Minerva ferma les yeux, humant avec délices l’odeur du thé flottant au-dessus de son mug. C’était un thé noir, très fort, au parfum de pêche, et l’odeur sucrée du fruit rappelait à l’adolescente que l’été n’était plus très loin… et qu’en septembre, elle ne reviendrait pas à Poudlard. Albus observait la jeune femme par-dessus ses lunettes en demi-lunes; absorbée par ses pensées, elle ne vit pas l’étincelle de tendresse qui brilla quelques secondes dans le regard de son mentor.
Une hirondelle ou deux pépiaient dans le nid qu’elles avaient construit juste à coté de la fenêtre du bureau du professeur de métamorphose, un soleil printanier nimbait de lumière le parc et le lac en contrebas, et une brise légère et douce traversait la petit pièce. Albus et son élève étaient restés assis là depuis presque deux heures, discutant à bâtons rompus de tout ce qui pouvait leur venir à l’esprit, comme tous les mercredis depuis qu’il avait accepté d’aider la jeune femme à apprendre l’animagisme. Mais depuis quelque secondes, un silence confortable était tombé dans la pièce, alors qu’ils sirotaient leur thé, quelques miettes de scones et de crumpets gisant dans leurs assiettes.
-Je voulais vous remercier pour tout professeur, dit enfin Minerva, les mains serrées sur son mug. J’ai conscience que vous êtes un homme très occupé, et que vous ayez accepté d’utiliser deux heures de votre temps par semaine pour me donner des cours particuliers, c’est plus que je n’aurais jamais osé espéré en arrivant à Poudlard.
-Ces heures n’ont jamais été du temps perdu Minerva. C’est peut-être moi qui devrait vous remercier. Vous êtes probablement l’élève la plus brillante à laquelle j’ai eu le bonheur d’enseigner. Et vous êtes sans doute trop jeune pour le réaliser, mais je dois avoir l’humilité de reconnaître que j’apprends tous les jours, moi-même, au contact de mes étudiants. L’éducation n'est jamais à sens unique.
-Qu’est-ce que vous voulez dire ?
-Chaque regard, chaque esprit, est différent, et apporte ses propres variations à sa façon de pratiquer la magie, ou même, plus simplement, de voir le monde. En tant que professeur, j’ai le privilège d’être confronté chaque jour à des centaines de vision différentes. Bien sur, toutes ne sont pas bonnes à prendre, mais tout de même… J’ai grandi en tant qu’homme, plus que vous ne pouvez l’imaginer, depuis que j'ai commencé à enseigner.
Un grand sourire vint étirer les lèvres de Minerva.
-Je n’avais jamais pensé à ça.
-Je dois cependant admettre que je n’ai jamais passé autant de temps avec aucun autre de mes élèves avant vous. Vous êtes et serez une sorcière formidable Minerva. Je ne vous demanderais pas de ne pas changer, on change toujours, qu’on le veuille ou non, mais le dernier conseil que je puisse vous donner avant que vous ne quittiez Poudlard est de ne pas laisser la société sorcière avoir trop d’impact sur vous. Vous êtes assez unique en votre genre.
-C’est grâce à mon père, souffla Minerva, les joues écarlates sous l'effet du compliment.
Si elle s’employait toujours à être la meilleure personne possible, parfois jusqu’à l’obsession, terrifiée par l’idée de décevoir le reverend McGonagall, et, de plus en plus, Dumbledore, la confiance en elle-même n’était pas le point fort de la sorcière, comme pour beaucoup d'adolescents.
-Pas seulement lui, répondit Albus, en se resservant une tasse de thé. Ne vous sous-estimez jamais Minerva.
-J’essaie de ne pas le faire, répondit la jeune fille, le dos raide. Je trouve la fausse modestie toute aussi grossière que le narcissisme.
Albus eut un petit sourire. L'intransigeance de Minerva l'amusait autant qu'elle le fascinait.
-J’ai plus confiance en vous que vous-même aujourd’hui, dit-il. Croyez-moi si je vous dit qu’à votre âge, je n’étais pas le moitié de ce que vous êtes.
La sorcière leva un sourcil, surprise mais visiblement peu convaincue. Elle n’osa cependant pas pousser le sujet plus avant, mais ne put se retenir de s’exclamer :
-Professeur, vous allez me manquer !
Albus ne put empêcher une expression surprise de se peindre sur ses traits pendant quelques secondes. Minerva, toujours très pudique (sauf lorsqu’elle gagnait un match de quidditch) ne se laissait jamais aller à exprimer ses sentiments d’une façon aussi simple et directe, et son professeur se sentit étrangement secoué.
Depuis quelques temps déjà, il avait la sensation que leur relation dépassait le cadre de l’école. Peut-être la traitait-il comme il aurait du traiter la soeur qu’il avait perdue, par sa propre faute. Peut-être que Minerva lui donnait l'illusion d'être quelqu'un de bien, alors que ses fautes et ses errements étaient au-delà de tout rachat. Si Albus était très entouré, il était aussi très solitaire, entretenant une distance salutaire même avec ses amis les plus proches, et la jeune sorcière, du haut de ses dix-huit ans, avec ses rêves de moralité, de justice et de monde meilleur, avec sa candeur, son innocence et son intransigeance, l’ébranlait plus qu’il ne l’aurait voulu. Albus n'était guère prompt à l'admiration, et pourtant, elle ne le laissait pas indifférent.
Peut-être valait-il mieux qu’elle quitte l’école dans quelques semaines. Il ne pouvait pas la laisser s’approcher trop avant. Il pouvait être dévastateur.
-Les portes de Poudlard vous seront toujours ouvertes, répondit-il cependant, avant même d’y réfléchir.
-Merci, répondit la sorcière avec un sourire tendre.
Bientôt, elle volerait de ses propres ailes, n’aurait plus besoin de lui, et il n'aurait plus à lui mentir. A lui faire croire qu'il était une personne solide, sensée, fiable, qui se battait pour les plus faibles et dont le compas moral était infaillible et bon. Bien sûr, c'était ce qu'il aspirait à être, de tout son cœur et de toutes son âme, et Minerva, qui était si naturellement tout ce qu'il avait travaillé à devenir, le fascinait et le poussait en avant.
Et malgré ses résolutions, de ne plus intervenir dans la vie de la sorcière, son cœur se serrait un peu à la pensée de son départ.