Au fond de la campagne de la Grande Bretagne, les hommes qui vivaient n’avaient rien de remarquable.
Ils menaient la même vie que les habitants de douce France ou que dans l’empire, travaillaient les champs, faisaient de la mauvaise bière qu’il buvait avec délectation, se bagarraient, se mettaient en ménage, envoyaient leurs enfants garder les bêtes qu’ils élevaient et ils chassaient.
Dans un certain village, les hommes aimaient la chasse.
Leurs chasses étaient limitées, naturellement. Les chevaliers du château voisin traquaient cerfs, chevreuils ou sangliers tandis que les paysans braconnaient discrètement, même si le seigneur du lieu fermait souvent les yeux.
Il n’était pas rare de voir des chasseurs se remettre de leur fatigue à l’auberge du poney fringant et boire joyeusement.
C’est pourquoi, personne ne fut étonné de voir arriver à grande vitesse une petite troupe de chasseurs, deux gardes et quelques rabatteurs.
En revanche, la précipitation dont ils firent preuve pour fermer les portes attira l’attention générale.
―Hé là ! Que faites-là ? cria quelqu’un.
―Êtes-vous ivres ou fols ? ajouta un autre étonné par cette arrivée impromptue.
Mais avant qu’il n’y ait d’autres protestations ou quelques railleries, un grand bruit se fit entendre à l’extérieur. Quelque chose de lourd frappa la porte avec violence suivie de plusieurs autres pendant un instant. Après un léger silence, il y eut un autre coup porté à la porte mais plus faible, comme donné avec dépit.
―Qu’était-ce ? demanda une voix avec une pointe d’angoisse.
Plusieurs regards se tournèrent vers ceux qui avaient troublé la quiétude de cette paisible auberge. Ils arboraient une franche expression de peur.
Un homme encore jeune se posta devant eux et les apostropha vivement.
―Hé bien ? Qu’avez-vous donc fait pour nous mettre tous en danger ?
Ils n’osèrent répondre.
―Cessez de trembler ! De quelle créature avez-vous provoqué le courroux ?
N’obtenant pas de réponse, il roula des yeux furieux et sortit une baguette magique qu’il pointa sur eux.
―Soit ! En ce cas, je vais vous livrer à vos poursuivants ! Peut être alors, partira-t-elle sa colère satisfaite !
Ils pâlirent atrocement mais un autre homme s’interposa.
―Que racontez-vous là ? Nous ne pouvons faire cela ! Je refuse de sacrifier froidement plusieurs hommes !
―La belle affaire ! Je ne vais pas mourir à cause des actes de ceux-là ! Écartez-vous !
Pour toute réponse, l’homme qui s’était interposé sortit à son tour une baguette et se tînt prêt à combattre, une main posée sur l’épée sur son flanc.
―Je propose de sortir pour affronter cette menace !
À ce moment, un grand bruit vint du toit comme si une grosse branche était tombé d’un arbre. Un mur trembla. Quelque chose tapa contre le mur à plusieurs reprises, bien trop haut pour qu’il s’agisse d’un homme.
Dans la pièce, la peur grandit alors et beaucoup commencèrent à débattre pour trouver une solution.
Plusieurs se rangèrent du coté de celui qui proposait de faire sortir les chasseurs. Certains proposèrent d’attendre que les chevaliers du château voisin se portent à leur secours. D’autres voulaient se terrer ou sortir en masse pour augmenter leurs chances individuelles de s’en sortir sans dommage.
Une femme s’avança alors et se plaça entre les deux sorciers, les mains levés dans un geste d’apaisement.
―Baissez vos baguettes ! Aucun bien ne peut résulter d’un affrontement entre vous !
Un silence s’imposa alors ; non pas que les hommes ait reconnu la justesse de ses propos mais simplement qu’il leur paraissait tellement incongru qu’un femme intervienne qu’ils en restaient sans réaction.
―Elle a parlé avec raison, s’exclama une autre femme en s’avançant à son tour. Un combat en ce lieu aurait un effet mortifère. Avant tout, nous ne pouvons faire face à une situation sans savoir de quoi il retourne. Aussi, nous devons savoir ce qu’il y a dehors.
Les deux sorciers hochèrent en silence la tête. Ils admirent qu’elle avait raison.
Ceux qui étaient proches des petites fenêtres de l’auberge tentèrent de distinguer quelque chose au dehors mais ne virent rien.
Tous guettèrent le moindre bruit venu de l’extérieur mais ils n’entendaient rien de plus que d’ordinaire.
Le visage des chasseurs s’illumina.
―Il doit avoir renoncé, souffla l’un.
―Qui donc ? demanda le premier sorcier, l’un des rares à ne pas avoir arboré une face réjouie. Qui vous a poursuivi ?
―Une bête sauvage ! Qu’est-ce que cela change ?
Ceux qui étaient proches de la portes confirmèrent qu’ils n’entendaient rien.
―A quel danger nous avez-vous exposé ? insista le sorcier.
―Pourquoi s’en inquiéter ? Il n’y a plus de danger !
―Allons nous en assurer, décida l’autre sorcier.
Du même avis, les deux sorciers se dirigèrent vers la porte, emmenant avec eux les chasseurs et suivis par les deux femmes qui étaient intervenus.
Très lentement, la porte fut ouverte.
Il n’y avait rien dehors. Une forêt était visible à un jet de pierre mais on ne distinguait aucune ombre ni mouvement.
Un soupir de soulagement retentit alors et un chasseur quitta l’auberge.
―Revenez prestement, lui cria la dernière femme qui avait parlé. Vous agissez sans prudence.
Au moment où le chasseur s’apprêtait à répondre, quelque chose fondit sur lui du ciel, lui porta un coup sur la nuque qui le fit tomber et le piétina avec rage avant de se tourner vers l’entrée de l’auberge et de toiser avec hauteur ceux qui se tenaient là.
Des pattes jusqu’au début du cou, la créature avait l’allure d’un cheval. Elle avait une tête de rapace et était pourvue de deux grandes ailes.
―J’ai n’ai jamais vu chose si étrange, avoua le sorcier à l’épée.
À ces mots, la créature piaffa d’un air indigné et donna quelques coups de sabots sur le sol.
―Il ne semble pas avoir apprécié la remarque, nota l’une des femmes.
―Il agit comme s’il se sentait mortellement offensé, un peu comme un homme très fier, remarqua l’autre sorcier.
Un client de l’auberge voulut connaître l’origine de toute la frayeur qui avait saisi tout le monde et se fraya un chemin jusqu’à la porte. À la vue de la créature, il fut prit de panique et voulu retourner à l’intérieur de l’auberge mais n’y parvint pas à cause de la foule compacte. Aussi, prit-il le chemin inverse et s’enfuit-il en courant.
La créature lui jeta un regard dédaigneux avant de reporter son attention sur la porte.
―Voilà qui est étonnant ! Cette créature cherche le conflit mais pas avec cet homme !
―Il est possible qu’elle n’estime pas qu’il soit digne de la combattre, suggéra la sorcier à l’épée.
―Ou alors qu’elle n’éprouve pas le moindre intérêt pour lui, répliqua l’autre sorcier. Elle a poursuivi un groupe de chasseurs jusqu’ici et ne s’en ait prit qu’à eux.
―Elle m’estimera peut-être digne de l’affronter !
―Ce ne sera peut-être pas nécessaire, murmura l’une des femmes. Vous avez raison. Je pense qu’elle n’en veut qu’aux chasseurs. Peut-être leur reproche-t-elle d’avoir pénétré son territoire ?
―Nous en revenons donc à la question de ce qu’ils lui ont fait !
À ces mots, le sorcier pointa sa baguette juste sous la gorge de l’un des chasseurs qui avait commit l’imprudence de se tenir près de lui.
―Qu’avez-vous fait ?
―Nous étions partis chasser mais nous étions bredouille quand nous aperçûmes cette bête…
Au mot de bête, la créature renâcla en tapant du sabot contre le sol.
―Le premier rabatteur qui a essayé de la faire venir près des chasseurs a du reculer quand elle s’en est prise à lui sans se soucier de ses armes. Elle l’a tué sauvagement. Devant sa violence, les autres rabatteurs se sont enfuis mais elle les a poursuivis jusqu’auprès des chasseurs. Aucun chien n’a survécu.
―Elle cherche donc la vengeance.
―Je pense aussi et elle semble déterminée. La seule solution serait de calmer sa colère.
―Je peux aussi l’affronter…
―Comme cette créature est intelligente, je vois deux solutions pour calmer sa colère : lui livrer ceux qui l’ont offensée ou que ceux-ci lui présentent leurs excuses.
À ces mots, plusieurs des chasseurs se rebiffèrent, outrés par l’idée de présenter des excuses à ce qui leur a servi de gibier.
Mais ils n’eurent pas le loisir de se plaindre à cause de la menace d’être livrés à la férocité de la créature, malgré les protestations de l’autre femme qui n’appréciait pas l’idée.
Ils sortirent tous lentement, les mains en l’air pour montrer qu’ils n’avaient plus d’intention hostile.
Ils avancèrent de quelques pas.
―Par pitié, pardonnez-nous ! Nous ne voulions pas vous offensez !
Ils restèrent la tête basse avec un air contrit devant la créature qui les toisa avec les ailes levés ce qui lui donnait un air très impressionnant.
―Elle ne semble pas accepter les excuses.
―Revenez, s’écria la femme qui s’était opposée à ce qu’ils soient livrés. Il doit y avoir un autre moyen de calmer sa colère.
Ils esquissèrent un pas en arrière mais la créature redonna des coups de sabots sur le sol.
―Elle estime peut-être que ces excuses sont insuffisantes. Mettez-vous à genou pour implorer son pardon.
Ils n’osèrent rien répondre et se mirent lentement sur leurs genoux avant de se mettre à supplier la créature.
Celle-ci les toisa encore un moment puis baissa la tête rapidement et enfin fit un geste de la tête comme pour leur dire de déguerpir, ce qu’ils firent.
―Cela est vraiment incroyable, commenta le sorcier à l’épée. Il y a une telle fierté dans cette créature et une certaine noblesse.
La plupart des clients de l’auberge étaient retournés à l’intérieur pour se remettre de leurs émotions. Cette histoire était terminée. Ils ne sentaient plus vraiment concernés.
Seuls les deux sorciers et les deux femmes étaient restés devant la créature.
Le sorcier qui venait de parler voulut s’approcher pour admirer la créature mais à peine eut-il fait quelques pas que l’une des femmes sorti une baguette et l’arrêta.
―Elle a montré sa fierté. Elle ne vous laissera pas approcher comme cela.
―Comment alors ?
―Il faut le lui demander, répondit l’autre sorcier. Elle est fière…
Au « elle », la créature grogna légèrement en tapant le sol de son sabot.
Le sorcier regarda la créature, réfléchit et risqua un « il » qui fit hocher plusieurs fois la tête de la créature avant qu’elle ne se redresse.
―Il est très fier et paraît assez susceptible. Je pense qu’il a une haute opinion de lui-même.
―Je suis d’accord, ajouta la sorcière. Il faut lui demander la permission.
Le sorcier à l’épée parut perplexe.
―Comment faire ?
Ils réfléchirent à cette question sous le regarda attentif de la créature.
La seconde femme, celle qui était plus silencieuse, parla alors :
―Il n’a parut satisfait que lorsque les chasseurs se sont mit à genoux.
Le sorcier à l’épée la regarda avec une expression horrifiée.
―Qu’est-ce à dire ? Je ne vais quand même pas me mettre à genoux !
Les deux autres eurent un sourire avec une pointe de raillerie.
―Ce n’est probablement pas nécessaire. Les chasseurs ont été contraints de se mettre à genoux uniquement parce qu’ils l’avaient mortellement offensé en le prenant pour un simple gibier. Il n’est sans doute pas nécessaire d’aller aussi loin, supposa l’autre sorcier. Néanmoins, je pense qu’il faut tout de même s’incliner.
―Soit !
Il fit deux pas et s’inclina devant la créature. Il entendit les autres parler.
―Et si la rencontre se déroule mal ?
―Je connais d’excellents sorts de guérison !
C’était la dernière femme qui avait parlé. Ainsi, elle pratiquait aussi la magie.
La créature baissa à son tour la tête et le sorcier put se relever pour s’en approcher.
Avec un peu d’hésitation, il posa sa main sur l’encolure de la créature et caressa doucement ses plumes.
Enfin, la créature recula, salua une fois encore et prit son envol.
―Quelle fantastique créature !
Ils se regardèrent avec curiosité.
Aucun d’entre eux n’avait côtoyé beaucoup d’autres sorciers durant leurs vies.
―Vous vous êtes montré bien téméraire, observa la première femme qui avait dévoilée être une sorcière.
―Il est vrai que cela m’a été souvent reproché.
Ils eurent tous l’étrange impression que quelque chose allait naître de leur rencontre.