Il pleut Teddy beaucoup aujourd’hui.
Pardon, ces mots sont à peine dignes de la gamine enthousiaste que j’ai un jour été à tes côtés. C’est pas de ma faute, pourtant, c’est juste que mes mains tremblent un peu. Beaucoup. Mon cœur aussi, mais pas autant je crois.
Il pleut aujourd’hui, Teddy, il pleut même beaucoup.
La pluie s’écrase sur les carreaux de la Chaumière, elle dégouline le long des tiges de la roseraie, elle noircit le sable fin et mes pieds avec lui, et elle a tant mouillé mes mains que j’ai presque l’impression de plus savoir ce que c’est, que d’être sèche et chaude et bien et heureuse.
Je t’écris sur le ponton Teddy, tu sais le ponton, joli théâtre de nos plus mémorables fous rires et surtout cadre idéal pour notre premier baiser.
Je t’écris du ponton et je t’assure, il pleut vraiment beaucoup.
Beaucoup, beaucoup Teddy.
Heureusement qu’à Poudlard, on apprend des choses utiles. Comme la façon dont il convient de gérer une relation à distance, mais aussi le sort permettant d’imperméabiliser le parchemin mettant un terme à cette même relation.
Parce que ça y est je crois qu’on y est, Teddy.
Ça y est c’est fini.
Et ça l’est depuis longtemps sans doute, mais il nous a manqué, à chacun de nous, le courage de l’assumer. Je veux avoir ce courage aujourd’hui. Pas que je sois particulièrement forte, pas que je désire être la digne fille de mes parents, encore moins que je ne souhaite être une énième bataille remportée. T’écrire n’est pas, ne sera pas une victoire. En fait, c’est même profondément égoïste.
J’ai besoin de t’écrire tout ça, Teddy.
Et j’ai besoin qu’on en reste là, tous les deux.
J’en ai besoin parce que je souffre avec toi. Et parce que je ne veux plus souffrir.
Attends Teddy, je sors mon parapluie. Bon sang, tant de pluie, ça ne devrait pas être permis.
C’est vraiment insensé, n’est-ce pas.
Dans ma vie, il y a eu beaucoup de choses insensées et sans doute plus que dans celle de ma mère –quelle drôle d’ironie. Il y a eu notre amour, bien sûr, notre passion dévorante dont tout le monde se réjouissait bien trop pour en appréhender le caractère destructeur. Cet amour qui a été le seul, le seul que j’ai jamais voulu connaître, le seul auquel je me sois abandonnée, mais alors totalement abandonnée, celui pour lequel j’ai sacrifié bien des choses parce qu’après tout c’était écrit, c’était notre vie pour toujours qu’on esquissait tous les deux. Teddy, Victoire, à l’infini. Quelle jolie, délicate, et surtout quelle nécessaire promesse.
En soi, cet amour, c’était déjà un beau et sacré problème. Et après, il y a eu tout le reste.
Il y a eu les adultes qui ne souriaient jamais autant pour mon anniversaire que pour ceux de nos nombreux cousins.
Il y a eu toi, qui a refusé de célébrer cette journée avec moi passée ta rentrée à Poudlard.
Il y a eu moi, qui ai hurlé au visage de quiconque me souhaitant un « Joyeux anniversaire ! » lorsque j’ai eu quatorze ans.
Il y a eu les sourires un peu fanés de nos parents, les rires un peu trop feints et les cœurs bien abîmés. Il y a eu les regards emplis de pitié et les poignées de main se voulant compatissantes, quoique qu’en fait surtout envahissantes. Il y a eu les discours, les histoires un peu trop souvent contées au point d’en être imprimées dans nos pensées encore si enfantines. Il y a eu la pression et l’attente tu sais, la patience de Remus, la beauté de Fleur, l’humour de Tonks et la bravoure de Bill, toutes ces qualités dont on attendait que nous incarnions la plus parfaite combinaison.
Tu sais tout ça Teddy, un peu trop bien même, c’est toi qui me l’a d’abord dit.
Toi qui m’a fait comprendre que ce que j’avais, mes larmes un peu toujours collées au visage, mes angoisses à chaque retour à la maison et mes sentiments si contradictoires à l’égard de mes parents, ces fois où je hurlais intérieurement et où seul le réconfort de tes bras m’arrachait à ma panique, tout ça c’est toi qui me l’a dit, que ça s’appelait une dépression.
Quel bien triste mot.
Mais tu vois finalement, le vrai problème, notre vrai problème à nous Teddy, il était pas dans tout ce joyeux fourbi.
Le truc, c’est qu’on a jamais su pour de vrai se détacher de tout ça. On l’a cru, on a cru qu’à nous deux, on pouvait envoyer valser le monde entier et écrire nos lendemains heureux à la seule chaleur de nos baisers, à la seule candeur de nos amours. On a vu en chacun de nous le seul moyen d’échapper à nos ennuis, le seul ticket pour un grand paradis. Parce qu’on était Teddy et Victoire, si meurtris, si vieillis, alors c’était évident, qu’on ne pouvait qu’être la seule solution l’un de l’autre.
Mais Teddy, Teddy nous n’avons jamais su être une solution.
Et nous sommes simplement restés un problème.
Nous avons laissé les adultes et leur guerre officiellement achevée nous envahir. Nous n’avons pas repoussé les ombres, leur ayant même fait une place de choix parmi nos souvenirs comme nos moments d’avenir. Parce que tu n’as jamais pu t’empêcher de voir en moi le plus ironique rappel de ta terrible condition d’orphelin. Parce que j’ai jamais pu m’empêcher de voir en toi le plus douloureux rappel du poids de mon passé.
Teddy Teddy Teddy, je t’aime à l’infini.
Mais Teddy mon cher Teddy, nous deux c’est bien fini.
Je veux m’écrire une nouvelle vie, une vie qui sera enfin ma vie jolie, et il me faut accepter que ce sera toujours impossible à tes côtés. Parce qu’être à tes côtés signifiera toujours être au côté de bien d’autres personnes qui ne m’ont jamais fait que du mal, d’autres personnes auxquelles je me dois désormais d’être déloyale.
Je dis adieu à notre histoire, Teddy. Adieu notre passé, adieu notre famille, adieu histoire et Histoire, et surtout adieu nos aïeux.
Et même adieu Teddy.