— Ils se débrouillent bien, commenta Terence.
— Il ne faut pas qu’ils relâchent leur concentration, surtout, répliqua Marcus, les dents serrées.
Crispé de la tête aux pieds, il regardait ses joueurs voler d’un bout à l’autre du terrain, avec une dextérité plutôt impressionnante, il fallait l’avouer. Ils étaient en forme, bien plus qu’il ne l’aurait cru au vu de leurs problèmes personnels ou des évènements actuels. La rage de vaincre et la finale qui se profilait leur donnait l’énergie nécessaire pour se battre.
Malgré la chaleur accablante d’août, le stade était rempli et le vacarme insupportable. Les supporters espagnols occupaient un bon tiers des gradins, tout comme les fans anglais et écossais qui agitaient des drapeaux noir et blanc aux couleurs des Pies de Montrose.
— Jamais je n’aurais pensé que les Grands-Ducs arriveraient jusqu’ici, commenta Terence. C’est leur première compétition, non ?
— Ils ont formé l’équipe six mois à peine avant l’ouverture de la Coupe, répondit Katie, qui grignotait un paquet de Dragées surprises juste à côté. Il n’y a pas à dire, ils sont impressionnants. Ils iront loin.
— En tout cas cette fois-ci, il n’y a pas eu de soucis avec leurs joueurs, ils doivent être plus résistants que vos anciens adversaires, ironisa Olivier.
— La ferme, Dubois, tu vas me porter malheur.
— La personne derrière tout ça s’est peut-être fatigué ? suggéra Terence.
— Ou elle n’a pas eu l’occasion de frapper, cette fois, contredit Katie. Oh, joli.
Les espagnols venaient de marquer un but spectaculaire, et Marcus le reconnaîtrait volontiers, si ce n’était pas son équipe qui était en face. Il jeta donc un regard noir à l’ancienne Gryffondor, avant de reporter son attention sur le match, une boule d’angoisse dans le ventre. Plus la finale se rapprochait, et plus il était désespéré d’obtenir la Coupe. S’ils ne la remportaient pas, il serait écrasé par la honte. Il refusait d’être le premier entraîneur avec lequel les Pies ne raflaient pas la victoire.
— Détends-toi Marcus ou tu vas finir par te casser une dent, dit Terence d’un ton amusé. T’en fais pas, ils sont bons tes joueurs, et en pleine forme, ça va le faire.
— Le score reste serré, remarqua cependant Olivier, d’un ton trop innocent pour être honnête.
— Tu feras moins le malin quand ton équipe jouera, Dubois, grommela-t-il entre ses dents.
— Peut-être, mais en attendant c’est assez drôle de te voir…
— Regardez !
Le cri alarmant de Katie les interrompit et empêcha Marcus de répliquer. Il reporta immédiatement ses yeux sur le terrain, cherchant aussitôt du regard les Attrapeurs, persuadé que tout était fini, mais ce n’était pas ce qui avait alerté la Gryffondor.
Près des poteaux adverses, le Gardien des Grands-Ducs hurlait, entouré de flammes.
— Est-ce que… sa robe a pris feu ? demanda Terence, interloqué, les yeux écarquillés d’horreur.
— Où sont les sorciers urgentistes ?
Inquiet, Olivier tendit le cou pour tenter de les apercevoir, sans succès. Sur le terrain, un des Batteurs s’était approché de son coéquipier, mais sans pouvoir faire grand-chose : les baguettes étaient strictement interdites lors des matchs. Dans son agitation à essayer d’éteindre les flammes, le joueur espagnol finit par glisser de son balai, provoquant chez la foule un cri unanime de terreur. Il se tenait au manche du bout des doigts, hurlant à s’en arracher les cordes vocales.
— Pourquoi personne n’intervient ? s’impatienta Katie d’un ton angoissé. C’est inadmissible ! Je…
Elle n’eut pas le temps d’exprimer tout son mécontentement que les flammes disparurent comme elles étaient venues, laissant spectateurs et sportifs stupéfaits. Le Batteur s’approcha pour aider le Gardien secoué à remonter sur son balai. L’homme tremblait tellement qu’il paraissait en grande difficulté pour rester en l’air. Une troisième silhouette s’approcha d’eux, un des Poursuiveurs. Quelques secondes plus tard, ils atterrissaient au sol et le match prenait fin sur un forfait de l’équipe espagnole.
L’action s’était déroulée si vite que le temps sembla se suspendre un instant, comme si personne ne réalisait pleinement ce qu’il venait de se passer. Puis un indicible brouhaha s’éleva de la foule perplexe, une clameur que le commentateur ne parvenait pas à calmer.
Indifférent à la pagaille générale, Marcus quitta sa cahute pour se ruer en direction des vestiaires. Cette fois-ci, c’était trop. Le joueur des Tapesouafles pouvait n’être qu’un regrettable incident, celui des Canons une coïncidence étrange tout au plus, mais à présent il ne pouvait nier que quelqu’un cherchait clairement à lui nuire. Pour quelle raison ?
Absorbé dans ses noires pensées, il fila d’un pas rapide, sans voir que les trois autres s’étaient accrochés à ses talons, tout aussi inquiets que lui. Ils avaient le sentiment que les choses prenaient de l’ampleur, et ce n’était pas pour leur plaire.
Ils retrouvèrent l’équipe des Pies au complet dans leur vestiaire, l’air dérouté et perdu.
— Marcus ! s’exclama Phoebe en le voyant. Tu sais ce qu’il s’est passé ?
— C’est plutôt à vous qu’il faut demander ça, vous étiez plus près, dit-il en aboyant presque.
— Je n’étais pas loin de lui quand les flammes se sont déclarées, annonça Gabriel, qui avait l’air passablement secoué. Elles ont semblé sortir de nulle part et embraser sa robe. Je… J’ai senti de la chair brûlée et…
Il s’interrompit, la gorge nouée, incapable de décrire plus l’horreur à laquelle il venait d’assister.
— Et vous avez vu pourquoi les flammes ont disparu d’un coup ? demanda Katie.
Ils secouèrent la tête négativement, partageant tous le même malaise et la même question : qui avait bien pu être assez tordu pour faire ça ?
— Pourquoi aucun Guérisseur n’est intervenu ? Vous les avez vus ?
La question d’Olivier sembla les sortir d’une certaine torpeur. Ce fut Chuck qui lui répondit, d’une voix blanche et manifestement atteint par ce qu’il venait de voir.
— Ils étaient là, en bas, mais ils se disputaient je crois. Je les ai vus faire des grands gestes, mais aucun n’a enfourché son balai.
— Ils devaient sûrement attendre qu’il tombe pour ralentir sa chute et le traiter sur le sol, suggéra Sara. Ils ne sont jamais très à l’aise dans les airs.
Il fallait admettre que son raisonnement n’était pas idiot, même si cela ne satisfaisait pas entièrement Marcus. Qui pouvait bien être derrière ça ?
Il n’eut pas le loisir de leur poser davantage de questions, ni même de leur dire un mot sur leur passage en finale. Cette fausse victoire lui laissait un goût amer dans la bouche, il n’aimait pas gagner par défaut. Cependant, il ne put prononcer aucune parole : quelqu’un frappa un coup sec à la porte, et il eut immédiatement un mauvais pressentiment. Ce fut Terence qui alla ouvrir, le visage poli et les traits lisses, mais l’angoisse se lisant sans mal dans son regard.
— Oui ?
— Je suis à la recherche de Mr Flint, lança une voix sèche. Et de son équipe. Nous devons les placer en quarantaine. Ils sont soupçonnés d’agression physique, d’empoisonnement et de crémation volontaire.
***
— Je n’en reviens pas qu’on nous ait parqué ici comme des animaux ! pesta Marcus pour la dixième fois, furieux.
— Tu te répètes, commenta Phoebe d’un air blasé.
— On a l’impression que ça ne te fait rien d’être enfermée ici, fit remarquer Sara, nerveuse. Je me sens comme une criminelle alors que je n’ai rien fait.
— Ils sont obligés d’enquêter un minimum, la rassura Gabriel. Et lorsqu’ils se seront aperçus que nous n’y sommes pour rien, tout rentrera dans l’ordre.
— De toute façon, on ne peut rien faire de plus, conclut Phoebe en haussant les épaules. Autant se mettre à l’aise.
Sur ces mots, elle s’installa un peu plus confortablement dans le fauteuil qu’elle occupait et se replongea dans son livre, qu’elle avait piquée sur une des étagères.
On les avait enfermés dans la petite bibliothèque du rez-de-chaussée, qui regorgeait d’ouvrages en toutes langues. À travers les fenêtres, ils pouvaient voir le ciel bleu qui les narguait et les autres habitants de la bâtisse se prélasser au soleil. Ils avaient observé des allers-retours agités un peu plus tôt de la part de certains officiels aux visages inquiets, et depuis quasiment plus rien ne bougeait. C’était à peine si on leur avait jeté un mot avant de refermer la porte et de l’ensorceler d’un coup de baguette pour la verrouiller.
— C’est scandaleux, dit soudain Marcus d’une voix brusque, je refuse qu’on nous traite ainsi.
Il frappa du poing contre le panneau de bois, avec tant de force que le battant en trembla sur ses gonds. Justin l’arrêta en posant une main ferme sur son bras, un avertissement clair dans le regard.
— Je pense que les relations diplomatiques entre la France et l’Angleterre vont être assez tendues après ça sans que tu en rajoutes.
— Je déteste ça, mais il a raison, soupira Toby.
— Pourquoi tu détestes dire ça ?
— Parce que tu es insupportable quand on reconnaît que tu as raison.
— C’est faux.
Néanmoins, le large sourire fier qui barrait le visage de Justin démentait ses dires. Marcus n’eut cependant pas l’occasion de décharger sa colère sur eux, car la porte s’ouvrir enfin. Il s’attendait à voir un officiel du Ministère, mais il fut surpris lorsque Terence se glissa dans la pièce.
— Qu’est-ce que tu fous là ?
— Sympa comme accueil, ironisa son ami.
— C’est pas le moment de faire de l’humour, Higgs. Qu’est-ce qu’il se passe ? Il ne nous ont rien dit.
— Ils soupçonnent un complot de grande envergure, soupira Terence. Ce ne serait pas la première fois que ça arriverait dans une compétition telle que celle-ci de la part d’une équipe entière.
— Quoi ? s’exclama Sara, scandalisée. Ils pensent vraiment qu’on est responsable de ce pauvre garçon en flammes ? On était loin de lui sur le terrain, et on n’avait même pas nos baguettes !
— Vous n’en auriez pas eu besoin, sa robe était enduite d’un produit inflammable, qui déclenche des flammes après très précisément trois heures au contact de l’oxygène. La quantité versée a été mesurée avec minutie. Juste assez pour le déstabiliser sur un court laps de temps, mais pas assez pour le tuer.
— Aucun de nous n’aurait les connaissances ou même les moyens de mettre ça en place, répondit Toby en fronçant les sourcils.
— Je pense aussi.
Terence lança un regard appuyé à Marcus. Cela appuyait d’autant plus leur théorie du Médicomage. Enfin, celle d’Olivier. Marcus l’avait rejetée en bloc, mais il devait admettre de mauvaise grâce que Dubois avait peut-être un fond de vérité.
— Quoi qu’il en soit, vous êtes en quarantaine jusqu’à ce qu’ils vous innocentent. Ils ne veulent pas que l’histoire s’ébruite dans la presse, étant donné que vous êtes finalistes, cela pourrait remettre en question toute la compétition.
Ils échangèrent entre eux des regards inquiets, tendus. L’idée d’avoir fait tout cela pour rien les crispait, et encore plus d’être suspectés de tricherie et accusés d’agressions qu’ils n’avaient pas commis. Il était difficile pour eux de rester calmes et d’attendre patiemment après ce genre d’annonce.
— Et le joueur ? demanda enfin Chuck. Il va bien ?
— Il est à l’infirmerie, il devrait se remettre assez vite, répondit Terence. Il est surtout en état de choc. Un peu de chair brûlée, mais rien que la magie ne puisse régénérer rapidement. Il faut que je vous laisse, ils ne m’ont autorisé que cinq minutes. Ils devraient venir vous interroger d’ici peu de temps.
Il s’apprêtait à sortir lorsque Marcus le retint et chuchota une requête d’une voix précipitée à son oreille. Les yeux de Terence s’illuminèrent un bref instant, puis il hocha la tête et sortit enfin.
— Il n’y a plus qu’à attendre, grommela l’entraîneur.
Les sourcils froncés, il se mit à faire les cents pas dans la pièce, son cerveau fonctionnant à toute allure. Fatigués de le voir si agité, ses joueurs s’éparpillèrent dans la pièce en évitant soigneusement de le regarder ; il n’avait pas besoin de son angoisse à lui pour s’ajouter à la leur.
Phoebe ne tarda pas à mettre son livre de côté - il ne la passionnait pas le moins du monde, et s’installa dans une des alcôves qui couraient le long des murs, où elle sortit parchemin et plume pour écrire une petite histoire qui lui trottait en tête. Depuis qu’elle était en France, son imagination s’était tarie, elle avait moins d’inspiration, mais cela semblait lui revenir ces derniers temps. Elle reprenait goût à l’écriture et se perdait de nouveau dans les mondes qu’elle créait.
Cela ne devait pas être étranger avec le fait qu’elle s’était enfin confiée à Arnold sur la véritable raison de ses recherches et ses potions, et qu’il lui avait répondu d’un simple « je t’aime », qui était bien suffisant pour lui apporter tout le soutien dont elle avait besoin. Il la comprenait et il l’aimait ; c’était tout ce qu’elle avait besoin de savoir pour s’épanouir sans s’inquiéter de l’avenir.
Toby et Justin avaient sorti un jeu d’échecs et s’étaient assis face à face dans un coin de la pièce, l’un prenant les blancs l’autre les noirs.
— Je n’ai pas joué depuis beaucoup trop longtemps, tu vas me ratatiner, soupira le Batteur. Pion en E5.
La petite figure blanche s’avança à l’endroit demandé, sous les yeux un peu rêveurs de Toby. Justin dut claquer des doigts sous son nez pour qu’il s’aperçoive que c’était à son tour de jouer.
— Pardon. Pion en B4.
Ils continuèrent à jouer quelques instants sans prononcer aucune autre parole que celle adressé à leurs pièces, jusqu’à ce Justin craque et finisse par lui demander ce qui n’allait pas.
— Tout va bien, affirma Toby.
— Je ne suis peut-être pas la personne la plus intelligente de cette pièce, mais je vois bien que non. On vient d’atteindre notre place en finale et tu tires une tronche d’enterrement.
— On est enfermé ici parce qu’on nous soupçonne d’avoir attenté à la vie de quelqu’un, fit remarquer le Poursuiveur d’un ton placide.
— Certes, mais je sens que ça va au-delà de ça. Loin de moi l’idée de me vanter, mais j’ai l’impression de te connaître de mieux en mieux.
Toby poussa un soupir et s’écarta de l’échiquier, son regard se perdant par la fenêtre à sa gauche. Sa mâchoire se contracta, et Justin révisa intérieurement son jugement. Il ne paraissait pas triste, mais profondément en colère.
— J’ai reçu une lettre de Kay juste avant le match, répondit-il enfin.
— Ah, une réponse du Ministère concernant votre demande d’adoption ?
— Pas exactement. Ma mère est passée chez nous en mon absence. Il semblerait que ce soit de sa faute si notre demande n’a pas abouti.
— Comment ça ?
— Elle leur aurait écrit pour dénoncer notre mode de vie de dépravés.
— Je ne comprends pas, avoua Justin après un court instant de silence. Pourquoi ta mère ferait ça ? Et que veut-elle dire par…
— Elle me hait, le coupa Toby d’une voix froide. Depuis que je lui ai dit que j’étais gay, c’était comme si je n’existais pas à ses yeux. J’avais promis à Olivia, ma sœur, ajouta-t-il devant le regard perdu de son coéquipier, que je ferais des efforts avec elle mais après ça… Je ne pourrais jamais lui pardonner.
— Le bon côté de la chose, c’est que vous pourrez sûrement adopter, tenta Justin, dans l’espoir de lui remonter un peu le moral.
— Je ne sais pas s’il est possible de rattraper les dégâts qu’elle a causés. Elle aurait apparemment donné des preuves… Je ne sais pas, je n’ai pas tout compris de ce que m’a dit Kay, il avait l’air assez secoué, mais…
— Je ne t’ai jamais vu baisser les bras jusqu’ici, tu ne vas quand même pas commencer maintenant ? Écris au service d’adoption, explique-leur la situation, je suis sûr qu’ils reconsidéreront les choses.
Son ton affirmé et sûr de lui tira un sourire à Toby, qui ferma les yeux un bref instant, avant de se tourner de nouveau vers lui et leur jeu d’échecs. C’était sûrement les mots qu’il avait le plus besoin d’entendre actuellement, et il ne savait comment exprimer sa gratitude.
— Merci, se contenta-t-il de dire.
Justin secoua la main, comme pour dire que ce n’était rien, et demanda à sa tour d’aller en H4. Ils continuèrent à jouer, comme si leur conversation n’était jamais arrivée, à la seule exception près que Toby paraissait plus détendu. Après quelques échanges, et alors que les pièces éliminées commençaient à s’entasser sur le bord du plateau, il lui demanda l’air de rien des nouvelles de Kylie. Justin se crispa légèrement, mais parce qu’il s’en voulait encore de ce qu’il avait fait.
— Elle va bien. Jusqu’à ce que je rentre du moins.
— Qu’est-ce que tu veux dire ?
— Je pense que je vais tout lui dire, murmura le Batteur d’un air un peu absent. Elle mérite de savoir. Et si elle décide de me quitter, elle aura sûrement raison, mais je ne peux pas continuer à mentir comme ça, même si c’est fini avec… Rita.
— Pour ce que ça vaut, je pense que c’est la bonne décision, répondit Toby d’une voix douce.
Ils échangèrent un sourire presque fatigué, reconnaissants l’un envers l’autre pour cette discussion qui leur avait fait du bien, malgré les circonstances actuelles. D’un accord tacite, ils revinrent à leur jeu, les épaules plus légères, et leur partie se conclut sur une victoire sans appel de Justin.
Affalés sur les fauteuils près de la cheminée éteinte, Zeke et Gabriel parlait, ou plutôt Gabriel discourait avec enthousiasme et Zeke grognait aux moments opportuns, n’écoutant que d’une oreille.
Le Poursuiveur avait appris hier qu’un de ses nombreux cousins était compatible avec sa sœur Daisy, et il acceptait de lui donner un rein, ce qui était une excellente nouvelle pour toute la famille. Elle pourrait sortir de l’hôpital dès l’opération achevée, et il était si heureux pour elle, si pressé de la serrer dans ses bras, qu’il ne parlait que de ça.
Zeke, lui, ne parvenait pas à soutenir une réelle conversation, plongé qu’il était dans les pensées qui l’affligeaient de toutes parts. Une grosse partie de son cerveau était tournée vers le manque, la drogue, les tremblements qu’il tentait de cacher en s’agrippant fort à ses accoudoirs, la sueur sur son front qu’il essayait d’essuyer discrètement, les potions qui le calmaient et auxquelles il n’avait plus accès, la panique que tout cela engendrait.
Il était presque heureux que le match ait pris fin de cette manière, où il n’était pas sûr d’avoir pu rester sur son balai jusqu’au bout, et encore moins batte en main. Comment allait-il pouvoir faire en finale ? Il avait l’impression de trahir ses coéquipiers s’il ne remédiait pas à son problème. Mais s’il décidait de se calmer avec quelques pilules, rien que le temps du match, il trahissait sa promesse à Marcus, sa promesse à Althea.
Elle aussi occupait une grosse partie de ses pensées, mais pas aussi importante qu’elle ne devrait. Depuis quelques temps, Zeke sentait ses yeux chercher Sara, son esprit s’envoler vers elle, son corps réclamer le sien dans la nuit depuis qu’elle l’avait rassuré il y a quelques jours. Il avait du mal à faire le tri dans toutes ces émotions qui l’agitait. Son attirance pour Sara, sa culpabilité pour Althea. Et la drogue, le manque, toujours plus important que tout.
S’il continuait ainsi, il allait devenir fou.
Alors que Gabriel continuait son monologue, Zeke sentit son regard s’égarer de l’autre côté de la pièce. Inconsciemment, il ne pouvait s’empêcher de la comparer sans cesse avec sa fiancée. Il lui trouvait une beauté bien plus naturelle, bien plus brute, un charme plus authentique. Elle était moins superficielle, plus douce, plus…
Il détourna la tête brusquement lorsqu’elle le regarda à son tour, comme sentant le poids de son regard. Il ne pouvait pas avoir ce genre de pensées, pas alors qu’il était avec une autre. Il serra les poings, les dents, et tenta de se concentrer sur les paroles de son ami. Bien qu’il sente toujours les yeux de Sara lui brûler la peau.
— Sara, tu m’écoutes ?
— Pardon ?
La Poursuiveuse arracha enfin son regard de Zeke pour tourner la tête vers Chuck, qui parlait dans le vide depuis quelques minutes.
— Tu as entendu ce que j’ai dit ?
— Non, pardon, je ne t’écoutais pas, avoua-t-elle, honteuse. Tu me parlais de ta famille ?
— Oui, je disais que je n’ai pas envie de laisser ma… sœur à la merci de mes parents.
— Ce que je peux comprendre, vu ton passif avec eux, mais tu n’y peux pas grand-chose, non ?
Nerveuse, elle mordillait l’ongle de son pouce, faisant tous les efforts du monde pour maintenir son attention sur la conversation, et non sur ce qui lui préoccupait réellement l’esprit.
— Oui, mais si je ne tente rien je ne pourrais plus jamais me regarder dans une glace, soupira Chuck d’un air amer. Je pense que ça vaut le coup d’essayer, au moins, dès qu’on sera rentré en Angleterre.
Sara acquiesça du menton, incapable d’une réponse plus construite. Son ami se tut et l’examina attentivement, semblant lire en elle comme dans un livre ouvert.
— Toi, tu me caches quelque chose, affirma-t-il.
— Pas du tout, se récria-t-elle, d’un ton bien trop innocent pour être honnête.
— Je te connais, Sara, qu’est-ce qu’il se passe ?
Elle était presque résolue à ne rien dire, mais son regard qui s’envola vers leur Capitaine eut lieu de confession.
— Zeke ? Encore ? Je croyais qu’on en avait fini avec ça.
— Ce n’est pas ce que tu crois, dit-elle d’un ton pincé. Disons juste que… il m’a confié quelque chose d’important, que je ne peux pas répéter. J’ai essayé d’en parler avec lui, mais depuis il m’évite.
— Important du genre ?
— Je ne peux pas te le dire.
— D’accord, d’accord, capitula Chuck. Ça a l’air de te tracasser, pourtant. S’il ne veut pas t’en parler, force-le. Impose-toi et…
— Ce n’est pas si simple. Tu ne peux pas comprendre, c’est juste que…
Elle s’interrompit, embarrassée. Elle ne pouvait décemment pas dire qu’elle ne voulait pas le presser d’aucune sorte que ce soit car elle craignait qu’il ne bascule de nouveau dans l’utilisation de stupéfiants. Heureusement, la porte qui s’ouvrit l’empêcha de répondre et lui permit de se soustraire au regard curieux et inquisiteur de Chuck.
Ce ne fut cependant toujours pas un officiel du Ministère qui entra, mais la petite Médicomage a l’air timide qui passait beaucoup de temps avec Marcus. Les joueurs, après s’être dressé avec espoir, retombèrent dans leur apathie d’un air morne, contrairement à leur entraîneur, qui fonça sur Mélody avec la délicatesse d’un Hippogriffe.
— Terence m’a dit que tu voulais me voir, dit la jeune femme d’une voix timide. Que se passe-t-il ? Ils vous ont dit pourquoi…
— J’ai besoin de ton aide, la coupa-t-il d’un ton abrupt.
— Tout ce que tu voudras, affirma-t-elle, un peu surprise.
— J’ai besoin que tu enquêtes pour moi.
— Comment ça ?
— Dubois pense que c’est un Médicomage qui a fait le coup, et j’ai tendance à, malheureusement, être d’accord avec lui, ne lui répète surtout pas. Et quoi de mieux qu’une Médicomage pour enquêter en interne ?
— Tu veux que… Je ne peux pas me renseigner sur mes collègues ! Et puis pourquoi…
— S’il te plaît. Pour moi et pour eux.
Le regard curieux de Mélody balaya la pièce et les joueurs de son équipe préférée. Puis elle sembla enfin comprendre et ses yeux s’écarquillèrent.
— Ils vous pensent coupables de ce qui est arrivé ?
Elle avait l’air sincèrement surpris et catastrophé. Marcus hocha le menton, résistant à son envie de la secouer.
— Alors ?
— Bien sûr, je vous aiderai, affirma-t-elle. Je trouverai qui a fait ça, je te le jure. Vous ne pouvez pas être accusé d’une telle chose quelques jours avant la finale, c’est ridicule, et je…
Marcus n’était pas loin de lui couper la parole une nouvelle fois lorsqu’un Auror entra enfin dans la salle. Il jeta un regard peu amène à cette inconnue qu’il ne s’attendait pas à trouver là, et Mélody fila sans demander son reste. Ils se rassemblèrent tous sous l’œil froid du français au visage sévère, comme attendant leur sentence.
— Nous avons corroboré plusieurs éléments vous ayant disculpé, dit-il d’une voix sèche. Certains témoignages nous ont également permis de vous innocenter. Néanmoins, ajouta-t-il, son regard s’attardant particulièrement sur Marcus, sachez que nous vous tenons à l’œil et que vous serez sous étroite surveillance ces prochains jours afin de prévenir tout incident.
— Je croyais que vous venez de dire qu’on était innocenté, intervint Justin.
— Vous n’êtes pas sans savoir, poursuivi l’homme en ignorant totalement le Batteur, qu’une infraction au Code du Quidditch International est synonyme de lourdes peines. Si jamais une nouvelle agression a lieu, nous avons l’autorisation d’utiliser du Veritaserum.
Son regard clair balaya le groupe d’un air implacable, puis il s’écarta enfin du seuil pour les laisser sortir, ce qu’ils firent l’un derrière l’autre, crispés et tendus. Ils avaient beau être libres, il n’était pas agréable de se faire traiter en criminel.
Marcus fut le dernier à quitter la pièce, les yeux lourds de l’Auror sur sa nuque, semblant lui trouer la peau. Il était clair que si ça n’en avait tenu qu’à lui, il serait sorti chaînes aux poignets.
Sans surprise, il tomba nez à nez avec Terence et Katie quelques mètres plus loin, Dubois deux pas en arrière.
— Il va falloir que ça cesse, gronda-t-il, furieux de l’injustice qu’il venait de subir.
— Terence nous a dit pour Mélody, intervint Katie. Elle trouvera quelque chose.
— Et si elle ne trouve rien ?
Un grand silence suivit la remarque inquiète de Dubois. Aucun d’eux n’avait la réponse à cette question.