— Vous en faites des têtes, grogna Gabriel en s’effondrant sur un des canapés de leur salle commune.
— Et toi, t’as vu la tienne ? répliqua Zeke d’un ton taquin.
Le Poursuiveur lui adressa une grimace équivoque, avant de pousser un long soupir, manifestement épuisé.
— Alors, qu’est-ce que j’ai manqué ces dernières semaines ?
— Beaucoup de choses, répondit Phoebe, mais dis-nous toi d’abord. Comment va ta sœur ?
— Toujours à l’hôpital. Les docteurs ont enfin posé leur diagnostic, elle va avoir besoin d’un nouveau rein. Je ne pouvais pas être donneur pour des raisons évidentes, mais ils sont en train de tester toute ma famille.
— J’espère pour toi que tout s’arrangera très vite, dit Sara d’une voix douce en se penchant pour serrer sa main droite entre les siennes. Et que tu pourras vite être auprès d’elle.
— Ce sera bientôt, normalement, fit remarquer Justin. Même si on va au bout de la compétition, et je le souhaite, je vous rappelle que la finale a lieu dans deux semaines.
Ils parurent tous un peu choqués par cette constatation. Cela faisait si longtemps qu’ils étaient en France qu’ils avaient un peu perdu la notion du temps et des mois qui s’écoulaient.
— J’ai du mal à croire que tout sera bientôt fini, murmura Gabriel.
— Ça ne l’est pas encore tout à fait, intervint Phoebe, je vous rappelle qu’on a un match à jouer demain.
— En parlant de ça, est-ce que je peux avoir un bilan de ce que j’ai raté ? Qui est encore en lice ?
— Les Gargouilles de Gorodok ont été éliminés par les Grands-Ducs de Pampelune il y a deux jours et les espagnols sont les premiers à se qualifier pour les demi-finales, répondit Zeke. Si on gagne contre les Canons, ce sont eux qu’on rencontrera.
— Et la semaine prochaine les Chauves-Souris de Fichucastel jouent contre les Vautours de Vratsa, et les Catapultes de Caerphilly contre le Club de Flaquemare, ajouta Sara.
— Marcus doit être ravi que son ancien rival soit encore présent, dit Gabriel avec un rire fatigué.
— Et bien figure-toi qu’ils sont presque cordiaux l’un avec l’autre ! le détrompa Justin, qui était le premier surpris. Pas une dispute depuis ton départ, ni accusation d’aucune sorte. Je pense que Katie et Terence doivent bien les tenir à l’œil.
— Rien de palpitant, donc.
— Oh que si !
Chuck se releva du canapé où il s’était allongé, les cheveux en bataille et l’expression boudeuse.
— Tu es parti trop vite après notre match contre les Tapesouafles, tu n’as pas vu qui m’attendait à l’extérieur.
— Une foule de fans en délire ?
— Non, pire. Mes parents. Et ma petite sœur, apparemment, que je n’avais jamais vue. Ils l’ont appelée Émilie.
Gabriel écarquilla les yeux, surpris et muet face à cette nouvelle pour le moins inattendue. Comme les autres quelques semaines plus tôt, il n’avait jamais entendu parler des parents de Chuck, et il ne pensait pas que la situation était si dramatique entre eux.
L’Attrapeur lui brossa un tableau rapide de sa famille givrée, pour en venir à leur arrivée surprise après le match des huitièmes de finale. Il lui raconta en quelques paroles où perçait encore l’amertume comment ils avaient tenté de le persuader de rentrer en Angleterre, qu’ils voulaient le sauver d’une mort certaine et lui montrer la voie de la raison.
— Ils étaient à moitié en train de me traîner vers l’espace de départ des Portoloins sans écouter ce que je leur disais, marmonna Chuck, manifestement encore agacé par ce souvenir. La petite nous regardait avec des yeux ronds. Je n’arrêtais pas de leur dire qu’ils étaient complètement fous, mais ils pensaient que j’étais possédé par un esprit malveillant, qu’ils devaient juste me prouver qu’ils avaient raison, que la Prophétie était vraie.
— Tu m’étonnes que tu aies coupé les ponts avec eux, intervint Gabriel, choqué par ce qu’il entendait. Ils sont…
— Malades ? Oui. Ils auraient été à deux doigts de commettre un kidnapping lorsque Marcus les a arrêtés.
— Marcus ?
— Il n’allait pas se laisser subtiliser son précieux Attrapeur les bras croisés, ironisa Sara.
— Il n’empêche que pour une fois, j’étais ravi qu’il soit de mon côté. Il les a pourris comme lui seul sait le faire. C’était magique à regarder, j’étais presque content qu’ils se soient déplacés pour ça. Un spectacle que je rêve de voir depuis mon enfance, que quelqu’un les remette à leurs places.
— Ils ont fini par abandonner ?
— Marcus a été convaincant, et ils ont vu que je n’étais pas prêt de bouger, alors ils sont partis comme ils étaient venus, sans oublier de me faire tout un tas de prédictions macabres. Que j’allais tomber de mon balai, me rompre le cou, finir empoisonné, avec un traumatisme crânien après un coup de batte en pleine tête, ce genre de trucs.
Il parlait d’une voix légère, mais Gabriel voyait que cela l’avait affecté plus qu’il n’aurait aimé l’admettre.
— Et ta sœur, tu…
— C’est une inconnue pour moi. Une gamine de huit ans que je n’ai même pas connu à l’état de fœtus. Ce n’est pas ma sœur.
Sa voix dure et définitive laissa peser un silence de quelques secondes. Voyant leurs regards gênés, Chuck soupira et passa une main fatiguée sur son visage.
— Désolé, je sais que ça peut paraître rude, mais je ne la connais pas, et elle n’est pas sous ma responsabilité.
— Peut-être, mais tu peux aussi lui éviter de grandir comme tu as grandi et de vivre ce que tu as vécu, fit remarquer Sara.
— Comment ?
— En étant présent pour elle et en lui montrant que tes parents n’ont pas la vérité absolue.
— Ce qui voudrait dire les côtoyer.
Il grimaça à cette idée, et personne ne pouvait lui en tenir rigueur.
— Tu vas quand même mieux, depuis ? Ça va aller pour le match de demain ?
— Oui, ne t’en fais pas, assura-t-il. Mon amie Serena est venue passer quelques jours ici, ça m’a regonflé à bloc pour la fin de cette compétition, je ne suis pas prêt de les laisser de nouveau m’atteindre de cette façon.
— Serena est la meilleure personne sur terre, d’ailleurs, ajouta Sara.
— Oui, elles se sont un peu trop bien entendu ces deux-là, toujours à s’unir pour se ficher de moi.
Gabriel étouffa un rire lorsque Sara tira la langue à son amie, telle une enfant.
— Et sur un sujet moins sympathique, intervint Phoebe en se levant du bureau où elle écrivait une lettre pour s’étirer, une des Poursuiveuses du Club a failli faire une sale chute.
— Ah oui ? s’étonna Gabriel. Qui ça ?
— Roseann, répondit Sara d’un air sombre.
— Qu’est-ce qu’il s’est passé ? Une rencontre un peu rude ?
— Bien plus bizarre que ça, poursuivit Phoebe en les rejoignant, s’asseyant en tailleur sur le tapis. Terence nous a dit qu’elle aurait tenté de se jeter un sort, la veille du match, personne ne sait lequel. Elle a été transportée à l’infirmerie et elle en est ressortie dans une sorte d’état de choc… Elle ne faisait rien par elle-même, c’était très étrange. Ils ont été obligés de la mettre sur son balai pour ne pas déclarer forfait, mais elle était incapable de faire autre chose qu’un vol stationnaire.
— Tu rigoles ? Ils ont trouvé ce qu’elle avait maintenant ?
— Sa chute lui a remis les idées en place, apparemment. Elle a été bousculée par les Attrapeurs alors qu’ils chassaient le Vif d’Or, c’est Aiden qui l’a rattrapée en plein vol, expliqua Toby. Elle était près des poteaux du Gardien et il était le plus proche. Il s’est brisé les deux bras en amortissant sa chute et lui aussi était dans un sale état. Ils ont quand même passé une semaine à l’infirmerie histoire de se remettre.
— Et ils pensent qu’elle a été ensorcelée, ajouta Phoebe. Enfin, en plus du sort qu’elle s’est jetée elle-même, je veux dire, mais ils n’ont aucune idée du coupable.
— Dis donc, j’en ai raté des choses, dit Gabriel, secoué. Et c’est bizarre tout ça, non ? Je veux dire le joueur des Tapesouafles qui est agressé, Roseann ensorcelée…
— Pas tant que ça, répondit Zeke en haussant les épaules. Il arrive toujours des choses étranges dans les coulisses des compétitions de cette envergure.
— Oui mais ce sont des petits coups bas d’habitude, ça ne prend pas autant d’ampleur.
— On ne peut pas y faire grand-chose de toute façon, soupira Phoebe. Les officiels enquêtent déjà, je suppose, même s’ils ne disent rien. Et sur ce, je pense vraiment qu’on devrait tous aller se coucher, je vous rappelle qu’on a un match d’une grande importance demain, et il est tard.
— Bien Capitaine ! ironisa Zeke.
La Gardienne se leva et lui donna un coup de poing joueur dans l’épaule en passant. Elle fut la première à quitter la pièce mais ils ne tardèrent pas à lui emboîter le pas. Gabriel était épuisé par son voyage, ses émotions négatives et son inquiétude pour sa sœur, et les autres n’étaient pas en meilleur état. Ils se dirent au revoir à mi-voix dans le couloir, ne souhaitant pas réveiller Marcus, qui leur aurait sans aucun doute passé un savon.
Avant de se coucher, Phoebe accrocha à la patte de sa chouette la lettre qu’elle venait d’écrire à Arnold. Une lettre dans laquelle elle lui disait tout. Ses peurs, ses angoisses, le secret de son petit laboratoire à potions. Elle l’envoya avec une boule au ventre, craignant malgré elle sa réponse. Sa discussion avec Sara l’avait apaisée et l’avait aidée à prendre cette décision et à se confier à celui qu’elle aimait ; elle espérait juste qu’il en serait digne.
Elle éteignit la lumière et sombra rapidement dans le sommeil, sourde aux bruits qui provenaient de la chambre voisine.
Juste à côté, Zeke était incapable de se mettre au lit. Il tournait en rond dans sa chambre, prenant des objets pour les déposer de nouveau immédiatement à leur place. Ses mains se mettaient à trembler de nouveau. Le manque lui dévorait les veines. Sa tête était prise dans l’étau d’une migraine. À présent qu’il était seul, les symptômes semblaient s’amplifier.
Cela faisait plusieurs jours qu’il n’avait pas pu subtiliser les potions qu’il lui fallait de l’infirmerie, qu’ils avaient mis sous étroite surveillance à la suite de ses vols. L’angoisse lui prenait la gorge, et ses pensées tournaient en rond, encore et encore. Comment allait-il faire, sans potions ? Comment allait-il jouer demain ? Comment prétendre ? Est-ce qu’il allait craquer ?
Incapable de supporter la pression de son propre esprit, Zeke se roula en boule dans son lit, les poumons comprimés par l’anxiété. Il sentait qu’il avait de plus en plus de mal à respirer et il se força à ralentir ses inspirations et ses expirations.
La panique revint en bloc lorsqu’il entendit un coup timide frappé contre sa porte.
— Zeke ? Tu dors ?
Il ne répondit pas et se recroquevilla davantage sur lui-même, son corps entier tremblant comme une feuille. Personne ne devait le voir comme ça, personne. S’il faisait le mort, elle n’entrerait pas, elle partirait.
— Zeke ?
Il étouffa un gémissement dans son oreiller. Puis, dans un geste désespéré, il voulut se saisir de sa baguette, sur la table de nuit, pour fermer sa porte à distance, y mettre un sort de silence, n’importe quoi. Ses doigts tremblaient tant que sa baguette tomba au sol avec bruit et roula sous le lit. Sa respiration devint un halètement sous l’effet de la panique. Elle ne pouvait pas le voir comme ça, elle ne pouvait pas…
— Zeke ?
Sara répéta son nom une troisième fois et entra, inquiète. Elle avait entendu quelque chose tomber, et elle n’était pas rassurée par ce silence trop calme pour être honnête. Elle voulait juste lui demander si tout allait bien, elle avait bien vu tout à l’heure qu’il ne faisait que montrer une façade souriante alors que ses yeux criaient une détresse évidente. Elle avait hésité, tentant de se rappeler ses bonnes résolutions de rester loin de lui, mais elle en était incapable. Elle se rassurait en se disant qu’elle agissait en amie, c’était tout.
Elle entra dans la pièce sombre et fut surprise de voir les frémissements qui l’agitaient, alors qu’il était roulé en boule dans son lit, dos à elle.
— Tout va bien ? demanda-t-elle d’une voix timide.
— Pars, Sara, gémit-il. S’il te plaît.
Refusant de lui obéir alors qu’il avait l’air plus en détresse que jamais, la jeune femme referma la porte derrière elle et le rejoignit. Elle s’assit presque craintivement au bord du lit et tendit une main pour la poser sur son épaule. Il sursauta à son contact, comme si elle l’avait brûlé.
— Tu n’es pas obligé de me dire ce qui ne va pas, mais je veux être là pour toi, chuchota-t-elle.
— Non, je… S’il te plaît, va-t’en, la supplia-t-il de nouveau. Je ne supporte pas que tu me voies comme ça.
— Tant mieux, on est dans le noir, je ne te vois pas.
Sa faible blague ne lui arracha pas le rire qu’elle espérait. Se sentant téméraire, elle s’allongea à ses côtés et se colla à son dos, le cœur battant. Elle passa un bras autour de lui pour saisir une de ses mains, qu’elle serra fort.
— Quoi qu’il t’arrive, je suis là, d’accord ? Et je ne te jugerais pas, jamais.
Zeke ne répondit pas mais resserra la prise de ses doigts sur les siens. Ils restèrent dans cette position de longues minutes. Le Batteur sentait sa respiration s’apaiser, mais ses tremblements ne se calmaient pas. Il était reconnaissant à Sara d’être là, d’être présente, de n’émettre aucune critique, mais il se sentait aussi vaguement coupable. Ce n’était pas d’elle dont il devrait tirer cet apaisement ; mais comment cela pourrait-il être possible avec Althea, alors qu’il lui avait déjà dit qu’il arrêtait tout ? Et alors qu’elle n’avait même pas pu venir le voir, coincée en Angleterre par son travail ?
— Merci, murmura-t-il.
— C’est normal. Je ne vais pas laisser mon Capitaine craquer la veille de notre match en quarts de finale.
Son ton léger était peut-être un peu forcé, mais la phrase le fait sourire. Il ne savait pas si c’était l’obscurité de la nuit ou leur position, le fait qu’il ne voyait pas son visage, mais il avait envie de se confier à elle, ou tout du moins une partie. Ce poids était depuis si longtemps sur ses épaules, il avait besoin de le partager, il n’arrivait plus à le gérer seul.
— J’ai un problème, Sara, chuchota-t-il. Je… J’essaye d’y remédier, mais c’est compliqué. Et… J’avais pris des potions à l’infirmerie, pour m’aider. Je n’y ai plus accès.
Il n’avait pas dit grand-chose, mais la jeune femme comprit sans trop de mal qu’il devait parler d’une addiction, peu importait laquelle, et tout sembla faire sens dans sa tête. Son exubérance à certains instants, ses tremblements et son manque de confiance à d’autres. La prise de substances opposée aux symptômes du manque. Sa gorge se serra. Il lui était difficile de conjuguer dans sa tête cette image avec celle du Zeke qu’elle connaissait, mais cela ne changeait rien à la situation : elle serait toujours là pour lui, peu importait ce qui lui arrivait.
— Tu veux que j’aille à l’infirmerie ?
— Elle est surveillée, répondit-il, touché par son offre. Je veux bien que tu restes là. Tu m’apaises.
Touchée par ses mots, elle pressa doucement ses doigts entre les siens. Zeke, lui, était troublé par les derniers mots qu’il venait de prononcer. Encore une fois, la culpabilité. Afin de l’effacer, il se sentit obligé d’ajouter une autre de ces choses qu’il gardait jalousement pour lui depuis plusieurs semaines maintenant.
— Je pense à quitter l’équipe.
— Pardon ?
Sous le choc, Sara s’éloigna imperceptiblement de lui, et cela ne le fit se sentir que plus mal encore.
— Si je veux que mon mariage avec Althea fonctionne, je ne peux pas être un joueur de Quidditch professionnel.
— Tu vas te reconvertir ?
— Peut-être.
Il y eut un long instant de silence, empreint d’un malaise qui n’était pas là avant.
— Tu me promets de ne pas en parler ? À personne ? Je n’ai pas encore pris ma décision.
— Oui, bien sûr, approuva-t-elle aussitôt. Je ne dirai rien.
Il la remercia encore une fois, une boule dans la gorge. À présent, il la sentait distante, comme si elle était à des kilomètres de lui.
Pourtant, même ainsi, il passa la nuit la plus paisible depuis qu’il avait arrêté de prendre ses pilules. Contrairement à Sara, qui resta éveillée des heures durant, se demandant comment elle allait pouvoir garder ce secret.
***
L’ambiance était tendue ce matin-là, dans le vestiaire des Pies. Les joueurs se préparaient en silence, les traits fermés, l’estomac comprimé par le trac. Alors qu’ils étaient enfin changés, balais sur l’épaule, détermination dans le regard, Zeke prit brièvement la parole pour son discours d’encouragement d’avant match. Il serrait les poings pour cacher ses tremblements, chose dont seule Sara fut réellement consciente.
— J’ai confiance en nous, dit-il. Les Canons de Chudley sont une bonne équipe, on ne peut pas le nier, mais n’oubliez pas qu’on les a battus plusieurs fois cette année en rencontre amicale. La demi-finale est à portée de main, je le sais. Vous êtes prêts ?
— Prêts ! répétèrent-ils tous en chœur d’un air résolu.
— Bien, allons-y.
— Attendez une seconde.
Marcus venait d’ouvrir la porte, l’air essoufflé. Il avait visiblement couru, et sa mâchoire crispée n’annonçait rien de bon.
— Que se passe-t-il ? demanda Gabriel, inquiet.
— Je viens tout juste d’être prévenu. Le Gardien des Canons a été vraisemblablement empoisonné hier soir. Il est à l’infirmerie et incapable de jouer, c’est son remplaçant qui occupe le poste. Favorisez les tirs lobés, il les rate une fois sur deux.
— Empoisonné ? Comment ? Par qui ?
Sara n’était pas la seule à être alarmée, mais Marcus balaya leurs questions d’un geste de main.
— Plus tard, le match va commencer. Concentrez-vous !
Et sur ces dernières paroles prononcées d’un ton rude, il les quitta de nouveau. Zeke aurait voulu pouvoir les rassurer, mais il n’était lui-même pas des plus paisibles. Comment cela avait-il pu être possible ? Qui avait pu faire une chose pareille ? Pourquoi juste avant leur match, encore une fois ?
— Je suis d’accord avec Marcus, pour une fois, intervint Justin. On se préoccupera de tout ça après. On a un match à gagner !
Ils tentèrent tous de se secouer et de se focaliser de nouveau sur la rencontre qui les attendait. Il était difficile de se consacrer uniquement au match après l’entente de telles nouvelles, mais ils n’avaient pas le choix s’ils voulaient remporter cette coupe.
Ils quittèrent enfin leurs vestiaires, balais sur l’épaule, pour rejoindre le couloir d’entrée. Les Canons venaient d’être annoncés par le présentateur, et il ne tarderait pas à appeler leurs noms. Ils enfourchèrent leurs Balétoiles, puis foncèrent sur le terrain au moment opportun. Le stade explosa en applaudissements et en cris d’encouragement. Ils se positionnèrent ensuite en large cercle, leurs regards attirés malgré eux par la silhouette inconnue qui volait près des poteaux adverses.
On lâcha le Vif d’Or, qui disparut en un battement d’ailes, puis les traîtres Cognards.
Et enfin, le Souafle fut lancé par l’arbitre, et le match commença.
***
— Tu n’as pas eu d’autres informations ?
Terence secoua négativement la tête à la question de Katie. Il paraissait réellement inquiet cette fois, à tel point qu’il ne dissimulait pas son malaise derrière un rire bruyant, un large sourire ou un humour douteux.
— Je crois que même eux n’en savent pas bien plus. On a retrouvé des traces de venin d’Acromentule dans son palais, heureusement qu’il n’en a ingéré qu’un volume extrêmement faible ou il aurait été mort sur le coup.
— Ils ne savent pas qui a fait ça ?
— Pas encore, mais une enquête officielle a été lancée. Jusqu’ici ils pouvaient fermer les yeux sur les agressions mineures, les vols, mais une tentative de meurtre c’est autre chose. J’ai entendu dire que les relations diplomatiques avec l’Angleterre sont pour le moins tendues. La Ligue est furieuse.
— Tu m’étonnes, marmonna Olivier. Pourtant, je ne pense pas que ça ait réellement été une tentative de meurtre.
— Comment ça ? s’étonna Katie.
— Si la personne qui a fait ça voulait tuer sa victime, on aurait retrouvé des traces de venin bien plus importantes. Non, le coupable savait ce qu’il faisait.
— Ou elle, pointa la journaliste.
— Ou elle, bien sûr. Pour moi, c’est quelqu’un qui a une connaissance des venins et des poisons assez pointue pour blesser sans tuer. Mettre hors d’état de jouer sans attenter directement à sa vie.
— Pas un joueur de Quidditch, donc, railla Terence.
— Mais pourquoi ce joueur en particulier ?
Ils se turent, incapables de répondre à l’interrogation de Katie. Le silence se fit de nouveau dans la loge, et leurs regards se posèrent presque instinctivement sur Marcus, qui semblait mourir tour à tour d’angoisse ou de colère à la suite des différentes actions qui prenaient place sous ses yeux.
Le Gardien remplaçant des Canons était effectivement bien moins bon que son homologue. Il avait déjà laissé passer onze buts, alors que Phoebe n’avait failli qu’une seule fois. Zeke peinait à utiliser sa batte et ne visait juste qu’une fois sur cinq, mais Justin était suffisamment en forme pour compenser un minimum. Le match n’était pas facile, mais clairement à leur avantage.
— C’est quand même bizarre, dit soudain Olivier, comme s’il pensait à voix haute.
— De quoi ? demanda Katie.
Son ami jeta un coup d’œil rapide vers son ancien ennemi. Marcus n’intervenait pas, mais il savait qu’il les écoutait de près, et il savait aussi que ce qu’il allait dire n’allait pas lui plaire.
— C’est comme si… Quelqu’un cherchait à faciliter le parcours des Pies mais à compliquer celui du Club.
À n’en pas douter, Marcus se figea à ces mots, sans pour autant se retourner, ses yeux fixés sur la balle rouge qui volait de mains en mains.
— Qu’est-ce que tu insinues ?
La voix de Terence était prudente et froide. Ami de Katie ou pas, il ne laisserait pas Dubois accuser son ancien capitaine une fois de plus.
— Je dis juste que les coïncidences sont étranges. À votre dernier match, le Poursuiveur se fait attaquer, maintenant c’est au tour du Gardien des Canons. Alors que depuis les huitièmes, j’ai l’impression que les catastrophes s’abattent sur mes joueurs. Roseann qui est ensorcelée, Edmund qui joue avec deux mains gauches comme si on lui avait jeté un sortilège de confusion, la stupide blessure de Drew qui s’infecte… Vous ne trouvez pas ça bizarre ?
— Je trouve tes sous-entendus révoltants, Dubois, grinça Marcus. Pourquoi est-ce que tu ne dis pas clairement que je suis responsable ?
— Je n’ai pas dit ça, se défendit Olivier. Je ne suis pas stupide, tu étais en train de manger avec Terence hier soir, je t’ai vu, tu n’aurais pas pu empoisonner ce joueur. Et j’ai déjà admis avoir tort, non ? Je ne pense pas que tu aurais recours à de tels moyens uniquement pour gagner.
— Alors qu’est-ce que tu veux dire ? demanda Katie.
— Je ne sais pas. Peut-être que quelqu’un agit pour toi, Flint, mais de son propre chef. Quelqu’un qui voudrait voir les Pies gagner le tournoi ?
— Tu insinues que mes joueurs ne sont pas assez doués pour gagner sans aide ? répliqua Marcus d’un ton agressif.
— Non, juste que quelqu’un leur donne un coup de pouce non désiré.
— Je pense qu’Olivier marque un point, dit Katie d’une voix lente. Peut-être que…
Sa voix fut noyée par une brusque clameur. Leurs quatre regards se rivèrent aussitôt sur le terrain, où Chuck fonçait vers le sol à la vitesse de la lumière, l’Attrapeur des Canons le talonnant de près. Ils retinrent leurs souffles jusqu’à ce qu’il réussisse à se saisir de la petite balle dorée, remontant aussitôt en chandelle pour éviter de s’écraser sur le sol. Son homologue ne fut pas si gracieux et dû faire une embardée peu élégante à deux centimètres des brins d’herbe pour ne pas tomber.
— On a gagné ! rugit aussitôt Terence en se levant d’un bond pour taper dans le dos de son ami. Tu vas en demi-finale, mon pote !
— Félicitations ! ajouta Katie, un immense sourire aux lèvres. Je vais devoir consacrer un article entier de Quidditch Magazine à cette prise de Vif d’Or, c’était magnifique !
Olivier n’eut pas le temps de complimenter l’entraîneur à son tour, pas qu’il en ait réellement envie de toute façon : la porte de la loge s’ouvrit brusquement, sur un membre du Ministère français à la mine embarrassée mais ferme.
— Mr Flint, messieurs, madame, bonjour, les salua-t-il avec une petite courbette ridicule, le Traductus leur permettant de comprendre ses paroles. Je suis désolé de vous interrompre, mais nous devons vous poser quelques questions.
Marcus haussa un sourcil interrogateur. Il était loin d’avoir l’air de quelqu’un qui venait de rafler une victoire, mais cela n’avait rien de surprenant vu son caractère taciturne. Même le jour où ses joueurs brandiraient la Coupe, ce sera à peine s’il s’autorisera une ébauche de sourire, Olivier en mettait sa main à couper.
— A quel propos ? demanda-t-il d’un ton abrupt.
— Je pense que vous le savez très bien.
Une femme au regard dur venait d’entrer à la suite du petit homme en tenue officielle. Vêtue d’une cape noire, elle portait le symbole des Aurors sur la poitrine.
— Veuillez nous suivre, s’il vous plaît, ajouta-t-elle, la mine sévère.
— Pas tant que vous ne m’aurez pas donné une raison valable, siffla Marcus, têtu comme toujours.
— Nous voulons vous interroger sur l’agression de Mr. Grégory Duret et l’empoisonnement d’Eric Campton.
— Je n’y suis pour rien.
— C’est ce que nous verrons. Si vous n’avez rien à vous reprocher, vous ne voyez donc pas d’inconvénients à ce que l’on vous pose quelques questions ?
Elle désigna la sortie d’un geste sans équivoque. Marcus hésita encore un instant, mais une bourrade de Terence l’incita à se tenir tranquille. Il poussa un grognement et accepta enfin de quitter sa loge, humilié d’être encadré de la sorte tel un criminel en cavale. Lorsque la porte se referma derrière eux, Terence, Katie et Olivier échangèrent des regards sans équivoque.
— Il faut qu’on trouve qui a fait ça, dit le premier.
— On peut aussi les laisser faire leur travail, suggéra Olivier.
Katie le frappa gentiment derrière la tête à cette remarque, lui tirant une grimace.
— Ça va, ça va, je plaisante. On commence par quoi ?
— Tu étais bien plus enthousiaste quand il s’agissait de prouver la culpabilité de Marcus que son innocence, fit remarquer Katie.
— Épargne-moi tes remarques moqueuses, soupira-t-il. De toute façon, comme tu as bien pu le voir, je ne suis pas un enquêteur très efficace, alors pourquoi ne pas laisser les officiels faire leur travail ?
— Parce que leur opinion est déjà faite, répondit Terence d’un air sombre. Tu as vu leurs regards, non ?
— Et puis, j’ai toujours rêvé d’être journaliste d’investigation, plaisanta Katie. Va prévenir l’équipe. Olivier et moi allons commencer une liste de suspects.
Terence hocha la tête et quitta la salle, tout sauf ravi à l’idée de saper encore une fois le moral des joueurs, surtout après une victoire si spectaculaire. Quant à Katie, elle sortit un rouleau de parchemin, une plume, et ils se mirent au travail.
Olivier s’abstint de faire tout commentaire. Deux Gryffondor travaillant à défendre un Serpentard, on marchait sur la tête !