Tobias se gara d'un geste brusque contre le trottoir attenant à sa maison, impasse des Tisseurs. Les sourcils froncés et la tête baissée, perdu dans des pensées peu agréables, il ne remarqua pas les deux femmes qui l'observaient de l'autre côté de la fenêtre du salon, alors qu'il se rapprochait de l'entrée.
« C'est moi », annonça-t-il en passant la porte, d'un ton monocorde.
Il ne releva la tête qu'une fois entré dans le salon, et marqua un temps d'arrêt devant les deux jeunes femmes.
« Que fait-elle là ?! » Rugit-il en désignant à sa compagne Eileen la deuxième personne qui était installée sur un fauteuil près de la cheminée.
Eileen rougit et baissa les yeux.
« Bianca est seulement venue me rendre visite. »
« Pourquoi le laisses-tu te parler ainsi, Eileen ? » S'écria Bianca qui s'était levé et toisait Tobias avec un air de profond dégoût.
« C'est chez moi ici, file ! » Continua Tobias qui ne daignait même pas regarder la jeune femme.
Bianca hésita, cherchant le regard de son amie pour la défendre. Mais cette dernière gardait la tête baissée, la main posée sur son ventre qui commençait à s'arrondir.
« Dégage ! » Hurla à nouveau Tobias en se rapprochant de la jeune femme, menaçant.
Bianca fit un geste pour attraper ce qui était dans sa poche.
« Non, Bianca ! » S'interposa Eileen. « S'il te plaît, va-t-en »
« Je ne te comprends pas, Eileen. Tu... »
Mais le regard suppliant de son amie l'emporta. Tobias les observait maintenant, partagé entre la colère et le mépris.
« Ne t'avise plus de sortir ce fichu machin dans ma maison », lança-t-il à Bianca, dont la main était restée posée sur sa baguette dans sa poche de manteau.
« Je reviendrai ! » Déclara cette dernière alors qu'elle quittait enfin le salon, le teint cramoisi par la rage.
Si elle entendit le ricanement de Tobias, elle n'en laissa rien paraître, et transplana dès le perron franchi, laissant Tobias et sa compagne seuls.
Tobias prit une grande respiration, avant de s'affaler dans le fauteuil laissé vacant, évitant soigneusement le regard d'Eileen. Un silence pesant s'était installé, qu'aucun n'osait rompre pour le moment. Tobias ressassait les événements qui s'étaient enchaînés en l'espace de deux jours.
Une violente dispute avait éclaté entre sa compagne et lui, quand elle lui avait révélé ses soi-disant « pouvoirs ». Il avait d'abord écouté, incrédule, le récit de la vie d'Eileen, de ses études dans une école de magie, et de cette société étrange, où des individus utilisaient la magie et se cachaient du reste du monde. Et le fait que son amie, Bianca, était également une sorcière.
Évidemment, il n'en avait d'abord rien cru, mais s'était étonné de l'ampleur de la farce que lui jouait Eileen, d'ordinaire sérieuse et peu encline aux plaisanteries de mauvais goût. Elle lui avait fait la démonstration de ses pouvoirs pour le convaincre et il avait finalement du se résoudre à la croire. Mais sa réaction n'avait pas été celle à laquelle elle s'était attendu.
« Depuis tout ce temps tu me ment ? » Avait-il fini par dire, après un long silence dont il avait eu besoin pour digérer l'information.
« Je... C'est compliqué... En général on doit garder ça caché aux mol... »
Elle avait stoppé là sa phrase, consciente que cela ne pouvait que l'énerver encore plus.
« Je tiens à toi, Tobias, je voulais te le dire, que tu saches qui je suis réellement. »
Mais cela n'avait pas suffi. Tobias avait été profondément meurtri par cette révélation, comme si la femme qu'il aimait n'était qu'une usurpatrice. Elle avait joué un rôle tout ce temps. Pire, elle l'avait pris pour un idiot, s'était joué de sa crédulité. Ils appelaient les gens sans pouvoir des moldus, comme s'il s'agissait d'une espèce à part, une espèce dont on pouvait à loisir se gausser...
« Tu me méprises, depuis notre première rencontre ! » Avait il alors hurlé.
Sa rage avait été telle que Eileen avait pris peur. Elle avait quitté la maison et, pendant une journée entière, avait disparu, ne laissant aucune indication. Ce n'est que le lendemain, tard dans la nuit, qu'elle était revenue, semblant particulièrement bouleversée. Mais elle l'avait regardé droit dans les yeux, avant de déclarer :
« Je suis enceinte. Je ne veux pas te quitter, je veux que nous élevions notre enfant, ensemble».
Tobias s'était contenté de la regarder, interdit, avant de se recoucher.
C'est Eileen qui céda la première à la pesanteur de l'atmosphère.
« Tu... Tu as réfléchi ? » Lui demanda-t-elle d'une voix peu assurée.
Il la foudroya du regard.
« Et le bébé, comment sera-t-il ? Il aura des pouvoirs lui aussi ? »
« Je ne sais pas », s'empressa-t-elle de répondre, soulagée qu'il accepte au moins de dialoguer. « On ne peut pas savoir à l'avance. Ça se manifeste dans l'enfance. Même lorsque les deux parents sont sorciers ce n'est pas certain que l'enfant le soit, mais il y a plus de chance ».
« Tu aurais du prendre un sorcier alors », Cracha Tobias.
Eileen se releva, et, tout doucement, se rapprocha de lui. Elle s'agenouilla en face de Tobias, lui prit la main et la posa sur son ventre.
« C'est ton enfant, autant que le mien. C'est toi que j'ai choisi. Peu importe qu'il soit sorcier ou non, ce sera notre enfant, il sera particulier pour nous ! »
Tobias la laissa faire, et se surprit à apprécier le contact du ventre de sa compagne, même s'il était pour l'instant impossible de ressentir qu'un être là-dedans était en train de se développer. Mais, pour la première fois depuis qu'elle lui avait annoncé, il saisit ce que cela pouvait impliquer pour eux. Il s'efforça de refouler sa colère envers la trahison d'Eileen, et parvint même à esquisser un sourire.
« Je vais être père alors ? »
Eileen le regarda, ravie.
« Oui, et formidable, j'en suis certaine ».
A sa propre stupéfaction, Tobias se pencha un peu plus sur le ventre d'Eileen et souffla :
« On va en faire des choses ensemble, tu vas voir ! »
Eileen pouffa. Ils restèrent un instant dans cette position, semblant en communion parfaite. Puis elle se releva pour se diriger vers la cuisine, et le charme fut comme rompu pour Tobias.
Il allait être père, certes, mais quelle place aurait-il, avec cet enfant qui serait peut-être aussi anormal qu'Eileen ? Serait-il destiné à rester ce père sans pouvoir, faible, moqué ? Un père ignorant des capacités de son fils, avec qui aucun partage ne serait possible ? Ce n'était pas l'image qu'il s'était faite de la paternité. « Elle reste parce qu'elle attend un enfant de moi. Elle serait partie sinon, rejoindre son monde magique... ». Mais quel choix avait-il à présent ?
Il resterait lui aussi. Pour son enfant, leur enfant. Quoiqu'il arrive, il serait un père, admiré et respecté par son enfant, se jura-t-il.