Les yeux rivés sur l’expression de détresse, Narcissa Malefoy tapotait nerveusement ses doigts élégants sur ses cuisses. A l’abri des regards indiscrets, son angoisse s’exprimait en silence. A côté d’elle, Drago tremblait tellement, qu’elle se retenait de tendre les bras autour de son corps frêle pour le bercer. Mais il n’était pas conseillé de laisser parler les sentiments dans ce manoir qui avait changé de propriétaire. Elle savait que son affection serait prise pour de la faiblesse. L’horreur avait remplacé la froideur des lieux, à cet instant précis elle remplissait chaque parcelle de leur salle à manger. Les pensées appesanties par la peur virevoltaient autour des participants de cette assemblée, les forçant à tendre les muscles de leur cou pour paraître plus imposant et digne de confiance. Il y avait des paroles adressées à son fils adoré, des mots qu’elle n’entendait pas, trop absorbée par les supplications dans le regard du Professeur qui tournoyait au-dessus de la table en bois vernis. Puis le coup de baguette était parti, l’éclair avait jailli et le corps meurtri s’était effondré au milieu de la table. Dans sa chute violente, des gouttes de sang avaient éclaboussé le teint de porcelaine de Narcissa. Elle était demeurée droite et digne, malgré ce rouge impur qui souillait sa peau. Etonnée que la violence l’est atteinte dans sa chair, sans qu’elle n’eût à participer plus que par sa présence, plus que par son silence.
Dans l’ombre de ses pensées, elle était redevenue une petite fille habillée de sa robe blanche. La petite Narcissa avait les yeux écarquillés devant tant de cruauté. L’angoisse faisant courir son cœur tendre. L’odeur de mort qui avait surclassé le parfum des roses lui donnait la nausée. Elle ne comprenait pas sa présence en un lieu si sombre, si perverti. Elle n’envisageait pas de faire partie de cette assemblée si indigne, si barbare. Elle était une princesse, l’enfant d’une génération dorée que l’on avait de cesse de protéger. Alors comment avait-elle basculé dans un monde où elle était sans soutien ? Comment s’y était-elle prise pour finir parmi des gens si inhumains ?
Elle fronça les sourcils et jeta un œil aux perles de sang qui habillaient sa main. Sur cette main d’enfant innocente, les gouttelettes semblaient encore plus impressionnantes. Elles s’étalaient lentement, le rouge sombre de la défunte séchant progressivement. Etait-elle toujours aussi innocente, alors que la guerre faisait rage dans sa propre demeure ? Ne s’était-elle pas voilé la face trop longtemps avec ses prétentions ? C’est alors que l’enfant en robe blanche, aussi pure qu’une fleur de Lys, croisa le regard de sa sœur aînée et en un claquement de dent, la voilà qui rejouait à la marelle avec ses sœurs. Bella lui répétait que si elle s’obstinait à perdre la ligne droite de son dos, elle perdrait l’équilibre.
« Reste bien droite sur tes appuis, et regarde droit devant toi ! »
Alors elle garda le dos droit, malgré la plainte aigue qui ravageait ses entrailles et ses pensées. Malgré la douleur dans ses muscles qui aurait dû la forcer à se plier. Le cou aussi raide qu’un cygne, elle fixait le corps inerte. Du bout des doigts, elle essuya le sang de la victime. Sur sa robe noire, elle effaça les traces. L’ordre silencieux de Bella avait fait taire la panique de l’enfant qui se terrait en Narcissa. Elle l’avait bâillonné, étouffé, enseveli au plus profond de ses entrailles. Là où on oubliait les choses, là où on brisait les volontés trop faibles.
Ses mains étaient propres, Narcissa n’était pas coupable et seules les inquiétudes d’une mère comptaient au milieu de ce cauchemar. Elle observa le regard fanatique de sa sœur qui avait jadis était son pilier et elle réalisa l’ampleur de la folie qui habitait le manoir. Son rire sadique qui se mêlait à tous les autres lui déchirait les tympans. Mais il n’y avait rien de plus fort que l’indifférence et le silence. Par son impuissance de façade, Narcissa attendrait le moment propice pour mettre sa famille à l’abri de toute cette décadence. Cet instant crucial viendrait, elle en était persuadée. Elle n’avait qu’à être attentive. Aux aguets de cette opportunité qui ne se produirait qu’une seule fois.
Elle lissa sa robe et se faisant frôla les doigts tremblants de son fils. Elle en profita pour emmêler ses doigts souillés aux siens. Par ce geste, elle dompta les craintes qui s’entrechoquaient dans la tête du jeune homme. Elle sut que ses angoisses s’étaient apaisées lorsqu’ il serra plus fort sa main. Parce que Narcissa était avant tout une mère.
Alors, elle jouerait les innocentes aussi longtemps qu’il le faudrait. Aussi longtemps que son fils aurait besoin d’elle.