J'ai commencé à écrire cette histoire pendant la Nuit HPF du 25 mars sur le forum. Il s'agissait du second thème (celui de 21h) qui était: Nostalgie. Ce texte est une version modifiée et rallongée de ce que j'ai pu écrire. J'espère que cela vous plaira, cela faisait longtemps que je n'avais pas rédigé une fanfiction et je m'en rends compte que cela m'avait drôlement manqué.
Bonne lecture !
C’est la première fois que l’on revient depuis l’enterrement. Personne n’a mis les pieds au Terrier depuis une éternité. Nous sommes les premiers à refouler ce sol poussiéreux pleins de larmes. J’ai l’impression, furtive, que la maison de notre enfance n’existe plus. Comme si elle s’était envolée avec Grand-Père et Grand-Mère. Je recherche encore l’odeur apaisante de ses tartes qui craquaient sous la dent et de son parfum aux notes florale mais il n’y a que ce relent de cendre, rance, qui irrite nos poumons.
De l’entrée, je vois ce petit fauteuil grenouille sur lequel elle s’installait en tricotant ses pulls, aux couleurs improbables, qui nous grattaient la peau et que l’on enfilait pour lui faire plaisir, dans une drôle de cérémonie. Il y a encore ses aiguilles grises, posées sur la petite commode vernie. C’est comme si elle était encore là. J’ai envie d’y croire, de cligner les yeux et de la découvrir là, joyeuse et pétulante, un tablier blanc contre ses larges hanches. Je veux ressentir cette étreinte au gout d’éternité. Quand elle me disait de ne pas m’en faire pour les garçons, quand elle me chuchotait qu’elle était fière de moi, ses bras ronds contre mes épaules de petite fille.
Le transistor ne grésille plus, la voix criarde de Celestina Moldubec ne résonne plus dans la maison au coup de ses chaudrons. Le craquement de nos pieds sur les planches du parquet a remplacé la voix de Grand Mère. On se moquait d’elle, de sa voix qui chantait faux dans la cuisine. Quand les autres n’étaient pas là, on fredonnait ces chansons de crécelles en préparant le repas. Elle me racontait sa jeunesse et surtout, son amour pour mon Grand-père. Ses grands yeux bruns brillaient quand elle me narrait leurs premiers rendez-vous, leur maladresse, et cette chaleur dans sa poitrine. Parfois, Papy s’adossait silencieusement contre la rambarde de la cuisine et la regardait éplucher ses patates à coup de baguette. Il y avait tant d’amour dans ce regard là. Quand elle le découvrait, Grand-Mère rougissait comme une jeune fille et Grand-Père riait. La blancheur de leurs cheveux n’avait pas éteint ce brassier adolescent.
Arthur, c’était l’amour de sa vie. Il s’en est allé il y a un an déjà, après une longue journée d’été. Elle ne l’a pas supporté. Elle pouvait résister à la guerre, se battre contre les épouvantards des placards, lutter baguette contre baguette contre un mangemort s’attaquant à ses enfants, combattre la vieillesse qui raidissait ses mouvements et la rendait gourde. Elle pouvait résister à tout sauf à la mort de Grand-Père. Plus rien n’a été pareil. Elle a embrassé le chagrin et son corps s’est effondré, comme un soufflée. Elle a quitté le terrier pour l’hôpital les yeux fermés et ne les a plus jamais rouverts, sa main crispée sur son alliance. Quelques jours plus tard, elle a rejoint son Arthur dans un dernier grand saut.
On les a enterrés, ensemble, dans la concession de Loutry Saint Chaspoule. On s’était tous serrés les uns contre les autres pour les grands adieux. Une valse de malheureux sur leur tombe pas encore close. La procession mortuaire était étourdissante. Après on s’en était allé dans la maison pour un dernier repas. C’était la dernière fois que l’on s’entassait tous ensemble dans le Terrier. La nourriture était fade et on se demandait tous ce que l’on faisait encore là. Mon cœur se contracte contre mes côtes. J’aurais aimé emporter des souvenirs joyeux de cette maison brinquebalante qu’ils avaient refusé de quitter, même s’ils en avaient les moyens. Grand-Mère disait que cette maison, c’était toute sa vie. Les premiers pas de ses enfants, les seconds pas de ses petits enfants. Elle ne connaissait rien d’autre et ne voulait rien d’autre.
Je me demande ce que l’on va pouvoir bien faire de cette maison désormais. Personne ne voudra la vendre, personne ne voudra y vivre. Maman nous dit d’emporter ce que l’on veut, oncle Harry et tante Ginny s’occuperont du reste. Hugo monte aux étages, Papa descend au garage, Maman m’effleure l’épaule avant de se diriger vers le jardin. Ma main frôle la photographie animée de leur Mariage. Celle que Grand-mère me montrait quand j’étais petite. La photo aux bords jaunies laisse voir un couple hilare, ses mains à lui contre la mousseline blanche qui repose sur ses hanches, sa tête à elle renversée contre sa nuque à lui. Leur rousseur, leur bonheur éclate contre ma pupille. Dans leur regard, il y a cet amour partagé au goût d’infini. J’ai envie d’étreindre la photographie contre ma poitrine, comme la nostalgie ourlée d’un souvenir de famille. J’ai si peur de l’abimer que je la glisse dans la grande poche de ma veste, contre mon cœur. C’est comme s’ils étaient là, l’espace d’une demi-seconde.
Je m’échappe du salon et rejoins Maman dans le jardin. Elle est échouée entre les hautes herbes, sa longue robe remonte sur ses chevilles tandis que sa lourde chevelure brune se fronce contre sa nuque blanche. Elle relève la tête et sourit quand elle me voit arriver. Je m'assieds et m’installe contre elle, ma tête contre ses épaules nues.
Le soleil est déjà bien haut dans le ciel.
Grand-Mère dirait que c’est déjà l’été au terrier.