On se retournait toujours sur son passage. Dans ce café miteux où il avait échoué, à plusieurs kilomètres de son nouveau quartier de Londres, Harry Potter commençait tout juste à ne plus susciter la surprise des habitués…précisément parce que sa présence devenait elle aussi habituelle. Il commanda un thé et regretta immédiatement ce choix raisonnable. Il n’avait pas dormi de la nuit. Il avait terriblement envie de quelque chose de plus fort.
Sur le journal du sorcier le plus proche, il devina le début d’un article à propos du Ministère de la magie. Sans doute des informations bidon ! En plusieurs années de bons et loyaux services en tant qu’auror, Harry avait pris en horreur les soi-disant lanceurs d’alerte et autres journaleux qui prétendaient servir à la population la Vérité sur un plateau d’argent… La vérité (si elle existait…) ne ressemblait pas à un joli petit cadeau. Il le savait bien. La vérité puait, dégoulinait de sang versé pour rien sur les draps blancs de l’innocence. C’était ça, la Vérité ! Mais il n’y avait personne pour la dire, et si on essayait de la crier, les gens s’éloignaient de vous comme d’un oiseau de mauvais augure… Même Ginny avait fini par s’éloigner… Est-ce que c’est trop te demander que de te satisfaire de notre bonheur ?! S’était-elle exclamée ce jour-là. Ce jour maudit. Il n’avait pas su quoi lui répondre.
Non, cette vie ne lui convenait pas ! Courir après les méchants (les méchants du Ministère, bien sûr, qui n’étaient pas toujours les siens…). Dire aux enfants d’écouter leurs professeurs (franchement ?). Et parler de tout ça sur un ton aimable, le dimanche midi avec Ron, Hermione et Ginny, bien sûr... Non. Il ne serait jamais cet homme-là. Naïvement, il avait cru que Ginny l’aimait comme ça, pour ça. Tristement, elle lui avait avoué:
-Moi aussi, Harry, je croyais…
Et ses larmes avaient coulé, silencieuses. Et Harry était parti.
James, si proche de lui, si combattif, avait d’abord pris le parti de son père et manifesté une froideur culpabilisante pour Ginny. Mais après quelques semaines, lui aussi avait admis que Harry était le plus fautif des deux. Albus ne disait rien, éberlué par cette séparation et toujours aussi secret. Il semblait soit ne pas comprendre, soit ne pas vouloir entrer dans le débat. Et puis avec le temps, le travail, la distance, il s’était formé cette chose entre Harry et ses fils. Cette chose invisible, mais tellement évidente, comme une barrière infranchissable. Les garçons avaient commencé à l’éviter, et honteusement, Harry redoutait leurs rares entrevues et les silences qui prenaient toute la place de leur ancienne complicité.
Lily, quant à elle, était trop jeune pour comprendre quoi que ce soit au début. Elle avait cru à un jeu, à un long voyage… Harry lui ramenait des cadeaux à chacune de ses visites. Elle avait grandi loin de lui. A présent c’était une jeune fille étrangement joyeuse, insouciante, un peu lointaine. Tellement lointaine, en vérité. Elle appelait Harry « Harry ». Tout comme elle appelait Dean « Dean », le nouveau compagnon de sa mère… Pour ce dernier toutefois, la plupart du temps, elle agrémentait ses paroles d’un sourire. Et Harry ne cherchait pas à le nier : sa fille le regardait comme un gentil grand-oncle avec qui on ne parle que de ses résultats scolaires et du métier qu’on voudrait peut-être faire plus tard.
-Chanteuse, ou musicienne… Lui avait-elle confié quelques jours plus tôt.
Chanteuse… Harry avait souri mollement sans savoir quelle réponse faire. Un jour, pour une mission, il avait dû faire évacuer une salle de concert et les confidences que lui avaient faites la vedette dont on avait interrompu le spectacle l’avaient touché.
-Hum, vous savez, ma vie, c’est surtout des histoires de décalage horaire et de chambre d’hôtel. Quelquefois je transplane tellement pour la tournée et pour échapper aux journalistes que j’en vomis mon déjeuner !
Mais ce n’était sûrement pas ce qu’il fallait raconter à Lily s’il voulait réellement se rapprocher de sa fille...
Seul dans le café miteux, Harry avala son thé refroidi et paya sa consommation avant de sortir. Il espérait que Lily serait à la maison. Il espérait que les garçons n’y seraient pas, eux. C’était le début des vacances d’été mais James et Albus partageaient un studio dans la banlieue. Ils étaient en vadrouilleles trois-quarts du temps, si on en croyait leur mère.
Ce fut pourtant James qui vint ouvrir. En se retrouvant face à face avec son père, il eut un mouvement de surprise (et de recul), avant de s’efforcer de lui tendre la main :
-Bonjour, papa… Comment vas-tu ?
Harry toussota. Il serra la main de son fils, manifestement mal à l’aise.
-Salut James... Je suis venu voir ta sœur, si elle est là ?
Harry déglutit bruyamment. Il ne voulait pas dire qu’il ne voulait pas voir James ! Mais pourquoi était-il aussi maladroit avec ses propres-enfants ?! C’était trop tard, le visage de James avait changé d’expression. La surprise avait disparu au profit d’une mine contractée :
-Lily est partie faire un tour avec Dean.
Un silence s’installa. Pendant un instant, Harry eut l’impression que James allait tout simplement fermer la porte. Il fit un pas en avant, décidé à rattraper le coup, mais James ne recula pas :
-Je te dirais bien d’entrer, mais maman est occupée. Quant à moi, eh bien… Il consulta sa montre : Albus m’attend dehors, alors…
-Albus ? Je peux peut-être t’accompagner, comme ça je vous verrai tous les deux. Ça fait longtemps qu’…
-Ah oui. Oui mais ça tombe plutôt mal. On doit rejoindre des amis…
James jeta un nouveau coup d’œil à sa montre. Harry recula avant de serrer de nouveau la main de son fils ainé et de disparaitre.
La journée s’annonçait une fois de plus dégueulasse. Harry rasa les murs jusqu’au petit meublé qu’il avait dégoté dans le quartier et se coucha sur le matelas nu à même le sol. Il n’était que midi mais il avait à présent une seule idée en tête : s’abandonner à une bonne bouteille de cognac.
Après de longues minutes allongé à tenter de penser à autre chose, il se leva d’un bond et attrapa sa baguette et une veste en jean délavée pour sortir de la chambre et rejoindre la rue. Il prit bien soin de ne pas réfléchir à ce qu’il faisait, de ne pas croiser son reflet dans un miroir ou une vitrine de magasin. Il rentra la tête dans les épaules, honteux et désolé d’en être réduit à ça… Harry Potter, hein ? Ce n’était plus grand-chose.
Une main légère mais sûre se posa soudain sur l’épaule d’Harry. Il regardait ses pieds et dut relever la tête pour apercevoir le visage de la jeune femme qui lui souriait :
-Bonjour Mr Potter… Dit-elle d’une voix mélodieuse.
Harry dut réfléchir un bref instant. Elle était trop jeune pour être une des rares femmes avec qui il avait partagé quelques nuits, ces dernières années…
-Ah, vous ne vous souvenez pas de moi, je crois ? Je ne vous en veux pas, d’ailleurs ! S’amusa la jeune femme.
Elle passa la main dans ses longs cheveux blonds et lui tendit un sourire avant :
-Johanna Patil… Annonça-t-elle.
Harry hocha la tête: ça y est, il y était ! La jeune chanteuse qu’il avait secourue quelques années plus tôt lors d’une mission pour le Ministère, et qui s’était confiée à lui.
-Bien sûr. Vous avez l’air en forme… Et votre tante Padma ?
-Elle va bien elle aussi…
Harry avait envie de s’enfuir en courant. Il n’avait rien contre cette charmante gamine, mais son corps réclamait sa dose d'alcool. Maintenant! Il allait prendre congé quand Johanna s’exclama :
-Laissez-moi vous offrir une tasse de thé ! Je n’ai jamais eu l’occasion de vous remercier pour ce que vous avez fait pour moi.
A la table du café où elle l'avait conduit, Harry avait toutes les peines du monde à se concentrer sur les paroles de la jeune fille. Elle lui expliqua qu’elle avait encore quelques jours de repos avant de commencer l’enregistrement de son nouvel album.
-…il y a une chanson sur ce qui est arrivé. Vous savez ? A propos de l’émeute.
Harry se souvenait parfaitement de ce soir-là. Une bande de jeunes dissimulée dans la fosse avait soudain envahi la scène. Quand il était arrivé avec son équipe, Harry avait tout juste eu le temps d’attraper la chanteuse dans ses bras pour l’évacuer.
-Je vous ferai envoyer un disque. Assura Johanna.
Elle affichait le sourire le plus doux, le plus gentil du monde. Harry sentit son cœur s’apaiser :
-Vous me faites penser à ma fille…
-Moi, j’aurais adoré avoir un père comme vous !