Le visage sombre, Olivier poussa la porte de la salle commune sur laquelle était accrochée une petite plaque gravée du nom de l’équipe. Il ne faisait aucun doute que son annonce allait soulever protestations et refus catégoriques, et il était peu disposé à leur servir d’exutoire après le match qu’ils venaient de vivre. Ils ne pouvaient cependant plus se voiler la face plus longtemps : il fallait réagir avant qu’il ne soit trop tard. S’ils ne prenaient pas les choses en main maintenant, autant rentrer immédiatement en Angleterre.
S’attendant à trouver son équipe dans une morne apathie, il fut surpris de les voir bavarder joyeusement près du feu, des verres de jus de citrouille dans les mains - l’alcool était strictement interdit durant la compétition.
— Je peux savoir ce que vous célébrez ? demanda-t-il, incrédule.
— Notre victoire, bien sûr, répondit Aiden avec un grand sourire. Un verre ?
— Non, merci.
Olivier lança un regard en biais à Katie, mais celle-ci feuilletait le carnet à dessin de Roseann sans s’intéresser à lui. Agacé, l’ancien Gryffondor se planta dos à la cheminée, déterminé à leur ouvrir les yeux sur la réalité des choses.
— Nous n’avons remporté que de justesse, encore une fois.
— C’était déjà mieux que le premier, fit remarquer Selina.
— Le match a duré moins longtemps, appuya Jonathan. On savait que les Crécerelles de Kenmare étaient des adversaires de taille et…
— Vingt points. Juste vingt points d’avance, le coupa Olivier. C’est trop peu.
— On sait bien, intervint Roseann. Que veux-tu qu’on te dise ? On fait vraiment de notre mieux.
— Je sais tout ça, je sais bien. Je…
L’entraîneur poussa un soupir de frustration et passa sa main dans ses cheveux, sans savoir comment leur faire comprendre que ce n’était pas normal.
— Je suis le premier à vous dire de ne jamais vous surestimer, commença-t-il prudemment. Que vous devez constamment vous remettre en question et ne pas prendre votre talent pour acquis, qu’il faut travailler et s’entraîner dur pour maintenir votre niveau.
— Ton petit discours sur la modestie ne peut pas attendre demain ? soupira Edmund, qui peinait à s’empêcher de bailler.
— Ce que je veux dire, poursuivit Olivier d’un ton irrité, c’est que malgré tout cela, il n’est pas normal d’avoir des scores aussi serrés avec nos adversaires. Une fois, pourquoi pas. Deux fois, ça n’a rien d’une coïncidence. Vous ne l’avez peut-être pas vu en vol, mais des gradins il était évident que les Crécerelles connaissaient d’avance tous vos mouvements et toutes les stratégies sur lesquelles on s’est entraîné les semaines passées.
— Qu’est-ce que tu insinues ? Qu’ils ont triché ?
La voix de Millie était parfaitement sérieuse, mais ses questions n’entraînèrent que des ricanements de la part de ses coéquipiers.
— Ne sois pas ridicule, répliqua Selina d’une voix sèche. On a juste été moins bons que d’habitude. Le stress, la pression, la fatigue, ça peut être tout un tas de facteurs.
— Ou les plans ont été volés et vendus à l’équipe adverse, fit remarquer Katie avec pragmatisme pour soutenir son ami.
— C’est ridicule, dit Aiden. Qui aurait bien pu faire ça ?
— J’ai bien ma petite idée, marmonna Olivier. Tu n’aurais pas un peu trop parlé à cette Sara par hasard ?
Le regard du gardien se chargea de colère, mais avant qu’il ait pu ouvrir la bouche, Jonathan prit la parole, lui coupant l’herbe sous le pied.
— Et si une personne indiscrète avait observé nos entraînements ?
— Ce n’est pas impossible, admit Katie.
Agacé par la précédente remarque de son entraîneur, Aiden s’apprêta une nouvelle fois à prendre la défense de son amie lorsque la porte s’ouvrit sur Cory, les cheveux trempés et les joues rougies par le vent.
— Les Cerfs-Volants de Karasjok viennent d’écraser l’équipe du Yorkshire, dit-il dans un souffle. Le jeu des norvégiens était excellent, il va falloir redoubler d’efforts si on veut espérer pouvoir les battre. Quelque chose ne va pas ?
L’assistant perçut l’atmosphère électrique de la pièce avec un temps de retard. Il les observa avec anxiété, ses yeux clignant rapidement derrière ses lunettes constellées de gouttes.
— Olivier devient parano, grogna Aiden.
— Les Crécerelles ont eu une tactique complètement différente de leur premier match, répliqua sèchement l’intéressé. Quelqu’un les a informés, j’en suis persuadé. Je vais aller au bout de cette affaire. En attendant, je suis désolé de vous l’annoncer, mais nous devons tous rester ici pour comprendre ce qu’il s’est passé et élaborer une nouvelle stratégie en conséquence.
— Jusqu’à quand ? demanda nerveusement Millie, ses doigts triturant sa manche.
— Au moins jusqu’au prochain match. Je sais que vous deviez tous avoir des plans pour les semaines à venir mais nous devons nous entraîner. Vous pourrez vous reposer après notre rencontre avec les Cerfs-Volants.
Comme il s’y attendait, un concert de protestations s’éleva. Il grimaça sous le flot continu d’informations, la copine d’Aiden, celle de Selina, le neveu de Millie, la grand-mère de Drew, et leva une main pour les faire taire. Lorsqu’il eut enfin le silence, il reprit la parole d’une voix mesurée.
— Vous n’êtes pas obligés de me croire. Cependant, soyez bien sûrs que je suis déterminé à vous emmener le plus loin possible et que si quelqu’un fausse les cartes, je ne rentrerai pas avant d’avoir trouvé le coupable. Je déteste les personnes malhonnêtes et les tricheurs, et dans une telle compétition il est aberrant d’avoir ce genre d’attitudes.
— Je suis d’accord avec toi Olivier, l’interrompit Drew d’une voix calme, mais je ne peux pas laisser ma grand-mère seule trop longtemps. Je lui ai dis que je repartais pour quelques semaines, j’ai peur qu’elle s’inquiète. Et si jamais il lui arrivait quoi que ce soit pendant que je suis ici…
Il se tut lorsque l’ancien Gryffondor sortit quelques feuilles de parchemin de la poche intérieure de sa cape.
— Je sais tout ça. C’est pour ça que je t’ai obtenu des autorisations de voyage plus fréquentes. Tu pourras rentrer chaque week-end pour lui rendre visite à Sainte-Mangouste, les Portoloins auront systématiquement une place pour toi.
Voyant que les autres s’apprêtaient à protester davantage et argumenter, il haussa le ton et distribua les feuilles qu’il tenait entre les mains à ceux qui étaient concernés.
— Quant à toi Millie, j’ai réussi à leur soutirer une chambre supplémentaire pour que tu puisses faire venir ton neveu et ta fille au pair. Ils logeront à l’étage du dessus, avec les Médicomages et aides-soignants. Je n’ai pas pu avoir d’autorisations pour tout le monde, le Ministère français a été très ferme là-dessus, je suis désolé. En revanche, si vous souhaitez parler à vos proches, j’ai pu prendre des dispositions pour établir des connexions internationales provisoires entre feux de cheminée. Vous pourrez échanger par Cheminette à des horaires précis, deux fois par semaine. Des questions ?
Sonnés par le déluge d’informations, ses joueurs le regardaient en clignant des yeux comme des hiboux effarés. Olivier espérait sincèrement qu’ils apprécieraient ses efforts à leur juste valeur. Il avait dû batailler ferme avec les officiels pour obtenir de telles faveurs, avait tiré toutes les ficelles possibles et imaginables, s’était arraché les cheveux pour rendre cela possible. Il ne pouvait pas faire grand-chose de plus.
— Ils ne méritent vraiment pas un coach aussi dévoué, soupira Katie.
Ses paroles semblèrent sortir les autres de leur surprise silencieuse. Roseann laissa échapper un petit rire, Edmund lui frappa gentiment l’arrière de la tête et Aiden lui lança une poignée de chips, provoquant des protestations scandalisées de Selina contre le gaspillage de nourriture.
— Merci beaucoup pour ce que tu as fait, murmura Millie.
Elle s’était levée pour le rejoindre, s’éloignant de ses coéquipiers trop bruyants. Elle n’avait jamais été démonstrative et Olivier ne se formalisa pas de son manque d’enthousiasme ; ses yeux brillants était largement suffisant. Bientôt, les autres vinrent aussi le remercier pour ses efforts, reconnaissant qu’il s’était plié en quatre malgré les circonstances.
— Et puis, peut-être bien que tu n’as pas entièrement tort, soupira Edmund.
— Évite quand même de laisser ton jugement envers Flint influencer ton avis sur Sara, marmonna Aiden. C’est vraiment une chic fille, et ça lui ferait de la peine de savoir que tu la soupçonnes de quelque chose de ce genre.
— Je vais essayer.
— Je suis là pour le remettre dans le droit chemin au cas où, de toute façon, intervint Katie, toujours affalée dans son fauteuil.
Son ami leva les yeux au ciel et laissa ses joueurs regagner leurs places autour de la table basse et de leurs verres à moitié entamés. Cory resta debout sur le côté, les bras ballants et le visage encore marqué par l’appréhension. Il avait assisté à la scène sans piper mot, comme à son habitude. Olivier l’entraîna à l’écart, loin des oreilles indiscrètes.
— Tu disais donc ? Le Yorkshire a perdu ?
— Oui, et de loin, le match s’est terminé en quelques dizaines de minutes, répondit aussitôt son assistant avec un regain d’enthousiasme. C’était assez ennuyant à regarder pour être honnête, pas aussi palpitant que les Gobelins de Grodzisk contre les Grands-Ducs de Pampelune, ça c’était un vrai match !
— Oui, c’est sûr. Dis-moi, j’aurais un petit service à te demander.
La victoire écrasante des espagnols contre les polonais avait certes été surprenante, mais il avait d’autres préoccupations pour le moment.
— Tout ce que tu voudras.
— J’aimerais commencer mon enquête cette après-midi. Interroger quelques témoins potentiels, le personnel, des joueurs éventuellement qui auraient vu quelqu’un s’aventurer dans cette aile de l’hôtel ou s’approcher de ma chambre. Katie a un article à écrire et je ne cracherai pas sur un peu d’aide. Ça ne te dérange pas ?
— Pas du tout ! s’enthousiasma Cory. Tu veux qu’on commence par où ?
— Je vais d’abord aller réserver le terrain d’entraînement pour ces prochains jours, je te retrouve dans le hall. Commence par les Elfes et le sorcier d’accueil, d’accord ?
Son assistant acquiesça, plein d’entrain, et se rua hors de la pièce avant qu’il n’ait pu ajouter un mot. Il était sans aucun doute maladroit mais Olivier espérait qu’il soit un minimum efficace.
— Tu ne veux pas te joindre à nous pour célébrer notre victoire ? lui demanda Jonathan depuis son fauteuil.
— Non, désolé, j’ai encore pas mal de choses à régler. À tout à l’heure !
Il esquiva le regard soupçonneux de Katie et s’empressa de quitter la pièce. Il ne voulait pas qu’elle lise dans ses yeux qu’il s’apprêtait sans aucun doute à faire une bêtise. S’il devait effectivement réserver le terrain d’entraînement, ce n’était pas la seule chose qu’il avait en tête. Une fois l’équipe inscrite sur le planning - il avait réussi à trouver deux créneaux par semaine -, il se dirigea vers le premier étage de l’aile droite. Là où logeaient les Pies de Montrose.
Sur chaque porte figurait le nom de son occupant et il lui fut donc facile de retrouver la chambre de Sara. Excepté qu’une fois planté devant, il se retrouva incapable de toquer. Plus les secondes filaient, et plus il trouvait ridicule de se trouver ici. Accuser Flint ouvertement était une chose, une parfaite inconnue en était une autre. Et si elle était innocente ? La honte le pousserait à se planquer dans sa chambre jusqu’à la fin de la compétition.
Alors qu’il hésitait encore, le poing levé, la porte au fond du couloir s’ouvrit brusquement, livrant passage à la jeune Poursuiveuse qu’il était venue chercher. Rouge de colère, elle semblait tout à fait furieuse.
— Je n’ai jamais été aussi humiliée de toute ma vie, hurla-t-elle avant de claquer le battant de la salle commune derrière elle.
Elle se dirigea à grands pas vers Olivier, avec la grâce d’un essaim de guêpes sauvages en furie. Alarmé, l’ancien Gryffondor s’écarta prudemment de son chemin.
— Un problème ? osa-t-il demander.
Semblant enfin s’aviser de sa présence, Sara le fusilla du regard.
— Qu’est-ce que vous faites là ? aboya-t-elle avec une fureur qui lui était peu habituelle.
— Je…
— Qu’est-ce qu’il se passe ?
La porte voisine s’était ouverte sur le Batteur de l’équipe, un métisse au crâne rasé et aux épaules carrées. Olivier cilla devant son expression sévère et préféra fixer la cicatrice sous son oeil droit que le regarder dans les yeux. Du peu qu’il avait observé de loin, le Capitaine des Pies était la plupart du temps souriant et absolument charmant, jouant de son charisme comme personne, mais il l’avait également vu à deux doigts de se battre avec les poings contre l’Attrapeur allemand qui avait osé lancer une remarque salace à leur Gardienne. Phoebe, si sa mémoire était bonne. Il préférait se le mettre dans la poche plutôt que l’avoir sur son dos.
— Je ne sais pas, se hâta-t-il de répondre. Je suis arrivé et j’allais frapper à sa porte quand je l’ai vue sortir de…
— On avait juste une petite conversation.
En entendant cette voix froide si reconnaissable, Olivier se raidit et serra les dents. Il avait bêtement espéré ne pas avoir à croiser Flint alors qu’il venait accuser une de ses joueuses de tricherie. Ce n’était pas son jour de chance.
— Et de quoi avez-vous parlé ? demanda Zeke.
Si sa voix était calme, sa mâchoire crispée et ses épaules tendues démentaient son apparente tranquillité. Bien que son regard alerte soit fixé sur son entraîneur, ses yeux ne cessaient de virevolter avec inquiétude vers sa coéquipière, de quelques oeillades discrètes.
— Rien qui ne te concerne, répondit Flint d’un ton grinçant.
— Sara ?
— Il voulait que j’espionne pour lui ! s’indigna la jeune femme. Que je demande des renseignements à Aiden et aux autres ou que je laisse traîner mes oreilles pour lui rapporter leurs stratégies ! C’est… c’est…
Elle ne sembla pas trouver un mot assez fort pour exprimer sa pensée et elle se tut en pinçant les lèvres, toujours aussi furieuse.
— Méprisable ? proposa Olivier d’un ton glacial en toisant son ancien rival du regard. Mon enquête n’aura pas besoin d’aller plus loin finalement. Tu es pris la main dans le sac, Flint.
L’intéressé roula les yeux au ciel, exaspéré, sans montrer la plus petite once de gêne.
— Je savais que les Gryffondor étaient idiots, mais pas à ce point-là. Tu penses vraiment que j’aurais demandé ça à Sara si j’avais déjà tes plans ou je ne sais quoi ? Tu m’accusais d’être responsable, autant être engueulé pour quelque chose de valable, alors…
— Alors tu t’es dit, pourquoi ne pas utiliser une de mes joueuses à bon escient, le coupa Zeke d’un ton cassant. Tu n’avais aucun droit.
— J’ai bien compris que l’offre n’avait pas été des mieux reçues, marmonna Flint en se renfrognant. Terence et ses idées à la con…
— Donc tu nies toujours ? insista Olivier.
— Je n’ai pas vendu tes tactiques à tes adversaires, Dubois, s’agaça l’ancien Serpentard. Si ton équipe est nulle ce n’est pas de ma…
— Ça suffit !
Les deux entraîneurs se turent, sans pourtant cesser de se toiser du regard. C’était Sara qui avait élevé la voix, précédant de peu Zeke, qui les observaient se battre d’un oeil agacé.
— Je pense parler aux noms de vos deux équipes en disant qu’on en a tous assez de vos querelles d’adolescents, lâcha la jeune femme avec humeur. On s’entend bien, alors faites avec. Il n’y a ni complot ni conspiration d’aucune sorte, on est juste amis. A-M-I-S, vous entendez ? Vous avez tous les deux des oeillères à cause d’une rivalité vieille de plus de vingt ans et vous vous comportez comme des adolescents de quinze ans alors que vous en avez quarante, c’est ridicule et vous devriez avoir honte !
Sur ces paroles, elle tourna les talons et entra dans sa chambre, prenant soin de claquer la porte derrière elle.
— Je ne l’aurais pas mieux dit, appuya Zeke. Il serait peut-être temps de chercher du côté des vrais coupables et nous laisser tranquilles. Et toi, ajouta-t-il à l’attention de son entraîneur, si tu mets encore une seule fois Sara dans cet état, je démissionne, c’est bien compris ?
Il disparut lui aussi, les laissant tous deux dans le couloir vide. Penauds, Olivier et Marcus n’osaient pas croiser le regard de l’autre. Il y eut un long silence gênant, finalement rompu par l’ancien Gryffondor.
— Désolé, marmonna-t-il. Pour mes accusations infondées.
— Excuses acceptées, répondit aussitôt Flint. Au plaisir de ne plus te revoir.
Olivier le fixa d’un regard scandalisé tandis qu’il remontait le couloir, sans même avoir la décence de s’excuser lui aussi.
— Tu n’as rien à me dire ? lança-t-il au dos qui s’éloignait de lui.
— Reste hors de mon chemin !
Furieux, Olivier quitta les lieux sans plus insister. Au diable Flint et ses mauvaises manières ! Il pouvait s’étouffer avec sa suffisance pour ce qu’il s’en souciait. Et s’il ne pouvait pas l’accuser dès maintenant, aucun problème. Dans ce cas, il allait chercher des preuves.