Ron Weasley avait treize ans. Il était roux, il avait cinq frères, une sœur et des meilleurs amis qui lui volaient la vedette.
Cela pouvait sembler particulier en soi, mais lui, il se sentait carrément invisible. S’il ne passait pas inaperçu, c’était seulement parce qu’il était roux, qu’il avait cinq frères, une sœur et des meilleurs amis qui lui volaient la vedette. Son caractère à lui, personne n’en avait rien à faite. Mis à part, peut-être, pour critiquer le fait qu’il ne mangeait pas proprement. Et encore.
Il avait longtemps cherché une solution. Il avait songé à se teindre les cheveux en violet, pour qu’ils s’accordent enfin avec les pulls tricotés par sa mère. Mais il avait peur de regretter.
Il avait aussi voulu jeter un sortilège d’amnésie puissant à Hermione. Mais sa baguette ne fonctionnait pas, et puis, il ne lui voulait pas de mal. Enfin pas trop.
Il avait voulu devenir dresseur de baleines, parce que c’était encore plus gros que les dragons. Malheureusement, le métier n’offrait pas trop de débouchés.
Il avait songé un instant à battre les facéties des jumeaux, mais même son arrivée fracassante en voiture volante n’avait pas éclipsé leurs exploits, c’était peine perdue.
Il avait tenté d’avoir un comportement irréprochable et de bonnes notes, pour faire de l’ombre à Percy et Bill. Mais il n’avait pas tenu deux jours. En même temps, quand on a un meilleur ami qui s’appelle Harry Potter, c’est plutôt compliqué de ne pas enfreindre douze articles du règlement à chaque quart d’heure.
D’ailleurs, contre Harry, il n’avait rien trouvé. Rien ne pouvait battre celui qui avait lui-même battu le sorcier le plus noir de tous les temps, à un an à peine. En plus, il ne pouvait même pas jouer au Quidditch, son balai avançait à deux à l’heure...
Non, Ron Weasley ne pouvait rien faire contre tous ces gens qui l’éclipsaient. Alors, il décida de réécrire sa vie. Au moins, quelque part, ne serait-ce que sur un simple parchemin tâché d’encre et de jus de citrouille, il aurait le premier rôle, il serait important, il éblouirait les sorcières et ferait pâlir les sorciers de jalousie.
Il prit sa plume entre ses doigts, et l’y fit jouer un instant. Oui, il allait réécrire sa vie et faire en sorte que chaque détail fasse de lui un personnage important.
Il décida de garder ses cheveux roux, pour une fois qu’il se démarquait. Etouffant un petit scrupule qui pointait le bout de son nez, il décida de ratiboiser sa fratrie. Il n’aurait plus qu’une sœur, Ginny. Parce que non, il ne pouvait quand même pas faire disparaitre Ginny !
Mais une chose était sûre, ils seraient orphelins. Evidemment, ça lui faisait de la peine de faire disparaitre d’un coup de plume la cuisine de sa mère et la gentillesse de son père. Mais il fallait ce qu’il fallait. Avez-vous déjà lu un roman dont le héros n’est pas orphelin ? Cela n’existait pas, Ron en était convaincu. Il n’y avait qu’à voir Harry. Cela n’était pas un mystère : on ne peut pas vivre des aventures extraordinaires quand on a des parents sur le dos. Ron n’y voyait que trois solutions : des parents absents, morts, ou méchants. Et puisqu’il n’y allait pas à moitié, il n’y avait plus qu’à les enterrer.
A cette idée, il sentit quand même son cœur se serrer, un tout petit peu... Mais il le fit taire.
- Ronald, ce n’est pas le moment de faire du sentimentalisme à deux noises ! Tu le veux, ton succès, oui ou non ?
Exalté par sa propre idée, il se mit à écrire, sans plan, en commençant par sa naissance.
Il raconta comment il avait sauvé Ginny des loups garous assassins de leurs parents, alors qu’il n’était âgé que de six ans, et elle de cinq.
Il narra comment ils avaient survécu dans le froid, et comment il avait subvenu à leurs besoins en tuant des lièvres à main nues, et en les cuisant à la chaleur d’un feu qu’il avait allumé à l’aide de la baguette de son regretté père. Ils logeaient dans la forêt, dans une cabane qu’il avait construite lui-même, et qui avait d’ailleurs bien étonné Dumbledore, quand ce dernier était venu les chercher. Le vieux sorcier lui avait proposé d’entrer à Poudlard en avance ce qui, vu ses talents, ne lui poserait aucune difficulté. Mais Ron avait des scrupules : que deviendrait Ginny ?
Ron releva la tête de sa feuille. Il y avait bien l’option tante Muriel... Non, tante Muriel n’existait pas. Un orphelin qui vit chez sa tante aigrie, ça existait déjà. Il s’appelait Harry, et il ne répondait pas aux lettres depuis le début de l’été. Peut-être que ses moldus l’avaient encore enfermé dans son placard ? Il fallait que Ron mette cela au clair.
Mais d’abord, il avait une histoire à inventer !
Donc, il confia Ginny à Chourave, qui avait besoin d’une assistante, et devint le plus jeune élève de l’histoire de Poudlard. Il eut sa carte de chocogrenouille et rendit nécessaire une réédition du livre préféré d’Hermione, qui d’ailleurs n’existait pas. On ne pouvait pas prétendre raconter « l’histoire de Poudlard » sans parler du célèbre Ron Weasley, le premier sorcier à être entré en première année à sept ans et demi.
Il fit une scolarité exemplaire, décrocha tous les honneurs...
Au moment où il allait faire en sorte que son double rencontrât une belle sorcière blonde, il entendit sa mère crier.
- Ron, à table !
Et Ron ne résistait pas à l’appel de l’estomac. Il attendit cependant les cinq minutes d’usage. Evidemment, il ne fallait pas descendre tout de suite, il le savait bien. Sa mère, comme toutes les mères du monde, faisait toujours croire que le repas était prêt pour qu’il mette la table ! Quelle horreur ! Surtout que d’un coup de baguette, la table était mise, alors pourquoi demander à ceux qui ne pouvaient pas se servir de la magie de le faire ? Ron estimait que c’était de l’exploitation, rien d’autre.
Les cinq minutes passées, il se précipita en bas.
Lorsqu’il remonta, il s’apprêta à reprendre son œuvre. Il découvrit avec effarement qu’il n’avait écrit qu’une page et demie, devenue illisible à cause des tâches d’encre.
Ron haussa les épaules. De toute manière, il en avait assez de s’inventer une vie. Sans ses parents, ses frères, Hermione et Harry, la vie était bien pâle, même si, pour une fois, il en était le héros.
Mieux valait être roux, avoir cinq frères, une sœur et des meilleurs amis qui lui volaient la vedette, qu’être seul, orphelin, et s’ennuyer comme un rat mort.
D’ailleurs, en parlant de rat, où Croûtard était-il encore allé se fourrer ?