Depuis que Sibylle était professeur de Divination, la vue que lui procurait sa tour sur le parc de Poudlard n'avait pas changé. Fixant un point au loin, là où se détachait la tombe du professeur Dumbledore dans le cimetière, elle réfléchissait. Filius Flitwick l'avait invitée à assister au récital de sa chorale. Elle se demandait si elle supporterait la foule qui allait se presser dans la Grande Salle.
Regarder par la fenêtre aidait son esprit à s'évader des idées noires qui l'oppressaient souvent. Devant cette vaste étendue, son imagination divaguait. Du haut de sa tour, elle oubliait l'agitation qui régnait entre les murs de l'école. Ses feuilles de thé, ses cartes et ses boules de cristal constituaient sa seule distraction. La population de Poudlard évoluait sans cesse, sans que le cadre de son havre de paix ne soit réellement altéré. Sibylle continuait de considérer l'école comme la seule vraie maison qu'elle ait jamais connue. De celles qui vous offrent protection et réconfort sans jugement.
Malheureusement, trop de souffrance habitait encore les murs reconstruits du Château, et l'absence d'Albus pesait énormément à la voyante. Elle regrettait tellement sa philosophie ! Surtout que le scepticisme tenace de Minerva McGonagall - surnommée Professeur Minou par certains élèves - envers son troisième œil n'avait cessé de s'accroître.
Certes, l'art de la prédiction induisait une marge d'erreur, que seul un véritable initié était en mesure de comprendre. Pourtant, cet art était encore dénigré dans le monde sorcier, malgré son acharnement à vouloir le rendre plus populaire. Elle avait écrit un livre à cette fin : Mon œil, et comment voir au-delà de lui. Il y avait eu un article à ce sujet dans la Gazette du Sorcier, aussi une élève lui en avait donné un exemplaire. Encore fallait-il qu'elle sache où son esprit embrumé par les effluves de Xérès l'avait rangé.
Sibylle se racla la gorge pour effacer les pensées désagréables qui obscurcissaient sa matinée et se concentra sur son objectif. Il fallait qu'elle retrouve ce journal, elle n'avait pas eu le temps de le lire. Elle fouilla avec frénésie son bureau encombré de parchemins griffonnés pendant son sommeil, où s'étalaient des paragraphes désordonnés.
Il y avait également là des objets hétéroclites, qui ne lui appartenaient pas : un clairon, un étrier, des menottes à goupille rouillées, un télescope portant l'inscription « Bernie », un treuil, un cintre, des écrous, une brosse, un micro ensorcelé... Ses sorties nocturnes dans le château, dont elle se rappelait rarement le contenu, étaient sûrement à l'origine de ses récentes acquisitions : sa cleptomanie se révélait malheureusement sous l'effet de l'alcool. Il y avait aussi de la vaisselle sale, contenant les restes d'un vieux sandwich poulet mayonnaise dont l'odeur lui donnait des hauts le cœur.
Elle finit enfin par mettre la main sur le journal. L'un des titres à la une annonçait l'opération du dégel forcé d'une partie des Alpes. Un grand froid, comparable à celui qui régnait en Sibérie, avait été causé par un sorcier en randonnée dans la région. Ses sortilèges avaient gelé les rivières, déséquilibrant la nature toute entière. L'article évoquait l'impact sur le travail des abeilles, la chasse aux glands et noisettes des écureuils, la reproduction des tiques, le développement des têtards... La région avait été fermée au tourisme momentanément et interdite aux pilotes d'engins volants moldus. Le journaliste concluait par un jeu de mot : selon lui, le Ministère de la magie française avait fait preuve d'un sang-froid sans pareil.
En parcourant les pages à la recherche de l'évocation de son livre, un nom attira l'attention de Sibylle. Un article évoquait l'investissement d'un procureur qui travaillait à l'abrogation de plusieurs décrets encore en application, imposés par Dolores Ombrage à l'époque trouble de la seconde guerre. La colonne vertébrale du professeur devint brusquement rigide à l'évocation de cette sale bonne femme à tête de crapaud.
Incapable de relativité, elle bouillonnait de l'intérieur, tandis qu'un frisson de rage parcourait son corps entier, hérissant les poils de ses bras. Comment des décrets aussi injustes avaient-ils pu passer entre les mailles du filet ? Comment le Ministère pouvait-il avoir laissé si longtemps les traces des idées abjectes de certains sorciers ? Sibylle aurait voulu avoir des lasers à la place des yeux, afin de trouer cet article qui trahissait l'éternelle inefficacité des bureaucrates. Les plus fervents réfractaires, d'ailleurs, au pouvoir légué par son ancêtre Cassandra.
Elle avala sa salive avec difficulté, la colère prenant possession d'elle. Calmant comme elle le pouvait les tremblements de ses mains, Sibylle poursuivit ses recherches. Les articles suivants étaient d'une banalité navrante. Le Ministère, toujours lui, avait dû intervenir pour éviter qu'un réfrigérateur glouton ne dévore tous les clients d'un magasin Moldu. Il y avait également l'annonce d'une compétition spéciale en l'honneur des douze travaux d'Hercule. Elle prévoyait notamment un marathon faisant concourir des elfes de maisons, et une course d'obstacles pour des gnomes, avec des barrières à leur taille.
Cela redonna le sourire au professeur de Divination. Sourire qui s'étira en un rictus polisson lorsqu'elle découvrit la photo d'un baiser volé entre Harry Potter et Drago Malefoy en page dix. Cette image ne l'étonna guère. En effet, quelques jours plus tôt, elle avait eu un rêve prémonitoire les réunissant tous deux dans des circonstances similaires. Elle relia donc aussitôt cet événement à sa clairvoyance, et non à une quelconque coïncidence. La voyante s'attarda en rêveries, devenant sculptrice de chimères. Peut-être allaient-ils bientôt suivre la voie du mariage ? Elle composa dans son esprit le tableau idyllique d'une danse au clair de lune.
Mais son troisième œil troubla le cours de ses pensées. Le hurlement d'un loup s'éleva, telle une alarme prophétique, annonce d'un mauvais présage. Sybille revint alors brusquement à la réalité. Peut-être devrait-elle leur offrir comme cadeau un trèfle à quatre feuilles pour conjurer le sort ? En repensant à cette vision, elle se fit la réflexion que son côté fleur bleue constituait un de ses plus grands défauts. Malgré sa vie de recluse, Sibylle continuait à croire au véritable amour.
D'ailleurs, un autre blond remplissait ses pensées depuis la célébration de la victoire. En pensant à lui, le sang qui irriguait son cœur sembla plus vivace. Xenophilius Lovegood était un bel homme, bien qu'il ne soit pas un athlète comme les joueurs de Quidditch musclés qui posaient avec un air aguicheur dans son calendrier des Chasseurs de Vif d'Or. Ses manières élégantes de chevalier l'avaient conquise. Son discours sur les bienfaits qu'une alimentation saine pouvait apporter à sa qualité de prophétesse avait fini de la charmer.
Cependant, une petite voix pleine de protestations la faisait souvent redescendre de ses nuages, lui remémorant qu'elle n'était pas assez bien pour lui. Comme une claque, ses sombres pensées la ramenèrent à la réalité. Les yeux quelques peu humides en raison de ses rêves sans espoirs et agrandis par ses verres de myope, elle loucha sur la poignée de son armoire à merveilles. Souhaitant avidement se noyer dans le Xérès pour oublier son désarroi, mais le loquet resta bloqué.
Elle s'acharna violemment à plusieurs reprises sur la poignée coincée. Trébuchant lors de sa dernière tentative, elle envoya valser dans les airs plusieurs des objets qui traînaient sur le bureau et un paquet de cartes divinatoires. Atterrissant dans un bruit sec, elle craignit un instant de s'être brisé le coccyx. Elle se redressa en position verticale avec hésitation. L'effort de traction lui rappela l'existence de ses muscles endoloris par ses excès d'alcool. Elle découvrit bientôt que la pression de son fessier avait écrasé, sur une carte représentant le Joker, un cafard qui laissa échapper un jet gluant avant de succomber.
Elle pesta intérieurement, rêvant de pouvoir un jour profiter d'un vrai moment de détente. En rattrapant le journal, qui l'avait suivie dans sa chute, son regard tomba sur ses boules de cristal. En les voyant au sol, Sibylle se souvint qu'elles avaient servi d'armes durant la Bataille Finale. Décidément, un abîme de tristesse lui tendait les bras en ce matin ensoleillé, tout lui rappelant de mauvais souvenirs. Tel un plongeur en haut d'une falaise, il lui sembla qu'il serait plus simple de s'y abandonner complètement. S'enveloppant un peu plus dans ses châles, elle frissonna de nouveau, faisant tintinnabuler ses nombreux colliers, craignant cette fois de se laisser emporter trop loin par sa mélancolie.
Sibylle se remit à feuilleter le journal et tomba enfin sur le minuscule article la concernant, à la suite de la rubrique nécrologique. Elle apprit que le journaliste n'avait pas réussi à lire son ouvrage en entier et s'en était finalement servi de cale.
- Mon livre... une vulgaire cale... marmonna-t-elle. J'écris des livres comme un virtuose compose une partition !
C'était décidé, elle se rendrait au récital de Filius et évoquerait une nouvelle prémonition de mort. Celle de la jeune pimbêche qui lui avait donné le journal, à qui elle ne rendrait pas l'album des One Direction qu'elle lui avait confisqué - et qu'elle avait par ailleurs pris beaucoup de plaisir à écouter !