Elle eut à peine fait un signe de la main que la fillette leva sa baguette et la pointa sur son adversaire.
« Petrificus ! » S'exclama-t-elle.
Le quatrième année qu'elle affrontait n'eut que le temps d'ouvrir de grands yeux ronds comme des cognards avant d'être figé sur place. Ses bras se collèrent à ses hanches, et il bascula en arrière.
Les applaudissements noyèrent le bruit mat que son corps fit en touchant le sol. Avec un grand sourire, Ginny leva un pouce en l'air en direction d'Anna, et lui fit signe qu'elle pouvait quitter le centre.
« Tu t'es incroyablement améliorée, lui dit Neville lorsqu'elle passa à sa hauteur. Bravo. »
La petite rougit et baissa la tête, accélérant le pas pour rejoindre ses camarades.
« Il va être l'heure », murmura Ginny à l'oreille de Neville tandis qu'un nouveau duo se plaçait sur la piste.
Neville hocha la tête, et regarda du coin de l’œil Lavande parer un sort de Parvati.
« S'il vous plaît », essaya-t-il, mais les élèves étaient bien trop occupés par le combat qui se déroulait sous leurs yeux.
Les duels entre sixième et septième années étaient toujours les plus appréciés. Au lieu d'un adversaire qui valsait en tournoyant, ou qui crachait des limaces partout sur le sol -Ginny leur avait demandé de ne plus utiliser ce sort après avoir passé trois heures à les rattraper toutes- ils pouvaient assister à des échanges de sorts plus complexes et plus intéressants.
« S'il vous plaît, essaya à nouveau Neville.
- Thomas, Finnigan ! Interrompit Ginny. Silence ! »
Neville lui adressa un sourire reconnaissant.
« Il va être l'heure de quitter la Salle sur Demande. Oui oui, je sais, ajouta-t-il sous les protestations. Mais les Carrow risquent de le remarquer si trois des quatre tables sont vides au dîner.
- Trois et un quart, grogna un Serpentard au fond de la salle.
- Je veux bien t'accorder trois et quelques élèves », répliqua Neville.
Le Serpentard lui jeta un regard mauvais, mais Neville avait mieux à faire.
« Allez, ramassez vos mannequins et vos cibles, n'oubliez pas vos baguettes – oui, Eliott, c'est à toi que je m’adresse », reprit Ginny.
Dans un concert de grognements et de soupirs, les élèves s'exécutèrent. Lavande en profita pour désarmer Parvati d'un coup d'expelliarmus. Bientôt, les mannequins étaient à nouveau rangés dans leur compartiment, les cibles repliées contre les murs, le matériel trié dans les différents bacs.
« Joyeux Noël », souhaitaient un par un les élèves qui passaient devant Ginny, Neville et Luna pour sortir de la salle.
- Joyeuses fêtes, répondaient-ils avec un sourire fatigué.
- Et n'oubliez pas pour ceux qui restent, les entraînements continuent pendant les fêtes », rappelait de temps en temps Ginny.
Les deuxième, troisième et quatrième années faisaient en général la moue, obligés de rentrer chez eux pour les vacances, tandis que les plus vieux hochaient vigoureusement la tête.
« Et si vous avez le moindre problème... », ajoutait Neville en secouant le gallion sous leur nez.
« Joyeuses fêtes, sourit Anna lorsqu'elle passa à leur hauteur.
- Et joyeux Noël, répondit Luna d'une voix douce. Fais bien attention au gui, chez toi. Les nargoles adorent s'y cacher. »
Anna ouvrit de grands yeux tous ronds, et jeta un regard inquiet aux quelques branches qui décoraient la salle. Puis elle rougit, baissa la tête, et sortit en courant de la salle.
« A tout' », lança Seamus en passant devant eux pour sortir.
Dean ralentit légèrement le pas, salua Neville et Ginny et s'arrêta un instant.
« A demain Luna, sourit-il. On ne se verra pas au repas, ni dans la Salle Commune alors... à demain. »
Luna lui adressa un grand sourire.
« Oui, à demain. »
Dean eut l'air un peu déçu et hocha la tête, mais il ne fit pas un pas de plus vers la sortie.
« Tu viens mec ? L'appela Seamus.
- J'arrive. »
Il regarda un instant autour de lui, puis plongea à nouveau ses yeux sur Luna.
« A moins que tu veuilles, tu sais. Nous accompagner. Maintenant. »
Luna cligna légèrement des yeux.
« Oh, c'est gentil, mais je pense que je vais rester pour aider à ranger.
- Oh. »
Ginny leva les yeux au ciel d'un air exaspéré.
« Mais non, vas-y, on a pas besoin d'être trois pour ranger.
- Tu es sûre ?
- Mais oui, mais oui. Allez, vas-y ! »
Elle poussa légèrement Luna de la main, et son amie lui adressa un petit sourire.
« Merci Ginny. »
Ginny fit un signe indifférent de la main. Luna rejoignit Seamus qui attendait près de l'entrée en sautillant, et Dean la suivit. Avant de sortir de la salle, il se retourna et lança un regard reconnaissant à Ginny.
« Merci », articula-t-il silencieusement.
Ginny sourit et secoua la tête. Elle ne le faisait pas pour eux, elle le faisait pour ses nerfs. Ils ne supportaient plus de voir Dean tourner autour de Luna sans rien oser entreprendre.
La porte se referma avec un petit bruit, et Ginny laissa échapper un soupir de soulagement. En grimaçant, elle se redressa et se massa le bas du dos. Ces séances d’entraînements étaient épuisantes.
D'un coup de baguette, Ginny envoya les balais récurer le sol, tandis que Neville s'occupait de faire prendre vie aux chiffons et aux serpillières.
« Tu es sure que tu ne veux pas rentrer ? » Lui demanda-t-il pour la énième fois.
Ginny secoua la tête et poussa légèrement un mannequin qui dépassait.
« J'irai pour le soir de Noël, comme prévu. Pas avant. »
Neville n'insista pas. Il savait que c'était inutile et de toutes façons, c'était le plan de la plupart d'entre eux. Il savait que Ginny n'aurait pas pu s'asseoir chez elle, avec sa famille, sachant que pendant ce temps, ses camarades s’entraînaient avec acharnement, risquant chaque jour de se faire découvrir.
« J'espère juste que papa et maman vont bien... Murmura-t-elle, plus pour elle-même que pour Neville. Avec Charlie qui ne peut pas quitter la Roumanie, Bill, Fred et George dans l'Ordre, Percy qui... Elle s'interrompit un instant. Et Ron.. »
Elle arrêta ses gestes sans même s'en rendre compte, et son regard se voilà un instant.
« Le train devrait arriver tôt demain matin, reprit-elle sous le regard soucieux de Neville. J'espère qu'il n'y aura aucun soucis avec les Carrow d'ici là et qu'ils pourront partir tranquillement. Il ne faut pas oublier de ranger les gâteaux. »
Elle fit un geste vague vers la table qui se trouvait devant les grands miroirs, sur lesquels s’étalaient des coupures de journaux, des notes, des post-it et des photos.
« Les petits cadeaux sont dans l'armoire, j'ai pensé que ça serait plus sympa de les offrir après les fêtes, quand tout le monde reviendra. De quoi leur remonter le moral. »
Elle s'arrêta de parler, et jeta un coup d’œil à l'emballage qu'elle avait ramassé par terre. Elle l'avait froissé sans même le réaliser. Elle l'envoya valser à travers la salle, et il atterrit dans la poubelle qui se trouvait un peu plus loin.
Neville l'observa un instant sans rien dire, tandis qu'elle empilait les saladiers et jetait les paquets. Il y avait toujours quelqu'un pour ramener quelque chose à grignoter dans la Salle sur Demande, mais à la veille des fêtes, chacun avait emporté un petit quelque chose à manger ou à boire -surtout les Poufsouffle, qui avaient un accès privilégié aux Cuisines. Il était risqué de transporter de la nourriture dans les couloirs, encore plus d'en piquer dans les réserves de l'école, avec les Carrow qui rodaient, mais c'était un risque qui avait paru valoir le coup.
« Ginny ? »
La jeune fille répondit à peine, prise dans sa tâche. Neville s'approcha prudemment, et s'arrêta à quelques pas, une main appuyée sur la table.
« Et toi, comment tu vas ? »
Les gestes de Ginny se figèrent d'eux-même, et une longues mèche de ses cheveux roux glissa de son épaule. Pendant un instant, elle resta immobile, courbée sur la table.
« Tu as le droit d'aller mal Ginny, insista Neville. Je veux dire, ce sont ton frère, l'une de tes meilleures amies, notre Hermione, qui sont dehors. Et ton...
- Je ne suis pas la plus à plaindre », interrompit Ginny en se retournant.
Elle adressa un petit sourire rassurant à Neville, et essaya de partir vers le fond de la salle. Mais son ami ne semblait pas satisfait.
« Je suis sérieux Ginny », insista-t-il.
Le sourire de la jeune fille vacilla, et son regard se fit fuyant.
« Si jamais tu as besoin de parler, si jamais ça ne va pas...
La lèvre de Ginny se mit à trembler, et elle la mordit violemment.
« … on est là, Luna et moi. »
La jeune fille sentit ses yeux la piquer atrocement, et elle dû faire preuve de toute sa maîtrise de soi pour ne pas fondre en larmes devant Neville. Bien sûr que ça n'allait pas. Elle était atrocement inquiète, tout le temps. A chaque heure de la journée et de la nuit. Elle pensait à ses amis, à son frère. Elle imaginait Hermione torturée, Ron enfermé, prisonnier, Harry allongé sur l'herbe, les yeux vitreux, aveugles. Leur éclat vert la frappa de plein fouet, si violemment qu'elle vacilla. Le goût acide, caractéristique, remonta brusquement le long de sa gorge, et son cœur se serra si fort qu'elle crut qu'elle allait étouffer. Elle se rattrapa vivement à la table et inspira profondément.
Neville lui lança un regard inquiet, mais ne releva pas.
« Et les autres aussi. Dean, Seamus. Parvati, Lavande, Padma. »
La sensation de mal-être se résorba doucement, et son sourire revint faiblement. Il était étrange de l'entendre dire, mais c'était vrai. Prendre la direction de l'AD l'avait pas mal rapprochée des filles de septième année. Elle ne les avait jamais détestées, mais elle n'aurait pas cru possible de les considérer comme de vraies amies -surtout qu'elle s'était rangée du côté de Hermione au moment ou Lavande et Ron étaient sortis ensemble, sans l'ombre d'une seconde de doute. Elle n'irait pas jusqu'à se confier à elles, mais oui, elle avait apprit à les apprécier. Peut-être était-ce également parce qu'elle tenait beaucoup à Seamus, et qu'il parlait démesurément en faveur de Lavande, ces derniers temps.
Ginny cligna des yeux, chassant d'un battement de cils les larmes qui s'étaient accumulées sous ses paupières.
« Merci », souffla-t-elle.
Elle posa une main sur le bras de Neville et le serra fort, pour lui transmettre tout la gratitude qu'elle éprouvait.
« On devrait y aller, ajouta-t-elle d'une voix plus assurée, comme s'il ne s'était rien passé. On ne voudrait pas manquer à l'appel. »
Neville approuva d'un signe de tête. Non, ils ne voulaient pas.
« Thomas, passe moi le bol avant que Finnigan ait tout mangé », lança Ginny, et Seamus protesta vivement.
Dean lui jeta le saladier, et Ginny l'attrapa habilement.
« 10 points pour Gryffondor ! » S'exclama Parvati.
Lavande pouffa en engloutissant un pancake.
« Vous savez, dit-elle, je me sens un peu coupable de célébrer Noël sans les autres.
- Mais non, répondit Ginny en haussant les épaules. On le fêtera tous ensembles à la rentrée.
- Si tout le monde est encore là », murmura Parvati.
Un lourd silence tomba sur le petit groupe, à peine entrecoupé par le bruit que faisait Luna en mâchant ses chips.
« Désolée », reprit Parvati en rougissant.
Padma lui fit signe que ce n'était pas grave, et Neville lança « Qui veut encore de la confiture ? » un peu trop fort pour relancer l'ambiance.
Lavande observa le petit groupe, assis en rond à même le sol, au beau milieu de la Salle sur Demande, et un petit sourire vint plisser ses lèvres. Elle était heureuse. Malgré la guerre qui faisait rage, malgré la peur qui leur tordait le ventre, les mauvaises nouvelles qui tombaient une par une, elle était, à cet instant même, parfaitement heureuse. Elle savait que dès qu'elle sortirait de la salle, l'angoisse reviendrait. Elle savait que c'était une bulle qui éclaterait bientôt. Mais peu importait. Elle faisait partit d'un groupe. Elle se battait pour ce en quoi elle croyait. Elle se tenait côte à côte avec sa meilleure amie, avançait main dans la main avec Seamus -Parvati s'était d'ailleurs exclamée que ce n'était pas trop tôt, et même Ginny avait sourit en levant les yeux au ciel. Elle ferma un instant les paupières, et l'odeur douce du feu de cheminée se mêla à celle fruitée de ses cheveux. Le sol froid et dur ne la dérangeait pas, il lui rappelait où elle était, et pourquoi elle y était. Les discussions animées de ses amis parvenaient à ses oreilles comme une douce mélodie. Celle de la jeunesse, celle de l'engagement, celle de la rébellion.
Elle rouvrit les yeux, et croisa le regard de Parvati qui l'observait. Elles échangèrent un regard, et elle sut que les mêmes élans faisaient battre son cœur. Faisaient battre leur cœur à tous, unanimes dans la lutte qui les unissait. La main de Seamus glissa sur la sienne et elle referma doucement ses doigts contre sa peau.
Demain, ils partiraient dans leur famille, affrontant le monde extérieur et ses ténèbres. Demain, ils reviendraient à la dure réalité, marchant à une cadence rythmée dans les couloirs éteints de Poudlard, alignés en rang sombres. Plus tard, il faudrait faire face aux pertes. A la rentrée, ils s'inquiéteraient de ne pas voir Anna revenir et apprendraient par les journaux sa mort dans une attaque des partisans de Vous-Savez-Qui, alors qu'elle se promenait dans la rue avec sa famille.
Mais pour l'instant, pour ce soir, ils se contenteraient de s'asseoir en cercle, sur un sol dur et froid, certaines de leurs mains entrelacées, quelques regards accrochés l'un à l'autre et surtout, la même mélodie résonnant à leurs oreilles.