Les Dursley s’étaient montrés inhabituellement généreux. Alors qu’ils s’apprêtaient à quitter la maison pour se rendre à un rendez-vous d’affaire, aucun d’entre eux ne se tourna vers Harry pour l’enfermer dans sa chambre. A vrai dire, ils ne lui dirent pas un mot et s’engouffrèrent avec enthousiasme dans la voiture de Vernon.
Harry regarda la voiture s’éloigner, songeant qu’ils avaient encore une fois été distraits par leur avidité. En effet, l’employeur de Vernon l’avait invité chez lui, où avait lieu une rencontre « de la plus haute importance » avec de grands investisseurs.
La soirée devant lui, Harry alla se poser dans le salon avec la ferme intention de profiter de ces quelques heures de liberté. Il décida de chercher la clé du placard où étaient cachées toutes ses affaires de cours, espérant que pour une fois il pourrait avancer quelques devoirs.
Le jeune homme commença ses recherches dans l’entrée, en fouillant quelques tiroirs. Finalement, il choisit de braver un interdit supplémentaire : le bureau de son oncle. A l’intérieur, un large bureau était couvert de paperasses en tout genre, une armoire vitrée sur sa droite. A l’intérieur de l’armoire se trouvait effectivement une petite clé, cachée dans une boîte, elle-même dans une boîte…
Harry avait tout de même passé une petite demi-heure dans le bureau, et il poussa un léger cri de joie devant sa victoire. Cependant, en se retournant vivement pour aller dans le couloir, il se cogna contre le bureau et renversa une pile de papiers auparavant bien ordonnés.
Le garçon grimaça, imaginant les réactions de sa famille s’ils venaient à apprendre qu’il leur avait désobéit. Il se baissa donc dans un soupir las et commença à rassembler les dossiers épars. Son regard fut attiré par quelques courriers, et il ne pu s’empêcher d’y jeter un coup d’œil. La plupart étaient absolument inintéressants, avec un nombre impressionnant de la part de Marge, la douce sœur de son oncle. Finalement, Harry contempla la dernière lettre en date. Il s’agissait d’une invitation à la présente soirée de la part du directeur de son oncle. Harry du la relire plusieurs fois pour que les informations écrites noir sur blanc s’impriment bien.
« Mr Dursley,
J’ai le plaisir de vous inviter à une réunion de la plus haute importance le 12 juillet, à 19h chez moi. Ma femme et moi accueillons de potentiels investisseurs, très importants dans le milieu des affaires. J’espère pouvoir compter sur votre présence pour leur assurer du sérieux et du grand potentiel de notre entreprise. Il serait de bon goût que votre famille soit présente : les Malfoy considèrent la loyauté familiale comme de la plus haute importance, et laissent leur fils participer à leurs décisions. Je crois me souvenir que votre propre fils a le même âge que lui ; sans doute pourront-ils s’entendre.
J’attends donc votre réponse avec impatience.
Cordialement,
J. Brook. »
Harry resta assis à même le sol du bureau de son oncle, à relire la même phrase encore et encore. « Les Malfoy considèrent la loyauté familiale comme de la plus haute importance ». « Les Malfoy considèrent la loyauté familiale comme de la plus haute importance ». « Les Malfoy… »
Harry se releva d’un bond nerveux. Le courrier froissé dans son poing fermé, il s’élança vers le salon. Armé de sa petite clé, il récupéra sa baguette ainsi qu’un peu d’argent, puis se rua vers la sortie. Loin de ses peurs de troisième année, il agita fièrement sa baguette dans la rue, bien campé sur ses jambes. Il n’eut pas à attendre bien longtemps avant de voir arriver le MagicoBus, seulement éclairé de quelques lampadaires. Avant que la porte ne s’ouvre, Harry ne put s’empêcher de jeter un coup d’œil de l’autre côté, songeant au chien noir qu’il avait aperçu quelques années auparavant. Son cœur se tordit et le garçon du se mordre légèrement les lèvres pour garder contenance. Finalement, le salut enthousiaste de Stan le ramena au présent.
- - « Mais ce serait pas le jeune Londubat ! Hé Ernie, tu t’souviens d’Londubat ? J’l’avais reconnu, j’avais bien raison c’jour là, hein ! Bon mon p’tit gars, tu vas pas camper dehors si ? T’as pas de bagages c’te fois ? Allez, allez ! Ca fera trois mornilles ! Ernie, met les gazes !
- - Les gazes, les gazes ! » ricanèrent les trois têtes coupées.
Sans même y penser, Harry s’assit et s’agrippa à son siège, anticipant le brusque départ du bus. Il fouilla dans ses poches et tendit trois mornilles au jeune homme, qui n’avait cessé de le fixer. Il réalisa alors qu’il ne savait même pas où il voulait aller, et contempla bêtement la lettre froissée qu’il tenait toujours dans les mains. Il ne connaissait pas l’adresse du patron de Vernon, et elle n’était apparemment pas indiquée sur le bout de papier. Dans une grimace, il se résolu à trouver un autre moyen pour s’y rendre quand Stan interrompit ses pensées.
- - « Et alors, tu vas où c’te fois ?
- - Chez Mr Brook, le directeur d’une entreprise de perceuses…
- - T’entends ça, Ernie ! s’écria-t-il, on va chez M’sieur Brook ! Le directeur de l’entreprise de perrieuses !
- - Non, perceuses, le reprit Harry doucement.
- - Oui, voilà ! C’est le plus près d’ici, on va t’déposer bientôt p’tit ! Juste le vieux Mavlo, puis toi ! Oï, Mavlo, prépare-toi à la descente ! »
Un vieil homme à l’air nauséeux hocha vaguement la tête, le corps tout entier enroulé autour de la barre de sécurité. Quelques secondes plus tard, le bus s’arrêta, et Stan aida vivement le pauvre homme à sortir, l’abandonnant dès la dernière marche franchie. Il tourna alors son attention vers Harry.
- - « La dernière fois, tu posais des questions sur Black, non ? C’te criminel nous en aura fait voir, hein ! J’ai lu qu’tu l’avais rencontré ? La frayeur, hein ! Enfin, c’est qu’il est mort y a quoi, deux, trois semaines ? C’est pas une perte, hein, encore que c’était un héros pour certains ! Je te le dis, de toi à moi, Tu-Sais-Qui a peut-être perdu son serviteur, mais j’suis sûr que sa mort va motiver d’autres à le rejoindre. C’doit quand même être un gros soulagement pour Dumbledore, hein ! Hey Ernie, le Black tu l’as eu dans le bus ? »
Heureusement pour Harry, le conducteur n’eut pas à répondre ; ils étaient arrivés.
Harry sortit du véhicule démoniaque à toute vitesse, manquant de s’étaler sur le goudron de ce quartier bourgeois. Stan lui offrit un clin d’œil qui aurait pu vouloir dire tout et son contraire, et le jeune homme fut à nouveau seul, planté la baguette à la main devant une maison qui somme toutes, ressemblait grandement à celle de son oncle et sa tante. Une voiture qu’il n’aurait pu qualifier autrement que de luxueuse était garée à côté de celle de Vernon.
Harry déglutit, puis s’engouffra dans l’allée sans plus réfléchir. Il n’en avait pas le temps. Sans prendre la peine de toquer, il ouvrit la porte d’entrée si fort qu’elle claqua contre le mur, faisant taire les voix qu’il avait eu le temps de percevoir. Il s’élança alors dans leur direction, dépassant quelques pièces fermées avant de déboucher dans un salon confortable. Dans celui-ci, huit paires d’yeux se tournèrent vers lui avec une égale surprise, plus ou moins présente sur les visages de son audience.
Il avait heureusement eu le bon réflexe de cacher sa baguette dans sa manche, se souvenant au dernier moment que le Ministère apprendrait immédiatement un quelconque écart de sa part devant des moldus. De toute façon, il se tenait suffisamment prêt pour pouvoir la dégainer au moindre signe de danger.
Harry ne put qu’entendre le hoquet horrifié de Pétunia, et apercevoir la bouche grande ouverte de stupéfaction de Dudley. Vernon, lui, s’était levé en renversant son fauteuil derrière lui, le visage rouge de colère. Les hôtes, pour leur part, regardaient tour à tour les Dursley et le jeune homme étrange qui venait de s’engouffrer chez eux, attendant visiblement une explication. Monsieur Brook semblait se restreindre pour le bénéfice de ses autres invités, qui étaient restés assis, les yeux levés vers le brun. Eux aussi avaient l’air d’attendre quelque chose, et Harry remarqua immédiatement la façon dont la main de Draco s’était glissée vers une poche intérieure, stoppée d’un coup sec sur le poignet de la part de sa mère, assise à côté de lui. Finalement, Vernon sembla retrouver ses mots. Il se tourna vers son hôte, visiblement embarrassé, et tenta de faire les présentations.
- - « Monsieur Brook, Madame… C’est mon neveu, Harry. Il est… Excusez-le, il ne sait pas vraiment ce qu’il fait, le pauvre, il ne comprend pas tout.
- - C’est vrai ! s’exclama Pétunia, une affreux sourire collé sur le visage. Il s’inquiète quand il est tout seul, alors on lui avait donné l’adresse, pour le rassurer. Je ne pensais pas qu’il viendrait.»
Elle se leva et se rapprocha d’Harry, jusqu’à le serrer contre elle. Sa main sur son épaule le serrait si fort qu’il se retint de grimacer. S’il voulait survivre à cette soirée, il allait devoir jouer finement, autrement il allait encore se retrouver enfermé avec des barreaux à sa chambre. A ce point-là, les Malfoy n’étaient plus son soucis majeur – ils n’avaient encore rien dit, et personne n’était mort. Par contre, il évitait de regarder Malfoy junior : il imaginait déjà les rumeurs qu’il allait pouvoir lancer à Poudlard. Le grand Potter, qui avait peur de rester seul !
Vernon regardait Harry comme s’il attendait quelque chose de sa part, et lui promettait les pires tortures s’il n’obtempérait pas. Il n’eut heureusement pas à se prononcer immédiatement, le directeur de l’entreprise se donnant soudainement une tape sur le front.
- - « Mais oui ! Grands dieux, Vernon, j’avais oublié ! Ton neveu, mais oui, tu m’en avais déjà parlé. Ton fils devait avoir… Douze ans ? Nous discutions tous les cinq dans ton salon, quand ce garçon est arrivé et a renversé une pièce montée sur la tête de ma femme ! »
Celle –ci poussa un cri soudain cri d’horreur, et regarda Harry avec un dégoût profond inscrit sur le visage. Brook prit un air songeur et se frotta le menton, observant le jeune homme avec suspicion.
- - « Elle a peur des oiseaux depuis ce jour-là, c’est étrange… »
Harry retint difficilement un gloussement, qui fut malheureusement remarqué par le trio Malfoy. Narcissa haussait un sourcil d’un air interrogatif, les deux autres ayant échangé un regard pensif. Finalement, le brun réalisa qu’il allait devoir s’expliquer avant d’être renvoyé chez lui, ce qui ne pouvait arriver.
- - « Oui, voilà, j’étais tout seul et je m’inquiétais. J’avais peur que mon oncle et ma tante ne se fassent attaquer ici. La famille est tellement importante pour nous… »
Là, il savait qu’il les avait coincés. Les Malfoy étaient peut-être les seuls à avoir compris le message principal, mais jamais on n’allait lui demander de partir ensuite. Brook voulait faire preuve d’une grande loyauté familiale ce soir, et par conséquent, les Dursley aussi. Le renvoyer serait froid et contre-productif, et Vernon semblait en être venu à la même conclusion, demandant d’un air gêné s’il pouvait rester, car « il s’inquiétait pour son neveu ».