Minerva s’agenouilla dans l’herbe un peu jaunie par le soleil, et déposa une gerbe de lys blancs sur le tertre d’herbe nue qu’était devenue la tombe, avant de se relever. Il n’y avait jamais eu de pierre ou d’inscription, que dire d’un homme aussi mauvais que bon ? Ce n’était pas lui rendre honneur que d’effacer une partie de lui, même pour ne garder que le meilleur...
La directrice de Poudlard soupira. Comme tous les vivants qui ont perdu un être cher, elle regrettait le temps perdu. Tout ce temps qu’elle avait passé à le côtoyer sans remarquer qui il était, sans lui accorder l’attention qu’il aurait méritée. Et agenouillée là devant ce tertre d’herbe sèche, elle sentait la culpabilité la gagner, et comme à chaque fois, elle versa une larme, une larme unique pour l’ami perdu. Elle était heureuse que Harry Potter ait obtenu que Severus soit enterré à Poudlard, dans le parc. L’école avait été, finalement, sa seule maison.
Oh, Minerva se souvenait, elle se souvenait de tout. L’indifférence, l’incompréhension, l’amitié naissante puis forte, et la colère ensuite, le sentiment amer de la trahison.
Severus avait longtemps été un élève dans l’ombre, Minerva ne s’était pas réellement préoccupée de lui, malgré ses résultats honorables voire brillants. Pire encore, elle était partie avec un a priori négatif. Elle considérait toujours les Serpentards avec une méfiance spontanée, et si, après la guerre, c’était bien malgré elle, dans les années 1970, elle aurait défendu son point de vue avec la fougue d’une jeunesse qu’elle n’avait déjà plus. L’élève Severus n’avait été pour elle qu’une graine de Mangemort, et elle n’avait pas réellement eu tort... Elle regrettait seulement de ne pas avoir vu le potentiel en lui, de n’avoir pas essayé de le sauver de ses démons. Tout aurait été différent.
L’élève avait à peine quitté les bancs de l’école de magie qu’il y revenait comme professeur. Minerva avait tempêté contre Albus. Elle voulait bien croire que le directeur faisait confiance au Mangemort, même si elle ignorait pourquoi, mais tout de même, lui confier des enfants... Repenti ou non, il avait torturé, tué, quel modèle pouvait-il bien donner ? Il avait fait le choix de la magie noire, que pouvait-il bien leur apprendre de bon ?
Combien de temps était-elle restée méfiante ? Comment chiffrer le temps perdu ? Plusieurs années sans doute... ça avait commencé par de petites piques, au départ peu cordiales, sur la compétition entre leur deux maisons, ou, bien sûr, ses méthodes d’enseignements qu’elle jugeait douteuse : il n’avait vraisemblablement pas compris la subtile nuance entre se faire respecter et se faire craindre ! Elle avait commencé par attaquer ce collègue solitaire qui ne parlait guère qu’à Albus, et encore, parce que le vieux sorcier ne lui en laissait pas le choix. Elle avait été bien surprise de l’entendre répondre avec cynisme.
Surprise, oui... Il avait été si apathique, si sombre depuis son retour à Poudlard – ou plutôt, ça avait commencé quelques temps après son retour, elle comprenait désormais – qu’elle avait ressenti le besoin de le provoquer, pour faire naître dans son regard autre chose que du découragement. Et dire que Minerva avait longtemps, jusqu’à sa mort en réalité, cru que c’était à cause de la perte de son maître ! Si elle avait su d’où lui venait ce désespoir, si elle avait su à quel point il avait tout perdu...
Et même, aurait-elle fait quelque chose ? Sûrement pas... Toujours était-il que, peu à peu, ils s’étaient apprivoisés, sans même s’en rendre véritablement compte. A coup de piques, de joutes verbales. En devenant adversaires, ils étaient peu à peu devenus amis, pour autant qu’on puisse devenir ami avec Severus Rogue quand on ne se nommait pas Lily Evans.
Pomona était gentille, mais elle manquait de répondant. Filius était efficace, mais bien trop droit pour ce genre de joutes. Albus était au-dessus de ces querelles, et les autres... Severus était peu à peu devenu l’interlocuteur privilégié de Minerva, même si elle ne s’en était réellement rendu compte que lorsqu’il avait cessé de l’être. Elle avait fini par mettre de côté son passé de Mangemort, sans même le remarquer...
Plus encore, la si droite directrice des Gryffondor avait fini par juger accessoire l’atroce habitude qu’avait son collègue de traumatiser les élèves qui n’étaient pas de sa maison, préférant remarquer au contraire comme il était dévoué envers les Serpentards.
En réalité, Severus avait appris à Minerva que le monde n’était pas divisé entre les bons et les mauvais. Que rien n’était tout blanc ou tout noir. Que l’on ne choisissait pas objectivement ses amis en fonction de leurs qualités. Qu’on pouvait apprécier une personne en dépit de ses choix, et même en dépit de ses convictions.
Minerva sourit avec mélancolie, emportée par les souvenirs. Elle s’assit à même le sol, ignorant la protestation de ses vieux os.
Elle avait même pardonné à Severus le moment où il avait failli causer la perte de Sirius, parce qu’elle avait découvert qu’on pouvait comprendre sans cautionner. Elle avait compris la haine de son collègue, même s’il n’en avait rien dit. Severus ne se confiait jamais, tout ce qu’on apprenait, il fallait le deviner. Elle avait compris sa haine pour celui qui avait fait de sa scolarité un enfer, qui l’avait un jour entraîné entre les griffes d’un loup garou, et qui l’avait, indirectement, rendu redevable envers son ennemi de toujours.
Et l’amitié, et la compréhension, étaient devenues admiration quand Severus était retourné chez son ancien maître avec la certitude d’une punition cruelle, quand il avait endossé le rôle dangereux d’agent double, quand il avait abandonné une vie sûre et tranquille pour une lutte dont il ne partageait même pas les idéaux.
Pourtant c’était cette admiration qui avait perdu Minerva.
Et tout ce temps perdu, toute cette aide qui n’avait pas été apportée...
Quand un ami en avait tué un autre, quand Severus était devenu directeur de Poudlard à la solde de Voldemort, elle s’était tellement sentie trahie. Elle avait sincèrement cru qu’il lui avait menti, pendant tout ce temps. Qu’il avait menti à Albus, qu’il n’avait jamais changé... Si elle ne l’avait pas tant admiré, si elle s’était contentée d’essayer de le comprendre sas chercher à cautionner, elle aurait pu s’en remettre.
Mais elle n’avait pas réfléchi, elle l’avait tant haï pour cette amitié gâchée dont elle n’avait compris le prix que maintenant qu’elle la perdait. Elle n’avait cessé de lui mettre des bâtons dans les roues pendant la dernière année avant sa mort, elle avait refusé de comprendre, elle ne lui avait pas offert un pardon qu’il avait cependant semblé chercher.
Elle l’avait vu, pourtant, la chercher des yeux, tenter de lui parler, mais se raviser au dernier moment. Elle aurait pu comprendre, si elle n’avait pas été aveuglée par la haine... Elle n’aurait pas eu besoin du récit de Harry Potter, elle aurait pu l’aider, lui pardonner, l’épauler dans les moments difficiles.
Il était part seul, et à chaque fois qu’elle y pensait, cela lui donnait envie de pleurer. Evidemment, il y avait eu Harry, son regard, celui de Lily, posé sur lui mais... Pendant un an il n’avait eu personne avec qui parler, si ce n’étaient les assassins de la femme qu’il avait tant aimée.
Il était parti seul. En y pensant elle sentait son ventre se tordre.
Minerva soupira. Finalement, Severus avait apporté du gris dans son monde en noir et blanc, dans un sens comme dans l’autre : il lui avait appris à aimer, comprendre et admirer un Mangemort, et il l’avait également mise face à ses propres erreurs.
Les erreurs de la haine gratuite et du temps perdu.
L’erreur qu’elle avait commise en refusant d’aider cet adolescent perdu, souffre-douleur de ses élèves préférés.
L’erreur qu’elle avait commise en refusant de comprendre la grandeur de son action et la force de son courage, alors qu’il avait tenté, seul et contre tous, d’assurer leur victoire dans cette guerre.
Culpabilité et temps perdu, voilà ce qui restait à Minerva. Assise dans l’herbe sèche, elle regardait à travers les larmes qui coulaient désormais à flots la gerbe de lys blancs se flétrir sur le tertre. Ironie du sort, de choisir de telles fleurs à offrir à l’homme qui lui avait montré que le monde était gris.