— Et le Souafle est récupéré par Swann, qui le lance à Abrams. Une belle esquive d’un Cognard envoyé par Petrova, la balle à Swann de nouveau, une passe à Bainbridge, une feinte et… Le Souafle est récupéré par Ivanova, qui vole sans attendre vers les buts adverses ! Et joli coup de Martinez, Ivanova lâche le Souafle, récupéré par Abrams, qui…
La voix du commentateur tonnait dans le stade rempli, couvrant le brouhaha des spectateurs. Il avait à peine le temps de prononcer les noms des joueurs tellement le Souafle changeait vite de mains. Debout dans la cabine de l’entraîneur, Olivier se rongeait les ongles avec anxiété, sous le regard narquois de Marcus.
— Je t’avais dit que quand ce serait ton tour tu ferais moins le malin.
— La ferme, Flint.
— C’est mignon, vous vous envoyez des petites piques maintenant, ironisa Terence. On pourrait presque croire que vous êtes devenus amis.
Deux paires de regards noirs se fixèrent sur lui, mais il n’en fut nullement impressionné et leur retourna uniquement un sourire goguenard, tandis que Katie cachait son rire de manière peu discrète derrière sa main. Ni l’un ni l’autre n’eurent le temps de se défendre, cependant, car une exclamation du commentateur leur fit tous deux tourner la tête.
— Quelle plongée impressionnante de Dimitrov ! Le match prendrait-il déjà fin, mesdames et messieurs ? Il tend le bras et… Quel beau Cognard de la part de Winham ! Il permet à Summers de rattraper son retard, les deux Attrapeurs sont au coude à coude !
— Allez, allez, marmonna Olivier, les poings serrés.
Une boule dans le ventre, il regarda Drew reprendre peu à peu l’ascendant sur son adversaire, lever la main et…
Le commentateur, suivi de la foule, poussa un cri de surprise et d’effroi. La main gauche de Drew, toujours crispée sur le manche de son balai, venait de glisser, et il fit un tonneau qui faillit le faire tomber quarante mètres plus bas. Il ne dut son salut qu’à Dimitrov, qui avait par automatisme tendu un bras pour le retenir. Les deux Attrapeurs restèrent quelques instants accrochés l’un à l’autre, jusqu’à ce que Drew se rétablisse sur son balai. Ils se donnèrent l’accolade et se séparèrent, cherchant des yeux le Vif d’Or qui avait de nouveau disparu, Drew plus pâle qu’un mort.
— Et bien ça alors ! s’exclama le commentateur. Ça c’est ce qu’on appelle du sport ! Je ne pense que nous pouvons tous applaudir l’Attrapeur bulgare pour sa présence d’esprit et son fair-play, nous ne sommes pas passés loin d’une catastrophe ! Et le match reprend, le Souafle est dans les mains d’Abrams !
Tandis que la foule acclamait Dimitrov à grand bruit, Olivier s’autorisa de nouveau à respirer et s’assit en tremblant dans le fauteuil derrière lui. Il était déjà assez stressant de voir la finale se profiler, il n’avait pas besoin d’un nouveau joueur blessé.
— Sa main ne va pas mieux ? s’inquiéta Katie.
— Pas pire, mais pas mieux non plus, grommela Olivier. C’est comme si elle refusait de guérir, mais que l’infection ne veut pas s’étendre en même temps, c’est à n’y rien comprendre.
— Encore un coup du Médicomage mystère, commenta Marcus.
— Non, je ne pense pas, c’est Mélody qui le traite, et elle n’arrive pas à savoir ce qui lui arrive.
— Quelqu’un d’autre l’a examiné ?
— Non, mais si tu veux mon avis, ce n’est pas uniquement pour sa main qu’il va à l’infirmerie tous les jours.
— Il en pince pour la petite docteure ? ricana Terence. Dites-lui déjà que c’est mort, elle n’a d’yeux que pour les Pies.
— En tant que meilleure équipe de ce tournoi, c’est bien normal, ajouta Marcus, d’un ton pince sans-rire.
— La modestie t’étouffe, intervint Katie en levant les yeux au ciel.
L’ancien Serpentard ne répondit pas, trop occupé à réfréner le sourire narquois de naître sur ses lèvres. Il était hors de question qu’il reconnaisse un quelconque sens de l’humour à ces Gryffondor prétentieux, il avait encore de l’estime pour lui-même, merci bien.
— Et Swann marque un nouveau but, clama le commentateur. Amenant le score de cent soixante à cent cinquante en faveur du Club de Flaquemare !
— C’est serré, remarqua inutilement Katie. Ils sont costauds ces Vautours.
Olivier serra les dents et se contenta de fixer avec plus d’intensité encore les silhouettes de ses joueurs qui volaient sur le terrain de plus en plus vite. Ils n’avaient pas l’air de fatiguer, habités comme ils étaient par la rage de vaincre et l’espoir de la victoire, qui devenait de plus en plus réelle et précise dans leurs esprits.
Il priait Merlin pour que Drew réussisse à attraper le Vif d’Or, malgré sa main blessée, et ce le plus rapidement possible. Il se doutait que c’était sûrement utopique et irréalisable, que leurs rêves de gagner cette Coupe s’achevaient ici, face à l’équipe bulgare si impressionnante, mais il refusait de cesser d’espérer.
Et ce fut avec un plaisir indicible mâtiné d’incrédulité lorsqu’il vit son vœu s’exaucer une heure et quarante-quatre minutes plus tard, après un match intensif et palpitant, qui les maintint tous en haleine jusqu’au bout. Ils étaient à égalité, trois-cent-quarante chacun, lorsque Drew referma ses doigts sur la petite balle dorée, signant la fin de la rencontre et leur place en finale.
Ce fut une véritable explosion de joie, dans les gradins, sur le terrain et dans leur cabine. Katie sauta au cou d’Olivier, la foule les applaudit avec bruit, et toute l’équipe entoura Drew d’une étreinte qui faillit tous les faire tomber, mais ils étaient trop heureux pour s’en soucier. Ils atterrirent sur le terrain pêle-mêle, des sourires extatiques sur leurs visages, et saluèrent les bulgares, qui les avaient suivi et les remerciaient pour ce beau match.
— Bien joué, Dubois, concéda Marcus, le visage froid. Rendez-vous en finale.
Il hocha le menton et quitta les lieux sans demander son reste, laissant les autres un rien interloqués.
— Ne vous en faites pas, c’est juste sa manière de dire qu’il vous aime bien, plaisanta Terence.
La remarque les fit rire, et pour la première fois depuis plusieurs jours, ils n’avaient plus ce poids de l’inquiétude sur leurs épaules, et ils savouraient ce goût plaisant de la victoire, qui durerait trop peu de temps. Bientôt, leurs soucis les rattraperaient, mais pour le moment, ils préféraient fêter les choses avec une bouteille de jus de citrouille.
***
Dans les vestiaires, l’équipe ne parvenait pas à s’arrêter de sourire. Oubliés les tracas, les soucis, les tensions, ils redevenaient un groupe uni, grisé par la victoire.
— Les gars, vous vous rendez compte qu’on est en finale ? lança Aiden, l’air de ne pas y croire.
— Il y a des filles ici aussi, je te rappelle, répliqua Selina.
— Toujours à faire ta rabat-joie, Swann.
Il lui jeta un de ses gants de Gardien en pleine tête, qu’elle attrapa sans effort et lui retourna avec tout autant de vigueur.
— Je ne comprends pas comment vous pouvez faire pour avoir cette énergie après un tel match, soupira Millie, épuisée, en s’asseyant sur un banc.
— C’est vrai qu’ils étaient doués, ces Vautours, commenta Jonathan, je suis presque triste de les voir sortir de la compétition.
— Moi aussi, je ne sais pas ce que j’aurais fait sans Dimitrov, dit Drew d’une voix lointaine. Il m’a sauvé la vie.
Edmund, qui était le plus proche de lui, posa une main un peu maladroite sur son épaule, mais qui fit tout de même sourire l’Attrapeur, encore un peu pâle de ce qu’il s’était produit un peu plus tôt.
— Il faut qu’on fête ça, suggéra le Batteur. Je dois avoir un peu de Bièraubeurre dans ma chambre, rendez-vous au salon après nos douches ?
— Je pense qu’il vaut mieux s’en abstenir.
Olivier venait d’entrer dans la pièce, les yeux pétillants de bonheur, mais tout de même sur la réserve.
— On ne voudrait pas crier victoire trop vite, ajouta-t-il. La finale est dans quelques jours, mieux vaut savourer tranquillement votre belle performance et vous concentrer pour faire pareil, si ce n’est mieux, lorsque vous serez contre les Pies.
— Je n’avais pas pensé qu’on allait devoir jouer conte eux, dit Aiden d’un ton songeur.
— T’as pas intérêt à être tendre avec Sara, toi, intervint aussitôt Selina.
Le Gardien allait répliquer, mais il se retint devant l’étincelle de malice dans ses yeux et il se contenta d’une bourrade lorsqu’elle lui tira la langue, telle une gamine joueuse.
— Allez vous reposer, vous l’avez bien mérité, lança Olivier. Je suis fier de vous.
Ils le remercièrent avec chaleur, puis quittèrent un à un la pièce, lui adressant un sourire ou un remerciement murmuré en passant devant lui. Edmund fut le dernier à partir, mais Olivier le retint d’un geste. Il attendit que tous les autres aient disparu au bout du couloir pour lui parler.
— Je n’ai pas oublié, commença-t-il calmement. Je vois que tu agis comme si de rien n’était, alors j’espère que tu ne considères pas tout comme effacé.
— Bien sûr que non, se défendit Edmund.
Il avait perdu son sourire, sa bonne humeur, et ses traits étaient de nouveau tourmentés et tendus. Il baissa la tête, incapable de soutenir le regard de son entraîneur.
— J’ai honte de ce que j’ai fait, je te l’ai déjà dit, murmura-t-il d’une voix sourde.
— J’espère bien, répondit Olivier d’une voix un peu cassante. Je ne vais pas te mentir, Ed’, je n’ai plus aucune confiance en toi, et je ne sais pas si tu arriveras à la regagner un jour. Je n’ai encore rien dit à personne parce que je ne veux pas que ça s’ébruite et que les autres soient déstabilisés juste avant la finale, mais après votre match, tu devras leur dire.
Edmund ne protesta pas. Il savait qu’il avait merdé et avouer ses fautes n’était que la moindre des choses, bien que l’idée ne le ravisse pas. Il n’avait aucune envie de voir la déception et le sentiment de trahison dans leurs yeux, cette simple idée le rendait malade. Il n’avait pas le choix, pourtant, s’il voulait conserver un minimum de l’estime qu’Olivier avait pour lui, et il refusait de se brouiller avec son entraîneur, pour qui il avait beaucoup de respect.
Il quitta le stade la tête basse, rongé par les remords, et toute joie d’avoir gagné évaporée. Olivier le suivit plus lentement, se sentant un peu coupable d’avoir eu cette conversation avec lui juste après un si beau match, mais il n’avait pu la repousser plus longtemps. Peu importait à quel point il regrettait, Edmund devait reconnaître ses erreurs.
Il reprit le chemin de leur bâtiment, où il devait retrouver Katie pour savoir si Mélody lui avait confié quoi que ce soit par rapport à l’enquête qu’elle menait auprès des Médicomages, mais il fut arrêté par Millie avant d’arriver à destination. La Poursuiveuse était assise sur les marches de l’entrée, un peu nerveuse.
— Millie ? s’étonna-t-il. Qu’est-ce que tu fais ici ? Tu ne passes pas l’après-midi avec Robb ?
— Greta est partie faire un tour avec lui près du lac à une vingtaine de kilomètres, je les rejoindrai après, je dois d’abord te parler de quelque chose.
— Dis-moi tout.
Il voulut s’asseoir près d’elle mais elle se leva, se rongeant l’ongle du pouce avec anxiété. Il l’avait rarement vue aussi agitée et peu sûre d’elle, surtout ces derniers temps, elle était bien plus sereine depuis que son neveu était près d’elle. Ils firent quelques pas en silence autour des fontaines qui décoraient l’allée centrale, sans qu’elle ne se décide à parler. Il décida de lui donner un petit coup de pouce, curieux de connaître la raison de cette angoisse apparente.
— Que se passe-t-il ? Quel est le souci ?
Elle s’arrêta brusquement et se tourna vers lui, les sourcils froncés et l’air résolu. Olivier s’attendait presque à ce qu’elle lui annonce qu’elle devait repartir sur-le-champ en Angleterre et que la compétition s’arrêtait là pour eux tant elle paraissait grave.
— Je n’ai pas l’habitude de faire ça, ce n’est pas mon genre, mais j’ai pesé le pour et le contre et je ne pense pas que ce soit une bonne idée que je me taise.
— A quel propos ?
— Mélody.
— La Médicomage ?
— Oui. Elle n’est pas nette.
Olivier fronça les sourcils d’un air circonspect. Il trouvait effectivement cela curieux de la part de Millie, qui n’avait jamais été du genre à commérer, et il se demandait d’où elle pouvait sortir une telle méfiance.
— Qu’est-ce que tu veux dire par là ?
— Je ne lui fais pas confiance. Du tout. C’est elle qui a traité Drew, et regarde l’état de sa main. Il s’est juste coupé avec un bout de verre par Merlin ! Elle lui a forcément fait quelque chose.
— C’est Drew qui t’a dit ça ?
— Non, avoua-t-elle en rougissant. Il s’entend très bien avec elle, justement, et je pense que ça obscurcit son jugement, il n’est pas objectif.
— Mais toi oui ?
— Elle est trop innocente pour être honnête, Olivier.
— Et sur quoi est-ce que tu te bases pour de telles accusations ? Elle est amie avec Flint, avec les Pies, avec Drew, tu ne peux pas…
— Je n’ai pas besoin de preuves, je te parle de mon instinct, l’interrompit Millie d’une voix frustrée. J’ai un très mauvais pressentiment.
L’ancien Gryffondor la considéra un long moment, pensif, et il fallait le dire, un peu démuni. Il ne connaissait pas assez Mélody pour être sûr qu’elle était totalement innocente, mais il répugnait à l’idée de l’accuser de quoi que ce soit alors qu’elle n’avait fait que les aider ces derniers temps.
— Je prends tes doutes en considération, dit-il avec précaution. Je verrai ce que je peux faire.
— Merci, soupira Millie, d’un air vaguement soulagé. Je m’inquiète pour Drew, et je pense qu’un avertissement à la prudence aura plus de poids venant de toi que de moi.
Olivier hocha la tête, la remercia de s’être confié à lui, puis la regarda s’éloigner pour rejoindre Robb et sa fille au pair, songeur. Il ne savait trop que penser de cette rencontre. Regardant sa montre d’un coup d’œil, il sursauta en voyant l’heure et s’empressa de rejoindre Katie. Cette dernière ronchonna en le voyant entrer.
— Pas trop tôt, grommela-t-elle. Tu t’es perdu en chemin ou quoi ?
— Juste quelques petits imprévus, éluda-t-il. Alors ? Mélody t’as dit quelque chose ?
— Non, elle n’a rien trouvé pour le moment. Ses collègues paraissent au-dessus de tous soupçons. On s’est peut-être trompé de piste.
— Ou alors… Et si c’était elle ?
— De quoi ?
— La responsable de tout ça ?
Le ton incertain sur lequel Olivier prononça cette dernière phrase n’était pas bien convaincant, mais Katie pencha la tête de côté, considérant sérieusement la chose.
— Tu penses ?
— Non, je n’en sais rien, c’est Millie qui est venue me voir en me disant… Je pense elle se fait juste du souci pour Drew.
— Parce qu’ils passent trop de temps ensemble ?
Olivier hocha la tête et s’approcha de la fenêtre de la chambre de Katie, qui avait une vue prenante sur l’infirmerie. Mélody et Drew se trouvaient devant la bâtisse, bavardant gaiement, tandis qu’elle appliquait un onguent sur sa main blessée. Il n’arriva pas à savoir si c’était réellement les paroles de sa joueuse ou pas, mais il en ressentit un certain malaise. Poussant un soupir, il se tourna de nouveau vers Katie, l’air sombre.
— Je ne pense pas qu’elle soit réellement coupable, mais peut-être qu’il faudrait garder un œil sur elle. Au cas où.
— Pas de soucis, chef !
Elle mima un salut avec une grimace ridicule qui le fit rire. Peu importait les soucis qu’il avait en tête, Katie parvenait toujours à le faire sourire, c’était un de ses dons les plus précieux.
Aiden et Selina étaient, eux, à des kilomètres de ces préoccupations. Ravis de leur victoire, ils étaient allés fêter ça sous le chapiteau, où ils avaient retrouvés une Nawell surexcitée qui avait sauté dans les bras de la Poursuiveuse en la félicitant, et la petite française au sourire timide et aux yeux de merlan frit qu’Aiden avait mis dans son lit cette semaine. Une des photographes qui couvraient l’évènement, si Selina avait bonne mémoire.
— Vous vous affichez en public maintenant ?
Aiden eut un sourire goguenard lorsqu’il vit sa coéquipière rougir à ses mots, mais Nawell ne comptait pas se laisser impressionner aussi facilement, et elle glissa sa main dans la sienne avec un regard de défi.
— Et pourquoi pas ?
— C’est vrai que maintenant que c’est partout dans les journaux, pourquoi se priver.
Le Gardien évita le coup de poing joueur que tenta de lui décocher Selina et alla leur chercher des boissons, qu’il ramena d’un coup de baguette d’expert, sans en verser une seule goutte à côté.
— Tu étais impressionnant, fit remarquer sa distraction du jour, dans un anglais à l’accent français prononcé.
— Mouais, prestation médiocre, j’ai trouvé, commenta Selina avec une moue moqueuse.
— Toujours mieux que cette occasion que tu as manqué après cette passe superbe de Jonathan, t’avais de la bouse de dragon dans les yeux ou quoi ?
Elle lui tira la langue, joueuse, avant de boire une longue gorgée de jus de citrouille. Nawell, qui avait d’abord été déstabilisée par leur amitié pour le moins cinglante, souriait à présent devant ces piques amicales, tandis que la jeune française souriait d’un air gêné, incertaine de l’attitude à adopter.
— Et donc du coup, toi qui étais si inquiète de la presse à sensation, cela n’a soudain plus d’importance ?
Aiden haussa un sourcil, réellement intéressé. Il savait que Selina était plutôt bornée et têtue, et il trouvait qu’elle prenait l’annonce de son coming out forcé dans les médias de manière très détendue.
— Et bien, disons que Nawell m’a aidée à remettre les choses en perspective, dit-elle d’un ton dégagé, un doux sourire aux lèvres. Elle a eu de très bons arguments.
— Comme ?
— Utiliser ma voix de manière utile pour les personnes queers du monde sorcier, celles qui se sont trouvées et celles qui se cherchent encore. La population LGBT n’est presque pas représentée dans le milieu, et encore moins les personnes bisexuelles comme moi. C’est l’occasion de remettre les points sur les I.
Elle parlait calmement et essayait d’avoir l’air presque indifférent, mais Aiden sentait à quel point tout cela était important pour elle. Il coula un regard vers Nawell, qui la contemplait avec un tel amour dans les yeux qu’il se sentit touché.
— Je suis fier de toi, dit-il simplement.
Selina rougit sous ses mots, simples mais si lourds de sens. Elle avait mis tellement de temps, à assumer tout ça, et elle était peut-être forcée aujourd’hui de le faire, mise devant le fait accompli, mais cela était tellement libérateur qu’elle ne le regrettait pas. Elle ne s’était pas encore réellement affiché en public avec Nawell, et encore moins devant la presse, mais elle se sentait enfin prête à le faire, et c’était le plus important.
— Excusez-moi, dit soudain la française, les faisant presque sursauter tant ils avaient oublié sa présence. Je dois dire un mot à mon collègue, là-bas, je reviens.
Elle les quitta avec la discrétion d’un courant d’air, et Selina n’attendit qu’une seconde, le temps qu’elle soit hors de portée, pour dire enfin ce qui lui brûlait la langue depuis des jours.
— Tu vas continuer tes enfantillages longtemps ?
— Qu’est-ce que tu veux dire ? répondit Aiden, sur la défensive.
— Que je t’ai vu avec plus de filles différentes ces derniers jours que depuis trois ans.
— Et alors ?
— Et alors ça ne te ressemble pas.
— Qu’est-ce que tu peux en savoir ?
— Je te connais, Aiden.
— Peut-être que tu pensais me connaître mais que ce n’est pas le cas.
Le visage du Gardien s’était fermé, sa main s’était crispée sur son verre de jus de citrouille. Nawell suivait l’échange des yeux, ayant l’impression de se trouver à un match de ping-pong, où chacun se renvoyait la balle avec verve.
— Tu te souviens au moins de son prénom, à celle-là ?
— Laura.
— Arrête de l’agresser comme ça, tenta de temporiser Nawell.
— Je ne l’agresse pas, je lui dis juste… D’accord, je l’agresse peut-être un petit peu, admit Selina sous les sourcils levés de sa copine.
Avec un soupir, elle se tourna vers Aiden, un air véritablement concerné sur le visage, mais il évita son regard, préférant fixer son verre avec attention.
— Tout ce que je veux dire, c’est que ce n’est pas le bon moyen pour se remettre d’une rupture, dit-elle d’une voix douce. Tu as besoin de temps, pour dire adieu à Jade, à votre relation, c’est normal. Pourquoi est-ce que tu essaies de tromper ta tristesse avec toutes ces filles ? Ce n’est juste ni pour toi ni pour elles.
— Et ça ne t’ait pas venu à l’idée que je puisse gérer ma rupture comme je l’entends ? répliqua-t-il abruptement.
La dénommée Laura choisit précisément cet instant pour revenir, et elle sentit la tension malgré le silence qui s’était installé à leur table.
— Quelque chose ne va pas ? demanda-t-elle nerveusement.
— Tout va bien, répondit Aiden d’un ton brusque. Je me disais justement que je voulais y aller, tu viens ?
Un peu déroutée, la jeune femme lui suivit tout de même hors du chapiteau, non sans jeter un coup d’œil curieux à Selina. Celle-ci poussa un profond soupir et se massa les tempes, la fatigue tombant sur elle d’un coup.
— Tu crois qu’il finira par entendre raison ? grogna-t-elle.
— Peut-être, mais tu ne pourras pas le forcer de toute façon. Il doit faire les choses à son rythme. Tu veux qu’on y aille aussi ? Je pense que tu as besoin de repos.
Selina se tourna vers elle et sourit, avec une tendresse qu’elle n’avait qu’avec elle.
— Merci d’être là.
Nawell l’embrassa avec douceur, puis glissa sa main dans la sienne pour la tirer au-dehors, laissant derrière elles les jus de citrouille à moitié entamés.
Jonathan et Roseann étaient quant à eux rentrés directement dans leurs chambres, sans s’adresser la parole ni un regard, et s’étaient enfermés à double tour, supposément pour dormir et se reposer après ce match éreintant, mais aucun des deux n’y parvenait. Le premier, car il sentait qu’il allait devoir lui parler, pour mettre les choses à plat après ce regrettable incident où elle avait frôlé la mort par sa faute, et la seconde car elle se sentait stupide d’avoir agi ainsi, et elle n’avait pas envie d’être vue comme la gamine inconséquente.
Ce fut elle qui fit le premier pas. Après avoir tourné en rond dans sa chambre pendant près d’une heure, elle finit par être trop énervée pour rester enfermée. Elle ouvrit sa porte, fit les cent pas dans le couloir, la boule au ventre, puis s’immobilisa enfin devant la porte de son Capitaine, indécise. Enfin, elle lâcha un juron, rassembla son courage et frappa avec détermination. Elle n’attendit qu’une seconde avant que Jonathan n’ouvre sa porte, manifestement dans le même état d’agitation.
— Je peux entrer ?
Il s’écarta sans un mot et elle pénétra dans la pièce, nerveuse. Elle ne savait pas vraiment ce qu’elle était venue dire, mais il fallait qu’ils parlent, maintenant, sinon ils ne perceraient jamais l’abcès.
— Je suis désolée, dit-elle, alors qu’il prononçait ces mots au même instant.
Ils se regardèrent, hésitèrent un instant, puis partagèrent un rire un peu gêné.
— Toi d’abord, finit par dire Jonathan. Tu disais ?
— Que j’étais désolée, pour mon comportement, répondit Roseann, d’un ton un peu honteux. J’ai mal agi, c’était ridicule de ma part et… J’espère que tu ne m’en veux pas.
— Bien sûr que non, affirma-t-il d’une voix douce. Et c’est moi qui suis désolé, je me suis vraiment comporté comme un imbécile avec toi.
— Ne dis pas n’importe quoi, répliqua-t-elle, embarrassée. Tu as juste été très clair et c’est moi qui…
— Non, j’aurais dû être moins dur avec toi, je m’en veux d’avoir été si… Si peu délicat. Tu me pardonnes, toi aussi ?
Hypnotisée par ses yeux marron aux reflets dorés, qui semblaient lire à travers son âme, Roseann hocha le menton, comme hypnotisée. Encore une fois, malgré tout ce qu’il s’était passé, elle le trouvait si beau, et elle eut un pincement douloureux au cœur en se disant qu’il ne se passerait jamais rien de plus entre eux.
— Tant mieux, dit-il avec un sourire. Je tiens beaucoup à toi, Rosy, et je m’en serais voulu s’il y avait eu la moindre mésentente entre nous.
D’un geste presque tendre, il repoussa une de ses mèches brunes derrière son oreille. Il était si proche, elle pouvait presque sentir son souffle sur son visage. Et sans réfléchir, perdue dans son imagination fantasque, prenant ses désirs pour des réalités, Roseann se haussa sur la pointe des pieds et colla ses lèvres contre les siennes. Surpris, Jonathan resta immobile un instant, sans lui rendre son baiser, puis posa ses mains sur ses épaules, pour la repousser avec douceur.
Lorsqu’elle s’aperçut de ce qu’elle venait de faire, la Batteuse écarquilla les yeux et plaqua sa paume contre sa bouche, horrifié.
— Merlin… Je suis désolée, vraiment ! J’ai… Je crois que… J’ai juste mal interprété la situation ! Tu as dit…
— Je tiens à toi comme à quelqu’un de qui je suis très proche et que je veux voir heureuse, mais pas comme ça, dit Jonathan avec le plus de gentillesse possible. Je suis navré Rosy, mais vraiment…
Et à sa plus grande surprise, Roseann se mit à rire. Un fou rire nerveux qu’elle était incapable de réprimer, et qui ne fit que s’accentuer devant l’air interloqué de son Capitaine, jusqu’à lui amener des larmes aux yeux tant elle riait. Elle parvint peu à peu se calmer, tentant de s’exprimer entre deux rires, mais le visage perplexe de Jonathan ne l’aidait pas à reprendre son sérieux. Lorsqu’elle y parvint enfin, elle souriait toujours, et lui ne comprenait plus rien.
— Désolée, c’est juste que… Je t’ai dans la tête depuis tellement longtemps ! C’était juste ridicule, cette obsession que j’avais pour toi. Et tout ça pour ça ?
— Je… Comment ça ?
— Pardon, c’est juste que… Je n’ai absolument rien ressenti. Rien du tout. Nada. C’était comme si j’avais embrassé mon frère.
— Tant mieux, non ?
— Oui, tant mieux approuva-t-elle avec un autre rire. Je me sens juste idiote, d’avoir été jusqu’à me jeter un sort pour… Enfin bref. Je pense que c’était un béguin idiot comme j’aurais pu en avoir à l’adolescence.
— Tu veux dire que tu es redevenue celle que tu étais à quinze ans ?
— La ferme.
Elle lui donna un coup de poing joueur dans l’épaule, amusée malgré elle par la petite pique taquine. Elle savait qu’il allait lui falloir encore un peu de temps pour le sortir définitivement de ses pensées, mais en l’embrassant elle n’avait ressenti aucun feu d’artifice, aucun tressaillement d’aucune sorte, uniquement du vide, et cela la soulageait plus qu’elle ne l’aurait cru. Comme le disait Jonathan, tant mieux, cela facilitait grandement les choses.
Maintenant, elle pouvait réellement se concentrer sur la finale, et cette victoire qu’ils rêvaient tous de décrocher.