Le souvenir d’un frère
- Vermine, qui ose pénétrer dans la demeure des maîtres Black…
Sirius était planté devant la porte de la chambre de son frère depuis plusieurs minutes. Cela lui arrivait souvent de passer dans le couloir et de s’arrêter sans jamais oser pénétrer la pièce. Il observait avec regrets les initiales gravées soigneusement dans le bois en se demandant si les choses auraient pu être différentes. Aujourd’hui le silence qui avait suivi la réunion de l’Ordre pesait un peu plus sur son moral que d’ordinaire. Là où quelques minutes auparavant, les chaises grinçaient bruyamment, les propositions et les objections fusaient à la vitesse des sorts, il ne restait que l’immobilité et l’ennui. Le besoin de se distraire de ses idées noires était plus pressant, et tous les moyens étaient acceptables pour tenir à distance cette solitude insoutenable qui prenait son moral en otage. Il se décida à tourner la poignée, la porte grinça légèrement et il découvrit une chambre à l’effigie de ce qu’il abhorrait. A l’image de ce qu’il combattait.
- Que dirait le maître Regulus s’il savait qu’on s’introduit dans sa chambre…
Sirius ignora la désapprobation de l’elfe et s’avança un peu plus dans la chambre qui avait appartenu à son frère. Les choses étaient telles qu’il les avait connues, le vert et argent prédominant sur les murs délavés. Près du lit, il retrouva le tapis taché d’encre. Et il se rappela instantanément que ce Mangemort qui avait œuvré contre lui, avait été un petit frère avant tout autre chose. En effet, les tâches provenaient d’une partie de Bavboule qui avait mal tourné. Ils étaient encore jeunes, et à l’époque ce jeu était beaucoup plus à la mode qu’aujourd’hui à en croire Ron. Ils avaient décidé d’incarner leurs idoles Flavius Belby et Felix Brint dans un duel impitoyable. Le tapis avait joué le rôle du cercle, ensuite seul leur talent respectif avait parlé. La partie avait duré si longtemps - ni l’un ni l’autre ne souhaitant céder la victoire - que le tapis et leurs vêtements s’étaient retrouvés tachés par toute sorte de substances visqueuses. La bille favorite de Regulus contenant de l’encre et qu’il avait prénommée à ce titre « Bavinker », avait fait des ravages sur la chemise de Sirius qui était passée de blanche à noire en quelques coups ingénieux. Même l’acharnement de Kreattur n’avait pas suffi à venir à bout du désastre.
Sirius se mit à la recherche de ce petit trésor dans un des coffres de son frère et retrouva facilement le petit sac en cuir qui contenait le fameux sésame. Il fit rouler les sphères colorées dans sa main et ne put s’empêcher de sourire tristement.
- Ces traîtres à leur sang qui souillent les dalles de ma maîtresse, mais soyez tranquille Kreattur est là pour veiller sur vous…
Le sorcier malingre soupira avant de ranger le jeu de Bavboule dans sa poche. Le silence avait repris ses droits sur le souvenir des rires d'enfants. Il y avait comme de l’acide qui s’échappait de cette absence de son. La tranquillité imperturbable de cette vieille maison, lui donnait envie d’exploser. Souvent, il se mettait à hurler pour remplir l’espace vide qui le prenait en étau. Dans ces moments de faiblesse, Sirius regrettait presque les cris et plaintes perpétuelles qui l’accompagnaient jour et nuit à Azkaban. Le souffle meurtrier des Détraqueurs qui faisait froisser leurs capes défraîchies sur la pierre glacée. Il s’imaginait même entendre la tempête sans fin qui forçait les vagues à venir s’écraser sur la prison maudite. Dans le coin le plus sombre de ce monde il avait pu trouver de quoi apaiser sa solitude. Mais ici, dans la maison qui abritait des souvenirs de rejet et de malédiction éternelle, il ne supportait plus l’ombre des fantômes. Même les souvenirs de parties de Bavboule n’arrivaient pas à éclairer son présent, trop de choses s’étaient produites, trop de douleur avait été emmagasinée. Il grimaça et en voulant s’éloigner de cette réminiscence douloureuse, il heurta un meuble. Une boîte d’échecs sorciers tomba et les petites figurines se relevèrent péniblement, comme réveillées d’un profond sommeil. Mais bientôt Sirius observa la reine donner des instructions aux différents pions. Sirius se rendit compte qu’ils formaient des rangs pour l’attaquer. La reine lança son bras en avant et le roi et sa garde foncèrent vers le pied droit du sorcier.
- Aie ! Arrêtez ça, ordonna-t-il.
Mais rien ne les arrêta, ils continuaient de tenter de planter leurs épées et leurs sabots dans le pied de Sirius. Il se décida à les stupéfixer et les rangea dans leur boîte. Même après tout ce temps les jeux de Regulus continuaient de porter sa haine. Le joueur de Bavboule qui ne faisait que défier son frère aîné, s’était transformé en un inconnu au fil des années, et Sirius n’avait pas su comment cela était arrivé.
- Ils touchent à tout et salissent les précieux objets. Et le pauvre Kreattur doit tout nettoyer…
- Ça suffit ! hurla Sirius incapable d’ignorer l’elfe plus longtemps. Tu n’en as pas assez de te plaindre sans arrêt !
- Kreattur sert le maître, et si le maître souhaite que Kreattur se taise, alors Kreattur se taira…
Mais le vieil elfe continua de pester sous sa barbe, et au moment où Sirius allait le réprimander plus durement il entendit un pop dans l’entrée. Instantanément il sortit sa baguette et transplana au rez-de-chaussée.
- Oh Sirius, comment ça va mon vieux ?
Mondingus Fletcher était sur le palier de la porte, arborant son éternel air négligé. Sirius pouvait même sentir les relents de whisky de là où il était posté, sa baguette toujours tenue fermement en protection.
- Qu’est-ce que tu fais là ? La réunion est terminée depuis longtemps. Et tu l’as encore loupée…
- J’avais une petite affaire à régler… Tu connais ce Simmons ? Cet escroc aux doigts dodus et tordus qui traîne près de la boutique de hiboux… Peu importe, tu vois le truc avec cet uluberlu, c’est qu’il est aussi têtu qu’un Botruc,se plaignit le bonhomme en essuyant la sueur qui perlait sur ses tempes. Mais cette petite affaire était plus simple à régler que la seconde.
- Quoi encore ?
Le sorcier mal rasé se rapprocha de Sirius et lui glissa sous le ton de la confidence :
- Je suis passée au Chaudron Baveur pour prendre un petit remontant sur le chemin du retour. Et là Paf, Je me retrouve nez à nez avec trois reines de beauté. Elles étaient plantées là au bar et elles m’ont invité à boire avec elle... Je ne pouvais pas me montrer impoli tu me comprends toi ? Pas vrai ? Enfin bref, la première elle s’appelait Ursula. Son décolleté ferait fondre un chaudron. La seconde, Sunny avait un drôle de teint mais des yeux à tomber… Par contre j’avoue que le côté Troll de Cruella m’a un peu rebuté… Oh mais c’est quoi qui s’échappe de ta poche ? Des Bavboules ? J’étais doué à ce jeu là. J’ai même failli être champion de Poudlard. Oh mais dis-moi tu as l’air tout pâle ? Ça va pas ? Tu veux pas qu’on en discute autour d’un whisky ? Ou ce que tu as. Je suis pas difficile...