Sa besace accrochée à l’épaule, il poursuit sa route. Il pleut averse ce jour-là mais Sirius n’y prête pas attention. Les gouttes d’eau se mêlent aux larmes de rage qui coulent librement sur ses joues. Il repousse une mèche de cheveux bruns humide qui tombe sur son front et continue d’avancer. Il ne sait pas vraiment où il va, il veut seulement s’éloigner le plus possible de cette maison maudite. S’évader de l’enfer qui était le sien avant qu’il ne prenne cette décision.
C’est sans doute l’un des meilleurs choix qu’il ait fait de sa vie. Il resserre sa veste en cuir, frissonne un peu en repensant à toutes ces années passées là-bas. Ses chaussures s’enfoncent dans le sol boueux, rendant son périple à travers la campagne anglaise un peu plus tortueux. Il s’en va, il ne reviendra pas. C’est tout ce qui compte à ce moment-là.
Eux et leurs mœurs malsaines. Ses lèvres se pincent furieusement. La colère le fait trembler mais il ne s’arrête pas. S’il était resté… Les images de ce monde en noir et blanc l’obsèdent. La voix basse, menaçante, de sa mère. Le regard froid, insondable, de son père. Le petit air soumis de son frère. Et son propre sourire.
Sirius secoue la tête mais ses souvenirs se font insistants, douloureux. La tapisserie de leur famille épinglée dans le salon. Son nom qu’ils vont sûrement brûler. Comme celui de sa cousine Andromeda lorsqu’elle s’est enfuie au beau milieu de la nuit. Comme lui. Il aimerait les effacer aussi facilement qu’on écrase sa baguette sur un bout de tissu. Ce n’est pas si simple. La pluie tombe de plus en plus fort. Il est trempé à présent. Au loin, un grondement se fait entendre.
Des éclairs se forment dans le ciel sombre, les nuages noirs sont criblées de zébrures. Son cœur tambourine dans sa poitrine et son esprit s’envole au moment où tout a commencé. A l’instant où il a compris que les valeurs des Black ne seraient jamais les siennes. A cette minute fatidique un matin de juillet.
Il n’avait que neuf ans et sa mère l’avait emmené hors de leur demeure, l’une de leurs rares sorties. Walburga Black répugnait à côtoyer le commun des mortels, tout particulièrement les Moldus. A la simple évocation de ce mot, un mépris incommensurable émanait de sa personne. Les mots qu’elle utilisait lui reviennent brutalement. Inférieurs.
Sirius se souvient de sa poigne ferme sur son poignet alors qu’elle le traînait derrière elle. Cette lueur glacée qui luisait dans les prunelles sombres de sa génitrice. Walburga n’était que cela. Elle n’était pas une mère. Le souvenir cuisant du revers de la main la première fois qu’il a tenté de l’embrasser ne cesse de le hanter. Il n’y avait aucune chaleur, aucune tendresse dans ses yeux.
Sa mère ne l’aime pas. Lui non plus. Il en a pris son parti. Il a compris ce jour-là qui elle était réellement. Elle et les autres. Elle et son père. Elle et le reste de sa famille. Il ressent encore l’injustice lui érafler le cœur, sa poitrine se soulever au rythme de ses inspirations furieuses, le choc lui tordre le ventre. Il se voit encore lever un doigt tremblant et accusateur vers elle, sa bouche s’entrouvrir pour crier. Quelques secondes avant que la gifle, cinglante, ne le coupe dans son élan. Avant qu’elle ne l’arrache à la vision de cette femme qui venait de les bousculer.
Elle ne signifiait rien pour Walburga. Un simple mouvement de la baguette sous un pan de sa cape. Un jet de lumière verte. Pas un seul coup d’œil en arrière. Sirius avait voulu résister mais elle avait resserré ses doigts sur son poignet jusqu’à incruster ses ongles dans sa peau. Elle s’était baissée et avait murmuré à son oreille d’une voix lente, de façon à ce qu’il imprègne chacun de ses mots. Elle nous a sali par son contact. Lorsque nous rentrerons, tu prendras une douche. Ensuite, je parlerai à ton père de ton attitude.
Aussi froidement que le regard éteint de cette femme, inerte sur les pavés humides. L’image s’était imprégnée dans ses rétines, gravée dans son esprit. Il se revoyait à neuf ans. L’horreur sur son visage. Sa révolte intérieure bien vite étouffée. Il ne comprenait pas la logique du monde dans lequel il grandissait, ni pourquoi la vie de cette femme valait moins que les leurs. Sa mère avait tué.
Un simple contact anodin que Walburga n’avait pu supporté. Elle n’avait relâché sa poigne sur son poignet, n’avait desserré les lèvres qu’après avoir passé le seuil de leur maison. De leur prison. De sa prison. Sirius se rappelle le papier peint décrépi, les marches qui grincent, les portes branlantes et l’atmosphère pesante.
Comme le vieux cigare que fumait son père dans l’imposant fauteuil du salon. Comme ses doigts qui se desserraient lentement de l’accoudoir. Comme le regard qu’il avait posé sur lui lorsque Walburga lui avait conté la scène. Orion Black avait expiré deux ou trois ronds de fumée grisâtre avant de lui ordonner de monter dans sa chambre. Sirius savait ce qui l’attendait. Les petits garçons désobéissants devaient être remis à leur place. C’était ainsi que tournait le monde. L’insolence se devait d’être punie.
Jusqu’à ce qu’il reste plus rien, jusqu’à ce qu’il adhère à leur vision des choses. De gré ou de force. Sirius se demande un instant ce qui se serait passé s’ils avaient finalement réussi. S’ils l’avaient brisé aussi sûrement qu’ils l’ont fait pour Regulus. Il secoue la tête, refoulant les regrets qui l’étreignent au souvenir de son frère cadet. L’orage gronde de plus en plus fort. A quelques mètres, un éclair s’abat sur la cime d’un arbre.
Sirius ne recule pas pour autant. Les nuages noirs, menaçants, se mélangent à sa colère, à sa haine, à tous ses sentiments qui prennent possession de lui. Et s’il avait sombré, lui aussi ? Et s’il avait fini par suivre le chemin tout tracé qu’on avait dessiné pour lui. L’aîné des Black. Ses doigts s’agrippent à la fermeture éclair de sa veste en cuir alors qu’il s’imagine assis près de Bellatrix. Un frisson le parcoure et une moue de dégoût effleure ses lèvres. Sa cousine dont les yeux noirs luisent d’une certaine folie, de son dévouement corps et âme à cette cause. Celle des sorciers de sang-purs. Les seuls qui ont le droit à la parole.
Sirius repousse les mots qui lui reviennent en mémoire, ceux qu’on lui a servi toute son enfance. Le pouvoir, la puissance, le sang. Toujours pur. Les autres ne sont rien. Ils ne valent rien. Ses chaussures s’enfoncent un peu plus dans la boue mais il réussit à s’en dégager. Il a toujours réussi. Coûte que coûte. Il aurait préféré mourir plutôt que de s’asseoir à côté de l’un d’ eux. Il se serait crevé les tympans et les yeux plutôt que de les entendre. Plutôt que de voir une fois de plus ce qu’ils pouvaient faire à des personnes innocentes.
C’était la dernière fois. Derrière la colline se dessine le manoir des Potter et les battements de son cœur s’apaisent. Les grondements de l’orage s’amenuisent peu à peu et l’averse se calme. Sirius relève la tête, fait glisser la fermeture de sa veste en cuir et laisse les gouttes d’eau lécher son front, redescendre sur ses joues, se perdre dans son cou. La pluie a un doux parfum.