La quiétude de la campagne fut brisée par le bruit que fit une jeune fille en apparaissant subitement au milieu du champs dont l'herbe roussissait déjà sous la sécheresse de l'été. Elle dirigea immédiatement son regard vers la maison biscornue qui surplombait la colline en face d'elle, et ne put réprimer un sourire. Elle s'engagea sur le chemin qui y menait, très sereinement, déterminée à ne pas se précipiter, pour savourer cet instant de félicité. Lorsqu'elle arriva dans le champs de vision des occupants de la maison, qui se tenaient autour de la table dressée à l'extérieur, elle entendit le murmure des conversations s'arrêter brusquement. Les regards étaient fixés sur elle, figés dans une attente anxieuse commune. Elle se contenta de leur adresser un sourire radieux qui les détendit aussitôt. Ce fut son plus jeune frère qui rompit le silence en premier :

• Alors c'est oui ?

Elle hocha la tête, incapable de prononcer un mot. Des cris de triomphes résonnèrent à ses oreilles. Elle plongea son regard dans celui de son copain et y lut la fierté et l'amour. Alors elle se précipita dans ses bras avec la même vigueur que plus de deux ans auparavant, avant qu'il ne l'embrasse pour la première fois, dans un même instant d'exaltation.

• Félicitations, lui murmura-t-il à l'oreille.

• Allez viens fêter ça à table, on a faim ! S'exclama Ron qui louchait sur les plats, sans remarquer que sa copine lui jetait un regard incendiaire.

Arthur et Molly arrachèrent Ginny des bras de Harry pour la féliciter également. Même le petit Teddy sembla participer à l'allégresse générale en gazouillant dans son berceau.

• Ma fille chez les Harpies, je n'aurais même pas imaginé ça dans mes rêves les plus fous !

• Portons un toast ! A Ginny et les Harpies !

• Et à mon nouveau balai ! S'exclama Ginny en désignant le balai flambant neuf que lui avait offert Harry il y avait à peine une semaine lors de son anniversaire.

Ils partagèrent une soirée de liesse, oubliant pour un temps les tristesses et les deuils pour célébrer ensemble la promesse d'une renaissance et d'un futur joyeux apportés par ce nouveau poste.

• Et voilà, le jour J est arrivé !

Ginny réprima un frisson, blottie dans les bras de Harry. Cela faisait plus d'un mois qu'elle s’entraînait avec sa nouvelle équipe, et quelle équipe ! Les Harpies l'avait accueillie chaleureusement, ignorant les commentaires de la presse arguant qu'elle avait sans doute bénéficié de la notoriété de son petit ami pour obtenir ce poste de premier choix. Elle avait très vite démontré que ses talents au vol n'étaient pas feins ni exagérés. Mais qu'en serait-il au-delà de l’entraînement, confrontée contre une équipe adverse tout aussi redoutable que celle des Harpies ? Elle repensait à Ron et à la potion de Felix Felicis qu'il avait cru avaler avant son premier match en sixième année. Pour la première fois elle comprenait le trac qu'il avait du subir et la crainte d'être la risée de tous. L'Angleterre aurait les yeux rivés sur elle ce soir, cela ne faisait aucun doute. Et le moindre faux pas égalerait une condamnation.

• Tu n'as jamais cessé de m'épater toutes ces années. D'abord en t’entraînant sans que personne ne le remarque autour de toi, jusqu'à devenir une voleuse hors pair, et redoutable ! Je n'aurais pas aimé être dans une équipe adverse. Tu as été repérée par l'équipe la plus réputée et ce n'est pas un hasard. Il n'y a aucun doute à avoir, il suffit juste que tu te laisses voler et que tu prennes plaisir.

• Parfois je me dis que tout ça est irréel, que je suis encore cette fille terrifiée dont le seul espoir consistait à voler une épée. Et dont chaque minute portait le supplice de ne pas savoir si ceux qu'elle aimait étaient encore en vie. Revenir à la vie normale est aussi difficile, ne pas savoir comment faire, comment se rappeler sans se noyer dans les souvenirs, goûter aux plaisir du présent. J'ai réussi parce que nous étions ensemble, et que je savais que cela serait encore plus dur pour toi. Mais là j'ai l'impression de plonger dans l'inconnu.

• C'est ton aventure à toi ! Mais nous sommes quand même à tes côtés.

• Je sais. Merci, mon chéri.

Elle l'embrassa une dernière fois avant de s'arracher à ses bras pour enfiler sa tenue d'entrainement.

• Que vas-tu faire avant ce soir ? Demanda-t-elle.

Harry esquissa un petit sourire malicieux.

• Rien d'important, je risque de me laisser tenter par la chaise longue. Ron et Hermione ont pris leur journée aussi.

• Amusez-vous bien ! Et... A ce soir...

Elle quitta la maison avec la sensation qu'un glaçon s'était logé dans son estomac et grossissait de minute en minute.

Tic Tac, Tic Tac, Tic Tac.

Ginny balança furieusement sa chaussure sur la pendule pour la faire taire.

• Rien ne vaut les méthodes moldues pour se défouler, maugréa-t-elle, avant de réaliser que Jane et Kate la dévisageaient avec des yeux ronds.

• Tu sais, Gin, ça va aller. Et puis ce n'est qu'un match amical.

• Ce n'est pas toi qui disait qu'il y a aucun match amical, que chaque temps sur le terrain est un combat à affronter, ou je ne sais quoi ? Rétorqua Ginny

• Oh il ne faut pas toujours m'écouter, tu sais !

Ginny pouffa. Il n'empêchait que détruire une pendule ne permettait pas de figer le temps. Elles allaient devoir se lever et bientôt enfourcher leur balais. Quelle idée elle avait eu !

Mais le pire dans tout ça c'est qu'elle avait pu obtenir des places à sa famille et ses amis. Ils allaient assister en direct à cette catastrophe, peut-être même étaient-ils déjà en train de prendre place sur les gradins. Elle tendit l'oreille, s'attendant à entendre les clameurs qui allaient bientôt monter tout autour de ce maudit stade.

Tout en faisant son entrée avec son équipe, sous les acclamations enthousiastes du public, elle se promit de ne pas regarder en direction des gradins, s'attendant à ce que la vision de ses proches ait le même effet pour elle qu'un Petrificus Totalus.

• Allez, on inspire, on serre les fesses et on donne tout ! Lui cria Kate en serrant les poings.

Sa main se crispa sur le manche tandis que le commentateur prononçait un discours dont elle ne saisissait même pas le sens. Etait-ce possible de perdre tous ses moyens d'un coup, au milieu d'un stade bondé ? Non, jamais, pas elle. Elle avait toujours tenu bon, même au milieu de batailles perdues d'avance. Elle allait enfourcher ce balai et s'élever dans les airs. Respirer l'air, sentir l'excitation du vol et du jeu la gagner, et oublier tout trac.

Le sifflet retentit enfin, et Ginny gagna de la hauteur. Elle lança un sourire à Kate qui l'observait avec une inquiétude qu'elle ne parvenait pas à dissimuler. Tout irait bien.

• Les Harpies mènent à 40 contre 30, après vingts minutes de combat acharné !

• Mais la jeune Weasley semble bien en peine de conserver le souaffle. J'espère qu'elle ne flanchera pas.

• Ca tu rêves, mon vieux ! Lança Ginny pour elle-même, les dents serrées.

Elle lança un coup d’œil furtif vers les deux adversaires qui la talonnaient de part et d'autres. Des coriaces, ceux-là. Il était temps d'employer les grands moyens pour s'en débarrasser. Sans prévenir, elle piqua brutalement vers le sol. Les deux furent prompt à la suivre, mais l'effet de surprise lui avait fait gagner un quart de seconde sur eux, et lorsqu'elle remonta en chandelle cela augmenta encore la distance. C'était sans compter sur un cognard particulièrement vicieux. Elle sentit l'impact contre l'arrière du balai, qui la dévia de sa trajectoire. Les deux la remontaient déjà. Ils ne la laisseraient pas lancer.

Jane surgit alors dans son champs de vision, non loin des buts.

• Passe décisive ! Et les Harpies marquent à nouveau !

Ginny et Jane se tapèrent la main, tout sourire. Puis la rousse s'éleva au plus haut du stade, appréciant la sensation du vent qui lui fouettait le visage. Il n'y avait pas de temps à perdre pour la contemplation. Toutefois, prendre de la hauteur lui permettait de jauger au mieux le match et les formations des deux équipes. Quelques secondes d'observation lui offrait parfois le constat des failles de l'adversaire comme de sa propre équipe. Cette fois-ci, elle fut distraite par la vue d'une banderolle particulièrement imposante dans les gradins, de couleur rouge et or. La première tête qu'elle reconnut fut celle de Luna, les cheveux blonds ébouriffés par le vent et le visage écarlate à force de hurler. Puis les têtes rousses et, enfin, les cheveux désordonnés de Harry. Ils arboraient tous un sourire jusqu'aux oreilles, confiants sans la moindre hésitation en elle. Elle ne les regarda qu'un instant, mais cela était suffisant pour emplir son cœur d'une émotion vive. Ils étaient tous là pour elle, la soutenaient inconditionnellement. Elle aurait voulu les embrasser tous, un par un, pour leur témoigner l'amour qu'elle ressentait pour eux. Mais ce n'était pas le moment. Pour l'instant elle était sur un balai, et il y avait un match à gagner !

Elle piqua vers le sol à une allure surprenante, ignorant sa vision qui s'assombrissait, pour filer vers l'un des poursuiveurs adverses qui se dirigeait, souaffle en main, vers les buts. Le cri de surprise qui s'échappa des gradins à la vue de cette bombe qui fonçait vers lui le retint un fragment de seconde avant qu'il ne s'apprête à lancer la balle dans l'un des cerceaux non tenus par la gardienne. C'était sans compter sur Ginny qui intercepta la balle juste avant et, profitant de la surprise, fit demi tour vers l'autre partie du terrain. Une clameur exaltée s'élevait à présent de tous les gradins. Elle puisa dans cette énergie pour éviter cognards et humains, virevolter, et s'approcher peu à peu de son objectif.

• Allez Ginny ! S'égosillèrent ses comparses de vol en la voyant pourfendre la défense adverse.

Elle n'était plus loin, à présent. Quelques mètres et elle pourrait lancer. Elle sentit contre son flanc un des poursuiveurs qui tentait de la déporter vers la droite pour l'empêcher de tirer.

• Ginny, cogne !

C'était le signal qu'elles s'étaient fixé avec les batteurs des Harpies. Elle partit soudainement en piquet vers le ciel pour laisser passer le cognard censé la frapper, envoyé par sa propre équipe. Celui-ci vint s'écraser tout naturellement sur le balai du poursuiveur qui n'avait pas eu le temps de réagir. Sans regarder en arrière, Ginny continua sa route et ne redescendit qu'au dernier moment pour envoyer le souaffle. Il atterrit au beau milieu du cerceau, malgré les cris de rage du gardien.

A moitié sonnée par les virevoltes et la vitesse, elle n'entendit pas immédiatement les tonnerres d'applaudissements et de cris qui résonnaient à présent de toute part. Jane dut intervenir pour stabiliser son balai qui semblait ivre de tant de remous. Elle observa Ginny, partagée entre l'inquiétude pour elle et l'enthousiasme d'un tel coup d'éclat.

Ginny parvint à lui lancer un sourire furtif et lever son pouce, mais semblait bien incapable de prononcer un mot.

Le tumulte qui avait été soulevé après ce point mit du temps à redescendre. Le match se poursuivit, mais plus personne ne paraissait douter de son issue, tant l'équipe des Harpies rayonnait, forte de ses victoires.

Trente minutes plus tard, l'attrapeuse se saisissait du vif d'or, mettant fin à un magnifique match.

Pour saluer, les Harpies partirent en formation serrée, dans laquelle ils mirent Ginny au milieu.

• Tu es des notres maintenant, y a pas moyen que tu partes ailleurs ! Rugissait la capitaine aux oreilles de la rouquine, extatique.

  Ginny retrouva au sol ses amis de toujours qui l'y attendaient, ravis. Que de visages souriants et si fiers, c'était beau à voir. Teddy gazouillait chaleureusement dans les bras de Harry, ses cheveux devenus aussi roses vifs que ceux que sa mère pouvait avoir autrefois.

  Ils allaient célébrer ce soir cette victoire. Mais pour le moment elle ne voulait profiter que d'eux, et de cette allégresse qu'ils n'avaient pas ressenti depuis tant d'années sombres.

  Pour la première fois depuis longtemps, Ginny ressentit ce soir une légèreté immense, une allégresse que rien ne pouvait plus gâcher. Une nouvelle vie s'était offerte à eux. Il n'y avait rien de mieux que cela. En regardant autour d'elle, elle comprit qu'eux tous partageaient la même joie et le même espoir.

  Elle resserra sa main contre celle de Harry. Ils échangèrent un regard sans rien dire, conscients de leurs sentiments réciproques. Ils avaient tout le temps pour eux, maintenant.