Dans la nuit d’un noir d’encre, il entendait les vagues se fracasser sur la côte. Elles étaient là, toutes proches, toutes vouées au même destin injuste. Elles couraient d’une rive à l’autre de l’océan pour finir là, à mourir en gerbe d’écume sur un amas de rochers amassés sans grâce, au bord d’une terre noire et sombre.
Elles étaient toutes proches mais Sirius ne les entendait pas, pas vraiment. Dans son esprit résonnaient encore les cris. Il entendait les rires fous, auxquels le sien se mêlait parfois. Il entendait les horreurs et les appels à l’aide. Il entendait ce qui était pire encore : le silence et l’angoisse provoqués par les implacables geôliers de l’atroce forteresse qu’il venait de quitter.
Il était debout sur un rocher, trempé comme un chien mouillé. Ses vêtements en loques ne le protégeaient pas de la morsure du froid nocturne. Quel jour était-il ? Il se souvenait de la date sur le journal, mais combien de temps avant qu’il ne mette son plan à exécution ? Un jour ? Une semaine ? Un mois ? Entre les murs nus d’Azkaban, le temps avait cessé de couler pour tous les damnés qui y attendaient la mort plus ou moins patiemment.
Sirius réprima un frisson et s’assit sur un rocher moins aigu qu’un autre. Il n’était pas soulagé. Il n’était pas heureux. Il avait presque oublié cette force qui l’avait poussé à s’évader de ce lieu qu’on ne pouvait quitter que les pieds en avant. Il avait oublié la haine et le goût amer de la vengeance inassouvie.
Il n’avait pas peur, il n’était pas triste. Il se sentait vide.
Décharné sur son rocher, il fixait l’obscurité des vagues, et laissait résonner dans sa tête les cris de ses compagnons d’infortunes.
Combien de temps avait-il mis avant de prendre en pitié même le pire des Mangemorts ? De sa cellule, il avait entendu chaque jour les pleurs de sa très chère cousine. Mais même Bellatrix n’était plus digne de sa haine. Même Bellatrix ne méritait pas ce désespoir de chaque instant, cette souffrance sans début ni fin, ce vide atroce et froid que les Détraqueurs faisaient naître en chacun d’eux.
Personne ne le méritait. Tout valait mieux que ce froid-là, ce froid qui recouvre d’un coup le corps, l’âme et le cœur, qui détruit dans chaque homme tout ce qui un jour avait été bon.
La mort aurait été un châtiment plus enviable que cette éternité passée à revivre ses pires souvenirs et à souffrir d’un froid qui venait de l’intérieur.
Sirius se sentait vide, mais son esprit était plein de voix, qui hurlaient toutes à lui en déchirer les tympans. Celles des prisonniers d’Azkaban, celle de son père, celle de sa mère, celle de son frère, et celles de tous les gens qu’il avait un jour haïs ou aimés. Il n’aimait plus personne, il se contentait de haïr ceux qui couraient alors qu’il était resté enfermé, ceux qui avaient tué alors que lui n’avait que failli, ceux qui avaient trahi. Celui qui avait trahi. Peter.
Mais toutes les autres voix continuaient de le hanter.
Il entendait James et Lily lui reprocher sa trahison, il les voyait presque. Il revoyait très nettement, en revanche, le visage de cette enfant moldue massacrée par ce traître le Pettigrow le jour où tout s’était effondré.
Mais avant…
Frêle corps maigre sur un rocher oublié, Sirius ne parvenait même plus à se souvenir de ce qu’était le bonheur. Il avait oublié son existence. Il fixait de son regard vide et hanté les ténèbres bruissantes qui s’étendaient devant lui.
Il se rappelait, en revanche, les premiers jours à Azkaban. Il se souvenait vaguement qu’il fut un temps où il avait été convaincu de son innocence. Il savait désormais, les Détraqueurs le lui avaient bien montré : il était plus responsable que nul autre de la mort de James et Lily. C’est lui qui leur avait conseillé de prendre le rat comme gardien du secret…
Cette culpabilité l’avait frappé, douloureuse, au bout de quelques jours. Les geôliers y avaient veillé. Elle était devenue une torture telle que la souffrance provoquée en était devenue physique. Il avait senti les remords creuser ses entrailles et les laisser béantes. Il avait senti les regrets ouvrir sa chair juste au niveau de son cœur.
Dévoré par toutes ces angoisses, il avait failli sombrer. Il avait sombré.
Patmol l’avait aidé à échapper à ce supplice qui l’emportait. Mais lorsqu’il devenait Patmol, il n’était plus vraiment Sirius. Il était un peu moins fou, mais l’humain disparaissait avec la folie.
La soif de vengeance l’avait poussé à avancer. Mais les pulsions meurtrières n’avaient pas soulagé sa folie naissante.
La petite silhouette émaciée, assise sur un bloc de pierre perdu devant une immensité aqueuse invisible, n’était plus vraiment Sirius.
L’adulte immature, brave et joyeux qui avait perdu ses deux meilleurs amis ce 31 octobre-là n’existait plus. Il n’existerait sans doute plus jamais.
Et les cris qui dans la tête de Sirius couvraient le bruit des vagues, et les remords qui faisaient disparaître le soulagement, et la soif de sang qui le plongeait toujours plus dans les regret, ne s’éteindraient jamais.
Il n’était plus vraiment Sirius, il était vide d’émotions et plein de folie, et il songea, un fol instant, à s’allonger pour ne plus jamais se relever.
Et puis, une étrange lueur naissant dans son dos para peu à peu la mer d’une drôle de couleur grise. Des ténèbres jaillirent les vagues, et s’il ne les entendait toujours pas vraiment, il les voyait désormais. Derrière lui, le ciel d’été se teintait de rose, mais il était trop harassé pour se retourner. Il avait le regard fixé sur l’inexpugnable bastion qu’il venait de quitter, et l’aura d’angoisse qui l’entourait.
Pour la première fois depuis longtemps, Sirius trouva la force de frissonner.
La clarté gagna encore en intensité, jusqu’à agresser ses rétines habituées à la pénombre de la prison. Et puis… Mû par une force qu’il ignorait posséder, il se leva.
Il était toujours décharné, il était toujours harassé. Ses guenilles n’avaient pas séché, et il tremblait de froid. Et pourtant, il se leva et se détourna, une bonne fois pour toutes, du lieu qui l’avait détruit.
La lumière de l’aurore l’éblouit mais il continua à marcher. Droit devant lui, vers le soleil levant. Vers la vengeance. Vers un but enfin retrouvé. Une poussée de lucidité lui fit prendre les traits de Patmol, mais il suivait inexorablement l’objectif qui lui avait permis de sortir du lieu dont on ne sort pas.
Il était Patmol, mais chaque pas sous le regard de l’aurore, il était un peu plus Sirius.