— Fini !

Katie posa le point final d’un air triomphant et se redressa enfin, après de longues minutes d’écriture intense, la nuque raide et le poignet endolori. Olivier se pencha par-dessus son épaule et parcourut l’article des yeux.

— Tu as oublié un “s” ici.

— Ah oui, merci !

Elle le rajouta aussitôt puis s’étira avec un soupir de soulagement.

— Je relirai ça ce soir avant de l’envoyer par hibou express. On va se balader ?

— Attends une minute, j’ai presque fini.

Olivier se pencha de nouveau sur l’immense parchemin posé devant lui, recouvert de son écriture en pattes de mouche. Il s’était mis dans la tête de dresser une liste précise de toutes les personnes susceptibles de leur en vouloir, à lui ou à l’équipe. Il avait bien sûr commencé en griffonnant le nom de Marcus tout en haut, suivi de ceux de ses joueurs. Le reste n’était qu’une très longue énumération des différentes équipes du tournoi, celles de son groupe de qualification en tête. Il avait même ajouté des membres du Ministère, les arbitres, les entraîneurs et les aides-soignants.

— Tu n’as pas l’impression d’en faire un peu beaucoup ? demanda Katie en jetant un oeil sur son parchemin.

— Je préfère être exhaustif et ne rater aucune piste.

— Certes, mais… Je ne vois pas en quoi ça te sera utile. Tu ne penses pas qu’il vaut mieux restreindre aux personnes qui ont eu accès à ta chambre et tes schémas ?

Olivier marqua un temps d’arrêt, sa plume suspendue dans le vide.

— Tu marques un point, marmonna-t-il.

Il considéra sa liste d’un air sombre, avant de sortir sa baguette et de l’enflammer, la réduisant à un tas de cendres.

— Je dois tout recommencer, maintenant.

— Plus tard, l’arrêta Katie d’un ton autoritaire. On va aller se promener un peu. Tu avais promis de me faire visiter les environs !

— Et ça ne fait que quelques heures qu’on est ici, qu’est-ce que tu es impatiente.

— J’ai envie de voir des gens. Quel est le but de venir en France si on reste enfermés dans ta chambre ?

— Je te l’ai dit je dois…

— Mener l’enquête, oui. Cogiter ici tout seul ne te sers à rien, tu dois aller à la rencontre des autres, les interroger, les cuisiner !

— Tu veux juste rencontrer des joueurs, avoue.

— Bien sûr. Maintenant bouge-toi.

Olivier obtempéra en grognant pour la forme, jetant un regard maussade à la fenêtre recouverte de givre. Il n’avait aucune envie de sortir se les geler par ce temps, mais Katie était trop têtue pour changer d’avis. Une fois qu’elle s’était fourrée une idée en tête, impossible de l’en déloger. Alors il enfila son gros manteau, s’emmitoufla dans son écharpe et la précéda jusqu’à l’extérieur.

Il n’avait tenu que trois semaines en Angleterre, tournant en rond dans son petit studio vide. Il avait bien vu Alicia un après-midi, prit une Bièraubeurre avec Harry, Ron et George, et était allé rendre visite à ses anciens collègues au Ministère, mais il avait été incapable de cesser de penser à ses problèmes. Sa confrontation avec Flint, leur dernier match, ses inquiétudes quant à de potentielles fuites lors de leurs prochaines rencontres. Il n’avait pas résisté longtemps à l’envie de revenir en France pour mener sa petite enquête comme il se l’était promis. Katie avait insisté pour l’accompagner et il avait été incapable de la faire changer d’avis, même en utilisant son travail comme argument de poids.

Journaliste à Quidditch Magazine depuis plus de vingt ans, son amie était aujourd’hui rédactrice-en-chef et elle avait dû marchander ferme pour obtenir son départ. Elle avait délégué ses missions à son bras droit Anika, laissant une liste d’instructions très précises, et avait en échange promit une suite d’articles centrés sur la Coupe d’Europe vue de l’intérieur. Son patron n’avait accepté qu’à condition qu’elle trouve des anecdotes croustillantes. Cela avait inquiété Olivier, mais Katie l’avait rassuré d’un geste de main, assurant qu’elle saurait tordre les faits de manière à plaire à son boss sans porter préjudice à qui que ce soit.

— Les stades sont de l’autre côté de la colline, lui dit-il d’une voix étouffée derrière son écharpe. Et par là il y a le chapiteau, ils y organisent parfois quelques soirées ou des activités pendant la journée.

— Il y a quelque chose en ce moment ?

— Ça m’étonnerait. Il me semble qu’il y a un match en cours.

— Oh c’est vrai ? Qui ça ?

— Les Crécerelles de Kenmare contre les Cerfs-Volants de Karasjok. Ils doivent y être depuis trois heures si je ne me trompe pas.

— Dépêche-toi, avec un peu de chance on pourra les voir attraper le Vif d’Or !

Katie glissa sa main sous son bras et l’entraîna sur le chemin enneigé qui contournait la petite colline. Pour le distraire du vent glacial qui leur fouettait les joues, elle lui demanda un compte-rendu détaillé des différents matchs. Olivier se laissa volontiers prendre au jeu, lui relatant les rares surprises de ces dernières semaines et les résultats tout sauf surprenants de la plupart des rencontres.

— Les Tabasseurs de Banchory se sont fait littéralement écrasés par les Catapultes de Caerphilly.

— Ce qui n’est pas étonnant.

— Les Tapesouafles de Quiberon ont eu le dessus sur les Bombardiers de Bigonville, ce qui n’est pas inattendu non plus. Par contre, les Harpies de Holyhead se sont fait battre de peu par les Gargouilles de Gorodok il y a trois jours !

— Non, sérieusement ?

— Je t’assure. Elles ne sont vraiment pas bien parties.

— On dirait que ça te fait plaisir.

— Ce sont des concurrentes sérieuses, si elles sont éliminées dès les matchs de qualification ça ne peut être que bénéfique pour nous.

— Et Flint ?

— Les Pies ont remporté leur premier match haut la main, grogna Olivier.

— Tu as l’air ravi.

Son ton sarcastique ne fit que le renfrogner davantage. Il était toujours persuadé que c’était Flint qui avait volé ses schémas de jeux par l’intermédiaire de Sara et les avait vendus aux Orgueilleux de Portree. Il n’avait besoin que de le prouver.

Ils arrivèrent au stade frigorifiés et essoufflés, le bas de pantalon trempé. Katie pressa Olivier à trouver une place le plus rapidement possible et ils s’assirent à mi-hauteur, dans une portion de gradins vides. Sous leurs yeux, les deux équipes s’affrontaient avec une fatigue évidente.

— Ils n’ont pas l’air très frais, commenta la journaliste.

— Ils jouent depuis pas mal de temps. 

— Et ils n’en sont qu’à cent contre cent-dix ? Quel ennui…

— Je te rappelle que c’est toi qui a tenu à venir.

Elle lui tira la langue d’une manière puérile, ce qui le fit sourire. Malgré les années qui passaient, leur amitié n’avait pas changé depuis Poudlard, elle était restée intacte en dépit de la guerre et ses ravages. Ils se comportaient encore souvent comme les étudiants d’autrefois, sans faire cas de leur quarantaine bien tassée. Même après tout ce temps, c’était toujours elle et lui contre les autres. Katie plaisantait souvent sur le fait que c’était sûrement pour cela qu’elle ne parvenait pas à sortir avec un homme plus de quelques mois, prétextant qu’ils étaient tous impressionnés par le prodigieux gardien du Club de Flaquemare. Olivier savait qu’il ne s’agissait que d’une façade. Elle avait du mal à assumer que sa carrière ait pris le pas sur sa vie personnelle et malgré les petits traits d’humour, il voyait bien que cela lui pesait de n’avoir ni mari ni enfant à son âge, contrairement à tous leurs amis d’école.

Sous leurs yeux, les Crécerelles semblaient avoir eu un regain d’énergie et avaient marqué quatre buts supplémentaires, amenant le score de cent à cent-cinquante. Ils applaudirent avec le public lorsque leur gardien arrêta du bout des doigts le Souafle envoyé par un des Poursuiveurs des Cerfs-Volants.

— Tu sais si Flint est toujours là ? demanda Katie au moment où un Batteur norvégien désespéré tentait de bloquer la trajectoire d’un joueur des Crécerelles, sans succès.

— Me semble que oui, grogna Olivier en se renfrognant aussitôt. Aiden m’a dit que Sara avait mentionné que leur équipe ne partirait pas avant encore une bonne semaine. Pourquoi ? Tu tiens tant que ça à le revoir ?

— Lui, non, mais je serais intéressée de jeter un oeil à cette Sara, savoir ce qu’elle a dans le ventre. Si tu as raison de la soupçonner.

— Bien sûr que j’ai raison. Pourquoi est-ce qu’elle viendrait tourner autour de mes joueurs ?

— Parce qu’elle veut se faire des amis ? Qu’elle a un bon fond ? Excuse-moi, mais quand Flint fait partie de l’équation tu n’es pas la personne la plus arbitraire qui soit.

— Je ne vois pas de quoi tu…

Ses paroles furent noyées par de brusques exclamations fusant des quelques groupes de spectateurs. L’Attrapeur des Cerfs-Volants fonçait vers un point doré qui flottait vers les poteaux de l’équipe adverse. Son homologue des Crécerelles était loin derrière. Olivier jeta un rapide coup d’oeil au tableau de score. Cent à cent-quatre-vingt. Les irlandais allaient se prendre une bonne raclée.

Sans erreur possible, quelques secondes plus tard, le joueur norvégien faisait un tour du stade sous les acclamations du public, le poing serré triomphalement autour du Vif d’Or. Les Crécerelles atterrissaient déjà sur le sol, l’air passablement frustré.

— Je sens que leur Attrapeur va s’en prendre plein la tête, commenta Katie en les regardant foudroyer des yeux le jeune homme à l’air défait qui les rejoignait.

— Ils ont toujours été trop compétitifs, commenta Olivier.

Il avait déjà eu affaire à l’entraîneur des Crécerelles, une ancienne joueuse au corps sec et à l’attitude sévère, qui primait la performance à l’esprit d’équipe. Elle n’avait pas un naturel très avenant et il avait eu du mal avec elle. Elle lui rappelait par certains côtés l’ancien Serpentard et ses manières de rustre.

— On peut aller au chapiteau maintenant, si tu veux, ajouta-t-il. Ils y servent des collations après les matchs.

— Parfait !

Katie se leva aussitôt et était déjà dans les escaliers qu’il n’avait pas eu le temps de réagir. Il la suivit plus lentement, son genou un peu raide d’être resté coincé derrière un siège trop longtemps, et la retrouva au bas des marches, trépignant d’impatience.

— Allez grand-père, on va rater le plus important !

Olivier leva les yeux au ciel sans prendre la peine de répliquer et la suivit en direction du chapiteau qui se dressait en haut de la colline. Les quelques spectateurs frigorifiés, composés de fans pour la plupart français, de membres d’autres équipes et du personnel organisateur, se pressaient autour d’un foyer dressé au centre de la tente. Les flammes orangées projetaient des ombres dansantes contre la toile, réchauffant les mains tendues. Les joueurs vainqueurs arboraient de larges sourires heureux, des Bièraubeurres à la main, alors que les irlandais n’étaient nulle part en vue.

— Oh il y a des Macarons Dansants ! s’enthousiasma Katie.

— N’y touche pas, lui conseilla Olivier. Je ne sais pas comment ceux-là ont été dosés, mais ils font effet plusieurs heures.

Son amie choisit sagement de lui obéir et se tourna plutôt vers une montagne de Patacitrouilles et de Cannelés aux Milles Saveurs.

— Ce serait pas Flint là-bas ?

— Vu l’allure de troll, sûrement.

Katie leva les yeux au ciel, croqua dans une Chocogrenouille et se dirigea résolument vers l’ancien Serpentard. Olivier la suivit avec un temps de retard, horrifié.

— Qu’est-ce que tu fais ? lui chuchota-t-il à l’oreille.

— Lui parler.

— Pourquoi ?

— Pour voir si tu te fais des idées ou non.

— Je ne me fais pas d’idées.

— Tu n’as jamais été impartial en ce qui le concernait.

— Et avec raison !

Olivier lui barra la route, plantant ses yeux noisettes dans ceux agacés de Katie.

— Écoute, dit-il, nerveux. Ce n’est pas l’endroit, d’accord ? Il y a pas mal de monde.

— Je ne compte pas l’agresser, je ne suis pas comme toi. Je sais bien que Flint n’était pas un enfant de choeur quand on était à Poudlard…

— C’est le moins qu’on puisse dire !

— … Mais il a sûrement changé, continua Katie sans faire cas de l’interruption.

— Tu parles.

— On a bien changé, toi et moi. Pourquoi pas lui ? Ce n’est plus un adolescent.

Comme le seul argument qu’il avait au bout de la langue était “C’est un Serpentard !”, son ami resta muet, pinçant furieusement les lèvres.

— Bien. Si tu le permets maintenant, je vais lui adresser deux mots.

Elle lui adressa un sourire qui se voulait rassurant et le contourna en lui tapotant l’épaule. Olivier resta sur place, refusant obstinément de se retrouver une fois de plus face à ce serpent, ou il était sûr de perdre son calme. Il se dirigea vers le buffet, attrapa un vers de jus de fruit et les observa de loin sans trop en avoir l’air. Il fut surpris de voir Katie garder un sourire poli. Leur échange sembla demeurer cordial du début à la fin et il faillit s’étouffer en buvant lorsque son amie quitta l’ancien Poursuiveur d’un geste amical de la main.

— Je ne peux vraiment pas te laisser une minute tout seul, soupira-t-elle en le rejoignant.

Elle lui tendit une serviette pour s’essuyer la bouche, dont il se saisit avec reconnaissance.

— Je peux savoir de quoi vous avez parlé ?

— Je lui ai demandé ce qu’il était devenu depuis la fin de nos études. Tu savais qu’il avait fait carrière aux États-Unis ?

— Je m’en fiche.

— Tu es vraiment incorrigible, soupira-t-elle.

— Tu lui as demandé pour les schémas ?

— Il a abordé lui-même le sujet en me disant que je perdais mon temps si je croyais que c’était lui.

— Et qu’est-ce que tu en penses ?

— Il a l’air d’avoir changé. En tout cas, disons que c’est possible d’avoir une conversation normale sans avoir envie de lui jeter un sort. Quant à savoir s’il est capable de faire ça ou pas… Il n’a jamais été très fair-play quand on était à Poudlard, mais de là à tricher pour une compétition internationale ? Je pense qu’il faudrait creuser.

— Sara est par là-bas si tu veux te faire une idée.

Il pointa du doigt la jeune femme, qui sirotait un verre à côté d’un grand brun aux joues creuses. Chuck, si sa mémoire était bonne. Aiden lui avait dit qu’il s’agissait de l’Attrapeur des Pies. Katie évalua les deux joueurs d’un regard critique et secoua la tête.

— Je sais qu’il ne faut pas se fier aux apparences, mais j’ai des doutes sur ce que tu avances.

— Pour savoir lequel de nous deux à tort, il va falloir mener notre petite enquête, dit nonchalamment Olivier.

— Par quoi veux-tu qu’on commence ?

Un éclat de malice brillait dans les yeux de Katie. Cela faisait longtemps qu’ils n’avaient rien eu à comploter tous les deux, et cela avait le goût délicieux de leur adolescence.

— On va essayer d’interroger quelques témoins pour savoir qui a eu accès aux schémas de jeux les jours précédents le match.

— Pour les attraper la main dans le sac !

Enthousiaste, Katie prit une poignée de Suçacides, tandis que le regard d’Olivier dérivait vers le dos voûté de Flint. Peu importe ce que dirait son amie, il n’en démordrait pas. Son ancien rival avait la rancune trop tenace pour qu’il l’élimine de sa liste de suspects.