— Encore une tournée ?
Avant que Marcus n’ait pu répondre, Terence appela le barman et commanda deux nouveaux Whiskys Pur Feu. L’ancien Poursuiveur loucha sur le verre qu’on posa devant lui, le regard trouble et la tête prise dans un étau. Il n’était pas sûr que cela soit une bonne idée. Il allait encore se retrouver avec une sale gueule de bois le lendemain. Ces tournées des bars avec Terence ne lui réussissait pas, il ne savait pas pourquoi il s’obstinait à récidiver.
— Et donc, on disait ? demanda son ancien condisciple après avoir bu deux longues gorgées.
— Dubois et Bell.
— Ah oui, eux. C’est quand même assez ironique qu’ils viennent te pourrir la vie en France, plus de vingt ans après la fin de nos études. Ils sont persistants ces Gryffondor.
Marcus grogna, peu sûr d’apprécier la plaisanterie, tandis que Terence laissait échapper un ricanement sarcastique.
— Sinon, pour parler de choses plus joyeuses. J’ai entendu dire que ton équipe se débrouillait plutôt bien.
— On a remporté notre premier match, ça ne veut rien dire. Mes joueurs sont beaucoup trop confiants.
— Quel rabat-joie tu fais, parfois.
Terence lui donna une grande claque dans le dos avant de finir son verre cul sec. Il en redemanda un autre d’un grand geste de bras, sans montrer aucun signe d’ivresse. Il avait toujours su bien tenir l’alcool, une capacité que ne possédait pas Marcus. Ce dernier repoussa son Whisky avec un soupir. Il détestait ne pas avoir les idées claires et il fallait vraiment qu’il ralentisse pour ce soir.
— Et de ton côté ? demanda-t-il. Du nouveau au Siège de la Ligue ?
— Rien de palpitant, on a eu un lot de balais trafiqués qu’un gars essayait de faire entrer dans le pays depuis l’Italie, on a refourgué ça au Ministère de là-bas. Ah et une sombre histoire de rassemblement de fans qui a mal tourné dans la banlieue ouest de Londres.
— Des accidents ?
— Une nana s’est retrouvé avec des ailes sur la tête et une autre avec des cornes sur les genoux. Les Oubliators ont dû intervenir, c’était du grand n’importe quoi. À part ça, le calme plat, on s’ennuie presque.
— Pas moyen que tu prennes des congés par cette période creuse ? grogna Marcus d’un ton qu’il voulait nonchalant.
— Pourquoi ? T’as besoin d’une baby-sitter ?
— D’un soutien contre ces Gryffons teigneux surtout.
Terence éclata de rire et secoua la tête, l’air de ne pas y croire.
— C’est qu’ils t’ont vraiment bien emmerdés, ces deux cons. Je verrais si je peux venir à ton prochain match, tu me donneras la date.
Marcus ne détrompa pas son ami, n’osant pas lui dire que Bell avait été des plus cordiales avec lui lorsqu’elle l’avait salué l’autre soir. Elle lui avait demandé de ses nouvelles d’un ton poli et il l’avait agressé en lui répliquant qu’il n’y était pour rien, quelles que soient les idées stupides que Dubois s’était mis dans la tête. Même cette remarque ne l’avait pas énervée et elle s’était contentée d’acquiescer avant de le saluer.
Néanmoins, son attitude amicale l’agaçait autant, sinon plus, que l’agressivité de l’autre idiot. Il ne pouvait s’empêcher de se méfier et cela lui irritait les nerfs. Pour une fois qu’il avait accepté de se mêler à la populace sous l’insistance de Zeke après le match du jour, il l’avait bien regretté.
— Tu repars quand déjà ? lui demanda soudain Terence.
— Début avril. On ne joue qu’à la fin du mois mais j’ai demandé à l’équipe de rentrer plus tôt pour s’entraîner.
— Quel entraîneur intransigeant, ironisa son ami. Et Dubois, il joue quand ?
— La semaine prochaine, je crois.
— C’est quand même incroyable qu’il t’accuse pour masquer sa propre incompétence.
— Incroyable, c’est le mot, marmonna Marcus.
Comme s’il y était pour quelque chose si le Club de Flaquemare ne comptait que des joueurs avec deux mains gauches.
— Tu sais, je me disais, poursuivit Terence, un nouveau verre devant lui. Pourquoi tu ne demanderais pas à la gamine d’espionner un peu pour toi ?
— Sara ?
— Ouais, tu m’as pas dit qu’elle était devenue amie avec eux ?
Marcus se redressa un peu trop brusquement sur son siège et la pièce tangua autour de lui. Il devait avouer que cette idée était loin d’être stupide. Si Dubois voulait la jouer comme ça, alors il n’allait pas se priver.
— Après, je dis ça, je dis rien, dit Terence. Comme t’es en compétition internationale, c’est peut-être pas le plus judicieux.
— C’est lui qui a commencé.
— Tu sais que tu viens de parler comme un gosse ?
— Et alors ?
Une fois de plus, Terence laissa échapper un de ses rires si reconnaissables, profonds et puissants, qui fit se retourner quelques têtes. Autour d’eux, le bar était quasi vide, comme à chaque soir de semaine. Marcus n’avait jamais vu personne d’autre que son ami boire autant et parfaitement assumer le lendemain pendant sa journée de travail.
— J’ai hâte de venir voir ça, soupira son ancien Attrapeur. Pour une fois que cette Coupe d’Europe a l’air un tant soit peu intéressante.
— Parle pour toi. Les matchs sont d’un ennui pour l’instant, c’est affligeant. J’espère qu’on aura le loisir de voir des rencontres un peu plus impressionnantes d’ici la fin de la saison.
— Vas-y, raconte-moi tout, j’ai absolument rien suivi.
Marcus se fit un plaisir de lui détailler par le menu les scores de chaque rencontre et les différentes analyses qu’il avait faites des stratégies de jeux. Il lui exposa les atouts et faiblesses de chaque équipe sans s’apercevoir que son ami s’endormait peu à peu sur le bar, près de son verre à moitié vide.
— Bon, je t’avoue que je suis un peu frustré d’avoir dû rentrer, je n’ai pas pu voir certains matchs. Rien à fiche des Chauves-Souris de Fichucastel qui ont écrasé les Gobelins de Grodzisk, ou des Catapultes de Caerphilly qui ont pulvérisé l’équipe d’Ilkley, mais j’aurais vraiment aimé voir les Vagabonds de Wigtown contre les Balais de Braga, vu qu’ils sont tous les deux dans notre groupe. Ça aurait été vraiment très intéressant de les voir jouer, surtout que les Balais ont écrasés les Vagabonds alors que je ne les considérais pas réellement comme des adversaires d’envergure, et… Terence ?
Le concerné ronflait joyeusement, plongé dans le sommeil du juste. Vexé, Marcus fut presque tenté de le laisser là. Pourtant, après quelques minutes à bougonner, il finit par se résigner. Il poussa un soupir, déposa quelques Mornilles sur le bar pour payer leurs consommations, passa un bras de Terence sur ses épaules et le tira à bas de son tabouret. Il grimaça sous le poids mort de son ami et ne tint qu’une trentaine de secondes avant de sortir sa baguette. Sous les regards hilares des autres clients, il fit léviter l’ancien Attrapeur jusqu’à la sortie. Une fois sur le trottoir battu par la pluie, il lui saisit le poignet et transplana dans son petit appartement sous les combles, au sommet d’un immeuble sur le Chemin de Traverse.
— Sale pochetron, marmonna-t-il en le lâchant sur son sofa.
En réponse, Terence n’émit qu’un ronflement sonore. Marcus lui jeta une couverture et alla lui-même s’écrouler sur son lit, sans prendre la peine de se déshabiller. Il était déjà nauséeux à l’idée du lendemain matin.
Comme il l’avait pressenti, le matin suivant ne fut pas des plus agréables. Une envie de vomir le prit à la gorge et sa tête semblait enfermée dans un étau douloureux, un pic-vert martelant son crâne. Le Whisky Pur Feu avait réellement des effets désastreux.
Marcus se leva tant bien que mal et se traîna dans sa minuscule cuisine pour se servir un café. Il trouva sur la table une tasse déjà remplie et un mot de Terence lui disant qu’il était parti travailler de bonne heure et n’avait pas voulu le réveiller, mais qu’il avait tenu à lui préparer son expresso du matin. Marcus secoua la tête avec incrédulité. Il ne comprendrait jamais comment son ami pouvait boire autant et faire comme si ne s’était passé le lendemain. Lui-même en était totalement incapable.
Il réchauffa son café d’un coup de baguette et emmena sa tasse au salon, où il trouva un exemplaire de la Gazette sur la table basse. Terence mettait un point d’honneur à la parcourir chaque matin, pour éviter les mauvaises surprises. À la une s’étalait le dernier scandale en date, un vol audacieux perpétré au sein même de Gringotts. Les gobelins étaient furieux, les personnes délestées de quelques milliers de Gallions hurlaient vengeance, et toujours aucun coupable n’avait été arrêté. Marcus sauta directement les rubriques politiques et économiques pour lire les pages sportives, ignorant les quelques encarts consacrés aux Bavboules pour se concentrer sur la section relative au Quidditch et à la Coupe d’Europe.
La Gazette avait publié les derniers résultats de la semaine - les Bombardiers de Bigonville avaient gagné de loin contre l’équipe du Lancashire - et avait consacré leur article de la semaine à l’équipe espagnole, les Grands-Ducs de Pampelune. Marcus n’en lut pas même deux mots. Ceux-là étaient loin de faire partie des équipes favorites du tournoi. Constituée quelques mois à peine avant le début de la Coupe, il s’agissait de leur toute première compétition et personne ne les considérait avec beaucoup d’inquiétude.
L’ancien Serpentard jeta un coup d’oeil à l’extérieur. Le ciel gris, la pluie qui s’abattait sans discontinuer sur le carreau et le vent qui soufflait avec force le dissuadèrent de tenter la moindre sortie. Avec un soupir, il sortit son carnet et ses nombreuses notes sur leurs rivaux, prêt à se replonger dans de nouvelles stratégies.
La journée allait être longue.
***
À quelques dizaines kilomètres au nord de Londres et de la journée terne de Marcus, Phoebe écrivait, roulée en boule sur sa mezzanine et collée contre la fenêtre froide. Perdue dans son imagination, elle laissait sa plume courir d’un bout à l’autre du parchemin, inconsciente du regard posé sur elle.
Arnold l’observait en silence, admirant ses traits fins, ses pommettes hautes mises en valeur par ses cheveux bruns attachés au sommet de sa tête, ses yeux noisettes si passionnés par ces émotions qu’elle traduisait en mots. Il n’osait pas même lui demander quel était le sujet de son texte, fasciné par son inspiration subite. Il adorait la regarder écrire. Elle était si belle.
Il sursauta lorsqu’elle se leva d’un coup, son parchemin pressé contre sa poitrine.
— Tu as fini ?
— Oui, dit-elle d’un ton absent.
Elle le dépassa et alla s’enfermer dans son laboratoire. Arnold ne la dérangeait jamais quand elle allait là-dedans. Il ne savait pas ce qu’elle y faisait et c’était mieux comme ça.
Le souffle au bord des lèvres, retenant sa respiration, Phoebe laissa tomber son parchemin fraîchement écrit dans le chaudron qu’elle avait minutieusement préparé quelques heures plus tôt. La feuille s’illumina un instant. Elle crut qu’elle avait réussi. Puis l’encre se délava, le papier coula, il y eut un sifflement pathétique et rien d’autre ne se produisit. Pas ce qu’elle attendait en tout cas.
Avec un soupir irrité, Phoebe vida le chaudron d’un mouvement de baguette. Encore un échec.
***
— Tu reprendras un peu de thé ?
— Non, merci, maman.
Sa mère reposa la théière, lui offrit un pâle sourire et se rencogna dans son fauteuil. Mal à l’aise, Sara se mit à triturer le bout de sa manche. À sa droite, son père regardait dans le vide sans rien dire, des fantômes plein les yeux. Elle ne savait pas pourquoi elle avait espéré que cette fois soit différente.
— On a remporté notre premier match, dit-elle nerveusement, brisant le silence pesant.
— C’est bien ma chérie, répondit distraitement sa mère.
— Je dois repartir bientôt. Pour les prochains.
— Bien sûr, on comprend bien.
Sara ne trouva rien à répliquer. Elle préféra se pencher pour grignoter un biscuit trop sec. Elle avala de travers et s’étrangla. Elle toussa plusieurs fois sans que cela ne fasse ciller ses parents, toujours accaparés par leurs démons.
— C’est rien, assura-t-elle, les yeux larmoyants.
— Un peu d’eau ?
Elle refusa d’un signe de tête et se leva brusquement. L’atmosphère pesante l’oppressait. Elle ne pouvait plus rester une minute de plus. C’était devenu beaucoup trop courant ces derniers temps. Venir ici était une véritable torture et pour la énième fois, elle se dit qu’elle aurait dû rester en France.
— Je vais faire un tour. À ce soir.
Elle s’enfuit, laissant derrière elle les silences de papa et la pâleur de maman, le visage couvert de cicatrices de l’un et le corps marqué à vie de l’autre. On parlait souvent de la guerre qui avait marqué toute une génération, mais on taisait celle qui était touchée aujourd’hui par le passé de ceux qui l’avaient vécue.
Avec un soupir triste, Sara poussa la porte d’entrée et inspira avec reconnaissance l’air extérieur. Elle quitta l’ambiance morose de la maison pour se perdre dans les chemins perdus du champ de son enfance. Regrettant que Gus, son cher Gus, ne soit plus à ses côtés.
***
Allongé sur son transat, en bord de plage, Gabriel profitait du soleil en toute sérénité. Ces quelques jours de vacances aux Antilles étaient vraiment les bienvenus. Loin de Marcus et ses coéquipiers, il pouvait enfin se ressourcer, respirer et…
— Gab attention !
… autant pour son envie de faire une sieste. Le Poursuiveur eut à peine le temps d’entrouvrir une paupière qu’un ballon de football trempé s’écrasa sur ses bras croisés qu’il avait levé par réflexe devant son visage. Son idiot de petit frère vint récupérer sa balle en se confondant en excuses, son grand corps maigre résolument blanc malgré son exposition au soleil.
— C’est bon, c’est bon, y a pas de souci.
Gregory lui offrit un sourire proche d’une grimace et retourna avec ses amis, qui l’attendaient un peu plus loin, à quelques dizaines de mètres de la mer et de ses rouleaux de vagues paresseux. Gabriel poussa un soupir, toute envie de dormir disparue, et se redressa, attachant ses longs cheveux blonds d’un geste de main habile.
Son short était encore trempé de sa récente baignade. Il l’aurait bien séché d’un coup de baguette s’il n’avait été avec sa famille. Il évitait de faire de la magie en leur compagnie, il savait que cela les rendait mal à l’aise. Tous Moldus jusqu’au bout des ongles, aucun d’eux ne connaissait Poudlard, et encore moins son véritable métier. Sa mère en aurait fait une crise cardiaque, de savoir qu’il exerçait professionnellement un sport qui se jouait sur des balais volants.
La mer lui tendant les bras, Gabriel se leva d’un geste gracieux. Encore une fois, ses plans furent avortés avant même qu’il n’ait eu l’occasion de faire un pas. Sa petite soeur s’écroula sur la serviette à côté de lui, les bras croisés et les lèvres tremblantes.
— Sullivan n’est qu’un abruti !
Retenant un soupir, Gabriel se rassit et passa un bras autour de ses épaules. S’il y avait bien quelqu’un à qui il pardonnait tout, c’était bien son adorable Daisy. S’il retrouvait cet idiot qui l’avait blessée, ça allait mal finir pour lui.
***
— Vous attendez toujours une réponse ?
— Oui, ils nous ont prévenu que ça pouvait prendre plusieurs mois.
Toby échangea un sourire à la fois nerveux et excité avec son compagnon. Kay lui serra la main comme pour lui dire que tout se passerait bien. Cela faisait maintenant plusieurs semaines qu’ils scrutaient le ciel en l’attente du hibou qui leur annoncerait la bonne nouvelle. Cette expectative les rendait dingues.
— Tu nous diras dès que tu sauras, hein ?
Toby regarda sa soeur, perchée au bord de sa chaise, avec une affection tendre qu’il ne réservait qu’à elle.
— Bien sûr, promit-il.
Le visage d’Olivia s’éclaira d’un large sourire. Elle ne souriait pas souvent, en tout cas pas autant, parce qu’elle détestait montrer ses dents légèrement de travers, mais Toby la trouvait irrésistible ainsi.
— J’attends ce moment depuis que vous vous êtes rencontrés tous les deux et ça fait déjà trois ans, plaisanta-t-elle. Ils ont intérêt à se manier au Ministère !
Sa remarque accueillit les rires de Toby et Kay, alors que son père levait les yeux au ciel.
— Tu sais, ajouta ce dernier lorsque le silence fut rétabli. Je pense que ça pourrait peut-être aider ta mère à reconsidérer les choses.
Le visage de Toby se ferma aussitôt. La prise de Kay se resserra sur sa main. Le regard d’Olivia se fit inquiet et son père se crispa.
— Peut-être, finit par dire le Poursuiveur après quelques instants tendus.
Il n’y croyait pas, pas du tout même, mais il n’aimait pas voir sa soeur coincée entre deux feux. Si sa mère consentait à faire le premier pas, il était prêt à lui pardonner. Pour Olivia, et juste pour elle.
***
— Zeke ! Zeke, tu m’entends ? Sors de là !
— Tout de suite !
Le jeune homme croisa son regard trouble dans le miroir. Ses yeux étaient injectés de sang et ses mains tremblaient légèrement. Ses doigts tâtonnèrent sur la céramique froide de l’évier jusqu’à se refermer sur la boîte de pilules vertes.
— Zeke !
— Oui !
Sans plus réfléchir, le Batteur fit fondre trois granules sous sa langue. Aussitôt, il se sentit plus calme et maître de lui. La poudre de Mandragore parvenait toujours à apaiser ses nerfs. Althea continuait de tambouriner à la porte. Il lui ouvrit avec un sourire charmeur, se heurtant à ses yeux qui lançait des éclairs.
— Tout va bien ? lui demanda-t-il innocemment.
— Ne me prends pas pour une idiote, cracha-t-elle. Qu’est-ce que tu as pris cette fois ?
— Ma chérie, je ne vois pas ce que tu…
— Je ne suis pas stupide, Zeke. Je t’ai déjà dit d’arrêter des centaines de fois. Qu’est-ce que tu attends ? Que le mariage soit annulé ? Que je te quitte ? Ressaisis-toi. Mes parents nous attendent.
Elle tourna les talons, altière, le dos droit, ses talons claquant sur le sol de marbre. Zeke ignora les regards curieux et la suivit avec un temps de retard, le coeur douloureux. Il avait beau être fou amoureux de cette femme, il était incapable d’arrêter. Il avait essayé, plusieurs fois. Rien à faire. Il en avait trop besoin.
C’était devenu une question de survie.
***
— Je construis des bateaux. Tu sais, dans les bouteilles ? Des bateaux miniatures dans des bouteilles.
La femme à côté de lui laissa échapper un rire.
— Je croyais que tu étais militaire ?
— Avant oui, plus maintenant. Puis les bateaux, c’est juste une passion.
Rita leva les yeux au ciel, pas dupe, et roula sur le côté du lit, ses cheveux bouclés coulant librement sur ses épaules nues. Justin la regarda se rhabiller depuis sa position avachie, coiffer ses mèches folles d’un coup de baguette, remettre ses créoles, son alliance, un coup de rouge à lèvres. Elle le quitta sur un clin d’oeil et un baiser soufflé de loin.
— À bientôt, monsieur le mystérieux.
Il lui offrit un sourire en biais, la lassitude le prenant dès qu’elle eut disparu. À chaque fois qu’ils se voyaient, il lui sortait une histoire différente, comme pour pousser encore plus loin l’imposture. C’était mal ce qu’il faisait, mais il n’arrivait pas à s’en empêcher.
Son portable se mit à vibrer sur la table de chevet. C’était Kylie qui lui avait dit d’en acheter un, qui lui avait montré comment ça marchait, assurant qu’ils pourraient se parler plus facilement. Il avait accepté pour lui faire plaisir mais il n’y avait qu’elle qui en possédait un dans son entourage. Il ne connaissait presque aucun autre Né-Moldu, et les rares ayant eu des parents Moldus étaient trop plongés dans le monde sorcier pour en utiliser.
Bien sûr, c’était Kylie qui l’appelait. Il poussa un soupir, força un sourire à s’accrocher sur ses lèvres et décrocha.
— Salut ma chérie, comment ça va ?
Encore une fois, la bile qui lui remontait le long de la gorge et la culpabilité qui lui serrait la gorge. Ça ne l’empêchait jamais de recommencer, pourtant.
***
— Fiz’, j’ai dit non ! Tu disais ?
Chuck attrapa son énorme chat qui tentait de grimper sur la table basse et le posa de force sur ses genoux, ce qui ne sembla pas plaire au félin, attiré par la nourriture sous ses moustaches.
— Je ne sais plus, soupira Serena. Tu sais que ton animal est encore plus invivable quand tu n’es pas là ? Pourquoi tu ne l’emmènes pas en France ?
— Il ne supportera pas le transport.
Il caressa affectueusement son seul et unique colocataire, mais Fizwizbiz sauta bien vite au bas de ses genoux, vexé d’avoir été réprimandé quelques minutes plus tôt. Le dos rond, il quitta la pièce pour la cuisine, où ils l’entendirent jouer avec sa gamelle et ses croquettes.
— Quel caractère, grogna Chuck.
Son amie laissa échapper un petit rire.
— Tel chat, tel maître, dit-elle malicieusement.
— C’est pas valable uniquement pour les chiens ça ?
— Je trouve que ça s’applique bien à la situation pourtant, non ?
Chuck renonça à l’idée de lui envoyer un coussin - cela allait sûrement se retourner contre lui - et préféra se murer dans un silence faussement buté. Celui-ci ne dura pas longtemps, déjà parce que Serena n’était jamais dupe de ce genre de petits jeux, mais surtout parce qu’un hibou grand-duc frappa à cet instant au carreau. L’Attrapeur se leva, ouvrit la fenêtre et la referma aussitôt, frissonnant sous l’assaut du vent.
— Tu as des amis qui t’écrivent ? le taquina Serena.
Il ouvrit sa lettre avec un sourire en coin. Sa réplique mourut cependant au bout de ses lèvres en lisant les phrases écrites élégamment sur le parchemin. Son air sombre déstabilisa la jeune femme. Elle se leva pour lire par-dessus son épaule, avec l’insouciance d’une amie d’enfance.
— Oh, murmura-t-elle.
— Oui. C’est le mot.
Chuck froissa la feuille au creux de son poing, ses yeux se chargeant d’orage. Dans la cuisine, Fiz’ miaula.
Il ne l’entendit pas, les mots toujours gravés au fer blanc dans son esprit.