Chapitre 1 - Joyeux anniversaire
Le ciel se zébrait de rose, l'aube pointait le bout de son nez sur la ville endormie. La brume se faisait piéger par les toits crénelés des collèges d'Oxford. Prêts à chanter à tue-tête, les oiseaux s'ébrouaient pour célébrer les premières lueurs du jour tandis que les lapins piquaient des sprints bondissants sur les pelouses impeccablement tondues.
Les reflets dorés s'engouffrèrent à travers d'épais rideaux et vinrent ricocher sur une tapisserie argentée. L'obscurité se dissipait peu à peu. Un mobilier chargé donnait un charme certain à la pièce où les broderies côtoyaient les tentures et les stucs anciens. Le soleil vint frapper la coiffeuse d'un autre âge et ricocha sur le miroir serti.
Dans le lit à baldaquins, une adolescente grogna. Des boucles brunes s'emmêlaient sur son oreiller en soie et son teint se confondait avec la blancheur immaculée du couvre-lit. Elle se retourna en remontant l'édredon jusque sous son menton.
La ville commençait à s'agiter dehors. Les étales ouvraient leurs portes et les livreurs de lait faisaient la course avec ceux de journaux. Un brouhaha léger se frayait un chemin jusqu'aux fenêtres de la maison où dormait la jeune fille. Les passants marchaient à toute vitesse vers un but connu d'eux seuls sans faire attention à l'immense bâtisse qui surplombait Brasenose Lane. Les fenêtres en apparence si normales dissimulaient à deux pas du Radcliffe Camera une famille bien différente des autres.
Un bâillement étouffé résonna et l'adolescente étira ses bras minces au-dessus de sa tête. Elle ouvrit grand les yeux et se délecta de ses prunelles bleu nuit du spectacle d'un matin à la maison.
C'était devenu si rare ! Elle qui passait la plupart de son temps au pensionnat, elle était enfin chez elle pour deux semaines ! Elle soupira de bonheur et quitta à regret ses draps chauds. En chemise de nuit, elle réprima un frisson quand ses pieds nus touchèrent le paquet glacé. Il trop tôt dans l'année pour que le printemps ne soit définitivement installé et les poêles n'avaient pas encore été allumés par les domestiques de si bon matin.
Elle poussa doucement le rideau et sourit en voyant défiler les étudiants en costumes dans la rue piétonne. C'était son plaisir matinal, contempler la vie des moldus qui ignoraient jusqu'à son existence.
La porte de sa chambre s'ouvrit à toute volée et la jeune fille sursauta en relâchant la tenture, un air coupable se figeant sur son doux visage.
« Narcissa ! s'écria la jeune fille qui venait d'entrer. Tu m'avais promis !»
Narcissa grommela et se laissa tomber à plat dos sur son lit défait.
« C'est bon Bellatrix, ils ne peuvent pas me voir de toute façon !
— Je ne comprends pas ce que tu peux trouver d'intéressant à regarder ces cloportes passer sous nos fenêtres.»
Narcissa ne prit pas la peine de répondre, elle haussa simplement les épaules et tourna le dos à sa sœur. Bellatrix vint s'allonger à côté d'elle et regarda le plafond du lit à baldaquin.
« Au fait, dit-elle avec un enthousiasme forcé. Joyeux anniversaire !»
Narcissa se redressa rapidement et bondit sur ses pieds.
« Mais c'est vrai ! Par Merlin, j'avais complètement oublié !
— Vue ta tenue, ça se voit.
— Dilcey ! cria la jeune fille. Dilcey !»
La petite elfe apparut, complètement paniquée, dans un claquement sonore et s'inclina bien bas devant sa maîtresse en lui demandant avec empressement ce qu'elle pouvait faire pour l'aider.
« Il faut m'habiller ! Vite !
— Que souhaitez-vous mettre maîtresse pour cette première partie de journée ?»
Narcissa se mordilla la lèvre inférieure. Elle avait une sainte horreur de faire des choix ! Elle jeta un coup d’œil furtif à sa sœur qui leva les yeux au ciel. Inutile de demander quelque aide que ce soit à Bellatrix, elle semblait dans un mauvais jour.
« Si je puis me permettre maîtresse, votre robe vert pâle semble toute indiquée pour une belle journée comme aujourd'hui.»
Soulagée que son elfe y mette du sien, Narcissa s'empressa d’acquiescer. Il était temps qu’elle se hâte !
« Expirez maîtresse ! Encore. Encore !
— Je ne peux pas plus ! s'énerva Narcissa alors que la petite elfe lui serrait son corset à lui en briser une côte.
— On dirait que quelqu'un s'est laissé aller à Poudlard, ricana Bellatrix. Tu as bien choisi ton moment !
— Laisse-là Bellatrix, coupa une troisième jeune femme qui venait de passer le seuil de la porte.
— Tout ce que je dis Andromeda, c'est qu'elle sait depuis à peu près dix ans qu'elle va devoir choisir sa fichue robe pour son maudit bal et qu'elle décide de faire du gras juste avant. Elle n'a pas intérêt à nous piquer une crise de nerfs dans la boutique quand elle comprendra qu’elle devra pendre une taille au-dessus ou je ne réponds plus de moi !»
Elle sortit en claquant la porte, laissant ses deux jeunes sœurs seules. Narcissa se mordait l’intérieur des joues pour empêcher ses larmes de rompre la barrière de ses cils.
« C'est bon Dilcey, je crois que Narcissa ne peut plus respirer, tu peux t'arrêter là.»
L'elfe s'inclina et fila chercher le jupon de taffetas de sa jeune maîtresse. Andromeda se dirigea vers la fenêtre et sortit son mouchoir de sa manche qu'elle passa subrepticement à sa sœur sans la regarder. L'aveu de faiblesse était déjà suffisamment humiliant, inutile d'en rajouter. Elle poussa doucement la tenture et regarda à son tour les moldus passer dans la rue comme l'avait fait sa cadette quelques minutes auparavant.
« Si Bella t'attrape...
— Qu'elle grogne !»
Andromeda fit volteface et détailla sa sœur à qui Dilcey terminait de passer la robe de soie vert d'eau.
« Ne laisse pas Bellatrix te voler ta journée. Tu sais comment elle est...
— Je pensais qu'elle...
— Ne viendrait pas ? Moi aussi. Visiblement maman a insisté.
— Mais Bellatrix déteste faire les magasins !
— Le jour où quelqu'un réussira à faire plier Druella Rosier-Black n'est pas encore arrivé, crois-moi. Dilcey, dépêche-toi de la coiffer, nous sommes déjà en retard !» ordonna-t-elle en se dirigeant vers la sortie.
Elle s'apprêtait à refermer la porte derrière elle quand elle lança :
« On se retrouve en bas Cissy. Et joyeux anniversaire !»
« Enfin ! J'ai cru que j'allais devoir envoyer le médicomage vérifier si tu n'étais pas morte ! fit remarquer Druella d’un ton sarcastique.
— Quelle délicate attention.
— Nous sommes attendues pour dix heures Narcissa. Faut-il que je te rappelle que le premier impératif d'une dame de qualité...
— Est la ponctualité, je sais.
— Bon sang, quand je pense que tu as dix-sept ans et que tu n'es toujours pas fichue capable de mettre en application tous les conseils que je me suis évertuée à t'inculquer depuis des années ! C'est désespérant ! Désespérant !»
Narcissa piqua du nez vers ses chaussures, essayant tant bien que mal de dissimuler le rouge qui lui était monté aux joues.
« J'espère que ton futur mari ne sera pas trop difficile, soupira Druella en pinçant les lèvres. Enfin bon, allons-y jeunes filles !»
Narcissa attrapa le bras que lui tendait sa mère et essaya comme elle put de se redonner une contenance qui s’envolait comme un oiseau effrayé.
Le soleil brillait déjà haut en ce milieu de matinée. Druella donna le signal en dégainant plus vite que l'éclair son ombrelle d’un coup de baguette. L’ombre la suivait sans qu’elle n’ait besoin de lever le bras, protégeant son teint de porcelaine des rayons du printemps et des regards curieux. Les rares personnes déjà sur le chemin de Traverse s'empressèrent de s'écarter pour lui laisser la place, ses filles dans son sillage.
Druella Black étaient de celles qui ne s’encombraient pas de politesses feintes. Pour elle, seuls les sang-purs méritaient son attention. Et encore, mieux valaient qu’ils le méritent… La tête haute, elle regardait droit devant elle, se dirigeant vers son objectif de la matinée sans s’attarder devant les vitrines chatoyantes.
La cloche de Tissard et Brodette, le célèbre magasin de haute-couture, retentit quand elles franchirent le seuil.
« Lady Black ! C'est un plaisir ! Pour laquelle de vos charmantes demoiselles est-ce aujourd'hui ? s'intéressa poliment la gérante en détaillant rapidement du regard les trois jeunes femmes qui se tenaient légèrement en retrait de leur mère.
— Narcissa, ma dernière.
— Oh ! Un bal de débutante ou je ne m'y connais pas !
— C'est ça, soupira Druella en s’assaillant. Une de plus.»
Elle lissa l'étoffe de sa robe sur ses genoux et ajouta :
« Demain soir. Je compte sur vous pour faire des miracles.
— Vos filles sont de vraies beautés Lady Black, un rien les sublime.»
Druella coupa court d’un geste de la main. Les flagorneries ne l’intéressaient pas.
« Vous connaissez l'enjeu de ce bal. Narcissa sera lancée dans la société demain soir, il ne faut pas qu'elle fasse le moindre faux-pas si elle veut trouver un mari digne de ce nom. Ses sœurs ne s'en sortent pas trop mal pour l'instant, je compte donc sur vous pour que sa robe soit à la hauteur de notre famille.»
La gérante inclina doucement la tête et se tourna vers la jeune fille qui était restée debout au milieu de la pièce.
« Que souhaitez-vous porter ma petite ?
— Non, non, non, coupa Druella. Narcissa n'a jamais su se décider. Si vous commencez à lui demander son avis, jamais nous ne sortirons d’ici. Il lui faut une robe élégante, sans trop de froufrous, les quelques kilos en trop sur ses hanches sont bien assez laids sans qu'on en rajoute ! Et par pitié, pas de blanc ! Plus personne de porte de blanc aux bals des débutantes depuis des années-lumière. Pas de rouge non plus. Du vert ou du bleu à la rigueur.
— Je vais voir ce qui pourrait convenir.»
Elle fila dans l'arrière-boutique tandis que Druella détaillait sa fille sous toutes les coutures.
« Narcissa, redresse le menton. Tiens-toi droite. Tu n’es pas une vulgaire sang-mêlé que je sache. Sois un peu fière de qui tu es, jeune fille !
— Je crois que j'ai ce qu'il nous faut ! Venez donc avec moi ma Lady, que nous enfilions ça en arrière-boutique.»
Narcissa lui suivit, le cœur battant la chamade. Elle avait tant attendu ce moment !
Depuis qu'elle était enfant, on ne cessait de lui rabattre les oreilles avec ce rite de passage. Toutes les familles aristocratiques ne vivaient que présenter sous leur meilleur jour leurs filles l’année de leurs dix-sept ans. Être présentée officiellement à la bonne société allait lui ouvrir les portes de toutes ces soirées dont elle entendait tant parler. Elle en avait assez de vivre à travers les bribes de souvenirs racontés par ses sœurs, elle voulait voir ces bals grandioses et que son cœur batte fort dans sa poitrine quand elle croiserait enfin le regard de l'homme qui lui demanderait sa main.
Elle voulait elle-aussi passer des heures à se préparer pour parader dans une robe de princesse comme le faisaient ses sœurs. Il lui semblait injuste qu'elle soit privée de ces plaisirs alors qu'elle semblait être la seule à qui ces mondanités plaisaient vraiment. Bellatrix râlait à chaque fois qu'elle devait s'y rendre et le regard d'Andromeda s'était terni depuis les dernières vacances de Noël, comme si toutes ces festivités avaient perdu tout attrait à ses yeux.
Enfin c'était son tour !