Marcus détaillait calmement les visages qui l’entouraient, poings sur les hanches et les sourcils froncés en un pli sévère. À l’extérieur, le vent hurlait, les faisant frissonner d’anticipation à l’idée de se retrouver très bientôt dans un froid glacial.
— Vous savez que je ne suis pas amateur de grands discours, finit-il par lâcher en croisant les bras. Inutile de vous rappeler également que l’avenir de l’équipe dépend du score de ce match.
— Ne soit pas si dramatique, temporisa Zeke.
— Et toi ne soit pas si détendu, répliqua Marcus. Vous feriez mieux de gagner si vous ne voulez pas devenir la risée du Royaume-Uni. Je serai dans ma cabine.
Un parfum de mutinerie flottait dans l’air lorsqu’il quitta les vestiaires, laissant derrière lui une équipe tendue et stressée.
— Tout va bien se passer, lança Gabriel d’une voix apaisante. On s’est entraîné des mois durant, nos techniques sont parfaitement au point et nos tactiques de jeux sont quasi imparables. Sans compter que les Faucons de Falmouth ne sont pas des plus brillants. On les aura facilement.
Il y eut un murmure d’assentiment des plus maussades, ce qui poussa Zeke à se lever.
— Il a raison, approuva-t-il avec toute la confiance dont il était capable. On ne va faire qu’une bouchée de ces oiseaux de pacotille.
Quelques rires secouèrent les autres joueurs, qui finirent par retrouver le sourire devant le charisme irrésistible de leur Capitaine. Lorsque la voix du speaker résonna jusque dans la pièce, annonçant l’arrivée de leurs adversaires, ils s’empressèrent de quitter les lieux, balais sur l’épaule. Quelques secondes plus tard, ils émergeaient sur le stade à la vitesse de boulet de canons, en une traînée noire et blanche.
Dans la cahute qui lui était réservée, Marcus les regarda faire le tour du terrain avec une moue mécontente. Ce modèle était décidément bien moins rapide que celui qu’il avait choisi. Il allait en toucher deux mots à Oscar. Cela n’allait sûrement rien changer mais il avait besoin de râler auprès de quelqu’un. Le commentateur présenta l’arbitre puis le coup d’envoi fut donné. Sara récupéra immédiatement le Souafle, évita un Cognard et envoya la balle à Toby d’un geste adroit. Celui-ci feinta le gardien en lançant le Souafle vers Gabriel d’un tir lobé, ce qui permit à ce dernier de marquer leur premier but sans trop de soucis. Le match commençait bien.
Les Faucons récupérèrent le Souafle, mais ils le lâchèrent bien vite, grâce à un Cognard bien placé de Justin. Sara récupéra le ballon et marqua un deuxième but avec la rapidité qui la caractérisait. Ces deux réussites coup sur coup semblèrent les rassurer, il voyait déjà les sourires revenir sur leurs visages.
— Ne vous déconcentrez pas, marmonna-t-il.
C’était sûrement un de leurs plus gros points faibles. Ils prenaient confiance beaucoup trop vite et baissaient leur garde, tels des débutants inexpérimentés. Il retint un grognement lorsqu’un des Poursuiveurs de l’équipe adverse évita un Cognard de Zeke, volant à toute vitesse vers leurs poteaux : sa tentative fut interceptée sans mal par Phoebe, qui renvoya le Souafle à Toby sans attendre.
Le match continua à se dérouler avec un net avantage pour les Pies, sans que Marcus ne se détende pour autant. Les mains crispées sur ses accoudoirs, il suivait d’un regard vif le ballon rouge, qui changeait de mains plus vite que jamais. En une vingtaine de minutes, ils menaient largement la rencontre quatre-vingt-dix à trente.
— Qu’est-ce que tu fiches Chuck, par Merlin, grommela-t-il.
Son jeune Attrapeur n’avait pas encore amorcé un geste pour attraper le Vif d’Or. Il se contentait de tourner en rond au-dessus des autres joueurs, son cou se tordant désespérément de tous côtés. Il ne s’était apparemment pas rendu compte qu’il était suivi à la trace par son homologue, dans une stratégie évidente.
— Oh, la vue est superbe d’ici !
Marcus sursauta. Il pivota sur son siège et fusilla du regard la nouvelle venue. C’était le même bout de femme que l’autre fois, avec les longs cheveux bruns, les grands yeux bleus innocents et toujours le même sourire idiot et ingénu. Il ne se souvenait déjà plus de son nom.
— Vous n’avez pas le droit d’être ici, lui lança-t-il d’un ton sec.
La jeune femme devint aussi rouge qu’une tomate et sembla se ratatiner sur place. Ses doigts se mirent à jouer avec une peluche accrochée au bout de son écharpe.
— Je suis désolée, murmura-t-elle. Je pensais que vous seriez au courant de ma venue. Un de vos joueurs est venu me voir en me disant que vous apprécieriez sûrement la compagnie pendant le match.
— Qui ça ?
— Justin ?
Les lèvres de Marcus se pincèrent en une ligne fine. Harwood allait l’entendre.
— Et bien il s’est trompé, répliqua-t-il. Vous n’avez rien à faire ici et je dois me concentrer sur le match.
Il lui tourna le dos sans autre forme de procès, profondément agacé contre son Batteur. Ce n’était pas la première fois qu’il tentait de la mettre sur son chemin, avec la discrétion d’un Hippogriffe dans un magasin de porcelaine. Non seulement ce genre de jeu stupide l’insupportait - ils n’étaient pas là pour ça, nom d’un chien ! - mais en plus de cela, l’inconnue avait quelques vingt ans de moins, et il trouvait cela, si ce n’est ridicule, plutôt humiliant. Pour elle comme pour lui. Il ne comprenait pas pourquoi elle jouait le jeu d’entremetteur de Justin, elle avait bien dû comprendre depuis le temps que c’était inutile.
Marcus recentra son attention sur le score. Cent-dix à soixante. Les Faucons avaient diminué l’écart pendant ce bref laps de temps. Il jura à voix basse, détestant être déconcentré dans ce genre d’instant, et tenta de se remettre dans le match. Cela ne dura pas longtemps toutefois, car un mouvement à la périphérie de son champ de vision le fit se retourner sur son siège.
— Vous êtes encore là ? s’étonna-t-il. Je vous ai dit de…
— Je sais, l’interrompit la jeune femme, d’une bravade qui lui était peu coutumière. Justin m’a dit d’insister si vous… si vous vous comportiez comme un ours mal léché. Ce sont ses mots.
Elle acheva sa brève tirade dans un nouveau rougissement, mais sans pour autant baisser les yeux. Marcus soutint son regard de longues secondes, surpris de ne pas la voir flancher. Cette petite n’était pas si inintéressante qu’elle paraissait au premier abord. Très peu de personnes parvenait à lui tenir tête ainsi. Et il comprit vite qu’abandonner la partie lui ferait perdre moins de temps que persister à vouloir la faire partir.
— Très bien, capitula-t-il en un marmonnement peu accueillant. Asseyez-vous. Et ne parlez pas.
— Vous avez toujours ces manières de rustre ? demanda-t-elle en prenant tout de même place.
— S’il vous plaît, ajouta-t-il en grinçant. Miss… ?
— Appelez-moi Mélody.
Ah oui, Mélody. Il n’avait jamais eu une très bonne mémoire sur ce genre de détails, surtout lorsque cela lui importait peu.
Sous leurs yeux, le score grimpait de plus en plus et le match s’éternisait. Les deux équipes s’affrontaient avec encore plus de violence, les Cognards volant d’un bout à l’autre du terrain et les Poursuiveurs jetant le Souafle avec de plus en plus de force. Le score était de cent-soixante-dix à cent.
— Les Faucons sont plutôt bons, lança soudain Mélody. Je pensais que le dénouement serait plus rapide.
Marcus leva les yeux au ciel, compta calmement jusqu’à cinq et inspira plusieurs fois avant de parler.
— Je vous avais dit de ne pas dire un mot.
— Certes, mais c’est ennuyant, de regarder un match sans rien dire.
Il ne répondit pas, trop occupé à jurer lorsque Sara lâcha le Souafle au profit d’un Poursuiveur adverse.
— Je ne vais pas trop m’en plaindre, ça nous offre vraiment de belles actions finalement, continua Mélody.
Perdant patience, Marcus plaqua un doigt un peu brutal sur sa bouche et pointa le terrain sans un mot. La jeune femme se rangea dans un silence prudent, avant de sortir un paquet de friandises de sa poche, qu’elle grignota sans plus parler. Devant eux, Phoebe arrêta un nouveau tir de façon spectaculaire, ce qui fut rapidement suivi d’un but de Gabriel. Cent-quatre-vingt-dix à cent-dix.
— Il serait peut-être temps de se dépêcher de finir, marmonna-t-il.
— Je croyais qu’on avait pas le droit de parler ? le taquina Mélody.
— Je ne…
— Oh, regardez !
Elle pointa d’un doigt excité l’Attrapeur des Faucons qui plongeait vers le sol à la vitesse de la lumière. Chuck le suivait de près mais cela n’empêcha pas Marcus de jurer. Il se leva d’un bond, livide, les poings crispés et les dents serrées à s’en faire mal. Si cet imbécile n’attrapait pas le Vif d’Or, ils pouvaient dire adieu à la victoire. Le coeur au bord des lèvres, il regarda sa jeune recrue accélérer du mieux qu’il put, rattraper son adversaire jusqu’à être au coude à coude avec lui, tendre la main et… la refermer sur la petite balle dorée. Le soulagement l’envahit et il se rassit au moment où Chuck remontait en chandelle, le poing serré sur leur précieux sésame.
À ses côtés, Mélody chantonnait en dansant, sautillant d’un pied sur l’autre, son papier de friandises vide à la main. Ce ne fut qu’à cet instant qu’il remarqua qu’elle était entièrement habillée de blanc et de noir, une pie fièrement dessinée dans son dos.
— C’était quelque chose, de voir le match d’ici ! dit-elle d’une voix ravie. Et quelle victoire ! Vous allez certainement célébrer ?
— Il n’y a rien à célébrer encore, répondit-il abruptement. Nous verrons ça après les phases de qualification.
Il quitta les lieux avant elle et descendit rapidement aux vestiaires, sans plus faire cas de la jeune femme trop joyeuse. Il y arriva quelques instants avant son équipe, qui avait pris soin d’effectuer un tour de stade sous les applaudissements du public. Ils étaient tous éreintés et décoiffés, mais heureux.
— Marcus ! s’exclama Zeke. Tu as vu ce plongeon ? C’était magnifique !
— Tardif, surtout, répliqua Marcus d’une voix plus sèche que le Sahara. Chuck, je peux savoir ce qui t’a pris tant de temps ? Et pourquoi tu as dû attraper ce putain de Vif d’Or de justesse ?
Les sourires s’évanouirent, certains visages semblant être au bord de la rébellion.
— Je l’ai eu, le Vif d’Or, répliqua Chuck. C’est le plus important, non ?
N’ayant rien à répondre, Marcus changea de cible et se tourna sans plus attendre vers Justin.
— Et toi ? Tu trouves ça drôle d’envoyer des fans dans ma loge ?
— Je me suis dit que tu pourrais faire avec un peu de compagnie…
— Tu te trompais. Je ne veux plus voir cette fille de près ou de loin, tu m’entends ? Elle a un travail à faire ici, moi aussi. Si elle veut nous supporter lors des matchs, elle le fera des tribunes, compris ?
— Compris, grogna le Batteur. Tu ne veux même pas…
— Elle a l’âge d’être ma fille, l’interrompit brutalement Marcus. Alors cesse donc tes petites manipulations de bas étage et concentre-toi sur ton jeu.
— Mon jeu se porte très bien, répliqua l’autre avec amertume.
— Tu veux qu’on reparle de cette frappe manquée qui a autorisé un des Poursuiveurs à marquer leur dixième but ?
— Calme-toi, Marcus, s’avança Gabriel d’une voix calme. On a gagné le match, on devrait être en train de fêter ça, plutôt que de pointer les quelques détails qui n’allaient pas. Et Justin s’engage à arrêter ses gamineries, d’accord ? Alors peut-être qu’on pourrait…
— Un match gagné ne veut pas dire que nous irons en huitièmes, dit Marcus d’une voix dure. Et encore moins en finale. Ce n’est que le début. Ne vous réjouissez pas trop vite.
Il sortit en claquant la porte derrière lui avec humeur. Il regrettait quelque peu ses paroles trop rudes, mais jamais il ne serait retourné en arrière pour s’excuser, ce n’était pas dans ses habitudes. Il devait avouer avoir été un peu injuste avec eux. Le coup fourré avec Mélody l’avait agacé et il était déjà de mauvaise humeur avant cela. À vrai dire, il était énervé depuis quelques semaines déjà. Son entrevue avec Dubois lui avait fait monter la moutarde au nez, et depuis il était incapable d’être autre chose que blessant et désagréable. Enfin, encore plus que d’habitude.
Il ne cessait de revoir l’air suffisant de ce petit merdeux de Gryffondor, si persuadé d’avoir raison alors qu’il avait tort. Il n’y avait rien de plus outrageant que de se faire accuser de quelque chose dont on n’est pas coupable. Si Marcus aurait effectivement pu agir ainsi autrefois, ce n’était plus le cas à présent. Il avait beau accepter très difficilement l’échec et ne pas admettre les faiblesses, ses longues années en tant que joueur professionnel l’avaient appris à devenir plus fair-play. Il aurait peut-être été correct de dire qu’il avait parfois la tentation de retomber dans ses vieux travers, mais jamais il n’aurait triché de manière si ostentatoire à une Coupe internationale, sous le nez des officiels et avec la menace d’être banni de Quidditch à tout jamais. Il aurait fallu être fou. Ou inconscient. Et il n’était ni l’un ni l’autre.
Il n’avait eu de cesse de ressasser l’injustice de l’accusation de Dubois, mettant une intense pression sur son équipe sans qu’il s’en rende réellement compte. Il pensait qu’avec le départ du club de Flaquemare en vacances, cela se calmerait, mais apparemment non. Il était prêt à laisser un peu de répit à ses joueurs pour se faire pardonner, en espérant que cela serait assez. Il n’avait pas envie d’avoir une révolte sur les bras mais il était incapable de faire preuve d’une réelle gentillesse envers qui que ce soit.
Le front plissé par la colère, Marcus pénétra dans sa chambre et s’empressa d’inscrire le score dans la petite case correspondante. Il avait attaché à son mur un immense parchemin avec les différents groupes, poussant le vice jusqu’à y retranscrire les scores des matchs et les statistiques des équipes. Il voulait être paré à toute éventualité. Il n’y avait rien eu de bien surprenant ces dernières semaines. Les Vautours de Vratsa avaient écrasé les Tapesouafles de Quiberon, à la plus grande déception de leurs supporters français ; mais il avait fallu s’y attendre les bulgares étaient de vraies machines à tuer sur le terrain. Les Orgueilleux de Portree avaient également remporté leur match contre les Crécerelles de Kenmare et les Tornades de Tutshill s’étaient faites écraser par les Chauves-souris de Fichucastel. Rien d’inattendu en somme.
En revanche, Marcus attendait avec impatience le prochain match opposant les Harpies de Holyhead aux Gargouilles de Gorodok. Ces derniers avaient été de sérieux adversaires contre les Frelons de Wimbourne, ce qui avait donné une rencontre surprenante, et il avait entendu dire que les galloises n’étaient pas au mieux de leur forme dernièrement. Cela promettait d’être intéressant et un minimum imprévu.
Avec un soupir, Marcus reposa sa plume sur son bureau et agita mollement sa baguette. Ses affaires se plièrent d’elles-mêmes et volèrent en direction d’un grand sac noir posé sur son lit. Ils rentraient bientôt au bercail, pour quelques semaines de repos bien mérité. Il espérait que cela mettrait un peu de plomb dans la tête de l’équipe et que ses joueurs reviendraient avec un peu plus de sérieux. Et qu’ils auraient oublié son éclat d’aujourd’hui. Bien sûr, il n’omit pas de plier soigneusement son grand parchemin pour l’emmener avec lui. Il suivrait les résultats dans Quidditch Magazine.
Et puis avec un peu de chance, il serait de retour dans quelques jours. Plus il pouvait échapper à son morne quotidien londonien, et mieux il se porterait.