Pour tenter d'occuper un peu de place dans les médias somnolents du mois d'août, le maire de Londres était venu inaugurer la semaine précédente la toute nouvelle ère de transplanage de King's Cross Station. Elle était encore cernée de son cordon rouge que personne n'avait pensé à enlever lorsqu'un craquement sonore annonça l'arrivée de Percy Weasley, le 1er septembre, avant l'aube. Il faisait encore nuit. Le sorcier avait des cernes prononcées, mais son costume brun était impeccable. Percy était fatigué, mais il n'était jamais négligé. Il n'avait pratiquement pas dormi de la semaine, passant ses nuits à imaginer chacun des pires scénarios possibles pour cette journée de rentrée scolaire, et ses jours à édicter d'interminables décrets sensés les conjurer. Ce matin n'en pouvant plus, il venait sur place pour tenter de se rassurer.
Un seul regard lui suffit pour s’apercevoir que ses inquiétudes n'étaient pas justifiées. La gare aurait été déserte, n'étaient un clochard ronflant bruyamment sur un banc, un groupe d'étudiantes banlieusardes à peine vêtues et un homme d'entretien poussant une grosse machine de nettoyage pour lisser les sols avant que la foule de la journée ne vienne ruiner son travail. Les jeunes filles s'agitaient pour se réchauffer un peu en attendant le 5h34 qui les ramènerait chez elles après une soirée agitée. Contrairement aux petits écoliers sorciers, elles avaient encore quelques jours de répit devant elles avant de retourner en cours. Dès qu'elles avaient entendu le craquement du transplanage, elles s'étaient précipitées sur Percy.
– Monsieur ! Vous êtes un sorcier ?
– Mais arrêtes ! Tu peux pas lui demander ça !
– Je l'ai vu sur Youtube ! C'est Charlie Weasley !
Percy avait commencé à essayer de battre en retraite sous cet assaut inattendu. Il avait même envisagé de transplaner pour rentrer chez lui, et de revenir un peu plus discrètement. Mais les étudiantes l'entouraient déjà.
– Je ne suis pas Charlie, bafouilla-t-il, sans avoir la moindre idée de la façon dont il allait échapper à ce piège. Je suis Percy. Charlie est mon frère.
– Oh. fit la jeune fille, déçue. Et bien si vous voyez votre frère, dites-lui qu'il est trop craquant !
– Sally ! Arrêtes ! Ça se dit pas !
Percy rougit jusqu'aux oreilles, se promettant formellement de ne jamais transmettre ce message à Charlie, et plus généralement de ne jamais mentionner cet épisode à aucun de ses frères.
– Vous pouvez nous montrer de la magie ? demanda la dénommée Sally, indifférente aux réticence de son amie. J'en ai vu qu'en vidéo, et on sait jamais si c'est truqué.
– Mesdemoiselles ! Je n'ai pas vraiment le droit de...
– Oh ! S'il vous plaît, m'sieur !
Percy regarda autour de lui. Il n'y avait toujours personne. Le clochard ne s'était pas réveillé, et l'homme d'entretien avait à peine levé les yeux de la machine qui semblait le tirer plus qu'il ne la poussait.
– D'accord, dit-il en sortant sa baguette, espérant qu'il pouvait ainsi se débarrasser d'elles. Accio détritus !
Plusieurs canettes vides et vieux journaux volèrent vers lui. Il les fit tournoyer un peu devant lui. Les étudiantes battirent des mains, et Percy se redressa très fier de son petit effet, décida d'improviser un peu. Il y ajouta quelques étincelles bleues, puis il métamorphosa ces déchets en une jolie tourterelle blanche qui s'envola pour aller se poser sur les poutres de la gare.
Percy craignit de devoir réitérer sa prestation pour les premiers passagers du matin qui commençaient à passer les portes, lorsqu'il aperçut une silhouette familière qui lui donna une excuse en or pour donner son congé. Il tenta de reprendre contenance, espérant que le nouvel arrivant n'avait pas trop vu son supérieur hiérarchique se donner en spectacle.
Sebatian Muldoon ressemblait étrangement à une version de Percy vingt ans plus tôt. C'était la raison pour laquelle il s'était levé avant cinq heures pour se mettre à la disposition du directeur du département des transports magiques, parchemin et plume magique à la main.
Tandis que les deux sorciers contrôlaient les enchantement de protections placés sur la gare, les londoniens commençaient à sortir des bouches de métro, puis le premier régional en provenance de Dartford déversa une foule de banlieusards pressés, et le hall vide se remplit brutalement d'une cohue bruyante. Il était inutile de continuer à faire des vérifications superflues dans ces conditions, et Percy le savait. Il ne pouvait plus qu'attendre, en espérant que rien ne déroge à l'organisation qu'il avait planifiée. Muldoon, néanmoins, continuait à gratter frénétiquement son parchemin, au pont qu'il s'était mis de l'encre sur le bout du nez.
– Tu peux prendre une pause, Sebastian, lui dit-il, un peu gêné par les souvenirs de lui-même que lui évoquait l’attitude de son secrétaire. Je vais te présenter au colonel Hashmi.
Avec les premiers passagers, arrivaient les forces de la sécurité moldue. Tehreem Hashmi était occupée à placer ses hommes de façon à ce qu'ils accèdent rapidement aux points stratégiques de la gare en cas d'alerte. C’était une femme au visage précocement ridé, qui s’efforçait de dévisager chacun des passagers passant devant elle, tâche impossible. Derrière elle, quatre militaires se tenaient droit, leur arme baissée, et semblaient bien moins inquiets que leur supérieure. Ils avaient même l’air de s’ennuyer, et leur principal effort consistait à ne pas le montrer.
Tehreem lui serra mollement la main.
– Je suis contente de vous voir, Percy. Les gars des renseignements sont confiant. Ils pensent que tout se passera bien.
– Je le pense aussi, confessa Percy, mais on n'est jamais trop prudent. On m'a dit qu'une manifestations du Front Rationalistes était prévue dans la matinée.
– Bah ! Ils ne seront pas plus d'une centaine, et nous allons les confiner en dehors de la gare, loin des familles des sorciers venues faire leur rentrée.
– Ils ont accepté ça ?
– Je n'ai jamais envisagé de leur laisser le choix. Et d'ailleurs, l'opinion publique a été durablement choquée par l'année où ils sont venus insulter les enfants dans la gare. La situation n'est plus aussi tendue que jadis. Nous patrouillons pour intercepter les éléments perturbateurs, mais dans l'ensemble, je pense qu'ils resteront dans leur zone assignée.
– Je l'espère, dit Percy.
Ils restèrent silencieux quelques minutes, à regarder la foule de plus en plus dense aller et venir. Tehreem se racla la gorge, et repris, gênée.
– Écoutez Weasley, ça ne me fait pas plaisir de vous dire ça, mais dans le rapport des Renseignement, il y avait une mention de votre frère, Ron.
– Qu'est-ce qu'il a encore fait ? soupira Percy, vaguement inquiet.
– Apparemment, il a jeté un sortilège de Confusion sur un instructeur d'auto-école.
– Oh Merlin ! s'exclama Percy. Quand était-ce ?
– Avant-hier. Personne ne s'en est aperçu, mais je voulais vous en informer. C'est le genre d'information que le MI5 risque de garder.
– Personne ne s'en est aperçu, mais alors... Percy connecta le deux éléments ensemble, et s'exclama Vous l'espionnez ?
– Bien sûr que nous le surveillons. Vous êtes tous suivis. Percy, je pensais que vous étiez assez intelligent pour le deviner. Nous n'avons pas le droit à la moindre imprudence.
Percy ouvrit la bouche. Il la referma. Il cherchait quelque chose à répliquer, mais rien ne lui vint. Il ne pouvait pas désapprouver la politique de la sécurité moldue. Il savait que dans la même situation, il aurait exactement eu la même.
– Je vais lui parler.
Puis, prévenant l'objection de Tehreem qui n'allait pas manquer de venir, il ajouta :
– En présence d'Hermione.
Satisfaite, Tehreem se retourna vers ses soldats pour leur donner les instructions de patrouille. Percy et Muldoon repartirent de leur côté, guettant l'arrivée des premiers sorciers. Percy était perturbé par la perspective de devoir mettre son petit frère en conflit avec sa femme pour une question de respect des règles. Chaque fois qu'il pensait les avoir apprivoisés, les démons de son passé revenaient le hanter. Perdu dans ses propres pensées, il ne vit pas l'agitation nerveuse de son secrétaire. Celui-ci regardait successivement son parchemin, sa plume et son supérieur, dans le désordre.
– Ils font vraiment suivre tous les sorciers, Mr Weasley ?
– J'imagine, répondit Percy. Même s'ils doivent être plus attentifs à certains qu'à d'autres.
– Mais il faudrait en informer la Gazette. Ils ont promis que nous serions en paix, et là... Et puis ce n'est qu'un simple sortilège de Confusion ! Ils ne peuvent pas nous faire des reproches pour si peu !
Percy regarda son secrétaire comme s'il le découvrait, et il vit tout ce qu'il avait gagné en maturité ces dernières années. A une époque, il aurait pu être d'accord avec le jeune Sebastian. Mais plus aujourd'hui.
– Les moldus sont très à cheval sur les principes d'égalité, Sebastian. Mon frère s'est accordé un avantage grâce à sa magie, parce qu'il le pouvait, et cela, ils ne sont pas enclins à l'accepter. Le Ministère ne peut pas se permettre d'être complaisant avec ce type d'infraction. Il en va du maintien de la paix. J'ai du mal, parce que c'est mon frère, mais si c'était n'importe qui d'autre...
– Mais nous sommes venus à bout de leurs fanatiques ! s'écria Muldoon que Percy n'avait jamais vu aussi passionné et virulent. Vous l'avez dit vous-même, ils ne sont plus qu'une poignée avec des pancartes et des slogans d'insultes, et les parents des élèves ne s’apercevront qu'ils étaient là que demain, dans le journal. Pourquoi devrions nous encore faire des concessions ?
– Nous en sommes venus à bout, parce que nous avons pris conscience qu'il y avait un problème, et que nous l'avons réglé sérieusement, Muldoon ! Vous vous souvenez des procès qu'il y a eu à l'époque, n'est-ce pas ? Nous n'avons pas le droit à la moindre complaisance. La première agression d'un moldu par un sorcier, et le feu peut reprendre comme s'il ne s'était jamais arrêté.
– Ce n'est qu'un sortilège de Confusion ! Ça ne peut pas avoir de conséquence !
La discussion tournait en rond. Percy décida d'y couper court, et de confier à son assistant la tâche d'aller le remplacer au ministère. Il savait que le garçon en serait ravi.
Il se rapprocha doucement, pensif, du mur séparant la gare des moldus et celle des sorciers. Un instant, il songea à aller jeter un coup d’œil aux manifestants du Front Rationaliste qui devaient commencer à se rassemble dehors, puis il y renonça. Sa conversation avec Muldoon l'avait laissé songeur. Il mesurait mal l'opposition et les rancœurs que la disparition du Secret Magique avait fait naître de part et d'autres. Il n'avait jamais été très doué pour juger le caractère et les motivations des gens. Ces dix neuf dernières années, il s'était appuyé sur Kingsley, puis sur Hermione, pour ne pas retomber dans ses errances passées. Il se dit qu'il devrait essayer d'avoir une conversation avec eux à ce sujet. Et puis il se souvint que sa prochaine conversation avec Hermione aurait pour sujet les privautés de Ron.
L'arrivée des premières familles sorcières le tira de ses réflexions pessimistes, et il vit de ses propres yeux que tout se passait à la perfection. Il aperçut Ginny entourée de ses trois enfants, et, bien loin des manifestations d'hostilité qu'il avait redouté, les banlieusards regardaient les hiboux avec curiosité au passage de la famille qui se frayait un chemin. Il se surprenait lui même à sourire en voyant arriver cette marée d'enfants, et tout l'espoir qu'ils représentaient. Il serait bien allé saluer sa sœur, mais alors qu'il passait du côté sorcier, il fut interrompu par le vieux Devlin Corneblanche, le fondateur de la société Nimbus, qui voulait absolument permettre aux élèves de se rendre à l'école en balai, et le relançait pour la quatrième fois de la semaine sur la question.
Tout s'était bien passé, rien n'avait troublé le déroulement de la rentrée, et Percy Weasley se sentit d’humeur à rappeler à cet importun dans le détail la réglementation sur la question. Corneblanche comprit beaucoup trop tard dans quel piège il s'était jeté, alors que Percy abordait la treizième raison pour laquelle il rejettait la motion. Le vieil homme implora l'aide des mains des parents tendues pour les adieux. Mais le départ de la lourde locomotive ne pouvait rien pour lui.