29 Février 2034 – 7h
Ce fut les cris de ses enfants et les bruits de vaisselle qui réveillèrent Tristan ce jour-là. A plat ventre dans son lit, une jambe repliée sur l’édredon, une main pendant au-dessus de son oreiller qui gisait sur le sol, il releva la tête d’un air ensommeillé et hagard et avisa la tâche humide laissée par sa bouche entrouverte sur le matelas. Dans un grommèlement, il se retourna et soupira en sentant la place à côté de lui était vide. Comme tous les matins.
Dans sa jeunesse, il avait plutôt tendance à se réveiller en forme, prêt à attaquer sa journée, gambadant gaiement vers sa salle de bain pour une douche matinale. Ou alors, il restait un peu plus au lit, puisque dans sa jeunesse, sa femme et lui aimaient trainer au lit. Mais plus la quarantaine approchait, plus il luttait pour trouver la motivation de sortir des couettes. D’ailleurs, avait-il le temps de trainer un peu ?
« Dix minutes encore ! » grogna-t-il en rabattant la couverture sur sa tête.
Mais c’était sans compter ces affreux garnements qu’il avait un jour décidé de concevoir dans sa naïveté.
« Paaaaaaaaaaaaaaaapaaaaaaaaaaaaaaaaa ! »
A en juger par cette douce voix, Louise, cinq ans, ne semblait pas d’accord avec le programme de son père. Jugeant qu’il pouvait encore faire croire qu’il était mort pour qu’on le laisse tranquille encore un peu, il s’immobilisa sous la couette lorsque la porte grinça. Il y eut des chuchotements, un petit rire aigu et pas du tout discret, et soudain Tristan se retrouva enseveli sous trois paires de jambes et de bras de différentes tailles. Louise se glissa aussitôt sous la couette pour lui chatouiller les côtes, Clovis, le plus grand, s’assit à califourchon sur son père pour s’attaquer à son cou, mais le plus innovant fut Charles qui avait dû trouver une plume échappée de l’édredon et s’en servit pour s’occuper des pieds de son père.
Eclatant de rire, Tristan dut bien admettre qu’il aimait bien les avoir au petit matin, ses affreux garnements.
« Maman a fait des gaufres et on a tout mangéééééé ! lui apprit Charles, huit ans.
- Oui, oui, papa, on a tout mangé ! répéta la petite.
- Et Maman a dit que c’était tant pis pour toi ! jubila Clovis, neuf ans.
- Ah mais je sais comment récupérer mes gaufres ! » souffla Tristan alors que les trois petites têtes brunes presque identiques s’immobilisaient au-dessus de sa tête et le fixait de leurs petits yeux curieux. « Je vais dévorer les enfants qui ont mangé mes gaufres ! »
Il lâcha un grognement de monstre affamé alors que, dans un concerto de cris aigus, les trois gamins libéraient son lit à la va-vite.
Tristan se redressa et frotta son visage ensommeillé. Après un coup d’œil au réveil, il se leva mais ne se dirigea pas encore vers la cuisine.
Et oui ! Même Tristan Capet, Duc de Brocéliande, Conseiller direct de la Reine, avait besoin de faire pipi le matin !
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29 Février 2034 – 11h20
Lucy sauta sur la dernière table libre chez Foston et sourit hypocritement aux deux hommes qui la convoitaient également, mais qui avaient une longueur de retard sur la presque trentenaire.
Il y avait quatre places, c’était parfait.
Foston était le restaurant le plus branché du Ministère de la Magie. Lucy s’y rendait peu. Habituellement, lorsqu’elle arrivait à donner rendez-vous à Albus, ou Rose, ou les deux, ils se rendaient plutôt Chemin de Traverse où le choix était plus diversifié, mais en ce jeudi midi, le dernier jour du mois de février 2034, leur cousine Lily avait un rendez-vous au département de la Justice Magique. Et c’était bien trop rare pour que les cousins n’en profitent pas pour se retrouver autour d’un bagel.
« Rose ! »
La rouquine qui dépassait Lucy de deux têtes afficha un sourire éclatant en apercevant sa cousine déjà installée et se faufila entre les clients, une serviette calée sous le bras gauche.
« Hey, jolie coupe de cheveux ! »
Lucy sourit, et agita la tête, pas encore habituée à sentir les pointes de ses mèches folles frôler ses épaules. Elle avait toujours eu les cheveux longs, mais sur un coup de tête et dans une profonde pulsion de changement, la veille, elle avait fait un saut chez Coup’ moi ces tifs sans réelle idée derrière la tête. Elle avait laissé le coiffeur choisir lui-même. De toute manière, avec la magie, ils auraient repoussé rapidement !
« J’ai cru que je ne réussirais jamais à me libérer ! Dougal est une vraie plaie lorsqu’il le veut ! Je ne pourrais pas rester plus d’une heure… »
Fidèle à elle-même, Rose bougonnait. Cette dernière la prit brièvement dans ses bras et lui demanda aussitôt des nouvelles de son cousin.
« Alors, comment ça se passe au QG des Weasley ? James va mieux ? »
Le QG des Weasley, comme l’appelait Rose, était en fait la maison de leur cousine Victoire. Construite au nord de l’Ecosse avec son mari Adam et étant la plus grande de la famille, c’était très souvent là-bas que se rejoignaient tous les Weasley pour les fêtes et repas dominicales. La situation était plus particulière pour Lucy et James… Lucy avait toujours été très proche de sa cousine. Tout d’abord parce que leurs onze premières années, de par le travail de sa mère, c’était chez sa tante Fleur, la mère de Victoire, que Lucy et sa sœur jumelle étaient gardées tous les jours. Il y avait ensuite eu le divorce de leurs parents, lorsque leur mère était retournée en France sur un coup de tête, abandonnant la garde de ses deux enfants. Leur père s’était retrouvé complètement dépassé par la situation et avait perdu pied. Lors de cette épreuve douloureuse, Victoire avait emménagé chez eux, s’occupant des petites comme de ses propres filles. Molly était toujours restée extrêmement fidèle envers leur mère, malgré l’abandon dont elles étaient victimes, mais Lucy était rentrée dans une phase de rébellion extrême. Et dans cet orage, Victoire avait été son point d’arrimage pour ne pas sombrer. Sa cousine avait été présente, patiente. Lorsqu’elles se retrouvaient dans le même pays – Victoire avait voyagé énormément après son diplôme – elles ne passaient pas une journée sans se voir. Et puis Lucy était rentrée à Poudlard, et plutôt qu’être en garde partagée pour les vacances scolaires entre ses deux parents, comme sa sœur, elle s’était vivement opposée à revoir sa mère. C’était au tout début de Reinhard Travels, cette société que Victoire et son mari, Adam, avaient construit ensemble. La première entreprise de voyage pour Sorciers et Moldus. Durant toute sa scolarité à Poudlard, la jeune fille s’était donc retrouvée, la moitié des vacances scolaires, à parcourir les quatre coins du globe avec sa cousine.
Elle avait ensuite grandi, s’était installée avec son petit ami dans une petit appartement, avait décroché son master de Droit Magique à l’ISES - Institut Sorcier de l’Enseignement Supérieur – à Liverpool, puis elle avait progressé rapidement au sein du Ministère. C’était quatre mois plus tôt que sa petite vie avait été bouleversée. Lucy avait quitté son fiancé et, ne souhaitant vivre ni chez sa sœur, ni chez son père, et encore moins chez sa mère, était partie rejoindre Victoire dans sa grande maison au Nord de l’Ecosse.
Victoire et Adam avaient mis fin à leurs voyages récurrent une dizaine d’années plus tôt, après leur mariage, et avait fait construire cette grande maison au nord de leur Ecosse natale qui s’était progressivement remplie des rires de leurs quatre enfants. Mais leurs vies ne s’étaient pas autant calmées qu’il le pensait. Adam avait gardé de nombreuses responsabilités au sein de leur entreprise qui le poussait régulièrement à reprendre un portoloin ou un avion pour rejoindre telle ou telle réunion. Victoire, quant à elle, alors qu’elle souhaitait se poser quelques années pour élever ses enfants, s’était vu proposer un partenariat avec une société de télévision française sorcière dans des conditions assez loquaces. Elle passait donc la moitié du mois à Brocéliande, la capitale française, et embarquait toute sa maisonnée.
Ça avait été un réel soulagement pour elle lorsque Lucy avait accepté d’emménager chez eux. Si cette dernière travaillait énormément, Victoire était plus libre de voyager jusqu’en France, ayant une personne pour emmener ses enfants à l’école et retourner les chercher.
Au début, Lucy avait eu peur de ne pas supporter d’être au milieu d’autant d’enfants et comme elle l’avait redouté, côtoyer quotidiennement les trois petites frimousses – le plus grand étant à Poudlard – l’avait plongée dans une mélancholie douloureuse au début. Et puis elle avait refoulé ses blessures, comme d’habitude. La routine lui avait permis de garder pied. Aujourd’hui, tout allait bien.
Victoire avait été heureuse de constater l’excellente thérapie que constituait la présence de ses enfants et lorsque ça avait été au tour de James de perdre sa femme, il avait été chaleureusement invité à s’installer chez eux, avec le petit Célestin.
Lucy sentit une profonde tristesse l’envahir en songeant à toutes ses années à Poudlard, à côtoyer Emilie. Elles étaient dans la même maison, c’était la meilleure amie de sa cousine Lily. Elle se souvenait de l’adolescente brune qu’elle avait côtoyée. Toujours souriante, toujours prête à participer aux mauvais coups. Emilie était malade depuis des années, ils le savaient. Elle avait cependant eu une merveilleuse dernière année de vie, entre son mariage et la naissance de leur fils, et était partie dans son sommeil et dans le calme. James avait encore du mal à s’en remettre, et c’était normal. Deux semaines, c’était trop récent. Lucy avait bon espoir pour son cousin et en attendant, elle s’alliait aux efforts de Victoire pour apporter au jeune papa toute l’aide dont il avait besoin.
« C’est bruyant ! » lâcha-t-elle en riant. « Heureusement qu’Eliott est très sage parce qu’entre les colères de Gaspard et les pleurs de Célestin, on en peut plus ! Adam a emmené Olivia à Helsinki pour quelques jours… ça nous fait de l’air, si tu savais ! Mais James, et bien… il est toujours… dans son monde. Il lui faut du temps, voilà tout.
- Mais oui ! Comment ça se passe alors avec l’accident de dragon ?! »
Le week-end précédent, un dragon c’était échappé d’une réserve Norvégienne. Un groupe de voyageurs moldus de Reinhard Travels se trouvait dans les parages pour observer des aurores boréales. Plusieurs avaient été brulé et Adam avait donc beaucoup à gérer avec la Société Sorcière Scandinave pour étouffer l’affaire.
« Bah tu sais, ça arrive, hein… Les assurances de la réserve de dragon vont prendre en charge les dommages… Lily ! »
La rouquine venait de surgir des cheminées de l’Atrium et était en discussion avec un homme qui se tenait dos à elles, mais qu’elles reconnurent grâce à sa touffe épaisse de cheveux turquoise : Teddy. Elle leur adressa un signe de la main, Teddy se retourna brièvement pour faire de même, mais ils continuèrent à échanger en effectuant de grands gestes avec leurs mains.
« Toi et moi, avec Donie, on est les battantes de la famille ! Faut qu’on reste fortes et solidaires en tant que dernières femmes Weasley à ne pas être mères ! Regarde tous les problèmes que ça engendre !
- Hum… Hum… »
Lucy, qui s’était laissée tomber contre le dossier de sa chaise, bras croisés sur la poitrine, jaugeant leur cousine en pleine dispute avec le père de sa fille d’un œil réprobateur, se redressa d’un coup en avisant le visage rouge pivoine de Rose. Cette dernière garda le regard focalisé sur ses cuisses, triturant de ses doigts un pan de son gilet. Lorsqu’elle releva les yeux, elle ne put retenir un sourire éclatant de blancheur, en contraste avec la couleur de sa peau.
« C’est pas possible ! jura Lucy en se plaquant les mains sur le visage. Tu t’es laissée avoir par les tentacules gluantes et collantes de la maternité ! Requiescat in pace Rose ! » et puis avec un petit rire, elle prit la main de sa cousine dans la sienne. « Sans rire, je suis très contente pour toi. »
Et c’était vrai ! Même si, profondément, la flamme dévastatrice qui s’allumait régulièrement dans la poitrine de Lucy depuis presque deux ans la dévorait de l’intérieur. Un battement de paupière et elle l’enferma dans une petite boite, loin de sa conscience. Question de survie.
« Merci… ça me fait vraiment peur, tu sais… Je ne pensais pas avoir d’enfants avant au moins mes quarante ans ! Mais bon tu comprends… » Rose jeta un regard circulaire autour d’elles pour vérifier que personne ne les écoutait, bien qu’elle tue tout de même son nom. « Il n’a plus vingt ans ! »
Lucy et Rose pouffèrent de rire, complices.
« N’en parle pas à Lily et Albus, s’il te plait ! Ils ne sont toujours pas au courant…
- Tu me connais, je suis une tombe !
- Alors les concierges, quelles sont les derniers ragots ? »
Rose sursauta violement lorsque la voix de leur cousin s’éleva derrière elles.
Lors des premières années de sa vie, avant le divorce de ses parents, c’était avec Dominique et Molly qu’elle passait ses journées mais la répartition dans les maisons à Poudlard les avait séparées et brisé un peu leur lien. Avec Rose, leur complicité s’était installée plus progressivement au cours de leurs études, se découvrant mutuellement un cynisme ravageur. Et puis d’un seul coup dix ans plus tôt, se liant dans leur rejet maternel.
« Astoria Greengrass va se marier pour la sixième fois, le savais-tu ?
- Je crois que tu n’as pas compris, ma très chère Lucy, que ma question était ironique.
- Allons Al’ ! Tout le monde sait que de nous trois, c’est toi la plus commère ! »
Albus lui renvoya un sourire moqueur alors que Lily les rejoignait enfin, les joues encore rougies. Elle prit le temps de les serrer un à un dans ses bras.
« Désolée ! Désolée ! Désolée ! Problème d’harmonie éducationnelle, encore… J’adore ta coupe, Lucy ! » répéta-t-elle avant de se laisser tomber sur sa chaise, lasse, alors qu’Albus reportait son attention sur les cheveux de sa cousine, se demandant sans doute si elle avait changé quelque chose, avant d’hausser les épaules, impuissant. Lucy, quant à elle, nota les cernes qui sillonnaient les yeux de Lily et comprenant bien qu’elles avaient sans doute un lien avec Emilie, décida de ne pas les faire remarquer. Rose avait moins de tact.
- Tu commences ta journée à 12h et tu es déjà épuisée !
- On en reparlera quand tu seras mère. » rétorqua Lily, fusillant sa cousine du regard alors que celle-ci lui tirait la langue, telle une gamine.
Mais Rose était une gamine. Lucy choisit de changer de sujet, l’estomac serré.
« Tu as vu la fille dont on parle dans la gazette ? demanda-t-elle en récupérant les cartes distribuées par le serveur.
- Moi non, mais Charline, ma collègue, a passé trois jours à Sainte-Mangouste avec elle. Elle parle français, pas moi.
- La petite retrouvée dans le QG des djihadistes ?
- Hum, hum… Apparemment ils se sont demandé si elle était sorcière. Elle semble étonnée par tout, surtout par les baguettes. Son nom est complétement inconnu, elle n’a été inscrite dans aucunes des écoles sorcières… Pourtant, elle fait de la magie spontanée. Peu, mais c’est suffisant.
- Est-ce qu’elle ne ferait pas partie de ces enfants enlevés à la naissance, comme Jules ?
- C’est la théorie la plus probable. Elle aurait, dans ce cas, été totalement coupée de notre monde ce qui expliquerait son ignorance, mais elle connait son nom. Je ne sais pas si tu te souviens mais Jules avait été appelé Qitea. C’est un mot arabe qui signifie « morceau ». La gamine a un nom original, certes, mais ça n’a rien à voir avec ceux dégradants donnés aux enfants enlevés.
- Si vous avez son nom, pourquoi ne pas le diffuser dans la presse moldue et sorcière. Ses parents pourraient se manifester.
- Ce n’est pas possible. » compléta Lucy qui, en tant qu’assistante du procureur, avait eu vent de quelques éléments de l’affaire. « Certains djihadistes se sont enfuis lors de l’attaque des Aurors. Ce serait l’exposer. »
Lily lui adressa un sourire complice. La dernière des Potter était assistante sociale et avait régulièrement à faire avec Lucy. Elles côtoyaient le même monde, partageaient le même jargon, contrairement à Albus qui avait obtenu son travail de rêve, inspecteur de transplanage, et à Rose qui, après une carrière nationale en tant que joueuse de Quidditch s’était reconvertie récemment en assistante administrative au Bureau internationale des lois magiques. Un poste étonnant, loin de son domaine d’activité durant dix ans et de ses capacités intellectuelles – Rose avait eu des résultats bien supérieurs à ceux de sa cousine aux ASPICS – qui avait fait parler la presse. Du point de vue de Lucy, il y avait deux raisons. La première était sans doute sa volonté d’éviter tout contact avec ses parents et donc tout poste à responsabilité au sein du Ministère. La deuxième était sans doute liée à son amoureux secret que Lucy avait démasqué de nombreux mois auparavant et qui allait de nouveau faire jaser lorsque leur liaison serait découverte. Rose tentait sans doute de se faire oublier avant de le révéler à ses cousins.
Elle jaugea sa cousine qui tapotait impatiemment des doigts la table en parcourant l’Atrium du regard. Rose avait connu des épreuves difficiles depuis sa sortie de Poudlard. Directement recrutée chez les Harpies de Holyhead à la suite de leur tante, son ascension avait poussé la presse à fouiller dans l’histoire de ses parents et de sa petite enfance et un très gros cadavre en avait été déterré. La famille construite par Ron et Hermione avait volé en éclat en une coupure de journal et avait failli emporter le reste des Weasley avec elle.
A 18 ans, elle avait appris dans une brochure de la Gazette qu’une petite Rose Weasley était née avant elle et que celle-ci avait été victime de la mort subite du nourrisson. Elle avait été choisie par la suite, adoptée en secret pour prendre la place du bébé disparut.
Devant l’énormité du secret, les cousins avaient fait bloc face à leurs ainés, ne comprenant pas comment ils avaient pu étouffer l’affaire et par soutien pour Rose dont l’univers en avait été bouleversé. Les tensions s’étaient apaisées mais sa cousine refusait encore tout contact avec la génération du dessus. Elle avait construit sa vie seule et avait dû se heurter à l’administration sorcière pour retrouver sa famille biologique. Rose en parlait peu, mais Lucy savait qu’elle avait retrouvé une sœur et un frère en Suisse, une poignée d’années plus tôt. Elle ne la questionnait jamais sur eux et sa cousine n’en parlait pas d’elle-même.
Mais récemment, le regard de Lucy avait changé par rapport à son oncle et sa tante. L’âge aidant, mais surtout par les épreuves qu’elle-même avait traversées, elle comprenait mieux la situation dans laquelle ils s’étaient retrouvés suite à la perte de leur premier enfant. Peut-être la maternité poussera-t-elle Rose à pardonner à ses parents…
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29 Février 2034 – 12h50
« Hey ! Attention, enfin ! » explosa Alix Simon en se faisant bousculer une énième fois, son talon se coinçant entre deux pavés.
Fulminant, elle hâta le pas en jetant un coup d’œil à son portable. Romane allait encore être furieuse ! Elles ne parvenaient à se programmer des déjeuners ainsi que lorsque sa sœur passait la journée à Paris, ce qui était relativement rare. Et à chaque fois, le vieux Xavier trouvait une excuse pour la mettre en retard… Heureusement que le bistrot des Ambassades où elles avaient l’habitude de se retrouver n’était qu’à quelques mètres de l’hôtel Matignon où Alix travaillait.
« Enfin ! souffla Romane, déjà installée en terrasse, une cigarette à la main.
- Excuse-moi… Mais ça va, je n’ai qu’un quart d’heure de retard ! »
Alix claqua deux bisous sur les joues de sa sœur et se laissa tomber sur la chaise qui lui faisait face. Avec un soupir épuisé, elle sortit son pied de son escarpin et entreprit de se masser la plante à travers son collant.
« Quelle classe ! remarqua Romane.
- Ces chaussures sont une horreur…
- Tu veux que je te règle ça de quelques sorts ? »
Alix regarda sa sœur comme la huitième merveille du monde.
« Tu ferais ça pour moi ?
- On fera un détour aux toilettes tout à l’heure, conclut Romane d’un clin d’œil en proposant une cigarette à Alix. Alors, quelles sont les nouvelles à Matignon ?
- Oh, tu sais, pleins de choses, mais « ça ne me regarde pas » parce que je suis « l’assistante de l’assistant » donc ma seule tâche est « d’être jolie et d’aller chercher des cafés ».
- Quand est-ce que tu vas le dénoncer le vieux Xav’ ?
- Quand j’aurais un job supérieur au sien ! Quand les femmes seront recrutées à Matignon non pas pour leur physique avantageux mais pour leur jugeotte ! »
Romane lâcha un petit rire ironique.
« Et toi alors, quel sont tes plans sur Paris ?
- Dans deux heures, j’ai rendez-vous avec l’ambassadeur de la Roumanie pour mettre à jour les lois concernant la régularisation de la reproduction des Dragons. Il y aura sans doute aussi un de ces éleveurs super sexy ! Du genre qui maitrise des bêtes féroces toute la journée, avec des cicatrices partout et un regard de braise !
- Pourquoi c’est toi qui a eu les gênes avantageux ? soupira Alix en posant son menton sur la paume de sa main.
- Parce que c’est toi la plus intelligente et que tu n’as pas besoin d’une baguette magique pour t’en sortir dans la vie ! GARCON ! »
Alix observa sa sœur leur commander deux salades césar. Plus vieille de deux ans, elle avait reçu une lettre le jour de ses onze ans et la visite d’un grand homme brun habillé en robe, lui annonçant qu’elle était une sorcière et était donc invitée à recevoir un enseignement à l’Académie de Beauxbâtons. Romane avait toujours été une enfant très spéciale, souvent rejetée par ses camarades et punie par les adultes pour ses « bizarreries ». Pour Alix, c’était un modèle, une grande sœur qui faisait son possible pour émerveiller sa petite sœur en faisant voler des fleurs et apparaitre des couleurs sur les murs de leur chambre pour le plus grand bonheur de leurs parents. Elle avait au début été très jalouse du talent de sa sœur mais finalement, elle l’avait aussi bien vécu. Romane était partie en internat sorcier mais Alix avait également été envoyée dans un internat moldu réputé au collège. Elles s’étaient retrouvées à chaque vacances scolaires, et depuis ses quinze ans, sa grande sœur sautait sur la moindre occasion pour partager avec elle les plaisirs de la vie sorcière. Elle lui avait fait visiter Brocéliande, la capitale sorcière, un million de fois au moins, emmené assister au mariage princier du prince Tristan et de la roturière Junie, et dès que les beaux jours pointaient leur nez, elles allaient dorer sur des plages de la côte d’Azur en un coup de transplanage.
Si elle n’était pas sorcière, avoir grandi avec Romane et partager un appartement avec elle pendant trois ans sur Paris après son Bac lui avait permis de faire tout de même partie de ce monde.
Les deux filles travaillaient toutes deux pour leur gouvernement respectif, une vocation transmise par leur père, député, et leur mère, maire d’une petite bourgade Picarde. Si Alix croisait le premier ministre tous les matins, bien qu’elle ne travaillât pas directement avec lui, Romane travaillait quant à elle au Ministère de la Régulation des Créatures Magiques. Mais lorsqu’elles se retrouvaient ainsi pour une pause déjeuner, elles mettaient un point d’honneur à ne jamais parler de travail !
« Je suis sortie avec Gigi hier, à la Baguette ! Et tu ne devineras jamais…
- Peut-être mais je sens que je ne vais pas tarder à le savoir ! » répliqua Alix en se penchant au-dessus de la table, excitée d’entendre les détails croustillants que sa sœur allait lui donner.
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29 Février 2034 – 13h
Les mains prises d’un côté par Gaspard, de l’autre par Eliott, Victoire aida ses fils à descendre du Magicobus à la suite de James et se retourna vers Thomas Ackerley, le conducteur.
« Merci, à bientôt !
- Maman ! Maman ! Maman ! On va chez Honeydukes, Maman ! commença à s’écrier Gaspard d’une voix aigüe.
- Non, mon chéri, nous ne sommes pas venus à Pré-au-Lard pour aller chez Honeydukes, tu te souviens ? Mais si vous êtes sage, vous aurez le droit à une grenadine au Trois Balais, c’est d’accord ? Eliott ! Retire ce doigt de ta bouche, tu n’es plus un bébé ! »
Son fils au visage entouré des mêmes bouclettes châtains que son père lâcha son pouce et lui adressa un sourire édenté si mignon que Victoire manqua de craquer pour Honeydukes. Heureusement, elle commençait à prendre de l’expérience en tant que mère et se rappela que les bourrer de sucres dès maintenant, c’était se promettre la pire après-midi de sa vie. Elle se tourna finalement vers James qui balayait Pré-au-Lard d’un air absent, son fils de deux mois solidement accroché en écharpe contre lui.
« Il ne s’est même pas réveillé… s’émerveilla-t-elle en frôlant la petite joue ronde de son petit cousin, affalé de tout son poids sur le torse de son père.
- Il a le sommeil lourd de sa mère. »
Victoire frissonna. James avait lancé cette remarque sans une once d’émotion dans la voix. « C’est normal, c’est encore récent, il va s’en sortir… » se répéta-t-elle pour retrouver une contenance.
« Bon ! Par où est ce qu’on commence ? Gaichiffon fait des ensembles très mignons pour les bébés. » James ne broncha pas d’un pouce, les yeux toujours fixés sur le crâne de son fils qui ronflait calmement. Victoire lâcha la main de son fils pour secouer doucement l’épaule de son cousin et récupérer son attention. « Tu te souviens pourquoi nous sommes là James ? Célestin a besoin de nouveaux body…
- Oui, oui, allons chez Gaichiffon. »
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29 Février 2034 – 13h30
Le Palais Royal – Brocéliande
Un tintement violent tira Tristan de la lecture du rapport et il avisa le hibou qui venait de se prendre la fenêtre de plein fouet. Il échangea un rire amusé avec sa sœur, assise à l’autre bout de la pièce derrière un grand bureau en noyer et contourna le sien pour récupérer le message lorsque, de la fenêtre, le tonnerre attira son regard au loin. Il faisait pourtant un temps magnifique… Il chercha les nuages, annonciateurs d’un orage, mais resta perplexe. Derrière le Ministère, derrière l’arbre passeur dont le sommet pointait vers le ciel, une fumée grise et épaisse était balayée par le vent.
Tristan resta un instant interdit, choqué par toutes les explications affluant jusqu’à sa raison, chacune plus improbable et affolante.
Puis des cris s’élevèrent au loin, le déchirant comme s’ils venaient de cette pièce.
« Que se passe-t-il ? » s’alarma Mélusine. « Tristan ?
- Je… Je crois que Sainte-Radegonde vient de s’effondrer. »
Ministère de la Magie – Londres
« Bon allez ! Je dois me rendre à Poudlard pour donner des cours de transplanage ! Youpi ! » s’extasia faussement Albus.
Il déposa quelques mornilles sur la table, embrassa chacune de ses cousines et sa sœur et s’élança pour disparaitre dans une des cheminées de l’Atrium. D’un commun accord, les filles décidèrent d’y aller également. Lily les embrassa et fila dans un ascenseur direction le Département de la Justice Magique, et Rose et Lucy s’accordèrent quelques minutes supplémentaires de détente par un passage aux toilettes.
« Lily a l’air de bien aller. » remarqua la rouquine en recoiffant ses longs cheveux bouclés dans un chignon serré. « Oh là là, si tu savais comme j’envie tes cheveux… »
Lucy jeta un coup d’œil dans le miroir et attrapa une de ses mèches blondes, coupées juste au-dessus de ses épaules en un carré ondulé, avec un air satisfait.
Puis d’un seul coup, son reflet disparut. Tout disparut en fait. Les toilettes plongèrent dans l’obscurité la plus totale.
« Qu’est-ce qu’il se passe encore ? » grogna Rose.
Lucy tira de sa poche sa baguette, l’agita pour éclairer les toilettes mais rien ne se passa.
« Lumos ! réitéra-t-elle l’opération à voix haute, sans parvenir au moindre résultat.
- Flambio ! tenta à son tour sa cousine. Ouah, c’est vraiment bizarre, non ? »
Ça ne devait pas être que dans les toilettes puisque de l’autre côté de la porte, des gémissements et des questionnements similaires leur parvenaient.
« On dirait que… On dirait qu’il n’y a plus de magie… » réalisa Lucy avec l’impression de dire la plus grosse ânerie de tous les temps.
Rue du Bac – Paris
« … Et là, Gigi se retourne et elle lui dit » riait aux éclats Romane alors que sa sœur manquait de s’étouffer avec sa feuille de salade. « Elle lui dit : Ok, je te suis, mais comprends bien mon gars que ta soirée sera interdite au… »
BOUM !
Un fracas coupa court dans son récit et les deux sœurs tournèrent d’un même geste le regard vers la voiture garée juste derrière Alix.
BOUM !
Un deuxième objet s’écrasa à quelques mètres sur la chaussée et passa sous les roues d’une voiture qui, dans un crissement de frein, n’était pas parvenue à s’arrêter à temps. Les filles se levèrent d’un bond et furent les premières arrivées devant la première chose tombée du ciel.
Une jeune fille d’à peu près leur âge reposait sur le toit dont la taule était enfoncée sous son poids, son crane avait littéralement explosé sous l’impact et ses grands yeux bruns fixaient Alix, vides de vie.
Romane poussa un cri de terreur et, attrapant le bras de sa sœur, la tira en arrière. Avec un calme terrifiant, Alix reporta les yeux vers la chaussée où, entre deux personnes s’étant attroupées, elle distingua une jambe sanguinolente de la masse informe et immobile gisant sur le bitume.
En état de choc, elle se laissa trainer par sa sœur, évitant de justesse de marcher sur ce qui semblait être des morceaux de théière en porcelaine, la regarda sortir sa baguette et l’agiter en grommelant, désespérée.
« Mais Romane ! s’entendit-elle protester de très loin. Qu’est-ce que tu fais ? Ce n’est pas le moment, là ! Tu ne vois pas que deux personnes viennent littéralement de… tomber du ciel ?
- Justement ! Regarde leurs vêtements… C’est des sorciers, Alix ! »
La cadette reporta son attention vers la voiture où un pan de la robe de la victime dépassait. Un modèle de robe qu’elle avait tant de fois vu sur les épaules de sa sœur. Paniquée, elle reporta son regard vers cette dernière qui piquait un fard.
« Ta baguette. Elle ne marche plus ?
- Non… Je crois que la magie ne marche plus. »
Pré-au-Lard – Ecosse
« Mais Maman ! Moi je voulais le même pyjama que Célestin ! Celui avec un vif d’or qui bouge ! gémissait son fils alors que Victoire poussait la porte de Gaichiffon pour sortir.
- Gaspard, c’est la troisième fois que je te dis que c’est un pyjama pour les bébés ! Il n’y avait pas ta taille !
- Mais j’en veux un…
- Il fallait rester un bébé alors, mon cœur.
- Moi je veux être grand pour être attrapeur, comme Papa ! cria à son tour Eliott.
- Chut ! Les garçons, je vous ai déjà dit de ne pas crier ainsi. Je vous entends aussi bien si vous… »
Un coup de tonnerre effrayant retentit dans la rue de Pré-au-Lard, secouant le sol. Dans un réflexe de protection, Victoire attira ses deux fils contre ses jambes et se figea d’horreur devant le spectacle qui s’offrait à elle.
« Oh Pu… » commença James, sortant de sa léthargie pour jurer mais s’arrêtant juste à temps, aidé par le choc.
La ruelle où se trouvait l’entrée de Gaichiffon donnait sur un magnifique Panorama où on pouvait habituellement observer la beauté de Poudlard lorsqu’il faisait beau.
En ce 29 février 2034, il faisait très beau. Le soleil brillait à son apogée dans le ciel, quelques nuages blancs se glissaient en douceur d’un bout à l’autre de l’horizon, des oiseaux posés sur le toit des maisons chantaient gaiement, et la Grande Salle où les élèves devaient actuellement finir leur dessert venait de s’écrouler sur elle-même.
Victoire observa amorphe les pierres rouler le long de la falaise et s’enfoncer avec un « Plotch ! » dans le Lac Noir. Un deuxième craquement sourd et la tourelle où se trouvait un instant plus tôt la salle commune des Gryffondors bascula à son tour dans les flots.
Victoire resserra la prise qu’elle avait sur les deux cranes de ses fils pour ne pas s’écrouler.
Parce que, aussi dévastateur que pouvait l’être l’effondrement de Poudlard pour la société sorcière Anglaise, son fils ainé, Jules, y était scolarisé en quatrième année. A Serdaigle.