Il n’est pas rare que mes petits-enfants me demandent de raconter mes souvenirs. Ils savent que j’ai participé à la bataille de Poudlard, même si je ne m’en vante jamais, ils ont croisé mon nom dans certains ouvrages. Ce soir, l’aînée de mes petits-enfants vient m’interroger sur la reconstruction. Elle a un devoir à rendre en Histoire de la magie et trouve judicieux de poser quelques questions à son bon vieux grand’pa Dean. Un témoignage de première main.
La reconstruction... que puis-je lui dire qui n’est pas dans les livres ? Que puis-je lui raconter, lui apporter de plus par mon témoignage ? Sans doute ce vieux souvenir... ce très vieux souvenir qui résume si bien cette période, cet état d’esprit que nul livre d’Histoire ne peut expliquer.
C´était tout juste après la guerre,
Dans un petit bal qu´avait souffert.
Sur une piste de misère,
Y´en avait deux, à découvert.
Parmi les gravats ils dansaient
Dans ce petit bal qui s´appelait
Qui s´appelait
Qui s´appelait
Qui s´appelait.
Après l’euphorie de la victoire, était venu le temps de la réparation, de la reconstruction. C’était une atmosphère étrange que cet après-guerre, ce mélange d’allégresse et de désolation. Au milieu des ruines, nous fêtions la fin du conflit dès que l’occasion s’en présentait, mais le cœur n’y était pas toujours. Je m’en rappelle bien... Malgré tout, nous aspirions tous à la joie, pour oublier nos peines, pour laisser l’année de terreur derrière nous. Mais où que nous posions les yeux, nous ne pouvions que voir les cicatrices de ce conflit, ce qui rendait difficile l’oubli de nos propres meurtrissures. Un mur démoli me renvoyait à la bataille de Poudlard. Les traces laissées par des sorts ici ou là me ramenait à la mort de Ted Tonks...
Et pourtant nous voulions revivre. Nous voulions aller de l’avant. C’était le but de ces festivités. Ce petit bal de sorcier improvisé à Pré-au-lard, au milieu de la ville ravagée, un soir de mai, avait été salutaire.
Non je ne me souviens plus
Du nom du bal perdu.
Ce dont je me souviens
C'est de ces amoureux
Qui ne regardaient rien autour d´eux.
Y´avait tant d´insouciance
Dans leurs gestes émus,
Alors quelle importance
Le nom du bal perdu ?
Non je ne me souviens plus
Du nom du bal perdu.
Ce dont je me souviens
C´est qu´ils étaient heureux
Les yeux au fond des yeux.
Et c´était bien
Et c´était bien.
Mes souvenirs de cette soirée sont flous, c’était il y a si longtemps, mais sur la piste de danse improvisée au milieu des décombres, parmi les rares danseurs, un couple a capté mon attention. Un couple tout jeune, un couple récent, un couple respirant le bonheur, l’amour. Ils semblaient si étonnés d’avoir survécus à cette année, si heureux d’être toujours là, tous les deux. Elle... elle était si vaporeuse, si vivante, ses cheveux blonds virevoltant avec grâce à chaque pas, et lui... lui avait un sourire éclatant, le regard empli de passion, il semblait si heureux de vivre.
Ils avaient vu tellement d’horreur lors de la bataille dans laquelle ils s’étaient plongés malgré leurs jeunes âges. Ils avaient besoin de l’insouciance de cette soirée, besoin d’oublier un peu le contexte terrible de ce bal et il n’y avait qu’une seule chose qui comptait en cet instant : c’était eux. Ils ne voyaient plus le décor désolant, ils n’avaient d’yeux que l’un pour l’autre. Ils étaient vivants et amoureux et ce soir-là c’était la seule chose qui leur importait, tout le reste n’existait plus, ils ne voulaient voir que leur bonheur.
Leur tendresse contrastait tant avec le décor qui les entourait que je n’ai jamais pu les oublier. Ils semblaient si insouciants, si jeunes, si heureux... comme un couple qui n’avait jamais connu la guerre.
Ils buvaient dans le même verre,
Toujours sans se quitter des yeux.
Ils faisaient la même prière,
D´être toujours, toujours heureux.
Parmi les gravats ils souriaient
Dans ce petit bal qui s´appelait
Qui s´appelait
Qui s´appelait
Qui s´appelait
Entre deux danses, ils sont allés se désaltérer, partageant une Bièraubeurre. Ils semblaient évoluer dans un autre monde, loin de ce pays convalescent qui était pourtant le leur. Les murs brûlés, les vitres brisées semblaient invisibles à leurs yeux. La seule chose qu’ils voyaient, la seule chose qui comptait était le regard de l’autre, et ils y voyaient la même chose, la promesse de bonheur. Pour rien au monde ils ne voulaient briser la parenthèse enchantée qui était la leur en posant les yeux sur le décor de désolation qui les entourait.
Non je ne me souviens plus
Du nom du bal perdu.
Ce dont je me souviens
C'est de ces amoureux
Qui ne regardaient rien autour d´eux.
Y´avait tant d´insouciance
Dans leurs gestes émus,
Alors quelle importance
Le nom du bal perdu ?
Non je ne me souviens plus
Du nom du bal perdu.
Ce dont je me souviens
C´est qu´ils étaient heureux
Les yeux au fond des yeux.
Et c´était bien
Et c´était bien
De cette soirée je n’ai gardé que l’essentiel, le bonheur de ce garçon, de cette fille. Ils n’étaient encore qu’adolescents et avaient déjà tellement souffert. Mais ce soir-là, ils étaient la promesse d’un avenir. De l'avenir radieux d’un monde qu’il fallait reconstruire. Ils n’avaient que peu de temps à consacrer à leur amour naissant, ils travaillaient à rendre Poudlard accueillant pour la rentrée et la tâche n’était pas aisée. Ils étaient fatigués de leur dur labeur, fatigués des funérailles qui se succédaient, fatigués des larmes qui coulaient sur leurs joues, sur celles de leurs proches.
C’était peut-être égoïste de leur part, mais ce bal improvisé leur était salvateur. Plongés dans les yeux l’un de l’autre, leurs soucis semblaient s’être envolés. Plongés dans les yeux l’un de l’autre, ils avaient décidé d’être heureux. Plongés dans les yeux l’un de l’autre, ils s’insufflaient le courage d’affronter la dure réalité pour rebâtir le monde.
Le contraste était saisissant, entre ce triste passé si récent et ce futur enchanteur qui semblait si proche. Ce futur que l’on pouvait toucher du bout des doigts en les regardant évoluer sur la piste.
Et puis quand l´accordéoniste
S´est arrêté, ils sont partis.
Le soir tombait dessus la piste,
Sur les gravats et sur ma vie.
Il était redevenu tout triste
Ce petit bal qui s´appelait,
Qui s´appelait
Qui s´appelait
Qui s´appelait
Comme chaque parenthèse celle-ci eut une fin. La musique s’était tue. Le jeune couple partit et l’enchantement provoqué par leur présence, par leur grâce avait cessé. Plus rien ne permettait de détourner l’attention de ce décor désolant, les décombres étaient redevenus le centre de l’attention. Leur vision était pénible, encore plus pénible qu’avant. La tristesse étaient redevenue le maître mot de ce lieu qui, quelques instants plus tôt, avait été le théâtre de la beauté de l’amour, de la promesse d’un avenir radieux. Il ne semblait plus si aisé de tourner la page.
Non je ne me souviens plus
Du nom du bal perdu.
Ce dont je me souviens
C’est de ces amoureux
Qui ne regardaient rien autour d´eux.
Y´avait tant de lumière,
Avec eux dans la rue,
Alors la belle affaire
Le nom du bal perdu.
Alors ce couple, je l’ai en quelque sorte suivi pour profiter de leur état de grâce, ils étaient un peu la lumière au bout du tunnel. Tandis qu’ils retournaient à Poudlard où ils logeaient, comme bien d’autres, pour aider dès les premières heures, j’inspirais leur aura de bonheur afin de prolonger la magie de cette soirée.
C’était cela la reconstruction, des petites parcelles de bonheur qui insufflaient de courage de se relever le matin pour affronter les stigmates de la guerre. Ces instants magiques qui nous montraient que la vie valait le coup d’être vécue. Ces parenthèses enchantées qui nous rappelait que la meilleure façon d’honorer ceux qui étaient tombés était de vivre. De vivre pleinement.
Non je ne me souviens plus
Du nom du bal perdu.
Ce dont je me souviens
C´est qu´on était heureux
Les yeux au fond des yeux.
Et c´était bien
Et c´était bien
Lorsqu’elle me laissa seul, je me replongeais encore plus dans ce souvenir. Je n’avais pas été tout à fait honnête avec ma petite fille. Effectivement je ne saurais dater avec exactitude ce petit bal, je ne saurais en retrouver le lieu, mais, ce couple n’était pas n’importe quel couple.
Si je pouvais me projeter autant dans le ressenti de ces amoureux, c’est parce que c’était moi, parce que c’était elle et que nous étions tellement heureux et épris l’un de l’autre. Même si notre histoire est finie depuis longtemps, je garde une immense tendresse pour Luna, parce que nous étions bien, notamment ce soir-là, surtout ce soir-là, malgré les traces de la guerre récente. Luna qui m’a gardé debout dans cet après-guerre. Luna, ma petite fée. Nous étions bien, oui c’était bien...