— Tu sais, je commence à me faire du souci pour toi, dit prosaïquement Katie.
Elle glissa un Fondant du Chaudron entre ses lèvres et lui jeta un coup d’oeil en coin. Les yeux rivés sur le terrain pour l’instant vide, Olivier ne l’écoutait que d’une oreille.
— Et pourquoi donc ? demanda-t-il, distrait.
— Tu deviens absolument obsédé avec cette histoire. Je pense que Flint est à deux doigts de porter plainte pour harcèlement. Tu m’écoutes ?
— Oui, oui. Ah, voilà les Vagabonds de Wigtown. Ils ont l’air en forme. J’espère qu’ils vont les écraser.
À ces mots, Katie poussa un profond soupir , fourra l’emballage vide de ses Fondants dans sa poche et se leva.
— Je vais faire un tour.
Elle quitta les gradins alors que son ami hochait vaguement le menton, attentif à l’arrivée imminente des Pies de Montrose sur le terrain. Cette obsession l’agaçait de plus en plus, elle ne savait que faire pour lui ôter cette idée de la tête. Les récentes recherches de Cory n’avaient abouties nulle part. Après avoir interrogé les Elfes, le sorcier d’accueil, les sorciers vigiles, les joueurs habitant à l’étage en-dessous et les Médicomages occupant les chambres du dessus, Olivier avait dû se rendre à l’évidence qu’aucun témoin n’avait vu Marcus s’approcher de sa chambre. Pourtant, malgré le manque d’indice, il n’en démordait pas.
— Saleté de Gryffondor obstiné, marmonna-t-elle.
— Quelle mauvaise foi, lança une voix sarcastique dans son dos.
Katie pivota sur ses talons, surprise. Adossé au mur d’enceinte du terrain, une cigarette à la main, un homme au sourire narquois la scrutait de la tête aux pieds. Ses cheveux bruns coupés courts et ses yeux verts allumés d’une étincelle amusée lui rappelaient vaguement quelque chose, pourtant elle était incapable de le situer.
— Serpentard, je présume.
— Évidemment. Tu ne me reconnais pas Bell ?
— Je devrais ?
Elle haussa un sourcil, vaguement mal à l’aise. L’inconnu laissa tomber son mégot sur le sol et l’écrasa du talon.
— Terence Higgs, se présenta-t-il en s’avançant vers elle, la main tendue.
Katie la serra machinalement, remettant enfin un nom sur le visage flou qui flottait dans sa mémoire.
— L’Attrapeur, c’est vrai. On s’est trouvé une addiction Moldue ?
Terence eut un sourire un peu tordu et haussa une épaule.
— Que veux-tu, chacun ses faiblesses. Je ne savais pas que tu étais ici.
— J’accompagne Olivier. Il est l’entraîneur du Club de Flaquemare.
— Oui, je suis au courant, Marcus me l’a dit.
— Tu es là pour lui ?
— J’avais promis de venir pour son prochain match.
— Je pense qu’il a déjà commencé.
— Sans aucun doute, mais il peut se débrouiller sans moi, j’en suis sûr.
Katie laissa échapper un petit rire. Autant qu’elle s’en souvienne, elle n’avait jamais eu de contact avec lui de toute sa scolarité, excepté leurs brèves rencontres sur le terrain. Elle ne lui avait pas adressé la parole une seule fois, le cataloguant d’office comme un Serpentard arrogant, invisible et insignifiant. Jamais elle n’aurait pensé pouvoir tenir une conversation, aussi brève soit-elle, avec un de ces anciens camarades de cette maison. Il fallait croire que les temps changeaient. Les Serpentard devenaient fréquentables et elle parvenait à ne pas avoir envie de les étrangler.
— Tu devrais aller regarder ou il sera déçu, dit-elle pourtant.
— Et toi tu n’es pas là pour soutenir Dubois ? Je l’ai vu monter dans les gradins tout à l’heure.
— Il n’a pas besoin de moi pour voir des complots partout, répliqua Katie avec humeur. Je dois aller travailler, de toute façon.
Voilà un bout de temps qu’elle n’avait pas envoyé d’article correct à son patron. Il allait certainement s’impatienter. Il fallait dire que les choses n’étaient pas très excitantes dernièrement. Les résultats des matchs étaient courus d’avance et il n’y avait pratiquement aucun suspens. Les Vautours de Vratsa avaient écrasés les Bombardiers de Bigonville, l’équipe du Yorkshire avait lamentablement perdu contre les Orgueilleux de Portree et les Gobelins de Grodzisk avaient profité d’une faiblesse des Tornades de Tutshill pour leur rafler la victoire. Aucune histoire passionnante ici, aucun article à écrire. Elle allait devoir faire preuve d’imagination et d’ingéniosité si elle ne voulait pas être rappelée en Angleterre illico presto.
— Très bien, capitula Terence. Dans ce cas… à bientôt Bell. Je vais rester dans le coin un moment, on finira par se recroiser.
Il lui fit un clin d’oeil joueur avant de disparaître derrière la porte qui menait à la loge de l’entraîneur des Pies. Sa venue n’allait certainement pas enchanter Olivier. Au contraire, cela risquait même de le persuader davantage qu’il s’agissait d’une conspiration. Avec un soupir, Katie reprit lentement le chemin de l’hôtel, réfléchissant à ce qu’elle allait bien pouvoir écrire. Lorsqu’elle s’enferma dans sa chambre, ses doigts fourmillaient déjà d’impatience, à la recherche d’une plume pour coucher ses idées sur parchemin.
À l’étage du dessus, bien qu’elle ne puisse pas les entendre, résonnaient des rires enfantins. Robb, le petit neveu de Millie, flottait sur un balai miniature d’un bout à l’autre de la pièce, un immense sourire aux lèvres. Les deux adultes le surveillaient avec attention, sachant par expérience à quel point il pouvait être maladroit.
— Tu en es sûre ? demanda Millie à voix basse, hors de portée des oreilles du garçon.
— Oui, acquiesça sa fille au pair d’un air anxieux. C’est ce qu’elle a dit en tout cas. Et rien ne l’en empêche. Je ne sais pas si on pourra rester ici bien longtemps.
Millie fronça les sourcils, inquiète, et elle ne parvint pas à effacer l’expression préoccupée de son visage lorsque Robb atterrit près d’elle.
— Quelque chose ne va pas tatie ?
— Tatie a juste un peu mal à la tête, intervint Greta. Viens, on va jouer un petit peu près du feu.
La jeune femme sortit un jeu de Bavboules pour enfant et entraîna le garçon à l’écart, le temps que Millie se recompose une façade de circonstances. Cette dernière ne savait pas comment réagir face à ce nouveau coup du sort. Elle avait été si heureuse de savoir Robb auprès d’elle qu’elle en avait totalement oublié Lynn, son infecte ex-belle-soeur. Cela faisait des mois qu’elle tentait de lui reprendre la garde de son fils, par tous les moyens. Leur départ en France l’avait poussée à porter plainte, prétextant que Millie voulait kidnapper son enfant. Ce qui était ridicule, mais qui d’un point de vue extérieur pouvait paraître crédible.
Avec un soupir, Millie rejoignit Greta et le garçon devant l’âtre. Le garçon riait, faisant rouler les boules n’importe où avec enthousiasme. La Poursuiveuse sentit son coeur s’alléger en voyant le sourire qui illuminait la petite bouille adorable de son neveu adoré. Elle ferait tout pour le garder auprès d’elle. Peu importe ce que disait Lynn, c’était à elle de l’élever. Comme son frère l’aurait voulu.
Un étage plus bas, Aiden aussi était devant sa cheminée. Ou plutôt son corps était agenouillé devant, sa tête plongée dans les flammes. Ses genoux commençaient à le faire souffrir et il avait une douleur abominable dans le bas du dos, pourtant il continuait de discuter avec Jade. Leur conversation n’était que froideur et platitude, mais il avait peur de lui dire au revoir. Comme si c’était la dernière fois qu’il la voyait.
— Tu as des plans pour demain ? demanda-t-il d’une voix qu’il espérait légère et décontractée.
Jade haussa une épaule, la lèvre un peu boudeuse, sans le regarder. Elle jouait machinalement avec son bracelet, les yeux perdus dans les flammes au-dessus de sa tête.
— Pas vraiment, marmonna-t-elle.
Il y eut un instant de silence, qu’Aiden ne parvint pas à combler. Son ventre était serré d’angoisse. Il avait la distincte impression de la voir lui glisser entre les doigts, comme s’il essayait vainement de retenir de l’eau.
— Quand est-ce que tu rentres ?
La question, abrupte, le prit par surprise. Il resta quelques secondes la bouche ouverte, muet et embarrassé. Il savait qu’il allait devoir être particulièrement prudent lors des prochaines minutes.
— Je n’ai pas encore de dates précises…, dit-il lentement. Il faudrait que je demande à Olivier. Sûrement après notre prochain match.
— Qui est quand ?
La voix de Jade se faisait de plus en plus sèche, il la voyait se raidir d’ici. Incapable de regarder son beau visage figé par la colère et la frustration, il fixa les reflets dorés qu’allumaient les flammes dans ses boucles couleur caramel.
— Dans deux semaines et demie.
La jeune femme laissa échapper un reniflement presque méprisant et se leva avec brusquerie, son corps contracté des pieds à la tête.
— Écoute Aiden, je sais que ce n’est pas de ta faute, mais je ne sais pas si je pourrais continuer bien longtemps comme ça. Tu n’es jamais là. C’est comme habiter avec un fantôme et j’ai de plus en plus de mal à le supporter.
— Jade…, tenta-t-il faiblement.
— On en reparlera quand tu reviendras à la maison, trancha-t-elle. En attendant… Ne me contacte plus s’il te plaît. J’ai besoin de réfléchir.
Elle quitta le salon avant qu’il n’ait pu ajouter un mot. Le coeur brisé, Aiden fixa le canapé vide quelques instants supplémentaires avant de se retirer. Une poignée de secondes plus tard, il se trouvait face à sa cheminée, le regard perdu dans les flammes. Il se sentait vide de l’intérieur. Comment allait-il pouvoir se concentrer à 100% sur le jeu en sachant que Jade prenait en ce moment même la décision de le quitter ?
Tourmenté, Aiden s’écroula sur son lit, sans entendre les murmures dans le couloir, à quelques mètres de sa chambre.
— Salut, je peux entrer ?
Sûr de la réponse de sa coéquipière, Edmund s’avança et se heurta au bras tendu de Selina. La jeune femme referma à demi le battant et se positionna dans l’ouverture, le visage fermé, dans l’évidente intention de le garder hors de sa chambre.
— Qu’est-ce que tu veux ?
— Juste parler, bien sûr.
Le sourire joueur et taquin qui se dessina sur les lèvres d’Edmund ne fit qu’irriter Selina davantage.
— On n’a rien à se dire.
Elle tenta de lui claquer la porte au nez, mais son coéquipier posa une main sur le bois poli. Elle avait beau être une sportive de haut niveau, elle ne faisait pas le poids face à sa carrure musclée de Batteur.
— Tu comptes vraiment faire comme s’il ne s’était rien passé hier soir ?
De son autre main, il tenta de lui caresser la joue, ne récoltant qu’une claque ferme sur le poignet.
— Ne me touche pas, siffla Selina, ses yeux examinant le couloir vide avec inquiétude.
— Ce n’est pas ce que tu disais hier.
— Arrête avec tes sous-entendus. Tu es ridicule.
Elle le toisa d’un air méprisant, sans parvenir à cacher totalement son anxiété. Elle avait juste eu un bref moment de faiblesse. Nawell lui manquait terriblement, et alors qu’elle avait eu besoin de compagnie, elle avait toqué chez Edmund, qu’elle avait trouvé en compagnie d’une bouteille de whisky déjà bien entamée. S’il y avait bien quelqu’un pour arriver à percer les mesures de sécurité imposées par le Ministère et introduire de l’alcool dans sa chambre, c’était bien lui.
Elle avait tenté de savoir ce qu’il s’était passé, il n’avait fait que plaisanter et cacher ses problèmes sous une bonne couche de plaisanteries vaseuses et d’arrogance suffisante, comme d’habitude. Alors elle avait juste bu avec lui, parce qu’elle avait envie d’oublier elle aussi, au moins un petit peu, la distance qui la séparait de Nawell. Puis, sans qu’elle réalise bien comment ou pourquoi, Edmund l’avait embrassée. L’alcool, l’abstinence - cela faisait un bout de temps qu’elle ne l’avait pas entendu ramener quelqu’un dans sa chambre -, peu importe la raison, mais ça avait été un acte totalement déplacé. Elle l’avait giflé avec toute la force dont elle était capable, et elle était partie.
Et voilà qu’il se trouvait là, devant elle, plein de morgue et d’assurance. Encore une fois, il n’avait pas réfléchi. Edmund avait toujours été du genre à foncer dans le tas et aujourd’hui ne faisait pas exception. Elle aurait pu lui pardonner son écart s’il avait juste prétendu qu’il ne s’était rien produit. Quoique. Elle était en colère contre lui. Il la forçait à se mettre dans une position embarrassante par rapport à Nawell. C’était un baiser insignifiant et elle y avait mis fin de suite, pourquoi lui en parler ? Mais si elle ne lui disait pas, ça voudrait dire que ça aurait été plus important, qu’elle avait quelque chose à cacher, non ?
Elle était perdue, et c’était juste à cause de lui. De lui et de ce baiser qui ne cessait de la hanter, lui déchirant les entrailles de culpabilité. Et d’envie, un petit peu, même si elle refusait de le reconnaître.
— Tu étais saoul, dit-elle avec froideur. Alors je vais passer l’éponge. Si cela se reproduit, sache que te jetterai un de ces sorts qui hantent tes pires cauchemars.
Elle lui claqua la porte au nez avant qu’il n’ait pu répliquer. Edmund resta immobile un instant, son sourire joueur brusquement effacé de son visage. Il repartit dans sa chambre d’un pas lent, auprès de la bouteille de vodka qu’il avait échangé à un joueur polonais contre une de whisky. Il aurait préféré être avec Selina que se noyer dans ses problèmes. Il ne semble plus avoir le choix, maintenant.
Avec un grognement, il but directement au goulot, l’alcool lui brûlant la gorge et l’étourdissant aussitôt. Dans le foyer vide de sa cheminée se trouvaient toujours les cendres de la lettre qu’il avait brûlé la veille. Il n’y avait plus aucune preuve physique, mais les fantômes des expéditeurs continuaient de le hanter. Décidé à s’abrutir pour le reste de la soirée, il s’écroula sur son lit, la vodka à portée de main.
Bien éloignés des tourments de leurs camarades, Jonathan et Roseann s’étaient installés dans leur salle commune. Ils ne parlaient pas beaucoup mais appréciaient la présence silencieuse de l’autre. Après avoir écrit une longue lettre à sa femme, Jonathan avait rejoint sa coéquipière dans la causeuse près du feu, l’observant dessiner sans dire un mot. Son crayon glissait avec délicatesse sur le parchemin, modelant les traits d’une dryade.
Bien que concentrée sur son croquis, Roseann ne pouvait empêcher ses yeux de papillonner vers son capitaine. Elle avait beau le savoir heureux en mariage, il lui était difficile de gommer cette admiration teintée d’une certaine attirance pour lui. Il était le premier à l’avoir accueillie avec chaleur dans l’équipe, et elle n’avait jamais oublié ça. À chaque nouveau copain, elle se disait que ça lui passerait. Ça n’a jamais été le cas, et cette amourette d’adolescente l’agaçait.
Le fait qu’il la contemple avec autant d’attention alors qu’elle dessinait ne l’aidait pas.
— Mélissa va bien ? demanda-t-elle soudainement. Elle supporte bien la distance ?
À chaque fois qu’elle se sentait sur le point de craquer et de faire une chose stupide - comme lui effleurer la main de façon totalement délibérée, ou l’inviter à boire un verre de manière tout sauf innocente -, elle demandait des nouvelles de sa femme. Plus efficace qu’une claque.
— Disons que l’éloignement ne l’enchante pas, répondit Jonathan avec une grimace. Moi non plus, bien sûr. Je dois t’avouer que je n’aime pas l’idée de la savoir seule face à ma soeur et ses avocats.
Roseann lui jeta un regard en biais mais ne posa aucune question. Elle savait que Laura était un sujet sensible pour lui. Après avoir disparu pendant près de dix ans, il l’avait vue reparaître dans sa vie suite aux décès de leurs parents, avec lesquels elle avait coupé les ponts sur une dispute terrible. Depuis, Jonathan était engagé dans une bataille juridique qui l’épuisait et dont il rechignait à parler, ce qui était compréhensible.
— Je peux voir tes autres croquis ? demanda-t-il pour détourner le sujet.
Roseann abandonna son dessin, reposa son crayon, et lui tendit son carnet. Il le feuilleta en silence de longues minutes, jusqu’à s’arrêter sur le portrait rieur d’une fille au visage encadré de boucles folles, les pommettes recouvertes de taches de son.
— Qui est-ce ?
— Tess, ma meilleure amie, répondit Roseann avec un sourire attendri. On a emménagé ensemble récemment, pour se voir plus souvent. Sans trop de succès, tu t’en doutes. Entre tous mes déplacements et les siens, c’est à peine si on se croise.
— Elle fait quoi ?
— Elle travaille au Ministère. Coopération magique internationale.
Jonathan hocha le menton, comme perdu dans ses pensées. Il contemplait toujours le croquis de Tess lorsque la porte s’ouvrit, livrant passage à un Drew au visage sombre.
— Salut, marmonna-t-il sans grand enthousiasme.
Roseann se redressa sur son siège en fronçant les sourcils, inquiète, et Jonathan referma le carnet pour le reposer sur la table basse.
— Qu’est-ce qui ne va pas ? l’interrogea-t-il.
Drew avait toujours été un peu isolé du reste de l’équipe, silencieux et peu compétiteur, il préférait se faire oublier qu’être au centre de l’attention. Si cela agaçait la plupart de ses coéquipiers, Roseann et Jonathan étaient les exceptions. Ils l’avaient tous deux pris sous leurs ailes, avec la bienveillance de grands frère et soeur.
— Je viens d’aller visiter ma grand-mère, soupira l’Attrapeur en s’écroulant sur un fauteuil, visiblement préoccupé. Elle est vraiment mal en point.
— Tu as parlé aux Médicomages ? lui demanda Roseann avec douceur.
— Ils ne sont pas très optimistes. Tout ce qu’ils peuvent faire, c’est atténuer la douleur. Même la magie ne peut rien contre la vieillesse.
Il se tut, son regard se perdant dans les flammes, le front plissé par l’anxiété. Les deux autres n’osaient plus prendre la parole : aucun des deux ne savait ce qu’il fallait dire. Jonathan avait lui-même perdu sa première femme, six ans plus tôt, d’un poison que personne à Sainte-Mangouste n’avait su contrer. Il savait mieux que personne ce que ressentait Drew, et surtout qu’il n’y avait rien à dire pour réellement apaiser sa peine.
— Vous savez, dit soudain le jeune homme en se redressant nerveusement, ce n’est même pas le fait qu’elle… s’en aille bientôt qui me fasse de la peine. C’est que je n’ai jamais pu lui dire tout ce que j’avais sur le coeur. Et maintenant c’est trop tard. Je suis horrible, hein ? De m’attarder sur tout ce qui n’allait pas, de ne penser qu’à moi dans cette histoire.
— Ne dis pas ça, le contredit aussitôt Roseann.
Elle se pencha en avant et posa une main réconfortante sur son poignet.
— Tu n’es pas horrible, Drew. Tu es juste humain. C’est normal de vouloir vider son sac face à une personne qui nous a fait souffrir.
— Même si elle est mourante ?
Son cynisme tomba à plat lorsque sa voix craqua sur le dernier mot. Il ferma les yeux et retomba contre le dossier de son siège, comme vidé de toute énergie.
— C’est elle qui m’a élevé après que mes parents soient morts, vous savez ? Ils ont été tués pendant la guerre et m’ont laissé seul, mais elle a toujours été là pour moi. Et aujourd’hui, je ne la remercie qu’en étant amer et rancunier pour des détails sans importance.
— Ils ne sont pas sans importance si ça t’atteint encore aujourd’hui, fit remarquer Jonathan. Tu devrais lui en parler. Calmement. Avant qu’il ne soit trop tard et que tu aies des regrets.
Drew ouvrit les yeux, la gorge serrée, ne sachant comment les remercier pour leur écoute. Les mots étaient bloqués sur ses lèvres, mais les deux autres comprirent sans qu’il ait besoin de les formuler. Roseann sourit avec douceur et Jonathan se leva pour lui servir un thé. Il avait tout juste posé trois tasses sur la table basse lorsque la porte s’ouvrit de nouveau.
Cette fois-ci, ce fut Olivier qui s’avança dans la pièce, trempé de pluie et le visage maussade.
— Les Pies ont gagné marmonna-t-il. De deux cents points.
Sa moue déçue ne récolta que rires discrets et yeux levés au ciel. L’obsession tenace de leur entraîneur pour les écossais ne semblait pas vouloir disparaître de sitôt.