amies étaient différentes. Rose aussi aurait largement préféré voir Élisabeth à ce poste important plutôt que cette peste d’Alexa.

— Heureusement que tu restes capitaine de l’équipe.

— Pour ce que ça change, pesta Rose. À part beaucoup d’ennuis…

Elle embrassa Élisabeth sur la joue tandis qu’elle s’arrêtait chez les Serpentard et répondit à Roxanne qui la saluait depuis la table des Serdaigle pendant qu’elle et Kara se dirigeaient vers celle des Gryffondor. Elles suivirent d’une oreille la répartition, celle-ci ayant perdu de son intérêt depuis que toute la famille de Rose y était passée. Kara étant fille unique, elle ne s’était jamais vraiment sentie impliquée. Elle était d’ailleurs soulagée que Rose n’ait plus un cousin ou une cousine pour laquelle s’extasier.

— Mes très chers élèves, commença leur directeur Flitwick de sa voix toujours aussi criarde et désagréable aux oreilles de Rose. Je suis heureux de vous accueillir une nouvelle année à Poudlard et je souhaite la bienvenue à nos petits nouveaux arrivants.

— Il a conscience que certains sont plus grands que lui ?

— Lorcan, tu n’es pas autorisé à émettre ce genre de remarque, interrompit Alexa.

Lysander, son frère jumeau, lui tira la langue derrière son dos. Rose ne put s’empêcher de pouffer, ce qui lui valut un regard noir de la part de la préfète – qu’elle lui rendit.

— J’ai également l'honneur, continua l’ancien professeur de sortilège, de vous présenter votre nouveau professeur de défense contre les forces du mal. Son prédécesseur a préféré retourner à ses activités d’Auror. J’ai donc nommé monsieur Lucas Wayne à ce poste, qui assurera avec plaisir la fonction de directeur de Serdaigle.

La maison désignée fut la première à réagir et à applaudir le nouvel arrivant. Le professeur entra par la grande porte, ses robes noires claquant derrière lui. Il avait des cheveux longs, noués en catogan, d’un blond vénitien plus clair encore que ceux de Scorpius. Il avait des traits fins, un masque de froideur sur le visage. Rose perçut le souffle court de Kara, qui murmura :

— Il est magnifique.

— Il est blond quoi, répliqua la jeune femme avec une mine dégoutée.

— De quelle couleur sont ses yeux, tu crois ?

— Non mais attends, tu n’es pas sérieuse, là ? Retire tout de suite cette mimique de ton minois si tu ne veux pas faire la une des potins de Roxanne…

Mais Rose réalisa qu’une majorité des filles de leur âge arborait la même tête, à son grand désespoir. Vu l’expression glaciale qu’affichait leur nouveau professeur, il y allait avoir bien des déceptions dans les prochains jours, se dit-elle. Elle jeta un regard à Élisabeth qui exhibait une moue dubitative et Rose fut soulagée de constater qu’au moins une de ses deux amies ne semblait pas totalement devenir folle. Elle soupira. L’année s’annonçait haute en couleur !