L'âcre fumée, comme toujours, fut la première à l’accueillir. Il sourit au spectacle de dizaines de familles sorcières amassées sur les accotements étroits. Malgré l'ouverture progressive au monde moldu, la communauté magique continuait d'arborer des tenues excentriques et colorées qui manquaient chaque année d'alerter les voyageurs de l'immense gare de King's Cross. L'adolescent fouilla dans ses poches, pour en sortir un rapeltout qui ne contenait que des volutes clairs, signe qu'il n'avait rien oublié d'important. Une voix grave, au-dessus de lui, rappela :
« Tu as déjà vérifié ce truc quatre fois depuis que nous avons quitté la maison.
-Il a de qui tenir ! » ajouta un timbre plus clair, enjoué et moqueur. L'étudiant tira la langue aux deux hommes qui l'accompagnaient et scruta plus minutieusement qu'avant les jeunes sorciers qu'il croisait. Il s'éloigna de sa famille qui traînait trop le pas à son goût. Il n'eut pas à chercher longtemps qu'une voix familière retentit.
« Gus ! »
Le garçon au teint sombre se retourna vivement et serra la main de Louis Weasley, un ami proche. Son camarade était aussi pâle qu'il était bronzé. Le garçon, qui comme lui, s'apprêtait à entrer en Troisième Année, s'enquit d'ailleurs de la présence de ses proches.
« Où est Orla ?
-C'est papa et Seamus qui m’emmènent cette année. Maman est à l'hôpital.
-Tout va bien ? » s'inquiéta aussitôt l'adolescent. Quand il était en proie à une émotion forte, ses tâches de rousseur disparaissaient presque entièrement. C'était une faculté extraordinaire dont il avait hérité, tout comme ses gènes veelas, de sa mère. Fleur Delacour, sorcière française, était mariée à l'un des nombreux Weasley, Bill. Contrairement à Gus, Louis avait deux sœurs dont il se plaignait souvent, en tant que seul garçon de la fratrie. Il lui sourit :
« Au contraire ! J'ai une petite sœur. » Louis lui tapota l'épaule en signe de soutien, comme s'il venait d'accuser un décès dans la famille. Il lui souffla, juste avant que son père n'arrive :
« Ne t'inquiète pas ! On la dressera bien. Hors de question qu'elle soit aussi coquette que Vic ou ennuyeuse que Dom. »
Gus se retourna vers le couple. A côté de Dean Thomas, il y avait Seamus Finnigan, et ils se tenaient la main. Gus jeta des regards alentours mais personne ne sembla s'attarder sur ce détail, contrairement à ce qu'il avait craint. En interceptant l’œillade destinée à leurs mains liées, l'irlandais lâcha son compagnon, qui lui accorda un regard interloqué. Il n'eut pas le temps de poser de questions qu'un rouquin, plus âgé que Louis, leur sauta dessus à tous les deux :
« DEAN ! SEAMUS ! Je devais absolument vous voir ! On a un projet Top Secret de produit avec Ron et on a besoin de.... Oh, salut les garçons !
-Oncle George. » le salua Louis, l'air un peu réprobateur. Gus, hilare de son côté, inclina la tête :
« Monsieur George.
-Outch ! Ton mioche vient de m'assommer de quinze ans de plus ! » se plaignit l'homme d'âge mûr. Il ébouriffa les cheveux de son neveu, qui plissa le nez de mécontentement. Celui-ci attira Gus à sa suite et tous deux se mirent en quête de Lucy, une cousine de Louis, et d'Abel McLaggen, qui formaient avec eux un quatuor redouté de la maison Poufsouffle.
Comme d'habitude, ils trouvèrent Lucy entre ses deux parents, stoïques et inexpressifs, qui discutaient posément avec des sorciers émérites qui leur étaient inconnus. Il y avait aussi la petite sœur de celle-ci, Molly, très intimidée, qui n'entrerait pas à l'école avant deux ans. Si Louis et Lucy avaient tous les deux des tâches de rousseur, l'un était roux clair et l'autre arborait une longue chevelure d'un noir corbeau, qui lui arrivait aux hanches. Molly, très semblable de traits à son aînée, était quant à elle d'un roux vif, et aucune tâche de rousseur ne parcourait sa peau. Gus était toujours amusé des disparités entre chacun des cousins d'ascendance Weasley. Une fois Lucy localisée, ils se dirigèrent, tous trois, vers un grand garçon carré d'épaules, blond comme les blés, aux yeux d'un vert bleuté, qui dépassait sa mère, une petite sorcière potelée aux grands yeux clairs, de plusieurs têtes.
Il leur adressa de grands signes de main, une fois qu'il les eut aperçus, et manqua d'éborgner ses parents dans l'opération. Le père, plus amusé que contrarié, lui donna une claque dans le dos pour le pousser dans leur direction. Ils évoluèrent ensemble dans la foule, de connaissances en connaissances, sur le quai bondé. Gus adorait l'atmosphère qui précédait le départ de la célèbre locomotive rouge et noire. C'était, l'exact instant, où l'on quittait le monde réel. Après un bon quart d'heure à rire et à piailler allègrement, les quatre adolescents se séparèrent pour retrouver leurs parents avant de les quitter pour plusieurs mois. Gus trouva son père sans difficulté, puisqu'il dépassait de deux têtes la majorité des magiciens réunis contre les flancs chauds de l'appareil. Il se glissa, frôlant les capes de diverses factures, jusqu'à lui et Seamus. Ce dernier lui sourit et Gus le serra dans ses bras.
« Prends soin de papa.
-Tu me connais. » répondit l'homme aux cheveux sables.
Seamus était son parrain, car il avait été et restait le meilleur ami de son père depuis son entrée dans la prestigieuse institution de magie écossaise où il étudiait à son tour. Pendant longtemps, Gus l'avait considéré comme un oncle et avait adoré passer les vacances chez lui, en Irlande. D'ailleurs, il était lui-même un peu irlandais par sa mère comme en témoignait son deuxième prénom duquel était tiré son surnom le plus usité. Car Gus s'appelait en réalité Rickard Ungus Quirke-Thomas. C'était le temps des familles recomposées et il était habitué depuis tout petit au fait que ses parents n'étaient pas en couple. Orla Quirke avait eu une aventure sans lendemain avec Dean Thomas et était tombée enceinte. Se sentant prête à être mère, et Dean souhaitant également avoir des enfants, ils s'étaient mis d'accord pour l'élever en garde alternée. Aussi, depuis toujours, Gus, possédait deux maisons et deux parents pour lui tout seul. Il lui arrivait bien d'être un peu envieux d'Abel qui bien que fils unique, avait de nombreux cousins. Lui, il n'avait pas d'autre enfant de son âge pour lui tenir compagnie malgré sa fréquentation des marmots d'amis proches de ses parents. Mais un cousin ou un frère, ça aurait été mieux. Toutefois, les choses allaient changer : sa mère, mariée à un ancien camarade de classe, venait d'accoucher d'une petite sœur. Contrairement à Louis, il était plutôt enthousiaste face à cette nouvelle.
Cependant, il avait été difficile d'accepter que ses parents fassent leur vie. Il avait gardé rancœur à son parrain pour s'être rapproché de son père amoureusement, et avait mené la vie dure à Anthony Goldstein aux débuts de sa relation avec Orla. Pourtant, il savait bien que ses parents avaient toujours veillé sur lui avec soin, et que ses deux beaux-pères le considéraient avec beaucoup d'affection. Si Gus était franc avec lui-même, il reconnaîtrait qu'il avait été choyé et probablement que certains sacrifices avaient coûté aux deux couples par amour pour lui. Cet été, ils avaient enfin réussi à trouver un équilibre tous les cinq. Gus avait pu passer autant de temps avec ses deux parents, qui lui avaient chacun consacré une semaine sans leurs compagnons. Seamus avait eu beau clamer qu'il avait pu s'atteler à des projets importants, le garçon savait pertinemment qu'il détestait être séparé de Dean. Aussi, Gus avait demandé l'asile à Louis lorsque l'irlandais était revenu, pour leur laisser un peu d'intimité. Il comprenait qu'il devait désormais laisser ses parents exister par eux-mêmes.
A quelques pas de leur trio, Gus observa un homme brun, aux cheveux en bataille, qui, accroupi, parlait à un petit garçon qu'on aurait pu qualifier de miniature de son paternel.
« Qu'est-ce qu'Albus ressemble à Harry ! » s'exclama Dean. Gus connaissait du Survivant, ce qu'en disaient encore les journaux. Cependant, comme il avait partagé un dortoir avec son père et Seamus du temps de leur scolarité, les deux gryffondors lui avaient raconté des anecdotes d'école dans lesquelles il avait été impliqué. Sa famille était également venue une fois ou deux dîner chez Dean et Seamus dernièrement. Sans compter que James, Albus et Lily, ses enfants, étaient eux-aussi des cousins de Louis. Le père et le fils, devisant à voix basse, le plus jeune semblant moins craintif au fur et à mesure de leur dialogue, rappelèrent au poufsouffle sa propre rentrée, deux ans plus tôt. C'était la seule où ses deux parents avaient été présents en même temps. Il s'était alors senti à la fois extrêmement vulnérable et entouré. Il sourit et se tourna vers Dean.
Bien qu'il ait treize ans ; et qu'à cet âge là, on ne faisait normalement plus de câlins, encore moins en public, à ses parents ; Gus tendit les bras vers lui et l'homme, bien que surpris, l'accueillit dans ses bras. Gus se contenta de le serrer contre lui, puis, se détachant, lui murmura :
« Je suis content que ce soit toi cette année. » Dean fouilla dans ses poches et lui tendit un petit carnet qu'il savait rempli de dessins. Il précisa :
« J'ai croqué la maison, papy et mamie, les tantes, et même Orla et Anthony. J'aurais voulu que tu aies aussi ta petite sœur mais je pense que tu voudras coller sur la dernière page le portrait que ta mère doit t'envoyer. » Malgré le teint sombre de sa peau, l'étudiant discerna des rougeurs sur ses joues et hocha la tête en glissant le calepin dans l'une de ses poches. Seamus les interrompit d'une voix timide :
« Tu vas vraiment finir par le rater ce trajet ! » Un aboiement sonore le fit sursauter. A quelques dizaines de mètres de là, Anthony, le mari de sa mère, agitait la main dans leur direction en retenant un énorme chien de montagne déterminé à se jeter sur Gus. Celui-ci courut à l'encontre de l'homme et du canidé qui le fit tomber en lui sautant dessus.
« Qu'est-ce que tu fais ici ?! » s'exclama d'une voix aiguë le métisse.
« J'ai fait aussi vite que j'ai pu. Je dois vite retourner à la maternité. Mais nous avons reçu ce courrier ce matin et j'ai pensé que tu préférerais retourner au château avec ton chien. » Il lui fourra dans la main une lettre cachetée du sceau de l'établissement dans lequel il était scolarisé et le poussa vers le bord de la voie :
« Tu liras ceci pendant la route. Tout ce que tu dois savoir pour le moment c'est que Pullover est autorisé par la Directrice. » Gus ouvrit deux grands yeux et se tourna vers Dean.
« Allez ! Tu vas le manquer ! Grimpe là-dedans et ne te pose pas de questions ! » Seamus avait déjà hissé sa lourde malle à bord de l'un des wagons. Autour de son parrain se trouvaient Louis et Roxane, qui avaient déjà fait leurs adieux à leurs familles. Abel sauta dans l'attelage à son tour et Gus l'imita, tirant sur la laisse. Mais l'animal au bout de celle-ci s'immobilisa, apeuré par la fumée environnante et les bruits métalliques du véhicule. Dean et Anthony le poussaient de toutes leurs forces pour le forcer à suivre son jeune maître mais il jappait misérablement. Ce fut le jeune McLaggen qui vint au secours de son ami. Il souleva l'énorme molosse dans ses bras, se faisant griffer les épaules et les flancs au passage et posa l'animal derrière Gus. Celui-ci le remercia d'un sourire chaleureux. Ils rejoignirent leurs amis avec Pullover. Il ne put que croiser Seamus qui se hâtait de descendre avant le départ du convoi. L'irlandais lui ébouriffa les cheveux au passage et sauta en marche, atterrissant en riant dans les bras de son compagnon.
Gus, le sourire jusqu'aux oreilles, fit de grands signes de main aux trois hommes tandis que ses camarades en faisaient de même avec leurs parents respectifs. Enfin, le sifflet retentit ce qui fit aboyer furieusement Pullover. En une seconde, ils avaient oublié leurs foyers, leurs proches, Londres et même la gare, pour se regrouper autour de l'incongru animal. Ils passèrent un long moment à le rassurer et le câliner avant de se lancer fiévreusement dans des pronostics sur l'année à venir.