Il y a ce rouge bordeaux, le rouge de ses lèvres et le goût de sa bouche sur la mienne. Le goût chimique du cosmétique. Il est partout. Ce rouge… Il est partout, même quand je ferme les yeux. J’aimerais enlever cette couleur, l’effacer, comme elle le fait le soir venu avec un bon coup de démaquillant. Oui, voilà… C’est ça ! Je veux la démaquiller de ma vie. Enlever le masque qu’elle m’a fait porter, gommer les traits qu’elle m’a fait adopter, blanchir les couleurs qu’elle m’a fait peindre sur le visage… Les couleurs d’un pâle mensonge, d’une illusion à peine déguisée. Mais rien n’y fait. C’est comme une maladie, une drogue, quelque chose dont il faut se soigner… Je crois qu’elle ne m’aime que lorsque que je souffre. Mais Haylina, c'est la femme qui m'a fait comprendre qui j'étais. Je triture mon hélix, ce petit piercing couleur sang qui a fait bondir mon père du canapé quand il l’a aperçu… Je suis nerveuse.
- Molly ?
Je sursaute avant de me retourner silencieuse. Et je les regarde, elle et ses lèvres peintes de rouge. Le rouge satanique, le rouge tentateur…
- A quoi tu penses ?
- A rien Haylina..., je murmure en détournant la tête avant que sa bouche n'atteigne la mienne.
Ses lèvres s'écrasent sur ma joue, y laissent une trace. Haylina m'a marqué de bien des façons. Les tatouages éphémères de ses baisers, je n'arrive pas à les effacer. J'ai toujours su que j'étais différente, que je n'étais pas comme la majorité des gens qui m'entourait. A l'âge de quinze ans, j'ai embrassé Dimitri Kamanov, le fantasme de toutes les filles de Poudlard. Mais quand j'ai senti sa langue dans ma bouche, je me suis juste dit que c'était agréable, comme déguster une pâtisserie. Puis, un an après, c'était Haylina qui m'embrassait, et là, ce n'était plus comme déguster une pâtisserie. C'était comme détenir les clés de la boulangerie toute entière. Elle avait pressé ses lèvres badigeonnées de gloss à la cerise et j'avais savouré leur sucré, le cœur battant et le cerveau sous-oxygéné. Depuis ce jour, je sais. Je sais que Molly Weasley est attirée par les femmes.
- Molly ? Répète-t-elle
Haylina m'appelle toujours en insistant sur la première syllabe de mon prénom. J'ai toujours trouvé ça énervant. Mais Haylina... Elle m'a fait tourner la tête. Etre avec Haylina c'est comme être coincée dans un manège fou qui tourne de plus en plus vite, qui se transforme en centrifugeuse, empêchant le sang d'irriguer mes organes. Haylina, c'est la passion dévorante, ce sont les flammes qui me lèchent constamment le visage. Mais Molly et Haylina... C'est surtout une histoire cachée de trois ans. C'est mon histoire, celle où je vérifie qu'il n'y a pas de trace de rouge à lèvres sur mon corps avant de sortir, car si quelqu'un venait à les voir... Ce serai une histoire finie, un livre qu'il faudra brûler.
En trois ans, Haylina a eu le temps de parler à son entourage, mais elle ne l'a jamais fait. Je ne l'ai pas fait non plus, parce que, quand je m’apprêtais à le faire, elle battait des cils en me demandant de garder le secret. Je suis son fantôme et elle est le mien. Personne ne sait pour nous... J'ai été rouge de colère au début, parce que Haylina voulait fermer les rideaux quand nous étions chez nous et qu'il faisait déjà nuit. Puis le rouge de la honte, parce qu'elle repoussait toujours ma main quand elle s'approchait trop près de la sienne, dans la rue.
Moi j'aime vivre, j'aime aimer et mes sentiments sont sur liste rouge car je n'ai pas le droit de les exprimer pour ne pas fâcher la femme avec laquelle je partage mon lit. Haylina elle aime les apparences, la facilité, et mon silence. Et moi, je veux parler. Je ne peux plus continuer ainsi.
L'amour a différentes déclinaisons. Celle-ci est beaucoup trop sombre, elle m'entraîne dans des abysses dans lesquelles je risque de me noyer. Je n'ai plus la force de me battre. Je me sens en colère... En colère contre les mots que je vais prononcer, mais qui me délivreront. Je ne vois plus que ça comme solution. Pour me sentir mieux, en vie, pour être fière de moi et de ce que je suis. Pour devenir celle que je dois être. Quatre mots :
- Je m'en vais.
- D'accord.
Mes yeux se posent sur la table du salon. L'échiquier laisse deviner une partie en cours, qui ne se terminera jamais. Les pions blancs ont l'avantage comme toujours... Je joue aux échecs avec ma cousine Rose et mon Oncle Ron depuis l'âge de six ans. Je suis loin d'être mauvaise, je gagne même souvent. Pourtant, c'est Haylina qui va faire échec au roi....
Je continue d’observer, de me concentrer sur autre chose que l’asiatique à ma droite. Mes yeux restent sur la table… Un verre de vin rouge s'y trouve, sur la Gazette du sorcier qui affiche les premiers pronostics pour la Coupe du Monde de Quidditch. Je me concentre dessus. "La France est la grande favorite, avec une nouvelle équipe qui sait se montrer audacieuse". Je refuse de penser au "d'accord" de Haylina. "D'accord"… C'est tout ce que je représente pour elle. Je regarde ma valise rouge et frotte ma joue. Je regarde ma main et l'essuie sur mon chemisier blanc. Je me demande combien de machine il me faudra pour enlever les tâches de son rouge à lèvres...