Ce vendredi soir-là, Liesbeth s’impatientait dans la voiture, en attendant Dougall. Il faut dire que, quand son mari avait décidé de traîner la patte, il pouvait vraiment lui faire perdre des heures.
C'est pourquoi elle avait déjà mis le contact et klaxonnait, sans se soucier des voisins, pour signaler au récalcitrant qu'elle allait le laisser à la maison. Dougall sortit précipitamment, s'assura qu'elle ne partait pas sans lui et, très dignement, il referma la porte, rajusta sa veste, vérifia qu'il avait bien ses clés, son portefeuille, les...
- Mr MacKillip ! cria Liesbeth. Tu as trente secondes avant que je ne parte !
- Ça va, ça va... J'arrive !
Dougall s'assit sur le siège passager en bougonnant qu'il détestait être passager. Puis il déclara qu'il n'avait pas les bracelets. Liesbeth répondit qu'elle les avait et démarra, sans plus écouter ses jérémiades.
Dougall avait beau avoir rencontré le professeur Crivey quelques semaines auparavant, vu des preuves de magie irréfutables, il avait beaucoup de mal à admettre que leur fille, Elsie, soit une sorcière. Pourtant, cette explication, aussi folle soit-elle, était vraiment la plus valide aux yeux de Liesbeth pour expliquer les particularités de leur enfant.
Malheureusement, la découverte du monde sorcier remettait en cause toute la vision que Dougall avait de leur monde et de son histoire. Or, Dougall était professeur d’Histoire à l’Université. Découvrir une société sorcière bien réelle en parallèle de la leur était vraiment problématique pour cet universitaire. Liesbeth avait d’ailleurs craint, pendant un moment, qu’il ne s’oppose au départ de leur fille dans son nouveau pensionnat. Il l’avait finalement laissée partir, après lui avoir fait promettre de leur écrire très souvent. La fillette avait eu, jusque-là, tellement de choses à leur raconter qu’elle s’y tenait.
Liesbeth se doutait bien que Dougall était nerveux parce qu’il attendait cette soirée avec impatience, mais ne voulait pas l'admettre. Copiant les Nuits des Musées des non-sorciers, les sorciers conviaient, peu après la rentrée scolaire, tous les parents non-sorciers des élèves de Poudlard à une visite du Chat Noir, leur musée de la sorcellerie. Ce qui l’exaspérait, en revanche, c’était que la nervosité de Dougall s’exprime avec autant de mauvaise foi.
Elle les conduisit à une heure de là, dans la grande ville de Birmingham, et se gara sur le parking quasiment désert d'un centre commercial.
Sur la pelouse qui bordait le bitume trônait un vieux bus à impériale.
Sur ses flancs, une affiche proclamait : Les cent ans du chat noir et autour, des noms célèbres étaient écrits, comme Steinlen ou Toulouse-Lautrec. En l'apercevant, Dougall râla de plus belle.
- C'est pour ça qu'on est venu ? Une minable exposition de peintures dans un vieux bus ? Par des français, en plus !
- Tu sais très bien que non, répondit Liesbeth sans se départir de son calme.
Le couple se dirigea vers le bus. Liesbeth sortit les bracelets et en tendit un à son mari. Ils les passèrent au poignet et les présentèrent en guise de billets d'entrée.
L'intérieur du bus avait été totalement refait. Les sièges avaient été enlevés, ainsi que les barres et autres poignées pour passagers. À la place, le sol était recouvert de parquet et de grands panneaux occupaient l'espace pour présenter les œuvres des artistes qui avaient fait les grandes heures du cabaret parisien le Chat Noir, quelques siècles auparavant.
Liesbeth fit semblant d'admirer les affiches de Toulouse-Lautrec. Elle salua un vieil homme qui en profita pour vanter le coup de pinceau du peintre, qui savait capter le mouvement d'un seul trait.
Elle ne put s’empêcher de faire rager son mari en prenant le temps d’écouter ce vieil homme retracer l’histoire des artistes parisiens de la fin du dix-neuvième siècle.
Ils se rendirent ensuite tranquillement à l'étage, où un espace cinéma avait été aménagé derrière de grandes tentures sombres. Le vieil homme alla s'asseoir pour regarder le film explicatif. Pendant ce temps, Liesbeth et Dougall, munis des bracelets qui les protégeaient des sorts repousse-moldus, rejoignaient la cabine du projectionniste.
Ce dernier contrôla leur identité et les laissa entrer dans sa petite cabine.
- Mais ! C'est incroyable ! C'est plus grand à l'intérieur qu'à l'extérieur ! déclara Dougall.
Liesbeth sourit en voyant que le projectionniste mimait son mari, en disant silencieusement les mêmes mots. Ça ne devait pas être la première fois qu’un non-sorcier faisait ce genre de remarque en entrant.
Le sorcier leur tendit un anneau de bois et leur demanda de le tenir fermement jusqu'à l'arrivée.
- Nous sommes montés avec un vieux monsieur qui regardait l’exposition. Il va sûrement se demander où nous sommes passés, indiqua Liesbeth.
- Ne vous en faites pas, je m’en occupe, répondit le sorcier.
Et sur ces mots, il activa le Portoloin.
Dougall eut une sensation étrange au creux de l'estomac. Il n'eut cependant pas le temps de comprendre ce qui lui arrivait qu'il se retrouva dans un hall d'accueil. Il lâcha immédiatement l'anneau et regarda autour de lui, effaré. Il courut à une fenêtre et regarda au dehors. Il n'y avait pas trace du bus, ni du supermarché où ils s'étaient garés.
- Bonjour, messieurs-dames. Bienvenue au Musée du Chat Noir. Est-ce que tout va bien ?
- Nous sommes où, là ? s'écria Dougall.
- À Londres, monsieur.
- Non, c'est impossible ! Nous étions à Birmingham il y a quelques secondes !
- Ne l'écoutez pas, intervint Liesbeth. Mon mari est de très mauvaise foi depuis le départ de notre fille pour Poudlard.
- Ah ? Euh... Très bien. Dans ce cas... La visite commence par ici.
Dougall traînait toujours.
Mais, quand ils passèrent dans la salle suivante, il reconnut des parents qu'ils avaient croisés sur le quai neuf trois quarts de King's Cross et il les salua courtoisement.
Le jeune sorcier, qui leur dit s'appeler Melvin Londubat, leur expliqua le principe du musée. Calqué sur les musées moldus, les différentes salles présentaient des œuvres sorcières, mises en parallèle avec les œuvres moldues. La visite se faisait de façon totalement libre, et des guides se trouvaient dans les différentes salles pour répondre à toutes leurs questions.
Liesbeth entraîna son mari à la découverte de la première salle, remplie de peintures. Toutes les toiles représentaient des sorciers et des créatures magiques, le plus souvent en plein conflit. Liesbeth fut rapidement fascinée par les personnages mouvants dans les tableaux. Certes, cela faisait longtemps que les hologrammes existaient, mais c’était loin d’y ressembler. Déjà, chaque toile avait manifestement été peinte des siècles auparavant, bien avant l’existence de l’électricité. Ensuite, la peinture bougeait réellement. Le coup de pinceau semblait suivre les personnages, comme si le peintre avait pu rendre réaliste l’ensemble des mouvements de son sujet. C’était un hologramme peint, et en même temps, des personnes à part entière. Autour d’eux, d’autres visiteurs discutaient avec les personnages peints et, à en juger par les échanges de questions et de réponses, ce n’était pas une intelligence artificielle qui menait la discussion. C’était tout simplement stupéfiant !
Dougall, lui… avait la mine renfrognée et la suivait, les mains dans les poches.
- C’est n’importe quoi, dit-il.
- De quoi ? répondit Liesbeth.
- Mais… Ça ! Tout ça, enfin ! Comment est-ce que tu peux croire que tout ce qui est montré ici est ancien ? Ce sont des hologrammes élaborés, c’est tout !
- Des quoi ? demanda celui qui lui faisait face, un certain Ulrick Gamp, Ministre de la Magie de 1733 à 17 ??.
- Vous, l’hologramme, taisez-vous ! répondit sèchement Dougall.
- Messire, je vous en prie ! Votre langage est proprement scandaleux. Et diantre ! Quel est donc cet hologramme dont vous parlez ?
- Bien sûr, votre IA est programmée pour parler à l’ancienne. C’est n’importe quoi, répéta Dougall, buté.
- Excusez-moi, intervint une jeune guide du musée. Si vous le souhaitez, et si Mr Gamp est d’accord, je peux décrocher son tableau. Vous verrez qu’il n’y a aucune technologie dans son tableau.
- Mademoiselle Weasley, je serai votre humble obligé si vous pouviez convaincre ce gentilhomme de sa terrible méprise, répondit le portrait avec une courbette.
Dougall répondit vaguement par l’affirmative. La jeune femme sortit sa baguette, décrocha le tableau et le fit flotter devant l’historien, qui put constater qu’aucune technologie ne se trouvait dans le tableau. Elle raccrocha ensuite délicatement le tableau et retourna à son poste. Ulrick fit une courbette de remerciement dans sa direction et se retourna vers Dougall. Son expérience de politicien lui permit, cependant, de ne pas trop fanfaronner face à la déconfiture du vivant.
Liesbeth le tira par le coude et l’emmena dans la salle suivante.
Il n’y avait qu’une sculpture, qui prenait tout le mur et représentait trois sorciers autour d’un document à signer. Un panneau à l’entrée de la salle indiquait qu'il s'agissait de la création du tournoi des Trois Sorciers, pendant lequel des élèves de Poudlard, Durmstrang et Beauxbâtons s’affrontent dans des épreuves notées.
Le chemin indiquait qu'il fallait longer la sculpture. Liesbeth et Dougall suivirent les indications. Dougall, grand amateur d'art, ne put s'empêcher d'étaler ses connaissances auprès de sa femme :
- On dirait qu'ils ont suivi les techniques des non sorciers. Je me demande comment ils ont réalisé ce haut-relief. Probablement avec un burin et un marteau, comme nous. Par contre, il faudra dire à celui qui l'a mis en scène que cela ne va pas du tout. La sculpture est dans un long couloir, alors qu'elle ne prend que quelques mètres au tout début. C'est vraiment n'importe quoi. Nous faire traverser un couloir de bien cinquante mètres alors qu'il n'y a quelque chose qu'au tout début.
- Pour répondre à ta question, l'interrompit Liesbeth, je dirais qu'ils ont plutôt utilisé leurs baguettes magiques. Je suis sûre qu'il existe un sort pour manier le burin plus précisément que...
Liesbeth s'interrompit, sous le coup de la stupeur. Les trois directeurs de maison s'étaient redressés et se serraient la main. Puis ils avancèrent, comme pour rejoindre le couple et leurs traits se brouillèrent. Sidérés, le couple de non sorciers se tenait devant les trois champions du premier tournoi, celui de Durmstrang recevant les honneurs de sa victoire. Ils se regardèrent, interloqués. Liesbeth avança encore de quelques pas et la statue changea de nouveau.
- Tu as vu ça ?
- De quoi ?
- Eh bien, la statue ! Elle a encore changé !
Dougall la rejoignit et le changement s’opéra également pour lui. Il observa les trois champions regarder vers lui. Il vit leurs traits se brouiller et devenir les trois champions du tournoi suivant.
Sous le charme, le couple continua d’avancer, découvrant petit à petit l’histoire du Tournoi. La plupart des scènes représentaient les différents champions, soit recevant leur trophée, soit pendant une épreuve. Ils furent particulièrement impressionnés par les épreuves qui impliquaient des créatures magiques. Ils reconnurent un Centaure, majestueux, avec qui le sorcier semblait négocier.
La scène qui retint le plus leur attention fut celle où un Sorcier minuscule faisait face à un dragon furieux.
Dougall commenta que cela ressemblait à David contre Goliath, et que c'était vraiment très fort de la part du jeune sorcier d'avoir réussi à terrasser un animal aussi terrible. Puis, il lut la légende qui s'était inscrite, en bas-relief, en dessous de la scène.
Scévolé de Rochegude, champion de Beauxbâtons décédé pendant la dernière épreuve du Tournoi de 1777.
- Quoi ? Mais... Ce n'est pas possible !
- Que se passe-t-il, monsieur ? intervint la jeune sorcière qui se trouvait au bout du couloir.
- Vous voulez dire ! s'exclama le non-sorcier en pointant rageusement le bas-relief, que les élèves de Poudlard meurent ???
- Plus depuis longtemps ! s'empressa de répondre la jeune femme. C'est vrai que, lors des premières éditions, il y a eu des accidents mortels pendant le Tournoi. Mais je vous rassure, cela fait longtemps que cela n'a plus eu lieu.
- Premières éditions ? rugit-il.
Dougall partit, d'un pas furieux, vers le début du couloir. Il attendit quelques instants et observa le mur, qui paraissait maintenant parfaitement lisse à Liesbeth, mais représentait sûrement la signature qui créa le tournoi. Il revint, du même pas de charge, et continua d'exploser sa colère.
- La signature de votre Tournoi idiot date de 1294 ! Ce garçon ! Ce garçon-là ! ragea-t-il, est décédé presque cinq-cents ans plus tard ! Et vous osez parler des premières éditions ?
- Eh bien, oui. Excusez-moi, je me suis mal exprimée, dit la jeune femme, paniquée. Les Tournois ont cessé quelques temps après celui-ci. Ils n'ont été recréés que bien plus tard, et toutes les précautions sont prises pour que les Champions ne soient pas mis en danger.
- Je ne vous crois pas. Je vais aller chercher de ce pas notre petite Elsie qui est dans votre misérable école !
- Je suis curieux de savoir comment vous ferez, répondit avec le sourire un sorcier plus âgé qui venait d'arriver à la rescousse de sa collègue.
Cette dernière, intimidée par les hurlements du visiteur, en profita pour rejoindre une autre salle où, elle l'espérait, elle trouverait des visiteurs moins agressifs.
- Je vous rappelle qu'il y a des sorts repousse-moldus autour de Poudlard.
Dougall se contenta de soulever la manche de sa veste, pour montrer le bracelet qui lui avait permis d'arriver jusque là.
- Ce bracelet ne marche, évidemment, que pour accéder au Musée, et le temps de la soirée. Vous imaginez bien que nous ne pouvons pas laisser en circulation des artefacts de ce genre. Puis-je vous accompagner pendant votre visite ? Il y a tellement à dire sur notre monde.
Liesbeth observa le sorcier guider son mari vers la salle suivante, l'abreuvant d'informations et ne le laissant plus vraiment en placer une. Elle se demanda s'il avait un charisme naturel, ou s'il avait lancé un sort à ce pauvre Dougall.
En tendant l'oreille, elle comprit assez rapidement ce qui avait joué en la faveur du sorcier : il avait le discours bien rodé de l'historien qui parle d'une de ses époques favorites. Ils étaient en plus arrivés dans une salle qui racontait la chasse aux Sorcières du Moyen-Âge, c'est-à-dire une période que Dougall connaissait par cœur.
Ils venaient de passer une salle remplie d'arbres à perte de vue. Une véritable forêt, au cœur d'un musée ! Dougall regardait autour de lui, fasciné. Les murs de la salle étaient impossibles à situer. Pourtant, malgré le grand ciel bleu au-dessus de sa tête, il était persuadé d'être encore à l'intérieur. Il suivait le sentier et s'arrêta, interdit, devant un petit village d'époque, où évoluaient des sorciers et des non-sorciers. Mettant de côté l'aspect tragique et traumatisant des procès et des mises à mort, les sorciers s'étaient d'abord concentrés sur leur vie de l'époque, quand ils utilisaient leurs pouvoirs au vu et au su de tous.
Même dans ses rêves les plus fous, Dougall n'aurait pu imaginer traverser un jour une reconstitution aussi parfaite d'un village d'époque. Il se sentait un intrus, dans ses vêtements modernes. Et il avait beau se raisonner, en se disant que ce n'étaient que des personnages animés magiquement, en remarquant bien que personne ne détaillait ses affaires, il avait le sentiment incroyable d'avoir fait un bond dans le passé. Il n'y avait plus d'électricité, plus de satellites pour son téléphone portable, plus de voitures... Il avait le sentiment que plus rien de tout cela n'existait. Il n'y avait plus que des gens qui labouraient les champs, des artisans qui travaillaient dans leurs ateliers et des enfants qui couraient en tous sens.
- Vous voyez, commentait leur guide, peu avant la Chasse aux Sorcières, nous vivions tous en harmonie. Évidemment, nous ne claironnions pas que nous étions des sorciers. Cela nous aurait attiré une vie comme celle de Diogène.
- Diogène ? demanda Dougall, qui se demandait bien ce que le philosophe grec avait en commun avec le moyen-âge.
- C'était un sorcier, qui n'a jamais caché ses pouvoirs. Ses voisins le sollicitaient en permanence. Pour réparer un objet brisé, pour retrouver un objet perdu, pour toutes sortes de menus services... Il en est devenu à moitié fou, il n'arrivait plus à se concentrer sur ses écrits philosophiques. Finalement, il s'est retranché dans son pithos, une immense jarre qui est devenue par la suite un tonneau dans la légende. Les gens continuaient de le solliciter, alors il leur a demandé de la nourriture en échange de ses services. Son mode de vie était tellement excentrique que beaucoup de gens ont cessé de l'approcher et il a pu enfin souffler un peu...
- Incroyable !
Dougall tombait des nues. Comment est-ce que l'Histoire avait pu oublier autant de détails ?
- C'est donc principalement avec des potions que nous aidions nos voisins. Parfois, on intervenait avec nos baguettes, mais à leur insu. Par exemple, quand un sorcier apprenait qu'un voisin avait perdu un objet de grande valeur sentimentale, il le retrouvait et le mettait bien en vue sur la table lorsque le voisin avait le dos tourné.
Et puis, la Chasse aux Sorcières a commencé. C'est un complot qui a démarré au sein de l'Église Catholique. Le pape de l'époque n'appréciait pas que les sorciers puissent guérir facilement les foules. Ils ont donc monté les croyants contre nous.
- Moi qui pensais que c'était une cabale menée contre les femmes, en particulier celles qui connaissaient les plantes...
- Oui et non... C'est vrai que ceux qui s'attaquaient aux sorciers se concentraient surtout sur les femmes. Les hommes leur faisaient bien plus peur. Ce qui en soit est parfaitement stupide, puisque les sorciers ne combattent pas à la force de leurs bras, mais avec leur baguette. Par contre, c'est vrai que les hommes en ont aussi profité pour évincer, petit à petit, les femmes de la vie publique.
- Le sexisme n'est donc finalement pas la cause de la Chasse aux Sorcières, mais plutôt une conséquence ?
- Exactement.
Ils avaient suivit un cours d'eau, qui menait du village à un petit étang. Les personnages menaçaient une jeune femme du supplice de la noyade. Dougall se rappela que l'Inquisition estimait qu'un sorcier devait flotter – et que si l'accusé ne flottait pas, c'était la volonté de Dieu qu'il meure.
Il fut horrifié en constatant que toute la préparation de la mise à l'eau de la pauvre malheureuse avait été reproduite. C'était une chose de voir un haut-relief représenter un combat contre un dragon, en indiquant qu'il s'était mal terminé pour celui qui avait combattu. C'était très différent de voir des personnages, qui semblaient bien réels, se préparer à mettre une malheureuse victime à l'eau. Il ressenti une forte nausée, et eut très très envie de traverser la rivière pour secourir la malheureuse.
- Ne vous en faites pas, indiqua le guide. Il ne lui arrivera rien.
- Je sais, ce n'est pas une personne réelle... Mais quand même...
- Non, non, il ne lui est réellement rien arrivé ! C'est un des rares supplices que nous avons reproduit, parce que c'est un des rares contre lequel nous pouvions intervenir, voyez-vous. Regardez : dans la foule, ce petit homme qui joue des coudes pour être au premier rang...
Effectivement, l'un des spectateurs semblait pressé d'arriver au premier rang. Une baguette dépassait de sa manche. Quand la jeune femme fut plongée dans l'eau, ligotée sur une chaise, elle reçut un sort qui lui permettait de respirer malgré la noyade.
La mascarade de l'après sentence fut vite expédiée. Enfin, il ne restait plus personne sur la berge et le sorcier revint sur ses pas pour sortir la pauvre femme de l'eau.
- Cette jeune femme a changé de région par la suite. Cela suffisait à lui offrir une nouvelle vie, à l'époque.
- Et pour les autres supplices ? demanda Liesbeth, tout aussi choquée que son mari par la scène à laquelle elle venait d'assister.
- Nous avons fait notre possible pour limiter les dégâts. C'est par exemple à cette époque que nous avons mis au point le transplanage. Au début, il était pratiqué par une élite de sorciers qui se chargeait de libérer les victimes de l'Inquisition jusque dans les cachots où elles étaient enfermées. Cela n'a malheureusement pas suffit et de nombreuses personnes sont mortes pendant ces années-là...
Après la scène à laquelle ils avaient assistée et qui les avait retournés, Liesbeth et Dougall suivirent leur guide le long du chemin. Ils laissèrent derrière eux l'étang sordide et finirent par sortir de la forêt. Ils se retrouvèrent dans une salle où des officiels signaient un décret quelconque.
- C'est la signature du Code International du Secret Magique, en 1689, les informa leur guide. À partir de ce moment-là, nous nous sommes tous cachés, de par le monde.
- Comme ça, d'un coup ? s'étonna Liesbeth.
- Non, bien sûr que non. Nous avions réagit dès la création de l'Inquisition. Le Secret Magique était simplement la suite politique logique de tout ce que nous avions mis en place.
- C'est donc pour ça que les procès en Sorcellerie ont décliné à peu près en même temps ?
- Nous pouvons le supposer, oui...
Arrivés à la fin de la pièce magique, leur guide leur proposa de continuer la visite de leur côté, et retourna dans la forêt moyenâgeuse. Liesbeth essayait de s'orienter.
- Tu te rends compte ? déclara soudain Dougall.
- De quoi ?
- De ce que ça veut dire... En fait... Tout est lié. Leur histoire et la nôtre !
- Ça me semble évident.
- Non mais... Attends. Est-ce que tu te rends compte que cela remet en cause absolument tout ce que nous savons de l'Histoire du monde ?
Liesbeth regarda attentivement son mari. C'était précisément cette question qui l'avait plongé dans une grande angoisse, et voilà que maintenant, il la posait comme si c'était la chose la plus merveilleuse du monde. D'ailleurs, il l'entraînait déjà un peu plus loin, pour découvrir d'autres aspects du monde Sorcier...
Ils virent des feuxfous fuseboums raconter l'histoire d'Harry Potter, dansèrent sur quelques notes jouées sur la flûte du joueur de Hamelin – pas plus, car ses partitions étaient maudites depuis longtemps. Ils découvrirent la véritable histoire de la petite sirène, nettement moins romanesque que l'originale ; Ariel avait été ambassadrice de son peuple auprès des sorciers peu avant l'installation d'une de leurs colonies dans le lac de Poudlard...
Tant et si bien que, lorsque le Musée annonça la fin de la Nuit, tous deux furent fort surpris de constater qu'il était déjà huit heures du matin. Comme les autres parents, qu'ils avaient croisés ici et là pendant leur visite, ils se rendirent à l'accueil, où ils étaient arrivés la veille.
Melvin Londubat leur rendit l'anneau qui leur avait servit de Portoloin et quelques secondes plus tard, sonnés, ils se retrouvaient dans la cabine du projectionniste du Muséobus. Ils remercièrent chaleureusement le sorcier qui se trouvait là et retournèrent vers leur voiture.
Dougall eut alors l'idée de petit-déjeuner dans un café du centre commercial avant de rentrer. Ni l'un ni l'autre ne parla pendant le repas. Ils avaient trop peur d'être entendus par une serveuse ou par d'autres clients.
Quand ils repartirent, ils passèrent toute l'heure du retour à échanger sur ce qu'ils avaient vécu la nuit précédente. Liesbeth espérait qu'ils pourraient retourner au Musée pendant l'année, plutôt qu'uniquement après chaque rentrée de leur fille à Poudlard. Dougall décida d'écrire à sa fille pour lui poser la question. Il songea également qu'elle avait bien de la chance. Liesbeth était sur la même longueur d'onde et évoqua cette pincée de jalousie qu'elle éprouvait envers sa fille. C'était surtout un regret de n'avoir pas eu la possibilité de vivre ce qu'Elsie allait vivre. Dougall estimait qu'ils avaient bien de la chance de connaître tout cela grâce à leur fille...
Liesbeth disait que cela serait passionnant de voir leur fille grandir au milieu des sorciers en même temps qu'elle garait la voiture.
Tous deux rentrèrent et se préparèrent à faire la grasse matinée pour récupérer un peu. Une chose était sûre : dès le lundi matin, Dougall devrait appeler l'Université pour se faire porter pâle au moins une semaine. Il aurait besoin de ces quelques jours pour revoir tous ses cours et mettre en place la gymnastique mentale nécessaire pour ne pas parler de ce qu'il avait découvert à ses élèves...