Charlie n’avait jamais eu d’enfant. C’était un fait, un mode de fonctionnement, presque un projet de vie, qui rendait tous les Weasley unanimes sur ce point bien précis : Charlie n’avait jamais eu d’enfant car il n’avait jamais pris le temps de vivre. Sa vie se résumait à deux choses: les Dragons et les Dragons. Et tout ce qui n’était pas recouvert d’écailles, ne crachait pas du feu, ou n’était pas une bête monstrueusement énorme et effrayante, mais incomprise, n’intéressait absolument pas le second fils Weasley.
A peine les ASPIC obtenues, le jeune sorcier s’était envolé en Bulgarie pour commencer ses études supérieures: observer les dragons, leur comportement, leur caractère, et leur instinct…. tout ce qui les rendait si uniques. L’apprentissage avait duré sept longues années. Sept années à tourner entre Bulgarie, Roumanie et Croatie. Chaque pays avait apporté son lot d’exigence, de trouvailles et d’Euphorie. Le diplôme de Soigneur de Dragon, puis celui de Dresseur en poche, les pays avaient commencé à défiler pour le jeune Anglais qu’il était. Birmanie, Mongolie, Laos, Myanmar, puis le Cambodge. Là-bas, sa vie avait pris un tournant décisif. Il ne tenait qu’en un mot. Deux pour être exact. Evelyn Banes. Elle était américaine de naissance, possédait de grands yeux en amande d’un noir obscur, avait quelques années de plus que Charlie, et tout comme lui, les dragons étaient sa raison de vivre. Entre eux, le coup de foudre avait été immédiat, et le Cambodge était devenu leur maison, leur patrie, depuis presque dix ans maintenant.
Happés par leur travail, les deux amoureux des écailles n’avaient jamais pris le temps de s’interroger sur les perspectives d’avenir, sur leurs perspectives d’avenir, et la décennie s’était écoulée aussi vite qu’elle avait commencé. Proche des quarante ans, Evelyn ne pouvait plus avoir d’enfant… peut-être n’avait-elle même jamais pu en avoir… ce détail avait cessé de la hanter le jour où Charlie lui avait dit que jamais il ne lui demanderait d’enfant. Cette phrase avait été dite pour ne pas blesser Evelyn, et le temps avait filé comme une comète dans le ciel, et tout deux n’en avaient plus jamais reparlé. Ils vivaient en paix, heureux, entourés de dragons, leurs enfants d’adoption, dans leur petite maison au bord du Mékong, à sillonner l’Asie du Sud-Ouest pour leur passion. Et puis, de nouveau la vie en avait décidé autrement. Le second tournant décisif dans la vie de Charlie avait débarqué un matin de juillet 2015. Des yeux bleu azur, de longs cheveux blonds comme les blés, un regard farouche, de petites manières de citadine, Victoire Weasley était arrivée sur un coup de tête. Sa jeune nièce avait tout quitté à Londres pour venir passer la saison d’été avec lui et Evelyn.
Lorsque son frère aîné l’avait appelé pour annoncer l’arrivée de Victoire, et voir si cela ne les dérangeait pas, Charlie n’avait pas fermé l’œil de la nuit, angoissé par de telles perspectives de responsabilité. Veiller sur une adolescente, une enfant presque, ça ne lui était pas arrivé depuis que ses jeunes frères étaient en couche-culotte à lécher le fond des assiettes après avoir engloutit les parts de tarte au chocolat. Avait-il encore les repères, les bons repères, pour aider sa nièce à trouver des réponses ? Bill lui avait touché quelques mots sur les états d’âmes de Victoire. Visiblement, la jeune adolescente avait eu quelques baisses de régime ces derniers mois, et sa sœur, Dominique, n’y était pas étrangère. Charlie savait mieux que quiconque ce que c’était que de se retrouver écrasé par un caractère fort, il en avait longtemps fait les frais entre Bill et Perçy… Et Victoire, la douce Victoire, devait sans doute céder aux caprices de ses jeunes frère et sœur, au point de s’en oublier elle-même. Aucun doute que cette virée loin du monde, loin de tout, lui ferait le plus grand bien.
Sauf que Charlie ne voulait pas que sa nièce oublie ce pourquoi elle était venue jusqu’à lui… dans cette contrée exotique, presque sauvage, il savait que si elle l’avait choisi lui, et pas une de ses tantes sur la côte d’Azur ou à Versailles, c’était parce qu’elle avait besoin d’un retour aux sources, de quelqu’un qui lui montrerait comment vivre avec ses désirs, ses qualités et ses défauts, de quelqu’un pour lui apprendre à faire ce qui lui plaisait -peut-être même de lui montrer la voie, sa voie- et qui mieux que Charlie Weasley, le plus indomptable des Weasley, pouvait le lui montrer ?
L'équilibre sous les écailles… c’était ça que Charlie voulait montrer à sa nièce.