« Mais elle plonge vers le sol, que fait-elle, serait-il possible que… OUI ! Elle a attrapé le vif d’or et offre la victoire à son équipe ! Mais... »
L’homme dans les gradins ne put entendre la fin de la phrase du commentateur, et se boucha les oreilles lorsqu’une marée de supporters se mit à hurler derrière lui. Il se maudit intérieurement d’être venu voir ce match, mais ses regrets s’envolèrent lorsqu’il distingua, entre les silhouettes agitées des spectateurs, la personne tant aimée. Sans même avoir besoin de demander pardon -un regard suffisait-, il se fraya un chemin jusqu’en bas de l’estrade. Là, il ouvrit grand les bras, et accueillit contre son torse la jeune femme qui venait de se jeter sur lui.
« Tu as vu ça ? Tu as vu, un peu ? »
Un concert de vivats couvrit la réponse de l’homme, qui se contenta donc de déposer un baiser le front de sa bien-aimée. Alors que la joueuse se libérait de son étreinte, les yeux de l’homme se posèrent sur une dame d’un âge mûr qui semblait le contempler, lui, et non pas sa femme qui venait pourtant d’exécuter un match spectaculaire, digne des plus grands. La vieille inconnue, vêtue d’une modeste cape noire d’une mauvaise qualité apparente, avait de grands yeux bruns, lumineux, qui tranchaient avec le gris éteint de ses longs cheveux. Elle se tordait les mains vigoureusement, comme préoccupée, inquiète. C’était tout à fait saugrenu de rencontrer une personne de cet âge, seule, au beau milieu d’un terrain de Quidditch ! Alors qu’elle faisait quelques pas hésitants vers lui, l’homme claqua de la langue, agacé. Il avait pourtant été clair, dans la presse, quelques mois plus tôt. Il ne souhaitait pas que l’on le considère comme un héros, et encore moins que l’on vienne l’apostropher alors qu’il tentait de vivre normalement.
« Dis, tu m’écoutes ? Je me demande vraiment ce qu’il se passe dans ta tête parfois, hé ho ! »
L’attrapeuse face à lui venait de secouer une main devant son visage, et en croisant son regard pétillant, l’homme oublia instantanément l’étrange vieille femme. Lorsque main dans la main, les deux jeunes gens se dirigèrent vers les vestiaires derrière le reste de l’équipe, la foule s’ouvrit dans une large haie d’honneur où résonnaient de timides remerciements et compliments. Adressés à l’homme aux yeux verts, et non à sa femme, qui avait appris à ne plus en être blessée.
Après trois ans, Harry Potter était toujours considéré comme le sauveur du monde sorcier.
« Excusez-moi ? Je ne veux pas vous déranger mais…
- Mais c’est pourtant le cas. »
Après que l’équipe eut fêté sa victoire, Ginny et Harry s’étaient un peu attardés sur le terrain, heureux de pouvoir profiter en paix du timide soleil d’automne qui avait pointé le bout de son nez. Ils avaient discuté de tout et de rien, seuls dans cette immense étendue d’herbe, juste profondément apaisés de se retrouver tous les deux, sans personne pour les importuner. Mais la vieille femme aperçue plus tôt les avait rejoints au bout de quelques minutes à peine, et se tenait à présent devant le couple. Elle n’osait pas relever les yeux vers son interlocuteur, se contentant de se mordre la lèvre. Harry la toisait, irrité de voir ce moment d’intimité avec Ginny gâché, et faisait tous les efforts du monde pour ne pas envoyer paître l’inconnue sans plus de cérémonies. Ginny foudroya son époux du regard, et, d’un signe de la tête, encouragea l’inconnue à poursuivre.
« Je ne viens pas vous demander quoi que ce soit, ni même vous remercier. Au contraire, je souhaite vous donner quelque chose... »
La colère d’Harry s’évanouit lorsqu’il entendit cette simple phrase, et il n’essaya même pas de dissimuler son étonnement. C’était si rare, qu’on l’apostrophe pour autre chose que ses exploits passés ! Et puis le ton incertain de son interlocutrice avait piqué sa curiosité. Il inclina la tête sur le côté, impatient d’entendre la déclaration de la femme. Celle-ci toussota, gênée, et finit par murmurer :
« C’est que… je me dois de ne remettre cette chose qu’à vous, à vous seul, pour le moment... Cela concerne… votre passé, vos… »
Harry sentit l’agacement rejaillir, et il n’écouta même pas la fin de la phrase. Cette vieille dame l’importunait, lui faisait perdre du temps, et maintenant, exigeait de Ginny qu’elle s’éloigne ? Alors qu’il allait répliquer vertement, il fut étonné de voir sa compagne faire quelque pas en arrière, et aller s’asseoir sur les gradins. Elle semblait avoir compris quelque chose qu’il ignorait encore, et son regard apaisant suffit à calmer le sorcier. La dame âgée se mit à chercher quelque chose dans la large poche de sa cape, et, en la détaillant, Harry fut surpris de reconnaître l’écusson de Serdaigle cousu sur son manteau. Elle avait donc été à Poudlard ? Mais de nombreuses années auparavant, à n’en pas douter. Désireux de faire pardonner son comportement agressif, il demanda maladroitement :
« Vous étiez à Serdaigle ?
Les traits soucieux de la femme laissèrent filtrer un doux sourire, et de sa main tremblante, elle caressa l’écusson avec une tendresse étonnante.
- Non, mais une amie très chère s’y trouvait.
Harry déglutit, mal à l’aise et conscient d’avoir abordé un sujet sensible, mais la dame ne lui laissa pas le temps de répondre :
- Elle est morte, assassinée. Mais ce sont de bien vieilles histoires, qui ne vivent maintenant plus que dans mes souvenirs.
Sa voix avait trébuché sur les derniers mots, comme si après tout ce temps, la blessure ne s’était pas encore refermée. Harry fronça les sourcils, contenant difficilement la question qui lui brûlait les lèvres. Il resta silencieux un instant, puis, incapable de se retenir, il lâcha :
- Comment s’appelait-elle ?
- Dorcas Meadowes. »
Harry saisit la lettre que lui tendait la vieille femme.
Lily,
Tu dois sûrement être arrivée désormais, si tu savais comme j'aurai voulu être là, avec toi, pour toi. Je te revois, ta valise à la main, si tu savais Lily, comme je regrette de ne pas avoir insisté, de ne pas avoir pu te dire ce qui aurait pu guérir cette peine que tu caches si bien. Peut-être que tu trouveras ça étrange comme lettre, décousue, mais je te jure, foi de Potter, je fais de mon mieux, ne te moque pas, ou alors juste en riant avec cet air que tu as parfois, ce sourire du bout des lèvres. Ca fait des semaines, non, des années que je veux te parler à coeur ouvert et je sais que si Sirius lisait ça, il se moquerait sûrement de cet épanchement mais j'ai passé des semaines à ressasser tout ce qui tournait en moi. Je t'aime Lily, je crois bien que je te l'ai déjà dit un million de fois, parfois, j'ai presque peur que tu te lasses de ces "je t'aime", mais ça fait longtemps déjà que je ne peux plus les retenir. Jusqu'à la fin Lily, jusqu'à nos derniers souffles, je voudrais te les répéter à en crever d'amour.
Ma Lily, tu trouveras sûrement que cette lettre manque de rythme et de romantisme, toi qui est habituée aux déclarations enflammées de ces romans d'amour moldus que tu dévores. Et c'est vrai, je n'ai pas la plume d'un poète. Mais j'écris avec mon cœur, tu le ressens n'est-ce pas ? Je n'ai jamais été très à l'aise pour ça mais si tu me le demandes je t'écrirais des centaines et centaines de lettres. Même de la poésie, si tu veux. Pour toi je suis prêt à tout. Je ne pense pas que tu comprennes tout ce que tu représentes pour moi. Et à chaque fois que je veux te le dire, les mots se coincent dans ma gorge. Comme hier quand tu es partie. C'est idiot, mais je ne peux m'enlever de la tête l'idée qu'un jour tu te lasseras de moi. Qu'est-ce que je ferais alors ? Parce que je sais que moi je n'en aurais jamais assez de toi. Tu peux m'ignorer, m'insulter, peu importe je t'aimerai toujours.
Tu sais, Lily, je crois que je t’aime chaque jour un peu plus, si c’est possible. J’ai l’impression que mes sentiments pour toi étaient bien fades en cinquième année, comparé à aujourd’hui. Et pourtant, je sais bien que j’étais déjà fou de toi. Demande à mon dortoir ! Je les ai rendu fous, eux aussi. Il n’y a pas que toi que j’ai embêté avec ça, tu vois.
Si tu savais, Lily, comme je regrette ces années perdues. Je te l’ai déjà dit, tu m’a pardonné, tu m’a dit que toi aussi, tu avais tes torts, mais je ne peux m’empêcher de penser que si j’avais été moins bête, nous pourrions avoir partagé tellement plus. Et je n’aurai pas eu tant de mal à te parler, l’autre jour, sur le quai.
Les feuilles tombent encore, et je sais que tu trouve ça si beau. Mais pour moi, elle sont sifflantes, cassantes, aujourd’hui. Tu es loin, et je n’arrive pas à profiter de ces vacances. Je continue à t’imaginer là-bas, dans le froid, tes si jolis yeux à nouveau rougis, et je voudrai pouvoir te serrer dans mes bras, sentir ton parfum, essuyer tes larmes.
Quand vint la nuit, et que les questions existentielles sur nous deux me tambourinent le crâne sans relâche, je sais que je ne pourrais jamais me passer de toi. Il n’y a que les personnes que l’on aime réellement, d’un amour sincère et sans équivoque, qui ont ce pouvoir d’occuper notre esprit à chaque heure du jour et de la nuit. Et c’est ce qui se passe pour moi…. Ton visage angélique et ton regard profond me hantent à chaque instant. Parfois, je me dis que je vais devenir fou si je ne te vois pas dans la seconde qui suit, si je ne peux pas te toucher dans la minute qui arrive. Je crois que c’est ça l’amour véritable… cette sensation de dépendance qui nous consume de l’intérieur.
Et tu vois Lily, même s'il ne se passe pas une seconde sans que je pense à toi, sans que je souffre de ton absence, je suis heureux. Je crève de bonheur rien que de penser à toi, à tous les moments qu'on a partagé, et à tous ceux qu'on partagera. Je suis fou, fou d'amour pour toi, et mon cœur me fait parfois savoir que je ne pourrai vivre trop longtemps loin de toi. C'est cruel et ton absence me semble une pire épreuve que d'affronter la faucheuse.
Mais je voudrais aussi te dire, ma Lily, que je ne veux pas que tu te sentes obligée. Que je ne veux pas que tu te force quand on est tous les deux, quand on est avec les autres aussi. Je t'ai attendu si longtemps... Maintenant que tu es là, je ne veux plus te laisser partir. Mais je veux qu'on avance ensemble à notre rythme. Malgré mes bourdes, malgré les erreurs que je regrette comme celle de t'avoir laissé partir, je veux qu'on continue d'avancer ensemble, main dans la main.
Et si jamais tu n'es pas prête, je t'attendrai. Je serai toujours là. Alors ne t'inquiète pas. Mon amour me rend fou. Mais nous te donnerons du temps, lui et moi. Tout le temps qu'il te faudra pour faire chacun des pas sur le chemin de nos vies. Nous te donnerons du temps.
On m'a toujours dit que dans la vie, il ne fallait jamais sauter sur le Portoloin. Je ne sais pas si tu connais cette expression, mais je suis presque certain qu'il existe un équivalent moldu pour ça... Enfin, ce que je voulais dire, Lily, c'est qu'on encourage beaucoup les gens à assurer leurs arrières, à se protéger avant d'agir, à toujours penser aux conséquences... et très sincèrement, ce proverbe a beau être plein de bon sens, quand je pense à toi, je crois que je ne pourrais jamais l'appliquer. Je crois même que je sauterais mille fois sur le Portoloin si ça pouvait me rapprocher de toi rien qu'une seconde, que je puisse sentir ta main sur la mienne, entendre ton rire si délicat, passer la main dans tes cheveux et sur ta joue, savoir que tu es mienne. Alors, aujourd'hui, je m'accroche au Portoloin, malgré mes pauvres talents en écriture, et je me livre dans cette lettre, en espérant que tu ressentes la même chose que moi.
J'ai hâte que tu retournes à Poudlard, Lily. C'est notre dernière année et je t'avoue que j'ai peur, j'ai peur de ne pas avoir le temps. J'ai peur de ne pas avoir le temps de te dire ce que je ressens, je t'aime et je veux retourner à Poudlard lorsque nos enfants auront battu le record d'heures de retenue accumulées (record détenu par Sirius et moi-même) ! J'ai envie de passer le restant de mes jours à tes côtés. J'aimerais tellement que tu puisses juste une seule seconde imaginer notre futur. Toi, moi et nos enfants jouant avec le chat dans le jardin, des sourires béats sur nos visages. Lily je me répète, je me perds mais j'aimerais tellement que tu saches à quel point je t'aime !
Et je t’aime si fort, que parfois je songe à te laisser partir, car même si l’on nous accorde l’éternité, je doute de pouvoir un jour te mériter. Je t’aime si fort, Lily, que je serai prêt à te voir heureuse avec un autre plutôt qu’avec moi, malheureuse. Je t’aime si fort que si tu me demandais de te laisser, je me détournerai sans un regard en arrière. Je t’aime si fort que j’ai peur de t’aimer trop, de t’étouffer, et tu n’es jamais aussi belle que lorsque tu es libre. Mais je t’aime si fort que je crois que je mourrai si tu m’abandonnais. Parfois je pense à ce que nous serions, ce que je serai sans toi, et je ne vois que du vide. Mais tu sais, la plus belles manière de sublimer ce « nous » que nous sommes, c’est de rendre leur place aux « je » que nous étions. Dans le même temps que ma plume gratte ce papier, mes mains tremblent, mon ventre se noue, parce que je ne sens pas ton souffle dans ma nuque, tes mèches sur mon front, ta paume contre mon épaule. Et je souffre, je souffre tant de ton absence, si tu seulement savais. Mais le problème est justement que tu sais Lily, car tu m’aimes aussi fort que je t’aime, et cette séparation te fait autant de mal qu’à moi. Et Lily, j’y pense si souvent, et je sais que tu y penses chaque instant, à ce jour où l’un de nous partira, parce que l’un de nous partira, nous le savons. L’un comme l’autre, même si nous ne le sommes jamais dit je le lis dans tes soupirs le soir, savons qu’après Poudlard, tout sera différent. Nous nous battrons Lily, c’est gravé dans notre peau, inscrit dans nos pas, et nous pourrions nous perdre sans même nous être une dernière fois dit « je t’aime ». Et la vie sans tes yeux deviendrait noire, la vie sans ta voix deviendrait sourde, la vie sans toi ne serait pas. Mais si c’est moi, Lily, qui partait le premier ? Si tu restais seule, à m’attendre dans une chambre grise, dans un grand lit devenu froid ? Tu mourrais, ou pire, tu feindrais de vivre, Lily, et je ne peux l’accepter. Alors soyons « je » avant d’être « nous », c’est le plus beau geste d’amour que nous puissions faire. Je me perds Lily, dans cette lettre décousue, et je dois te sembler fou. Retiens juste que nous nous aimons.
Et surtout, aime toi, aime la vie autant que je t’aime,
James.
Une heure. Une heure que Ginny attend sur les gradins, que la vieille femme est immobile sur le terrain, que la nuit est tombée. Une heure que Harry est agenouillé sur l’herbe sèche, et ne cesse de pleurer. Il a mal. Alors Ginny attend, la vieille femme attend, la nuit attend. Harry pleure.
Lorsqu’il redresse la tête, il découvre qu’elle est encore là, avec se grands yeux bruns, ses longs cheveux gris, sa paume tremblante tendue vers lui. Harry ne la saisit pas, et se relève sans un mot. Il essuie une larme, ravale un sanglot. Pose une question d’un regard.
« Je m’appelle Mary McDonald. J’ai très bien connu vos parents. »
Lorsque elle attrape sa main, sa grande main d’homme devenue petite main d’enfant, il ne se dégage pas. Ensemble, ils transplanent.
Mary lui a expliqué qu’elle a retrouvé la lettre bien après la mort de Lily et James, chiffonné, dans les affaires de sa nièce. Celle-ci l’avait découverte sous la planche qui bouge du dortoir des septièmes années des Poufsouffle, alors qu’elle voulait elle-même dissimuler quelque chose dans cette cachette secrète, connue pourtant de tous. Combien d’années cette lettre est-elle restée là ? Harry ne veut même pas y songer.
Au lieu de ça, il sert fort la main de Mary, et s’avance d’un pas. Il s’accroupit, les larmes montent, et Mary s’agenouille avec lui, malgré ses vieux os et ses cheveux gris. Comme une mère qu’il n’a jamais eue, elle essuie ses pleurs, caresse sa tignasse brune.
Harry sert la lettre dans son poing, tend le bras devant lui, et ouvre la paume. La lettre tombe sur la pierre grise, sans un bruit, dans la nuit. Harry et Mary sourient.
La lettre a enfin trouvé Lily.