L'Homme a toujours craint ce qu'il ne peut comprendre. Depuis la nuit des temps, il invente toutes sortes de mythes, de légendes, voire même de superstitions, pour expliquer ce qui lui échappe. Depuis la naissance du monde, la magie existe.
Mais lorsque ces exégèses ne suffisent plus à éclaircir les raisons à la noirceur d'un cœur brisé, on l'appelle tout simplement : le Mal.
Au fin fond d'une forêt perdue d'Albanie, alors que les Moldus ont déjà commencé la déforestation massive de leur pays, vivait un Clabbert.
Pour celles et ceux d'entre vous qui n'ont pas pris option Soins aux Créatures Magiques pour leurs ASPICs, le Clabbert (1) est un animal tout à fait surprenant. Bien que sa peau verte tachetée soit dénuée de tout poils, et que ses quatre pattes soient palmées comme celles d'un ornithorynque, le Clabbert n'est pas un amphibien. Non : il vit dans les arbres. Ces longs bras et jambes, solides et souples à la fois, lui prodiguent une agilité pour se déplacer d'un conifère à l'autre, qui ferait frémir de jalousie le plus beau des primates. Sa tête cornue et son sourire aux dents pointues lui donnent un air faussement sadique, alors que sur son front trône une énorme pustule. Celle-ci vire au rouge souaffle clignotant dès qu'un danger est en approche, et Merlin sait si elle a maintes et maintes fois sauvé la mise à notre petit Clabbert !
Il en avait parcouru du chemin, passant d'arbre en arbre, pour atteindre ce bois au milieu des Balkans, se nourrissant d'oiseaux et de lézards ! Il voyageait sans autre but que de se trouver une compagne, car son espèce, originaire des Amériques, était très rare dans la faune magique européenne.
Cette histoire commence lors d'une de ces journées où il ne fait pas bon mettre le nez dehors. Le Clabbert l'avait bien compris. Il avait chassé sans le moindre scrupule une famille d'écureuils de leur trou douillet dans le creux d'un tronc et s'y était installé. De là, il pouvait observer l'orage tout en restant bien au sec.
La tempête était d'une violence rare. Jamais de sa vie le Clabbert n'avait entendu un tonnerre si assourdissant. Il admirait la foudre qui fendait le ciel avec un mélange de fascination et de terreur. C'était la première fois qu'il assistait à un spectacle d'une telle épouvantable beauté.
Lorsqu'il fut tout à coup tiré de sa torpeur.
CRAC !
Le Clabbert sursauta brusquement. L'une des branches mortes se trouvant au dessus de son refuge se brisa soudain, touchée de plein fouet par un éclair aveuglant, et alla s'écraser lourdement au sol quinze mètres en contrebas. En une fraction de seconde, le feuillage de l'arbre avait prit feu.
Paniqué, le Clabbert sauta hors de son trou et se ratrappa de toute justesse à la branche d'un cyprès voisin. Il se balança pour prendre de l'élan, les muscles tendus, et bondit d'arbre en arbre aussi longtemps que nécessaire pour que le chêne enflammé ne sorte enfin de son champ de vision.
À bout de souffle, il se laissa tomber le dos contre un tronc et jeta un regard circulaire autour de lui. Il devait se trouver au plus profond de la forêt, car elle était si dense que les feuilles des arbres formaient comme une sorte de dôme, en tout cas un bouclier efficace contre le déluge de pluie.
Il n'entendait plus ni le tonnerre, ni les éclairs. En fait, il n'entendait rien du tout. Rassuré, le Clabbert se mit en quête d'un petit animal à grignoter comme repas du soir. Après toutes ces émotions, il l'avait bien mérité ! Mais après une demie-heure de chasse infructueuse, il dut se rendre à l'évidence : il n'y avait pas âme qui vive dans cette partie de la forêt.
Cette constatation l'intrigua. Normalement, les créatures, qu'elles soient magiques ou non, fuyaient les endroits habités par l'Homme. Mais cette jungle avait l'air si sauvage, si indomptée, que la menace sur deux jambes ne pouvait être la cause de cette absence de faune.
Le Clabbert continua de se déplacer de branche en branche aussi silencieusement que possible. Le calme oppressant qui régnait ici imposait le respect. Il sentait l'inquiétude grandir un peu plus en lui à chaque seconde qui s'écoulait. Les battements de son cœur résonnaient de plus en plus fort dans sa poitrine, telle une marche funèbre. Et la nuit qui tombait inexorablement ne faisait qu'aiguiser davantage ses craintes.
Il entendit soudain des sons plus loin entre les bosquets. Des voix humaines, certainement un mâle et une femelle. La pustule sur son front vira instantanément à l'écarlate, et il décida de prendre ses jambes à son cou avant que les intrus ne s'aperçoivent de sa présence en ces lieux et ne décident qu'il ferait un excellent dîner ou bien une belle descente de lit.
Une clairière lui apparut bientôt, et les voix étant devenues à nouveau inaudibles, il descendit au sol. Il avait repéré une flaque d'eau, et cette course folle pour fuir les flammes, puis les Hommes, l'avait assoiffé. L'orage était complètement passé à présent, laissant place à un brouillard épais et lugubre. La lune dans son premier quartier brillait à peine au dessus de la cîme des arbres.
Tout n'était à nouveau plus que silence. Seules quelques gouttes agglutinées sur les feuillages continuaient de tomber dans un clapotis angoissant.
Le Clabbert s'approcha de la petite mare et il plongea goulûment le museau. En entendant les voix, il avait cru que c'était bel et bien les humains qui avaient pousser les animaux à abandonner cette partie de la forêt. Mais lorsqu'il releva la tête hors de la flaque, il comprit qu'il s'était trompé.
Dans son reflet à la surface de l'eau, il vit flotter une ombre juste au dessus de son épaule, et qui se démarquait nettement de la brume blanchâtre : une forme noire monstrueuse, sertie de deux yeux rouges sang. Et ces yeux le fixaient d'un air carnassier. Sa pustule n'eut pas le temps de se mettre à clignoter, que l'ombre fondit sur lui, et le Clabbert s'enfonça alors dans de profondes et obscures abysses.