Comme le jeudi était son jour de repos, Tonks avait prévu de se lever tôt pour ranger l'appartement et s'occuper de ses tâches administratives. Comme la nuit de pleine lune approchait, Remus avait profité d'une mission de plusieurs jours, donnée par l'Ordre, pour se concentrer sur quelque chose. Elle n'aimait pas qu'il parte longtemps, toujours inquiète qu'il ne rentre pas, mais ils avaient besoin de lui. Elle le savait, Remus était un trop bon combattant pour rester en retrait. Elle aussi, était une guerrière, elle n'avait pas choisi son métier au hasard. Mais Tonks ne pouvait plus se permettre de prendre le moindre risque. Par pour elle, mais pour son bébé.
Bien qu'elle eût appris sa grossesse deux semaines auparavant, et bien que Remus n'avait pas encore tout à fait accepté la nouvelle, Tonks s'était déjà convaincue qu'elle devait faire au mieux pour sa sécurité. Cela ne lui ressemblait pas, elle qui avait toujours été impulsive, voire inconséquente, mais elle ne voulait pas mettre leur futur enfant en danger. Elle ne pouvait s'empêcher de se dire, avec culpabilité, qu'il partait déjà assez malchanceux dans sa vie. Elle sourit à l'idée qu'il ressemble à Remus. Bien sûr, il y avait l'inquiétude qu'il soit un loup-garou, et Tonks faisait son maximum pour éluder cette pensée. Mais elle souriait toujours en pensant à ce mélange entre elle et Remus. Il sera détonant.
Tonks secoua la tête pour reprendre le fil de sa journée. Elle se maudit d'être désormais incapable de rester rationnelle lorsqu'elle pensait à Remus, Remus qu'elle aimait. Depuis le début, depuis qu'elle l'avait rencontré, elle n'arrivait pas à garder la tête froide à son sujet. Et maintenant, Remus l'aimait aussi, il vivait avec elle, il avait voulu l'épouser, ils allaient avoir un enfant. Elle n'avait jamais rêvé de cette vie là, plutôt indépendante, trop occupée par son travail pour fonder une famille. Mais avec Remus, elle voulait bien de n'importe quelle vie.
Après avoir réorganisé son appartement pendant une heure, elle décida qu'elle avait fait bien assez de rangement pour la semaine. Satisfaite de voir le salon finalement spacieux, elle s'assit sur son canapé et avisa la pile de papier posée sur la table devant elle. Tonks avait insisté pour prendre en charge le traitement du courrier de l'Ordre, trouvant insupportable de se sentir inutile. Beaucoup d'aide de l'étranger, des communications interceptées, des copies du courrier reçu au Ministère, les sujets étaient variés mais chaque lettre devait être lue et rapportée pour la réunion suivante.
Au bout d'une demi-heure, elle reposa le papier qu'elle avait entre les mains, fatiguée de devoir déchiffrer une énième missive reçue de France et dont l'anglais était approximatif. Un peu désespérée en comptant qu'elle n'avait traité que trois lettres, elle attrapa l'ensemble de la pile restante pour en évaluer la longueur. Sous celle-ci, comme s'il venait d'apparaître, se trouvait le portefeuille de Remus.
Tonks en profita pour y récupérer sa dernière attestation de soin, prodigué par un mage qui travaillait pour l'Ordre, et dont il avait besoin pour certifier son suivi au Ministère. Les loups-garous étaient de plus en plus surveillés. Elle soupira en y pensant, agacée par la façon dont on traitait Remus alors qu'il n'y avait aucun danger avec lui. Elle soupira encore, soudainement lasse de ce monde qui l'entourait, ce monde dans lequel vouloir le bien faisait du mal. De fatigue, elle soupira dans un bâillement et s'allongea pour dormir un peu.
***
Remus était rentré deux jours après la pleine lune. Tonks savait que c'était une période où il n'était pas d'humeur à plaisanter, elle avait appris à le laisser se tourmenter tout seul, surtout pour se protéger. Peut-être qu'effectivement, vouloir le bien faisait du mal.
Ce matin-là, ils s'étaient levés aux aurores pour envoyer un patronus demander à Maugrey des informations sur leur nouvelle mission. Leur quotidien s'était transformé depuis la mort de Dumbledore, plus qu'ils ne l'avaient imaginé. Il n'y avait plus vraiment de maison pour accueillir l'Ordre, chacun étant un peu trop méfiant pour amener les nouvelles recrues dans son foyer. Ils devaient communiquer souvent, pour savoir ce qui se décidait lors de réunion en comité restreint. Tonks et Remus acceptaient généralement toutes les missions que l'on voulait leur attribuer, leur présence n'était donc pas toujours nécessaire.
Ils petit-déjeunaient en attendant la réponse de Maugrey. Ces rares moments de calme, à deux, chacun les appréciait. Remus tentait manifestement de faire taire sa mauvaise humeur caractéristique, en s'empêchant de râler ou de trouver le temps long. Tonks se leva pour se placer derrière lui, les mains sur ses épaules. Elle savait qu'il souffrait physiquement après chaque transformation, mais elle savait aussi comment l'apaiser. Elle pressa ses paumes au niveau de ses trapèzes, de manière discontinue, jusqu'à le sentir fermer les yeux. Au début, Remus refusait qu'elle le touche ou l'approche tant qu'il était dans cet état. Elle avait été bien incapable de se retenir et il avait fini par apprécier ses massages. Finalement, Tonks était devenue sa bouée, son soleil, son oxygène.
Quand elle se rassit à sa place, Remus ouvrit les yeux et lui sourit. Son regard dévia sur le coin de la table, et il fronça les sourcils.
« Tu as déplacé mon portefeuille ?
– J'ai du le poser ici sans faire attention, oui.
– Tu as fouillé dedans ? enchaîna Remus avec soupçon.
– Je n'ai pas fouillé, j'ai juste pris ta feuille de soin. »
Contrarié, il se contenta de grogner en guise de réponse. Tonks n'avait jamais pensé qu'il pouvait s'en offusquer. Un peu vexée de se voir ainsi suspectée de fouiner dans les affaires de Remus, elle se releva brusquement.
« Excuse-moi, je suis juste fatigué. »
Évidemment, ce n'était pas sa période la plus facile, il était toujours un peu à bout de nerf juste après la pleine lune. Tonks décida de se radoucir, toujours intriguée par le malaise qu'elle venait de percevoir.
***
Comme au début de chaque semaine, Remus quitta l'appartement pour aller chez les Weasley. Il devait délivrer les rapports qu'avait écrit Tonks sur les lettres reçues. Elle n'attendait que son départ depuis quelques jours, pour enfin éclaircir le mystère de son portefeuille. Elle avait longuement réfléchi et avait finalement décidé d'aborder le sujet avec Remus. Elle lui avait demandé, avec un léger rictus, s'il cachait un secret plus sombre encore que sa lycanthropie. Il n'avait pas ri à ce trait d'humour.
« Ce sont mes affaires, j'ai le droit de garder des choses pour moi. »
Il avait ensuite coupé court au débat, redoutant sûrement les arguments de Tonks, têtue, qui avait trop souvent le dernier mot. Alors elle avait attendu qu'il parte pour en savoir plus. Elle savait qu'il ne lui cachait rien – que pouvait-il y avoir de pire qu'être un loup-garou ? – et ne pouvait pas résister à l'envie d'en savoir plus. Trop curieuse, trop têtue. Tonks s’amusait toujours à découvrir les secrets qu’on cherchait à lui dissimuler. Trop obstinée, trop imprudente. Elle aimait aussi braver les interdits.
Elle se doutait d’où se trouvait le portefeuille, Remus avait tenté de le mettre en sécurité mais il était trop ordonné pour le poser n'importe où. Elle ouvrit le dernier tiroir de la commode, sous quelques vieilles chemises, là où il cachait ses souvenirs. Tonks tomba d'abord sur un cadre contenant une photo de lui, enfant, dans les bras de son père. Son cœur se serra. Ça devait être avant sa contamination, quand leur vie était normale et sans terreur. Un deuxième cadre, en-dessous, lui tira une larme. Mais cette fois, un bonheur paisible l’envahissait. Elle l'attrapa et observa les détails de leurs visages, souriants et amoureux, le jour de leur mariage. Il semblait si heureux, comblé.
En fouillant encore un peu, Tonks tomba enfin sur le fameux portefeuille. Pas surprise mais intriguée que Remus l’ait mis avec ses souvenirs, elle se demanda quel morceau de son passé il voulait lui cacher. Elle connaissait toute sa vie, toutes ses anciennes vies. Elle savait qu’il avait connu quelques autres femmes, qu’il avait aimé avant elle. Mais rien qui pût la rendre triste ou jalouse.
Elle ouvrit précipitamment le portefeuille, sans trop savoir si elle devait le vider jusqu'à trouver quelque chose ou si elle avait juste besoin de regarder à l'intérieur pour se rassurer. Elle en vérifia tout de même le contenu, et en écarta les parois en cuir de la plus grande poche. Un papier plié en quatre attira son attention, il ressemblait à une photo. Pourtant, les photos importantes de Remus étaient toutes encadrées. Elle l'extirpa et l'ouvrit avant de se figer sur place. Puis elle s'assit sur le lit, incapable de rester sur ses pieds.
***
Tonks venait de passer dix minutes à regarder dans le vide, ne sachant où poser ses yeux. Elle se décida enfin à contempler la photo qu'elle tenait encore dans sa main.
Le regard aguicheur, la peau éclatante, un éclat de rire. L'animation de l'image était longue, complexe et pleine de sous-entendus. Au début, la personne passa une main dans les cheveux, sans que Tonks ne pût dire si le but était de les remettre en place ou simplement de séduire la personne qui regardait la photo. L'autre bras était intelligemment posé sur l'aine, cachant manifestement une partie du corps nu.
La main quitta les cheveux sombres pour se glisser à sa place de départ, sous l’avant-bras posé entre les cuisses. Les lèvres fines dessinèrent alors un sourire en coin qui en disait long, aussi long que le haussement de sourcil, qui invitait clairement à poursuivre le visionnage. Tonks ne parvint pas à détourner le regard, trop sous le choc, trop curieuse aussi, de voir la prochaine étape.
La tête rejetée en arrière, un éclat de rire sembla sortir de la gorge ainsi exposée, pâle et fine, invitant à embrasser la mâchoire dessinée, qui était parfaitement mise en valeur. Ne rougissant à aucun moment, malgré l'intimité qui se dégageait de la photo, le visage finit par se retrouver de face et puis de profil. La tête ainsi tournée, on pouvait deviner le chatouillement des cheveux sur les épaules et la poitrine, effleurant chaque parcelle de cette peau juvénile.
Comme hébétée, Tonks réalisa qu'elle ne respirait plus normalement, qu'elle retenait son souffle depuis une minute. Elle souffla un grand coup, comme pour évacuer le poids qui venait de tomber sur ses épaules affaissées. Elle ne comprenait pas ce que cette photo faisait à cet endroit. Elle ne voulait pas imaginer une raison valable pour que Remus veuille la garder près de lui, loin d'elle. Elle reposa les yeux sur l'image, toujours vivement animée.
Le bras nonchalamment posé depuis le début se souleva enfin, tendant une main vers le destinataire de la photo. Le mouvement était accompagné d'un hochement de tête suggestif. Le menton ainsi dirigé vers le bas, les yeux pouvaient lancer ce regard insondable qui invite au défi. Un nouveau sourire, plus direct, plus franc, se transforma rapidement en un rire léger. Si léger, si détendu, qu'il caressait les sens de quiconque le regardait, aussi délicatement qu'une brise estivale. Le bras retomba mollement sur le côté et l'autre main commença lentement à remonter sur la hanche, laissant voir une nudité la plus totale.
Estimant qu'elle en avait assez vu, qu'elle ne voulait pas connaître la suite, Tonks laissa la photo s'échapper de ses mains. Soufflée, figée, bloquée, tétanisée, elle ne pouvait plus bouger. Elle ne pouvait pas y croire non plus. Elle n'aurait jamais pensé. Elle n'aurait jamais pu imaginer. Et par-dessus tout, Tonks n'était pas préparée à revoir le visage, même jeune, de Sirius.