Chapitre 1 : Electric Sheeps
If we are all in the gutter, it doesn't change who we are
'Cause some of us in the gutter are looking up at the stars
Goods guys, Mika
PRISE EN FLAG !
Je me donne actuellement à fond pour mon nouvel album. Exclusif : Patil trouve l'inspiration musicale en écartant les jambes.
C'est puant la baise que Parvati Patil sort de la maison victorienne/chicos-sa-mère de notre branleur préféré d'acteur (un bien grand mot pour si peu de talent) Cormac MacLaggen ce matin à huit heure vingt-trois très précisément. Elle rejoint prestement sa oh-so-stylish Mini (voir photo ci-dessous), qui, ne nous le cachons pas, à le don de nous faire baver. Chers lecteurs, voici la vérité dans toute sa cruauté : nous, nous ne gagnons pas 10 000 livres en portant un tailleur Chanel donc nous n'avons pas cette MINI ROSE AVEC L'UNION JACK (#royaliste-ma-chèèère) DESSUS !
Loin de se consacrer à son nouvel album, Love in a mist, à paraître prochainement, Parvati nous démontre donc que l'on peut changer de plan c... pardon, boyfriend, toutes les deux semaines et s'en porter fabuleusement bien - un léger boitillement sur ses talons aiguilles de dix centimètres mis à part.
Dans sa récente interview au World Today – dernier bastion contribuant à la sauvegarde de la dignité du monde britannique - Patil déclarait d'ailleurs qu'elle ne s'était jamais sentie aussi épanouie…
Je hais ma vie.
"Drago, tu as bientôt fini ta rubrique sur Patil ?
Les douze cadavres de mes gobelets de cafés s'accumulent sur mon minuscule bureau. J'ai déjà dépensé cinq livres soixante en boissons caféinées en tout genre. Comme tous les matins à 11h29, je suis au bord du suicide.
- Presque, je grommelle.
Le mec en costard Hugo Boss qui pue l'amidon, chaussures italiennes tellement lustrées qu'il doit pouvoir se regarder dedans et coupe de dandy londonien qui passe plus de temps à la manucure qu'à des expos d'art (mais qui fait croire à tout le monde que l'art contemporain c'est TOUTE SA VIE, d'ailleurs il a le pass à l'année au Guggenheim), c'est mon boss. A la base, Blaise Zabini dirige une revue branchée que tous les hipsters et autres barbus à la recherche de tendance s'arrachent. Seulement, les affaires n'étant pas si bonnes (le swag hispteurisé ne vend pas, quelle tragédie !), il a dû trouver un moyen de renflouer les caisses.
Il s'est longuement interrogé : de quoi le londonien moyen avait besoin pour se remonter le moral, le soir, après une longue et ennuyeuse journée de travail ? Visiblement pas d'articles sur les vertus de l'aubergine, ni sur les disquaires de Soho… Finalement, il a fini par se rendre à l'évidence : les romains avaient eu raison dès le départ. Les masses - entendez par là le commun des mortels, ces gens ni vegan ni collectionneurs de polaroids - ce qu'elles veulent, c'est du sang.
La solution c'est donc imposé à lui comme une évidence.
Le gossip.
Et encore, c'est un peu trop élogieux pour ce qu'on fait ici. Le scandale, le crade, la honte et l'humiliation… Voilà de quoi nous vivons.
Vous croyiez vos secrets bien gardés ? Vous allez rapidement déchanter. Drogues, alcoolisme, infidélité, sex tape, violence… Quel que soit votre vice, nous nous chargerons de le dévoiler à toute l'Angleterre. Prenez garde, célébrités, l'opprobre vous guette !
Notre devise ? Tout se sait.
Bienvenue à The Sunny Time, le tabloïd préféré des Londoniens.
11h30 : mon suicide est annoncé. Mon article n'est qu'à demi terminé, la machine à café a rendu l'âme et j'ai besoin d'un rail de coke.
"Envoyez vos articles ! gueule Goyle.
Tout doit être prêt pour être envoyé à l'impression à midi. Dès quatorze heures, les Londoniens pourront se régaler sur les dernières levrettes de Lee Jordan ou la rehab de Romilda Vane.
L'inspiration me fuit. Voyons, voyons, réfléchis Drago, comment terminer un article calomnieux sur Parvati Patil, notre Kim Kardashian british ? C'est pourtant pas très compliqué, tu l'as fait des milliards de fois !
Option 1 : la sortie sobre en saluant le lectorat bien bas. Sadiquement vôtre, DM.
Option 2 : la sortie trash mais pas suffisamment pour que Zabini censure. Néanmoins, une question, essentielle et primordiale, reste à être posée, et je regrette que mes confrères du World Today ne l'aient pas soulevée : Parvati Patil portait-elle une culotte lors du Gala d'hiver de la fondation Greengrass ? Les anglais veulent savoir !
Option 3 : la sortie définitivement trop trash. Je laisse tomber.
Courage Drago ! Bientôt la délivrance de la pause du midi ! Je rêve déjà de mon double cheeseburger, à déguster de préférence dans la cafétéria devant la secrétaire de Zabini récemment convertie au veganisme.
Je tape frénétiquement sur le clavier de mon ordinateur pour finir ma rubrique sur Patil. J'appuie sur envoyer sans même avoir relu mon article. Ah quoi bon ? Ce n'est pas comme si un lecteur allait appeler le rédacteur, indigné, en se plaignant de l'orthographe déplorable de ses journalistes.
Je m'appelle Drago Malefoy, journaliste au Sunny Time... Et je hais ma vie.
The Electric sheep est un de ces bars minables de Londres où l'alcool suinte des murs. Au mur, des tableaux d'androïdes et de robots aux couleurs étranges. La première fois que je suis venu ici –trainé par Zabini, apparemment c'était LE bar trendy et décalé - j'avoue que j'ai presque eu peur. Depuis, l'endroit est tombé dans l'oubli et les ivrognes ont remplacés les hispters. C'est donc le genre d'endroit parfaitement glauque où je peux noyer mon cynisme en toute tranquillité. Oublier un instant que j'ai définitivement raté ma vie en devenant un journaliste de tabloïd. Enfin presque...
"Drago, quelle bonne surprise !
Oh. Bloody hell.
Terrence Higgs, un ancien camarade de la fac. Toujours cet air de mec qui prend trop de LSD, mais avec sept ans de plus.
Je déteste croiser d'anciens camarades de fac. Ils se rendent rapidement compte que le Oh si grand et si vantard Drago Malefoy je-deviendrais-le-prochain-Oscar-Wilde est devenu un minable journaliste de gouttière ! Bref, l'occasion de me rappeler à nouveau à quel point je suis pathétique.
- Terrence ! Quel plaisir ! je m'exclame avec mon plus beau sourire hypocrite.
Bon, barre-toi maintenant. Laisse-moi pleurer sur mon misérable sort.
- Alors, qu'est-ce que tu deviens toi... ? me demande t-il en commandant un cocktail au bar, visiblement pas décidé à s'en aller. Arghhh…
La soirée s'annonce longue.
C'était sans compter le pouvoir fédérateur de l'alcool. Trois long island plus tard (mon salaire du jour a probablement dû y passer), nous sommes redevenus les deux étudiants d'autre fois.
- Et là... là il m'a dit... attention parce qu'il m'a dit... "Te paye pas de ma tête, connard !"
Je ricane bêtement. Il est drôle Higgs, finalement. Soudain, prit par l'émotion, je tente de me souvenir à quoi il ressemblait à l'université. Je me rappelle vaguement d'un type qui écoutait The killers en boucle dans sa petite voiture en fumant des joints.
- Tu devineras jamais ce que je fais maintenant dans la vie ! s'exclame-t-il soudain.
Je l'observe avec mes yeux embués par l'alcool. Il a troqué ses t-shirts Green Day d'autrefois pour un costard trois pièces de chez Armani.
- Je suis contrôleur de gestion ! s'esclaffe t-il. Je hais ce boulot. Le midi avec les collègues on ne parle que de risque de l'actif économique, de structure financière et de valeur actuelle nette d'un investissement. Mais bon, ça me permet d'aller me faire dorer à Ibiza avec Susan tous les étés.
- On finit tous un jour ou l'autre par jeter nos rêves à la poubelle.
- Le cynisme ne te va pas, Drago.
- La vie m'a fait comprendre que l'idéalisme non plus.
- La vie est vraiment une salope. Oh, why did I gave up so soooooon ?
Il s'est mis à chanter dans un accès de mélancolie. Les clients du bar commencent à nous jeter des regards torves.
- C'est bon, ça dégage, grommelle le barman en nous virant du bar.
Il balance Terrence sur le trottoir, qui trébuche et se ramasse par terre.
- Enfoiré ! s'écrie Higgs.
J'ai envie de rire. Le ciel et la terre tournent, je suis au paradis des moutons électriques et j'ai une chanson idiote de Patil dans la tête. If you want me to looooove you, just come and we will be an item, foreveeeeeeer, you and meeeeeeeeee !
Dans ma vie, au fond, je n'avais que deux options : devenir un auteur à succès en balançant mes tripes sur le papier, ou déambuler dans les rues de Londres à quatre heures du mat' complètement bourré en chantant du Patil avec un ancien camarade de fac.
Higgs gesticule à présent pour attirer l'attention d'un taxi. D'un coup, j'ai froid.
Foreveeeeer… you and meeeeeee ! I will love you like no one else before, why do you feel so insecure ?
Soudain, le monde bascule et je me retrouve la tête dans le caniveau. Your righful place, dirait cette connasse d'Hermione Granger, rédactrice en chef du oh-so-respectable World Today.
Un type aux yeux verts me relève, et commence à s'agiter autour de moi pour me demander si tout va bien. J'ai le tournis. Dans un sursaut de conscience, je me fais la réflexion qu'il ressemble à quelqu'un que je connais, avant de déverser mon estomac sur la chaussé.
Black out.
Vous vous demandez sans doute comment j'ai fini là, à ce poste minable au Sunny Times, au lieu d'écrire des romans à m'en détruire la santé.
C'est simple. Après la fac, j'ai commencé à écrire comme un fou. Je me suis enfermé chez moi pendant des mois pour écrire. Jamais je n'avais travaillé avec tant d'ardeur et passion. Puis j'ai envoyé mes manuscrits à toutes les maisons d'édition d'Angleterre mais aucune ne m'a jamais répondu. Les premières fois, je ne me suis pas découragé, mais plus le temps passait et moins j'y croyais. J'étais fauché, il me fallait un boulot. Alors j'ai accepté l'offre de Zabini qui avait lu un de mes manuscrits et avait trouvé que j'avais "un certain style". Tu parles.
Ca fait maintenant trois ans que je travaille au Sunny Times, trois ans que j'ai arrêté d'écrire. Je n'ai plus d'inspiration, plus de motivation. Parfois, j'essaie de me mettre devant mon ordinateur pour écrire à nouveau, pondre un de ses passages géniaux dont j'avais le secret à la fac, mais je n'y arrive plus. Ils ont écrasé mes rêves, les ont réduits en cendres.
Je ne suis plus qu'un minable journaliste bon à écrire des rubriques dans le pire tabloïd de la capitale.
Mes rêves envolés, je me retrouve prisonnier d'une vie sans passion et je noie mon chagrin dans le tabac et l'alcool.
J'ai tellement mal à la tête après ma cuite d'hier soir que j'ai l'impression que Patil et ses danseurs se sont ramenés dans mon cerveau pour y tourner son nouveau clip avec deux bimbos en trikini. L'arrivée au bureau ce matin a été compliquée.
« Bien dormi, Drago ? m'a fait Mandy, goguenarde, en me voyant débarquer avec les vêtements de la veille et les cheveux en désordre.
Comment faire une Walk of Shame sans même avoir pu baiser, par Drago Malefoy. Hier soir, Terrence a eu la présence d'esprit de me ramener ivre mort chez lui au lieu de me laisser agoniser dans le caniveau. Je me suis réveillé en catastrophe à 8h30 et je n'ai bien sûr pas eu le temps de rentrer chez moi pour me préparer.
A onze heures, mon article délicieusement sadique sur les minis jupes de Su Li est prêt et j'ai envie d'aller me griller une clope. Malheureusement, c'est le moment que choisit Zabini pour débarquer dans mon bureau.
- J'ai Harry Potter dans mon bureau. Il veut te voir.
What ? Harry Potter ? Harry fucking Potter ?
Imaginez juste un instant cette personne que vous admirez. Que vous admirez vraiment... Beaucoup. Genre... Vraiment beaucoup. Vous visualisez ?
Je ne ressens rien de tout ça pour Harry Potter. Non, en vérité, je le déteste. Pourquoi ? La réponse est pourtant simple.
Parce que Harry Potter est un auteur bien plus brillant que moi. Pire, ce type est un pur génie. Un écrivain hors pair, qui jongle avec les mots mieux que Patil avec ses paires de strings, un artiste du mot, un poète sans égal. Son dernier livre Voyages aux portes de l'absence est un pur chef d'œuvre. Le genre de livre que vous ouvrez pour ne plus jamais le refermer, dont vous lisez parfois quarante fois la même page et que vous gardez bien au chaud dans votre table de nuit. Une espèce de cocaïne légale.
Bref, Harry Potter est un très, très bon écrivain. Et je le hais, parce qu'il a réussi là où j'ai échoué. Ce qui ne m'empêche pas d'avoir un orgasme à chacune des pages qu'il écrit.
Et, pour ça, je le hais encore plus.