La fête battait son plein dans la salle commune du premier étage de l’aile est. Gabriel avait réussi à bidouiller une radio pour diffuser du rock Moldu et Justin s’était débrouillé par miracle pour introduire quelques bouteilles de Bièraubeurre et de Whisky Pur Feu, qui circulaient entre toutes les mains. Les Pies célébraient leur victoire écrasante et leurs qualifications en huitièmes de finale.
— Je savais que je faisais partie de la meilleure équipe de l’univers, clama Zeke, dont le taux d’alcoolémie était déjà bien élevé.
— Du monde, même, renchérit Justin.
— L’univers est plus grand que le monde, idiot.
— Tout dépend de la perspective.
Le Batteur tenta d’éviter le coup de poing joueur de son homologue mais ne réussit qu’à se prendre les pieds dans le tapis et à s’étaler de tout son long.
— T’as l’air d’un ivrogne, commenta Phoebe avec son sarcasme habituel.
Elle-même n’était pourtant pas en reste, un verre de Whisky bien entamé entre les mains, les joues roses et les yeux brillants.
— Je ne suis qu’un humble amateur d’alcool, rectifia Justin en se relevant avec toute la dignité possible.
Phoebe laissa échapper un rire et il finit par s’écrouler à ses côtés dans le canapé.
— J’arrive pas à croire qu’on soit en huitième, dit-il.
— C’est pas votre troisième qualification ? le taquina Sara.
— Si, mais à chaque fois, ça nous fait bizarre. Pas vrai, Toby ?
L’intéressé émit un simple grognement, mais Justin poursuivit sans faire cas de la mauvaise humeur du Poursuiveur.
— Tu sais, dit-il d’un ton grave, le talent d’un joueur de Quidditch, sa célébrité, ça peut disparaître comme ça.
Il tenta de claquer des doigts devant ses yeux vitreux, sans grand succès.
— Un jour on peut être au sommet, le lendemain au fond du trou.
— Quel philosophe, intervint Chuck.
— Un philosophe qui dit vrai, appuya Gabriel. On ne s’habitue jamais vraiment aux victoires. Ou alors le jour où ça arrive, il faut se remettre en question. Il n’est jamais bon d’attraper la grosse tête.
— Avec l’entraîneur qu’on a, difficile de prendre nos aises, de toute façon, répliqua Sara en levant les yeux au ciel.
Les autres durent admettre qu’elle marquait un point. Marcus n’était pas prêt de les laisser croire qu’ils étaient les rois de l’univers, contrairement à ce que disait Zeke.
D’ailleurs, ce dernier était si intenable qu’il en devenait presque insupportable. Il riait et parlait trop fort, s’agitait partout sans raison et donnait de grandes claques amicales dans le dos de ses joueurs qui faisaient sauter leurs verres de leurs mains, répandant leur contenu sur le tapis qu’ils devaient nettoyer toutes les deux minutes. Son charisme tranquille s’effilochait à vue d’œil, ce qui aurait rendu ses camarades perplexes et soupçonneux s’ils n’avaient pas été eux aussi perdus dans les brumes de l’alcool.
— Je vous propose un jeu ! s’exclama soudain leur capitaine avec emphase.
— Pitié, pas celui du Poursuiveur et du Cognard, demanda Sara.
Elle en gardait de mauvais souvenirs de ses années d’études, ou en tout cas sans parler de réels souvenirs concrets, elle se réveillait toujours les membres endoloris et le corps couvert de bleus. Elle était nulle à ce jeu.
— Et je refuse catégoriquement Action ou Vérité, ajouta Gabriel.
— C’est quoi ça ? demanda Phoebe, perplexe.
— Un jeu Moldu, qui consiste à…
— On s’en fiche, le coupa Zeke. Je veux jouer au Secret de l’Auror.
— Justin va gagner, répliqua aussitôt Chuck.
— Mais non, c’est justement l’occasion de le détrôner, insista leur Capitaine en balayant l’objection d’un revers de main. En place !
Gabriel l’arrêta d’un geste discret et se pencha pour lui chuchoter quelques mots à l’oreille.
— Tu devrais ralentir un peu, je sais que tu es heureux de notre sélection mais…
— J’aurais tout le temps de ralentir demain, ne t’en fais pas pour moi.
Zeke lui tapota l’épaule d’un geste mal assuré, puis grimpa sur la table basse pour dominer la scène. Il les observa l’un après l’autre, d’un regard un vitreux, avant de se fixer sur Sara. Il pointa son doigt sur elle, la faisant involontairement rougir.
— Tu commences ! Éblouis-nous, Daniels.
Le principe du jeu était simple. Chacun devait raconter une histoire, peu importait laquelle du moment qu’elle était personnelle, et chacun des joueurs devait ensuite voter pour savoir si l’anecdote était réelle ou totalement inventée. Généralement, en bon menteur chronique, Justin remportait haut la main : il devinait toujours quand les autres ne disaient pas la vérité.
Sara fut donc la première à s’embarquer dans une histoire compliquée d’un ancêtre ayant inventé la Poudre de Cheminette, l’idée lui étant soi-disant venu en jetant une poignée de sel dans les flammes de sa cheminée pour éloigner les mauvais esprits qui hantaient sa maison.
— Totalement faux, commenta Justin alors qu’elle achevait à peine.
— Mais chut ! le réprimanda Phoebe avec une petite tape sur l’épaule. On est censé voter tous ensemble, je te rappelle.
— Comme d’habitude, vous levez le poing si vous estimez que le récit de Sara est vrai, et vous le baissez si vous pensez qu’il est faux, énonça Zeke d’un ton solennel, sa main brandie à l’horizontal devant lui. Un, deux… TROIS !
À l’unisson, ils baissèrent tous leurs mains, ce qui ne provoqua qu’un rire chez Sara.
— J’ai toujours été piètre menteuse, mais avec l’alcool c’est pire que tout, soupira-t-elle.
Elle agita sa bouteille de Bièraubeurre avec une grimace, avant de l’achever en quelques gorgées. Ce fut ensuite à elle de désigner la prochaine victime consentante.
Ils continuèrent à jouer dans une relative bonne humeur, de moins en moins cohérents au fil des minutes et des litres d’alcools descendus. Leurs rires se faisaient de plus en plus bruyants, et c’était encore un miracle qu’ils puissent se comprendre entre la cacophonie ambiante et leur élocution pour le moins hésitante.
Phoebe leur avoua, la liqueur aidant, qu’elle avait réussi à réaliser une potion sur laquelle elle travaillait depuis des mois et des mois : un philtre permettant de donner vie aux histoires qu’elle écrivait. Seuls Sara et Justin devinèrent qu’il s’agissait de la vérité.
— Il suffit d’en boire… comme ça, tenta d’expliquer la Gardienne en rapprochant son pouce et son index pour indiquer une faible quantité. Et pouf !
— Mais c’est comme… Une hallucination ? demande Gabriel d’une voix un peu hésitante, butant sur les mots. Ou tu es plongé dedans comme… comme…
— Dans une Pensine ? Oui, un peu comme ça.
— Ton histoire n’a rien d’un vrai secret, lança Chuck d’un ton un peu boudeur.
— Je ne l’ai dit qu’à vous, affirme Phoebe d’un ton solennel, les mains serrées autour de sa bouteille vide de Bièraubeurre comme d’un objet précieux. Juste à vous.
— Ah oui ? Et… Comment il s’appelle déjà ton copain ? l’interroge Justin.
— Arm… Arnold. Il ne sait rien.
— Mais pourquoi tu voulais faire ça ?
Sara se pencha vers elle, curieuse, et faillit tomber de son fauteuil. D’un coup, Phoebe redevint presque sérieuse, comme si elle avait dessaoulée d’un coup.
— Parce que ma vie m’ennuie.
Elle avait chuchoté, mais ils l’entendirent tous distinctement et un grand silence suivit, rompu par les craquements des flammes qui ronflaient dans la cheminée. Un instant, elle parut avoir dix ans, perdue et triste comme une enfant qui ne comprend pas trop ce qui lui arrivait.
— A moi maintenant ! cria Zeke, les faisant tous sursauter.
Il n’eut pourtant pas le temps de dire un mot de plus. La porte s’ouvrit à la volée, sur un Marcus qui avait l’air d’être passablement en colère - un véritable euphémisme si l’on considérait son visage furieux.
— Je peux savoir ce que vous foutez ? rugit-il. Vous faites autant de bruit qu’un troupeau de trolls des montagnes en promenade champêtre !
— Merde, jura Gabriel, celui qui devait être le moins saoul de la bande. Les sorts d’insonorisation ont sauté, désolé Marcus…
— Si vous n’êtes pas tous dans vos lits d’ici cinq minutes, je vous expédie vers l’Angleterre plus vite qu’un Vif d’Or. Découpés en petits morceaux. C’est clair ?
Il eut à peine le temps de finir sa phrase que ce fut une vraie envolée de moineaux, aucun ne souhaitant être le dernier à quitter la pièce. Seul Zeke resta en arrière, un peu hébété, une bouteille de Whisky toujours à la main.
— Va dans ta chambre, Coleman, lui jeta sèchement Marcus. On parlera de tout ça demain matin. Une victoire ne vous autorise pas à…
— T’es vraiment qu’un putain de rabat-joie, jura Zeke en rejoignant son entraîneur sur le pas de la porte, empli lui aussi d’une colère exacerbée par son état d’ébriété. On vient de se qualifier ! On a bien le droit de décompresser un peu.
— La Coupe n’est pas gagnée, répliqua l’autre froidement, en une éternelle rengaine. Va te coucher.
— T’es pas mon père, bordel.
— Encore heureux. Je suis ton entraîneur, et je t’ordonne de…
— J’en ai marre de tes ordres à la con ! T’es qu’un pauvre type qui passe sa frustration sur les autres, t’as un balai dans le cul et tu nous brimes parce que ça te fait kiffer, mais tu sais quoi Flint ? T’es qu’un pauvre entraîneur de seconde zone, et tu fais pitié.
— Je vais ignorer tout ce que tu viens de dire si tu vas dans ta chambre et que tu y restes jusqu’à demain matin, articula Marcus d’une voix lente et glaciale. Si tu dis un mot de plus, tu es viré, tu m’entends ?
— Ah ouais ? Et qu’est-ce que tu feras sans moi ? Sans Batteur, sans Capitaine ?
Marcus ne trouva rien à répliquer, car il savait qu’il était pieds et poings liés. Il n’avait pas joué sa dernière carte, cependant.
— Rien, admit-il. Je t’autoriserais à finir cette compétition, mais après tu seras fini.
— Parce que tu crois que je me donnerais à fond avec cette menace au-dessus de ma tête ? Je préfère encore démissionner et te laisser dans ta merde.
— Même si tu cours le risque d’être radié de la Ligue ?
— Comment ça ? rétorque Zeke avec agressivité, pour la première fois sur la défensive.
— Me prends pas pour un con, Coleman. Je sais très bien que tu n’as pas fait que boire de l’alcool ce soir. Même si je n’avais pas trouvé tes pilules sous ton lit, tes pupilles dilatées parlent pour toi.
— Tu as fouillé ma chambre ?
— Je ne pense pas qu’une quelconque équipe t’accepterait s’ils savaient que tu n’étais qu’un drogué tout sauf fiable.
— Tu es train de me faire du chantage ?
Marcus affronta son regard à la fois furieux et terrifié, résistant à l’horrible petite voix qui lui disait qu’il n’avait que quelques phrases bien placées à prononcer pour le mettre à terre. Il devait se montrer raisonnable. Sans son Capitaine, adieu ses rêves de victoire. Il allait devoir faire des concessions. Et surtout, il avait promis à Terence de s’assouplir un peu à la suite de leur qualification. Une promesse qu’il était presque sûr de ne pas pouvoir tenir, mais il pouvait au moins essayer.
— Je te propose un marché, dit-il. Je ferai un effort sur ma façon de vous parler, si toi tu arrêtes définitivement cette merde.
Zeke le contempla en silence quelques instants avant de baisser les yeux, les épaules affaissées et toute combativité ayant disparu de son corps.
— Je ne peux pas me sevrer en pleine compétition, Marcus, j’en suis incapable.
— Tu peux le faire, affirma l’ancien Serpentard. Tu le dois. Pour toi et pour ton équipe. Commence par essayer de te persuader que tu le peux, convainc ton mental, et ressaisis-toi avant le prochain match. Et laisse tes coéquipiers t’aider. Va dormir.
Cette fois-ci, le Batteur ne se le fit pas dire deux fois et il rejoignit sa chambre à pas lents. Il s’écroula sur son lit telle une masse, étranglé par les remords et la tête qui tournait. Il ne faisait que penser à Althea, au fait qu’il l’avait trahie. Après leurs vacances ensemble, sa résolution n’avait pas tenu bien longtemps. Il n’y arrivait pas, il en était physiquement incapable. Quelques jours sans ses pilules et le manque le mettait dans un état lamentable. Il avait craqué juste avant le match, parce qu’il était totalement incapable de jouer comme ça. Contrairement à ce qu’affirmait Marcus, il savait qu’il n’arriverait pas à arrêter. Une fois près d’Althea, peut-être, mais pas alors qu’il était sous cette pression sportive de l’autre côté de la Manche.
Dans les chambres autour de la sienne, l’humeur de ses coéquipiers n’était pas plus joyeuse. Si Phoebe s’était endormie comme une masse à peine couchée, Toby se tournait et se retournait dans son lit, morose. Il se remémorait, encore et encore, la lettre officielle du Ministère leur disant qu’ils ne pourraient pas adopter d’enfant. Ils avaient fait appel, il y avait encore espoir, mais la situation lui pesait, et même leur victoire et la soirée où il s’était forcé à boire pour oublier n’avaient pas réussi à chasser ces mauvaises pensées de son esprit.
De son côté, Gabriel dormait d’un sommeil agité, vaguement inquiet pour sa sœur mais sans savoir exactement pourquoi - un mauvais pressentiment. Quant à Justin, il ronflait comme un bienheureux, pour la première fois depuis des semaines. L’alcool l’avait aidé à oublier ses angoisses, qui le poursuivaient sans relâche depuis qu’il avait accepté d’emménager avec Kylie. Il avait fini par se comporter en adulte et avait dit à Rita de ne plus le contacter, mais la culpabilité le rongeait toujours. Pour ce qu’il avait fait, pour ce qu’il pouvait faire. Car il savait que si Rita ne respectait pas son désir d’arrêter les choses, il craquerait, comme d’habitude.
Chuck et Sara étaient les seuls à ne pas avoir respecté à la lettre les ordres de Marcus. Ils étaient allés se coucher dans le lit étroit de Chuck en pouffant comme des adolescents. Ils commençaient peu à peu à dessaouler, mais ils étaient toujours ivres de leur victoire, de leur bonheur, et ils n’étaient pas prêts à dire adieu à la compagnie de l’autre pour le moment. Ils chuchotaient à voix basse, face à face, sans aucune ambiguïté, dans le noir le plus complet.
— Gus est venu te rendre visite alors ?
— Oui, pas longtemps. Il est déjà rentré aux États-Unis. Je me sens mieux depuis que je l’ai revu, mais je suis triste qu’il soit parti.
— Et tu as pu lui parler ?
— Un peu. Il m’a tiré les vers du nez, en fait. Il m’a dit que je devrais en parler à Zeke.
— Sérieusement ?
— Oui, il est persuadé que c’est juste une histoire de fascination plutôt que de réels sentiments, mais… Je ne suis pas d’accord avec lui. Et j’ai peur qu’en parler à Zeke…
— Il ne vaut mieux pas. Tu devrais essayer de garder tes distances.
— Difficile à dire alors qu’on joue dans la même équipe.
Ils étouffèrent un rire en imaginant le ridicule de la situation. Il n’y a pas meilleure promiscuité entre les membres d’une équipe de Quidditch alors qu’ils vivent les uns sur les autres des mois durant.
— Et toi alors, Serena va bien ?
— Bien, quand elle n’est pas insupportablementpeste, bougonna Chuck d’un ton faussement vexé.
— Comment ça ?
— Elle n’a pas arrêté de faire des sous-entendus sur toi.
— Comme s’il se passait un truc entre nous tu veux dire ?
Sara dut étouffer un éclat de rire trop bruyant lorsque Chuck hocha la tête. L’idée leur paraissait si ridicule qu’il leur fallut plusieurs minutes avant de calmer leur hilarité quasi-silencieuse.
— C’est parce que je ne lui avais jamais parlé de toi avant de lui raconter que tu avais été d’un grand soutien, par rapport à mes parents.
— Tu ne lui avais jamais parlé de moi ? s’insurgea Sara.
— Moins fort.
— Pardon. Je n’en reste pas moins outrée.
Chuck ne put répondre. Des pas de l’autre côté de la porte les forcèrent à se taire. Marcus s’immobilisa un instant devant le battant avant de poursuivre vers sa chambre, mais cela suffit à les persuader d’être raisonnables. Ils se souhaitèrent bonne nuit et s’endormirent dos contre dos, épuisés par les émotions de la journée.
***
Marcus était dans sa chambre, à reporter scrupuleusement les résultats des rencontres de ces dernières semaines, lorsqu’il eut une illumination. Fébrile, il acheva de noter les derniers scores, le cerveau en ébullition. Les Tabasseurs écossais avaient sans étonnement écrasé l’équipe d’Ilkley, les Busards allemands avaient été balayés avec une facilité déconcertante par les Catapultes galloises, les Grands-Ducs espagnols avaient surpris tout le monde en battant à plate couture les Tornades de Tutshill, et sa propre équipe n’avait fait qu’une bouchée des Balais de Braga, seule équipe portugaise du tournoi.
Pourtant, tout cela n’avait pas d’importance au moment présent. Il avait été si bête de ne pas y penser plus tôt !
Il sortit de sa chambre à la vitesse d’une tornade, ignora le regard étonné de Justin qui émergeait de la sienne avec ce qui avait l’air d’être une bonne gueule de bois, la bouche pâteuse et l’œil vitreux, et gravit les escaliers quatre à quatre jusqu’au dernier étage. Il frappa à la porte de Terence sans obtenir de réponse, et il finit bientôt par marteler le battant, impatient.
— C’est bon, c’est bon, j’arrive, grommela son ami. Quoi ?
Son ton agressif ne calma pas Marcus, qui entra de force sans lui demander son avis.
— Je viens d’avoir une idée.
— Pour me faire chier ?
— Non. Pour avoir des preuves.
Aussitôt, le regard de Terence s’alluma. Il enfila un vieux tee-shirt et lui fit signe de poursuivre, toute trace de sommeil disparue de son visage.
— Dis-moi tout.
— Parmi tout le personnel qu’il y a ici, j’ai totalement oublié les plus discrets, ceux qui seraient pourtant susceptibles de nous fournir la preuve dont nous avons besoin.
— Qui ça ?
— Les photographes.
Marcus attendit sa réaction avec impatience, et il ne fut pas surpris de voir son ami éclater d’un rire bruyant, si caractéristique de sa personne.
— Bordel, mais tu as raison ! Ces satanés reporters sont partout ! Tu penses qu’ils l’ont sur pellicule ?
— Je pense que ça vaut le coup d’essayer.
— Et à qui est-ce qu’on pourrait demander ça ?
— Mélody m’a déjà dit une fois qu’elle s’est liée d’amitié avec un des photographes. Il la laisse accéder aux clichés pour qu’elle en choisisse certains, je pense que je peux lui demander un coup de main.
— On attend quoi ?
Il n’en fallut pas plus pour décider les deux Serpentard. S’il y avait bien quelque chose qu’ils ne supportaient pas, c’était d’être accusé à tort, et la perspective de trouver des preuves permettant de les innocenter suffisait à les rendre plein d’énergie malgré l’heure matinale.
Ils trouvèrent Mélody dans sa chambre, qui accéda à leur requête d’un air étonné. Elle les mena au dernier étage, où logeait le reporter dont elle s’était rapprochée ces dernières semaines. Le jeune homme, d’abord méfiant, finit par se laisser convaincre lorsqu’ils lui dirent de quoi il retournait exactement. Il n’avait aucune envie d’être soupçonné de dissimuler quoi que ce soit d’illégal.
Il les emmena dans une des dépendances réservées au personnel journalistique. L’endroit était plus que calme en cette matinée de match : tous les photographes disponibles étaient dans les gradins pour immortaliser l’évènement.
— Les photos sont là, leur indiqua leur guide. Classées par jour et par lieu. Il doit bien y en avoir quelques milliers, vous êtes sûrs…
— Merci, le coupa Marcus. On va y jeter un coup d’œil.
Le jeune homme parut prêt à répliquer, mais il finit par hausser les épaules d’un air désabusé et les abandonna à eux-mêmes ; s’ils voulaient perdre leur journée, c’était leur problème, il n’avait pas à s’en mêler.
Marcus et Terence s’attelèrent à leur tâche avec zèle. Ils retrouvèrent assez facilement les photos de l’évènement sous le chapiteau où Marcus avait vu leur coupable discuter avec l’entraîneur des Cerfs-Volants norvégiens, et avec beaucoup de chance, ils tombèrent sur un cliché les montrant en pleine discussion à l’arrière-plan.
— Parfait, dit Terence avec un immense sourire. On va pouvoir…
— On ne va rien pouvoir faire du tout, ça ne prouve rien, l’interrompit Marcus. Il faut qu’on prouve une récurrence.
— Tu veux dire qu’il faut qu’on le trouve en pleine conversation avec chacun des entraîneurs ?
— Exactement.
— Mais ça va prendre des jours, Marcus ! Regarde ce nombre de photos ! On ne sait ni quand, ni où, ni même si ça s’est réellement produit. Peut-être qu’il n’a été imprudent que cette fois-là, peut-être…
— On ne le saura pas si on ne cherche pas.
Marmonnant des imprécations dans sa barbe, Terence continua pourtant de fouiller, remontant méticuleusement dans le temps à travers les centaines de clichés qui les entouraient.
Il leur fallut des heures et des heures, mais ils finirent par être chanceux. D’abord, ils le virent parler avec l’entraîneur des Crécerelles de Kenmare, dans les gradins du match opposant les Canons de Chudley à l’équipe du Lancashire. Puis à celui des Orgueilleux de Portree, à la soirée de la cérémonie d’ouverture, deux silhouettes reconnaissables qui se découpaient en arrière-plan, loin des Feuxfous Fuseboum éclatant dans le ciel.
— Il ne manque vraiment pas d’air, soupira Terence en déposant les trois photos l’une à côté de l’autre.
— Moi j’ai hâte de voir la gueule de Dubois, ricana Marcus. Il va en manger sa baguette. Voir peut-être même son balai.
Le soleil était tombé et la pièce n’était éclairée que par quelques bougies qu’ils avaient dû allumer il y avait déjà deux heures. Terence le regarda d’un air grave qui lui était peu commun.
— Tu es peut-être rancunier mais tu n’es pas cruel, Marcus. Pourquoi est-ce que tu te réjouis à ce point-là ?
— Parce que cet imbécile m’en a fait voir de toutes les couleurs alors que j’étais pour une fois blanc comme neige. Il va tomber de haut.
— Il va surtout être blessé.
— Et alors ?
— Et alors il peut être un chic type, quand il veut, et ça me fait de la peine pour lui.
Marcus lui lança un regard où se lisait son dégoût. Terence soupira mais n’argumenta pas ; à quoi bon ? Marcus ne serait pas aussi facile à convaincre qu’Olivier, et déjà que ce dernier émettait toujours des doutes… Il espérait que la révélation du véritable coupable les aiderait à avancer.
Il lui avait été très difficile de ne rien dire à Katie ces dernières semaines. Il avait l’impression de lui mentir comme un arracheur de dents à chaque conversation, mais il était tout simplement impossible de lui confier les dires de Marcus. Elle ne l’aurait jamais cru, parce qu’elle n’aurait pas voulu le croire. Avec ces photos, ils allaient pouvoir leur prouver que leur assistant travaillait dans le camp opposé.
Sous leurs yeux, les trois photos de Cory conspirant avec ses adversaires ne laissaient aucune place aux doutes.