Je suis tout excité. Aujourd’hui, c’est mon premier jour Au Bon Chaudron, le Magasin de Chaudrons, situé sur le Chemin de Traverse. La rentrée quoi ! Je suis paré. J’ai les soudures qui brillent, le trépied bien tendu et mon couvercle a été ciré avec soin. Pour un premier jour, ça ne commence pas si mal. Mr Potage m’a installé sur l’une des tables à l’avant de la boutique, où je peux bomber le joint en toute tranquillité.
— Hey petit, tu es nouveau ici ?
C’est un énorme faitout tout rouillé, installé à ma droite, qui vient de me poser cette question.
— Oui. Comment tu as deviné ?
— Y’a toujours plein de nouveaux comme toi qui arrivent pour la rentrée. Tu veux un conseil, petit ?
Je fronce les anses. Qu’est-ce qu’il me veut l’ancêtre ? J’aimerais bien bomber le joint tranquille moi ! Je suis un chaudron à vendre, j’ai d’autres casseroles à fouetter que discuter avec un gros faitout tout rouillé.
— Non.
— C’est pas grave, je vais te le donner quand même. Arrête de bomber le joint et écoute-moi ! Faut que t’arrête de te tortiller dans tous les sens comme ça, on dirait un chaudron pliable. Puis tu vas te faire repérer par Mr Potage.
Personne n’aime les chaudrons pliables. On sait tous qu’ils se la jouent avec leurs articulations.
— Y’a un crouton dans le potage avec Mr Potage ? je demande, un peu inquiet.
— Roooh yé lé clois pas, rétorque un chaudron en or à l’accent espagnol sur un haut présentoir. Poulsonne ne loui a yamais lien dit à la dinette ?
Je comprends qu’il parle de moi.
— Hé ! Je suis pas une dinette !
— Ecoute pas Alejandro, c’est juste un Don Juan chaudronné, me rétorque le gros faitout tout rouillé.
— Ca suffit Lémond, yé le dloit de parler avec lé pétits nouveaux aussi, répond Alejandro le Don Juan chaudronné doré.
— C’est Raymond, réplique Raymond le gros faitout tout rouillé en insistant sur la prononciation de son prénom.
Pour un gros faitout tout rouillé, il a du répondant.
— D’ailleurs, reprend Alejandro le Don Juan chaudronné à mon intention, comment elle s’appelle la dinette ?
— Je suis pas une dinette !
Il commence vraiment à m’énerver Alejandro le Don Juan chaudronné. Avec sa carcasse dorée, c’est évident qu’il se prend pour le roi des chaudrons ! Je suis sûr que c’est un fils de chaudron pliable. Ca se voit à la façon dont il se balance sur son présentoir et nous regarde de haut.
— Il s’appelle Freddy, dit Raymond le gros faitout tout rouillé.
— Comment tu sais ? demandé-je naïvement à Raymond le gros faitout tout rouillé.
— Bah parce qu’il faitout ! s’exclame Alejandro le Don Juan chaudronné en riant.
— Taisez-vous ! ordonne Raymond, quelqu’un arrive.
Tout le monde se tait et cesse de remuer, j’arrête de respirer et j’enfonce mon trépied dans la table sur laquelle je me tiens. Les sorciers ne savent pas qu’on peut communiquer ou même bouger de nous-mêmes. Certains ont été envoyés chez les fous pour avoir vu l’un d’entre nous s’en donner à coeur joie. Mais ce genre d’incident arrive souvent à cause d’un chaudron pliable qui se la joue et reste plutôt rare.
La sonnerie du Bon Chaudron, le Magasin de Chaudron retentit, et je prie intérieurement pour que quelqu’un s’avance vers moi et m’achète. Ah je pourrais être tellement utile à laisser bouillir en moi des préparations pour aider les plus grands sorciers ! Le rêve, ce serait qu’un sorcier célèbre m’achète et invente de nouvelles potions avec moi. Alors là, je sais que j’aurais une carrière en or.
— Bienvenue Au Bon Chaudron, le magasin de Chaudrons ! lance Mr Potage depuis son comptoir.
Sa voix s’essouffle quand il voit un petit monsieur avec un énorme ventre s’avancer vers lui.
— Ah, ce n’est que vous, monsieur l’Apothicaire. Qu’est-ce que vous voulez encore ? souffle monsieur Potage d’une voix déçue.
— J’ai eu une idée de génie mon ami, lorsque je prenais mon petit-déjeuner ce matin. Nous devrions faire un partenariat !
— Quel genre de partenariat ? fait Mr Potage, l’air méfiant.
— Une corne de licorne achetée, égale un chaudron en étain offert !
En entendant ça, je ne peux m’empêcher de gonfler le joint. Je sens des ondes réprobatrices émaner de Raymond le gros faitout tout rouillé et recommence à me faire tout petit. Du haut de son perchoir, Alejandro le Don Juan chaudronné est complètement indifférent.
— Pourquoi je prendrais cette peine ? Personne n’achète de cornes de licorne et je sais qu’avec la rentrée de Poudlard, tout le monde va s’arracher mes chaudrons standards en étain, taille deux !
— Mais j’ai reçu cet énorme stock de cornes de licornes, Potage ! J’ai besoin de les écouler avant qu’elles perdent de leur éclat !
— T’es certain que ce ne sont pas des cornes d’Eruptifs ? Je n’ai jamais entendu parler de cornes de licorne capables de perdre leur éclat.
— Je suis apothicaire, Potage, crois-moi je sais de quoi je parle. Tu es certain pour le partenariat ? Si tu dis non, je pourrais bien trouver plus vendeur à Pré-au-Lard. J’ai eu une offre ce matin.
— Ah oui ? Une offre de qui ? Zonko ? Ils sont prêt à t’aider à écouler ton stock de cornes d’Eruptifs contre des bons pour le salon de thé de Madame Piedodu ? Laisse-moi rire !
Et il éclate justement de rire.
— Très bien, j’ai compris, ronchonne l’Apoticaire.
— Désolé Hervé, mais il n’y a rien que je puisse faire pour toi.
— Bien sûr. A bientôt Henri.
Il s’en va en traînant des pieds. Lorsqu’il quitte la boutique, je me bonde comme un gros ballon. D’après ce que je viens d’entendre, je vais me vendre très vite ! Les élèves de Poudlard vont se battre pour m’avoir sur leur paillasse ! Je gonfle le joint de contentement.
— Y’espère que tou né té rengourge pas porché tou vas aller à Poudelalde Freddy, me lance Alejandro le Don Juan chaudronné depuis son piédestal.
— C’est peut-être pas la gloire de servir pour Poudlard, mais au moins je servirai à quelque chose.
— Bien répondu Freddy ! Y’en a ras-la-soupape qu’Alejandro se la ramène tout le temps ! rétorque Raymond le gros faitout tout rouillé, avant d’ajouter, un peu plus bas :
— Cela dit, Alejandro a raison, les chaudrons qui vont à Poudlard finissent souvent explosés.
Je me sens pâlir. Explosés ?! Comment ai-je fait pour ne pas m’en douter plus tôt ? Non mais quel seau je fais ! Ce sont des adolescents, évidemment que je vais finir en miettes !
— Arrêtez donc, vous allez effrayer notre petit chaudron.
C’est une énorme marmite qui vient de parler. Vu sa rouille, elle doit avoir l’âge de Raymond. Ah, d’ailleurs elle lui fait un clin d’oeil suggestif. Beurk. J’en vomirais mon contenu si j’en avais.
— Et bien moi, je suis d’accord avec Alejandro, commente une autre marmite, installée dans la vitrine.
Et c’est d’ailleurs la plus belle marmite que j’ai jamais vue de toute ma vie. Impossible de s’empêcher de la regarder. Elle brille de mille feux et est bien grosse comme j’aime.
Alejandro, en voyant qui vient de parler, commence à bomber le joint. Je suis certain que sa potion bout et est prête à éclater dans toute la boutique.
— Ariba, aribaaa ! Muchas gracias Giorgiana tou sè qué tou è tlès belle…
Ladite Giorgiana esquisse un sourire entendu. Je crois qu’elle le sait, oui.
— Vous voyez, fait Giorgiana, Alejandro, il en a dans le chaudron. Il n’hésite pas à dire la vérité au petit.
Attendez. C’est moi le petit dont elle parle ? Non mais elle se prend pour qui cette marmitte ?! Je suis pas petit ! Bon d’accord, je suis pas très gros… Mais quand même ! Je suis certain que quelqu’un voudra de moi. D’ailleurs, peut-être que ce sera une célébrité et pas un stupide élève de Poudlard.
— Bon, écoute Alejandro, reprend Raymond, on en a tous ras-la-soupape que tu prennes le nouveau pour un seau. Arrête de bomber le joint et de le traiter avec condescendance.
Alejandro décide alors d’ignorer Raymond et se tourne résolument vers l’extérieur de la boutique. Au même moment, une grande dame, vêtue d’un affreux chapeau et d’une énorme fourrure entre dans la boutique. La petite cloche au-dessus de la porte sonne et Mr Potage surgit derrière son comptoir. Nous nous pétrifions tous et donnons le meilleur de nous-même.
— Bienvenue Au Bon Chaudron ! Le magasin de chaudrons, s’exclame-t-il de sa plus belle voix commerciale.
La femme s’avance jusqu’au comptoir.
— Bonjour, j’aurais besoin d’un nouveau chaudron, le mien se fait trop vieux, et j’ai vraiment besoin de concocter des potions pour ma gorge.
— Ah, j’ai le modèle qu’il vous faut ! fait Mr Potage en s’avançant vers moi.
Oh, nom d’un druide. Est-ce qu’il va me vendre ? Du coin de l’oeil, je vois Alejandro lisser sa moustache. Mais oui, c’est bien vers moi qu’ils s’avancent ! Et pas cet imbécile d’Alejandro. En même temps, qui voudrait d’un chaudron en or ? C’est si peu fonctionnel...
— C’est parce que vous êtes souvent malade que vous vous faites des potions pour la gorge ? demande Mr Potage, alors que la cliente m’examine sous toutes les coutures.
Rah, elle me chatouille la peste ! Pitié que quelqu’un l’arrête !
— Oh, non, je suis chanteuse.
Pitié, faites qu’elle ne chante pas comme une casserole, mon émaille n’y survivrait pas.
— Vraiment ? Comment vous vous appelez ? Je vous ai peut-être déjà entendue à la radio, fait Mr Potage d’une voix voluptueuse.
— Célestina Moldubec, répond la cliente, complètement indifférente.
— Mais bien sûr ! Tu as ensorcelé mon coeur, c’est de vous, n’est-ce pas… ? Ah ma femme adore ce que vous faites.
Célestina Moldubec rosit de plaisir.
— Ecoutez, je crois que je vais le prendre.
— De quoi vous parlez ? Ah ! Le chaudron, bien sûr !
Je ne résiste pas à l’envie de tirer la louche à Alejandro alors que Mr Potage m’emballe et que Miss Moldubec règle la note. Je bombe le joint comme un fou. Raymond, le gros faitout tout rouillé, a l’air fier de moi. Devinez quel chaudron plein de passion va devenir célèbre.