Le tumulte du stade derrière eux faiblissait de plus en plus tandis qu’ils s’éloignaient pour rejoindre leurs quartiers, encore impressionnés par ce match haut en couleurs, tandis que les spectateurs se dirigeaient dans le sens opposé, vers les tentes qui avaient été plantées à leur intention dans le champ voisin.
— Je ne pensais pas les bulgares si talentueux, avoua Jonathan, avec une mine un peu inquiète.
— Ils ont été brillants, approuva Olivier.
— Si jamais on remporte notre match contre les Catapultes, on a du souci à se faire, marmonna Millie.
— Concentrez-vous d’abord sur le match des quarts de finale, on pensera après au reste, conseilla leur entraîneur. On aura tout le temps de réfléchir à de nouvelles tactiques contre les Vautours si on gagne.
— Parce que tu as des doutes sur notre victoire ? intervint Selina d’un ton sarcastique.
— Bien sûr que non, mais je reste réaliste, nous ne sommes pas à l’abri d’un incident.
Les regards s’égarèrent automatiquement vers Edmund et Roseann. Le premier rougit furieusement, la seconde pâlit et évita leurs yeux inquisiteurs en se cachant derrière les larges bords de son chapeau de paille.
— Je vais sûrement aller faire un tour au chapiteau, lança Aiden en ralentissant le pas. Quelqu’un veut venir avec moi ?
— Pour voir les Vautours se pavaner ? Non merci, grogna Millie.
— Toi, t’as une idée derrière la tête, devina Selina, les yeux plissés, devant l’air innocent du Gardien.
— Pas du tout, se défendit-il d’un air trop vertueux pour être honnête. Je veux juste féliciter mes adversaires pour leur victoire, et me goinfrer de ces petits gâteaux délicieux. Les Français sont vraiment doués en cuisine, vous ne trouvez pas ?
— Tu vas voir une fille, pas vrai ? devina Jonathan.
Aiden ne fit que sourire d’un air équivoque, avant de tourner les talons sur un dernier salut, leur promettant de les rejoindre pour le repas du soir.
— On ne fraternise pas avec l’ennemi ! lança Olivier dans son dos, d’un ton amusé.
Il ne récolta en retour qu’un haussement d’épaules indifférent, tandis que Selina levait les yeux au ciel, avant de reprendre la tête du groupe.
— Laisse-le, je suis sûre que c’est la Batteuse qui lui a tapé dans l’œil. J’ai entendu dire qu’elle n’était pas commode, ça lui fera les pieds.
— Au moins il a l’air d’avoir oublié Jade, ce n’est pas plus mal, fit remarquer Roseann d’une voix douce.
— Certes, admit Selina, mais ce n’est pas une raison pour se jeter à tous les cous qu’il croise.
Depuis quelques jours, Aiden se perdait dans les jupons de chaque femme un tant soit peu attirante sur laquelle il posait les yeux, apparemment à la recherche d’un manque qu’il ne parvenait pas à combler, ce qui avait tendance à agacer sa coéquipière. Elle s’inquiétait de le voir se comporter ainsi, comme si rien n’avait d’importance. Elle savait qu’il ne faisait ça que pour oublier la douleur, et elle était persuadée que c’était de loin la pire manière de se remettre d’une rupture. Sauf qu’elle ne pouvait lui dire ça de but en blanc, elle le connaissait, il n’allait que se braquer et s’entêter.
Dès qu’ils entrèrent dans le parc qui entourait la propriété où ils logeaient, ils s’éparpillèrent en petits groupes, certains partant retrouver leurs proches, les autres plus solitaires se trouvant un petit coin d’ombre pour se reposer. Seule Roseann resta aux côtés d’Olivier, étrangement silencieuse, ainsi que Jonathan, qui paraissait attendre quelque chose.
— Il faut que j’aille retrouver Katie et Terence, dit l’ancien Gryffondor, un peu gêné par ce mutisme inhabituel. Qu’est-ce que vous allez faire ?
Il ne savait plus trop comment se comporter avec sa Batteuse ces derniers temps. Elle avait beau être sortie de son état catatonique inquiétant après sa chute presque mortelle, elle n’en était pas moins renfermée pour autant, elle qui auparavant n’avait pas la langue dans sa poche. Quant à Jonathan, il devinait déjà ce dont il voulait lui parler, et cela le mettait mal à l’aise. Il n’avait jamais été très doué dans le champ relations médiatiques.
— J’aimerais juste vous parler, avant, dit Roseann d’une voix presque inaudible. Si vous le permettez.
— Bien sûr, dit aussitôt Olivier, non sans jeter un coup d’œil à sa montre.
Katie l’attendait depuis déjà dix minutes, et il avait promis d’arriver à l’heure pour essayer de réfléchir à leur enquête et à la personne susceptible de vouloir piéger Marcus. Cette idée lui paraissait toujours aussi risible, aider un Serpentard était tellement hors de ses habitudes qu’il avait l’impression de ne pas se reconnaître.
— Je t’écoute, ajouta-t-il en voyant la jeune femme hésiter. Que se passe-t-il ?
— J’aimerais t’expliquer ce qu’il m’est arrivé la semaine dernière, murmura-t-elle.
Le temps sembla se figer, et enfin, Olivier lui accorda sa pleine et entière attention. Katie et Flint pouvaient bien attendre, il avait trop besoin de cette explication, avec les questions qui le rongeaient depuis quelques temps.
Roseann jeta un regard furtif à Jonathan, derrière la bordure de son chapeau, poussa un léger soupir, puis serra ses mains l’une contre l’autre, comme pour les empêcher de trembler.
— Je t’ai entendu, dit-elle à son Capitaine. Dans le réfectoire, avec ta sœur.
Il ne fallut pas longtemps à Jonathan pour réaliser de quoi elle parlait. Il échangea un regard rapide avec Olivier, dont les sourcils s’étaient froncés, intrigués. Il ne voyait pas le rapport entre la situation maritale du Poursuiveur, et l’état affreux dans lequel avait été Roseann.
— La discussion que j’ai eue avec Laura était privée, fit-il remarquer d’une voix grave.
— Je sais, et j’en suis désolée, mais j’étais juste à côté et… Je n’ai pas tendu l’oreille, vous parliez juste… un peu fort. Et j’ai donc appris que…
— Il sait, la coupa Jonathan en voyant le regard gêné qu’elle lançait à Olivier.
— Oh, très bien. Que tu étais en couple libre, donc. Et ça m’a fait repenser à ce que je t’avais dit, à ce que tu m’avais dit… Et… J’ai fait une bêtise, d’accord, je ne pensais pas que ça prendrait une telle tournure.
Olivier la sentait au bord des larmes. Il posa une main rassurante sur son bras et l’encouragea à poursuivre d’une voix douce.
— Ce n’est pas grave, juste dis-nous ce qu’il s’est passé.
— Je ne voulais plus rien ressentir, avoua Roseann à mi-voix, toujours sans les regarder, gênée. Il y avait toutes ces pensées qui tournaient en boucle dans ma tête. Que tu étais libre, en soit, mais que tu ne voulais juste pas de moi. Parce que je ne suis pas intéressante, que je suis insignifiante, hideuse, et…
— Roseann…, soupira Jonathan d’un air peiné. Ce n’est pas…
— Alors j’ai utilisé un sort, le coupa-t-elle, pour faire taire mes sentiments, tous mes sentiments. Je me suis dit que ce serait mieux, pour toi, pour moi, pour l’équipe, la compétition. Sauf que…
— Ça n’a pas eu l’effet escompté, compléta Olivier, un peu sonné.
Elle hocha le menton, les larmes aux yeux, tandis qu’il se redressait, ne sachant que dire. Il comprenait enfin beaucoup de choses, et il se sentait idiot d’avoir été aussi aveugle, mais ce n’était pas le moment de se fustiger. Il était incertain sur les mots à employer, et il aurait tout donné pour que Katie soit là ; elle savait rassurer les gens bien mieux que lui.
— Je te remercie de me l’avoir dit, lui murmura-t-il du ton le plus doux possible. Je ne suis pas en colère, je t’assure, juste promets-moi que tu ne te remettras plus jamais en danger comme ça ?
— Promis, chuchota Roseann.
— Et il faudra que vous parliez de tout ça tous les deux. En tête-à-tête.
Jonathan acquiesça, ses yeux attristés ne quittant pas le visage de la jeune femme, qui semblait regarder partout sauf dans sa direction.
— Plus tard, marmonna-t-elle. Je dois…
Elle fit un geste vague de la main et partit sans demander son reste. Ils la regardèrent s’éloigner sans un mot, impuissants. Olivier était frustré, il avait l’impression que son équipe se délitait entre ses doigts, alors qu’il avait passé tant de temps à en sélectionner chaque membre soigneusement, à les former, à les entraîner. Jamais il n’aurait pensé que des histoires de cœur puissent instaurer de telles tensions.
— Tu voulais me dire quelque chose aussi ? demanda-t-il à son Capitaine avec un soupir.
— Je voulais juste te montrer ça, je pense que tu aurais voulu savoir, lui dit-il en lui tendant l’édition du jour de la Gazette. Je l’ai reçue ce matin, et… Regarde page cinq.
Intrigué, Olivier jeta d’abord un coup d’œil à la une, où s’étalait un gros titre en lettres capitales : « Un joueur empoisonné, un entraîneur anglais soupçonné ». Il grinça des dents et ouvrit le quotidien à l’endroit indiqué par Jonathan. Il s’agissait de la rubrique « Potins scandaleux de la Coupe d’Europe » de Rita Skeeter, et bien évidemment, la photo de Jonathan embrassant un autre homme à pleine bouche avait une place de choix.
— Ta sœur n’a pas menti, elle a réellement envoyé ça à la presse, grogna Olivier.
— Avec tous les détails, je suppose, grimaça Jonathan, en pointant l’accroche « Le Capitaine du Club : un libertin à la vie sulfureuse ? ». Mais ce n’est pas ça que je voulais te montrer.
Son doigt glissa vers une autre photographie, vers le bas de la page. Olivier pâlit.
— Qui a pu…
— Je ne sais pas, mais je pense que tu devrais mettre Selina au courant.
Sous leurs yeux, la jeune femme se promenait main dans la main avec Nawell, au sein même du parc dans lequel ils se trouvaient, avant de voler un baiser à son amante. Exposée de la manière dont elle redoutait le plus.
Néanmoins, Olivier n’aurait pas besoin de lui faire cette annonce déplaisante, Nawell s’en était elle-même chargée.
Selina était à peine entrée dans la chambre qu’elles partageaient, au deuxième étage de l’aile ouest, que la jeune femme lui sauta pratiquement dessus en brandissant le journal, l’air agité et inquiet.
— Promets-moi de ne pas te mettre en colère.
— Pourquoi est-ce que je…
Ses yeux tombèrent sur la photo avant qu’elle ait pu finir sa phrase. Son cœur s’arrêta dans sa poitrine, et elle eut l’impression de chuter dans un puits sans fond. Ce cliché, cet article, ce titre (« Selina Swann, enfin amoureuse, et c’est une femme qui a ravi son cœur ! »), c’était tout ce qu’elle craignait. Plus rien ne tournerait autour de sa carrière, à présent, elle ne serait plus connue pour ses buts spectaculaires mais pour ses histoires d’amour. Et elle ne parlait même pas du nombre de fans dérangés qui allaient la harceler pendant des mois, ou…
Nawell mit fin à sa tourmente intérieure en lâchant le journal et en prenant son visage entre ses mains. Elle planta ses yeux bruns dans les siens et tenta de lui transmettre toute sa force et sa détermination.
— Ce n’est pas ça qui te définit, et tu le sais, dit-elle farouchement.
— Moi oui, dit Selina faiblement, mais eux…
— Qui eux ? Les pauvres sorciers abrutis qui se laissent embobiner par ces histoires ? Pourquoi est-ce que tu accordes de l’importance à leur avis ?
— Je… Tu ne comprends pas, c’est juste que… Ma carrière, mon talent, tout ça n’aura plus aucune importance ! Maintenant tout ce que les journalistes vont vouloir savoir, c’est comment je t’ai rencontrée, depuis quand est-ce que je suis avec une femme, ou…
Nawell posa une main sur sa bouche, légère, avant de lui effleurer la pommette d’une caresse aérienne.
— Tu es une femme, ma douce. Quelle que soit ton orientation sexuelle, tu es de toute façon ramenée brutalement à ton genre dans les interviews. On a arrêté de compter le nombre de fois où on t’a questionné sur ton style, tes vêtements ou tes coiffures, pas vrai ?
Selina admit la chose en silence. Cela l’avait toujours agacée, mais ses coéquipières étaient victimes du même traitement. Là, c’était différent.
— Et puis, justement, vois ta célébrité comme un tremplin, ajouta Nawell. Qui de mieux qu’une star du Quidditch pour porter la voix de toutes les personnes bisexuelles de ce monde qui n’osent pas encore se montrer par peur du jugement des autres ?
La Poursuiveuse laissa échapper un rire étranglé. Elle n’était toujours pas ravie de ce coming-out forcé, mais les paroles son amante l’apaisaient.
— Et point positif, ajouta-t-elle, nous n’aurons plus besoin de nous cacher. Tu pourras venir voir mon salon de tatouage, enfin ! Et on pourra se promener dans la rue sans avoir peur du regard des autres, manger en tête-à-tête au restaurant, rencontrer nos familles respectives.
— Tu sais que tout ce que tu es train de dire est en train de me faire légèrement paniquer ?
— C’est une bonne panique ?
— Peut-être.
— J’espère bien, parce que je compte bien passer le reste de ma vie avec toi.
Selina sourit, bien plus calme et sereine, avant de l’embrasser avec fougue. Elles se laissèrent happer par ce baiser brûlant, plein de rage contre le monde et de passion l’une pour l’autre.
Au rez-de-chaussée, Olivier se creusait la tête pour savoir comment il allait pouvoir annoncer ça à sa joueuse. Il savait que le sujet était sensible, et il devait avouer qu’il ne savait pas gérer Selina lorsqu’elle explosait de colère, qui balayait tout tel un volcan en éruption. Préoccupé, il ne fit pas attention à ce qu’il faisait et il bouscula Drew, qui sortait précipitamment de la bâtisse.
— Pardon, s’excusa-t-il aussitôt. Tout va bien ?
Il fronça les sourcils devant la grimace douloureuse de son Attrapeur, qui tenait sa main droite pressée contre son ventre.
— Non, admit-il dans un grognement. J’allais justement à l’infirmerie.
— Toujours ta main ? s’inquiéta son entraîneur.
Drew hocha la tête, les dents serrées, devant faire apparemment un effort pour tenter de refouler la douleur.
— Montre, demanda Olivier.
Il ne put retenir une grimace devant la plaie purulente qui s’étalait sur la paume du jeune homme. Cela commençait à devenir vraiment très étrange. Après s’être coupé chez Millie avec un morceau de verre brisé, Drew était allé à l’infirmerie, et Mélody, la Médicomage qui traînait constamment avec Marcus, l’avait guéri en un rien de temps, mais après leur match contre les Balais de Braga, la plaie s’était rouverte et infectée, et rien ne paraissait pouvoir en venir à bout.
— Je vais voir si Mélody peut me guérir ça.
— Elle l’a déjà fait trois fois, répliqua Olivier, demande peut-être à un autre Médicomage, elle n’a pas l’air des plus compétentes.
— Je lui fais confiance, affirma Drew, entêté. Elle dit que je fais juste des réactions allergiques aux onguents et aux potions, elle doit trouver la bonne combinaison, c’est tout.
— Et elle le fera avant notre match contre les Catapultes ?
Il haussa les épaules, embarrassé, et reprit sa main. Il se dirigea vers l’infirmerie lorsqu’Olivier l’arrêta de nouveau.
— Tu as vu Selina ?
— Elle est montée dans sa chambre, mais je ne la dérangerais pas si j’étais toi.
— Comment ça ?
— Nawell a reçu la Gazette ce matin, elle avait l’air pas mal agité et quand je lui ai demandé ce qu’il se passait elle m’a montrée une photo d’elle et Selina, qui a été publiée dans la rubrique de Skeeter. Elle doit être en train de lui annoncer la nouvelle, et à ta place je ne traînerais pas dans les parages.
Olivier acquiesça et le laissa enfin partir. Il devait s’avouer soulagé que Nawell prenne cette responsabilité en charge, elle trouverait certainement mieux que lui les mots qu’il fallait pour rassurer Selina. D’un coup, il se sentit épuisé. Entre la confession de Roseann, les photos de Jonathan et Selina, la main de Drew, il avait l’impression que le sort s’acharnait contre lui.
Il vit d’ailleurs son Capitaine, au loin, qui marchait vers la volière pour envoyer la lettre qu’il avait écrit ce matin à sa femme, et dans laquelle il venait d’ajouter quelques détails sur le match qu’il venait de voir. Mélissa n’avait pu se libérer vis-à-vis de son travail pour venir le voir comme les autres invités des joueurs de la compétition, et la distance commençait à leur peser.
— Olivier ?
— Quoi encore ?
Le soupir lui échappa sans qu’il puisse le retenir. Il commençait à en avoir assez de ces mauvaises nouvelles qui lui tombaient dessus l’une après l’autre. Sans compter que Katie allait le tuer s’il traînait encore plus que ce qu’il était en train de faire.
Il se tourna pourtant vers Edmund avec un sourire conciliant, qui disparut dès qu’il vit son air grave. Le Batteur avait toujours été joyeux, railleur, blagueur, provocateur, et Olivier ne lui avait jamais connu des traits aussi crispés.
— Qu’est-ce qu’il se passe ? demanda-t-il, plus sérieusement.
— Il faut que je te parle de quelque chose d’important. Tu as cinq minutes ?
La réponse était non mais Olivier hocha tout de même la tête et suivit son joueur jusqu’au petit salon qui leur était réservé au deuxième étage, et qui était présentement vide. Ils s’assirent près d’une des larges fenêtres qui donnaient sur le parc, Edmund regardant ses mains serrées l’une contre l’autre, dans une attitude honteuse qui ne lui ressemblait pas.
— J’ai fait quelque chose que je regrette énormément, dit-il d’une voix si basse qu’Olivier fut obligé de tendre l’oreille. J’ai hésité longtemps à te le dire, mais je sais que c’est la meilleure chose à faire.
Olivier attendit patiemment qu’il poursuive, sans le presser. Alors Edmund lui raconta ses problèmes de jeux, ses dettes, la menace de ses créanciers. Il lui conta en quelques mots sa rencontre avec les joueurs de Catapultes, la peur terrible qu’il avait ressentie, l’urgence devant laquelle il était de trouver l’argent, vite.
— Quand on m’a offert la solution sur un plateau d’argent, je n’ai pas pu la refuser, acheva-t-il d’une voix étranglée, la gorge serrée par la culpabilité.
— C’est-à-dire ? demanda Olivier, qui pressentait déjà ce qu’il allait enttendre, et qui savait déjà qu’il n’allait pas aimer ça.
— Un type est venu me voir, il m’a dit qu’il était un des sponsors des Balais de Braga. Et que si je me débrouillais pour que les portugais gagnent, il me filerait un beau petit pactole. Alors…
— Alors tu as fait exprès de mal jouer pour nous faire volontairement perdre, compléta son entraîneur d’une voix blanche.
Edmund n’eut pas la force d’acquiescer et baissa la tête, évitant son regard. Olivier voyait bien qu’il avait honte, qu’il s’en voulait, et il reconnaissait que c’était une bonne chose qu’il soit venu tout lui avouer, mais cela ne changeait pas les faits.
— Tu as trahi ton équipe pour ton bien-être personnel, dit-il d’une voix froide.
— Je sais, et j’en suis vraiment désolé, répondit Edmund en relevant enfin la tête pour planter ses yeux suppliants dans les siens. Je le sais, c’est pour ça que je suis là. Je m’en veux, Olivier, je t’assure. Je ne mérite pas ton pardon, mais…
— Comment est-ce que je peux te faire confiance à partir de maintenant ? le coupa-t-il. Comment est-ce que je peux être sûr que tu ne recommenceras pas pour notre prochain match ?
— Parce que je ne serais pas venu te voir, si j’avais l’intention de recommencer, pas vrai ? Et puis, j’ai reçu une partie de l’argent avant le match, j’ai pu rembourser mes créanciers d’un certain montant et ça a apaisé les choses, avec les bénéfices de la compétition tout ira bien, je te le jure !
Olivier se leva et lui tourna le dos, les épaules courbées par le poids des responsabilités. D’abord Cory, puis Edmund. C’était une véritable épidémie. N’y avait-il personne à qui il pouvait faire entièrement confiance ?
— Tu sais très bien qu’on a aucun Batteur pour te remplacer, jeta-t-il d’un ton sec. Je n’ai pas d’autres choix que de te garder dans l’équipe au moins jusqu’à la fin de la Coupe. À ce moment-là, je réfléchirai à ton cas et je prendrai une décision en conséquence.
Il quitta la pièce sans se retourner ; il avait peur de dire quelque chose qu’il regretterait. Derrière lui, Edmund resta prostré dans son fauteuil, honteux et coupable.
***
— Ton Attrapeur n’a pas l’air au meilleur de sa forme, Dubois, fit remarquer Marcus d’un ton légèrement sarcastique.
— Il a un souci à la main gauche, répondit l’intéressé.
— Je vais finir par te croire quand tu dis que quelqu’un t’en veut dans cette compétition.
Olivier lui jeta un regard en coin peu amène, mais Flint ne paraissait pas chercher la bagarre, alors il s’abstint de tout commentaire.
Ils s’étaient une fois de plus installés tous les quatre dans leur loge, d’où ils avaient une vue privilégiée sur le terrain et dont les murs vitrés étaient insonorisés pour les isoler du bruit de la foule. Ils étaient peut-être moins investis dans le match, mais au moins ils pouvaient garder la tête froide.
Sous leurs yeux attentifs se déroulaient la dernière rencontre des quarts de finale, le Club de Flaquemare contre les Catapultes de Caerphilly. Et le moins qu’on puisse dire était que c’était loin d’être une partie de plaisir. Les gallois étaient brutaux, rapides, sans pitié, et les joueurs du Club peinaient à lutter.
Dans leurs dos, Terence et Katie parlaient à voix basses, penchés sur une liasse de parchemins noircis d’écriture.
— Je ne comprends pas pourquoi vous vous acharnez, lança soudain Marcus, alors que Selina marquait un but spectaculaire.
— Et moi je ne comprends pas pourquoi tu ne t’inquiètes pas plus que ça, répliqua Terence. Au vu des soupçons qui pèsent sur toi, tu devrais faire comme nous et essayer de trouver qui est derrière tout ça.
— Tu viens de le dire, ils n’ont que des soupçons, aucune preuve, et ils m’ont relâché dès mon interrogatoire terminé, pas vrai ? Ils n’ont rien contre moi, et ils n’auront rien, parce que je n’ai rien fait.
— Belle théorie, confiance en soi intéressante, mais mauvais plan, commenta Katie d’un ton pragmatique.
— Je suis d’accord avec vous, intervint Olivier, mais le fait est que vous cherchez dans le vide. Les services officiels ont des moyens que nous n’avons pas, et pour le moment vous voyez bien que nos recherches ont été inutiles. Interroger des gens au hasard ne va pas beaucoup aider.
— Si tu as des remarques à faire sur notre manière de procéder Dubois, tu n’as qu’à y mettre un peu du tiens, lança Terence d’un ton aigre.
— Je… Oui !
Olivier se leva d’un bond, brandissant son poing droit en l’air, faisant sursauter Marcus. Aiden venait d’arrêter un tir lobé époustouflant, et avait renvoyé le Souafle vers Jonathan, qui avait marqué avec brio, creusant l’écart. Les Catapultes avaient beau avoir une attaque superbe, leur défense laissait clairement à désirer, et ils s’en sortaient très bien pour le moment, avec un score de deux cents trente à soixante-dix.
— Pardon. On disait quoi ?
— Que tu critiques beaucoup sans aider, fit justement remarquer Katie.
— Ah oui, et donc j’allais dire que…
Il s’interrompit de nouveau, pâlissant à vue d’œil. L’Attrapeur gallois fonçait vers une petite balle dorée qu’il était le seul à voir, et Drew était beaucoup trop loin et instable sur son balai pour qu’il y ait le moindre espoir. Edmund lança un Cognard avec l’énergie du désespoir pour le dévier de sa trajectoire, mais c’était trop tard. Le match était fini.
— Ça va, Dubois, fait pas cette tête, lança Marcus avec flegme. Vous avez gagné, à dix points près, on peut dire que vous avez eu de la chance.
Olivier sentit toute la tension s’échapper de son corps et il s’écroula de nouveau sur son fauteuil, vidé de toute énergie.
— On est en demi-finale, murmura-t-il, l’air de ne pas y croire. On est en demi-finale !
— Oui, c’est bon, on a compris, grimaça Flint en levant les yeux au ciel. Bonne chance contre les Vautours, ils sont coriaces.
— Peut-être qu’un jour on va finir par avoir la fin de sa phrase, commenta Terence, indifférent à toute cette agitation.
— Pardon, répondit Olivier, encore secoué. Ce que j’essaye de vous dire depuis tout à l’heure, c’est qu’il faudrait peut-être chercher du côté d’un groupe de suspects vers qui pointent tous les indices.
— C’est-à-dire ?
Katie semblait sceptique lorsqu’il se tourna vers elle, le visage calme l’excitation de la victoire brillant encore dans ses prunelles.
— C’est évident, non ? L’état de Roseann a empiré après être allée à l’infirmerie, pareil pour Drew. Le joueur des Canons a été empoisonné minutieusement, juste assez pour le mettre hors d’état de nuire mais pas assez pour le tuer, et on en a parlé, le dosage est… disons délicat. Et le Poursuiveur des Tapesouafles n’était pas à 100% guéri pour son match alors qu’il n’avait que des blessures superficielles pouvant être guéries rapidement.
— Je ne saisis toujours pas, répondit Terence.
Olivier se retint très fort pour ne faire aucune remarque sur les capacités intellectuelles limitées des Serpentard et répondit enfin à leur interrogation silencieuse.
— C’est un Médicomage qui a fait le coup.