Hector Hopkirk surprit le regard agacé que lui lançait sa grande sœur, alors qu’il envoyait la balle multicolore à leur cadette. Il sourit avec une compréhension. Hesper passait toutes ses journées à lire des romans à l’eau de rose, du moins quand elle n’écrivait pas à sa meilleure amie pour avoir des nouvelles de Grande-Bretagne. Il aimait lire mais pas les mêmes choses que sa sœur qui n’hésitait pas à traiter les passionnants traités qu’il dévorait de « manuels pour renforcer l’ennui ». En tout cas il comprenait l’agacement de sa grande sœur.
Mais le garçon savait tout aussi bien que pour rien au monde Hesper n’aurait voulu qu’ils aillent jouer de l’autre côté du bateau, là où seul leur père aurait pu les surveiller. Aucun des trois enfants ne se faisaient d’illusion sur la raison de leur présence sur ce bateau de croisière moldu, perdu en pleine mer adriatique. Leur père Oswin, un médicomage renommé, avait voulu les éloigner de la menace de Vous-Savez-Qui, et en profitait pour étudier les venins de la faune adriatique. En tout cas, il ne leur prêtait pas beaucoup d’attention.
– Je l’ai eu ! triompha Heaven, la plus jeune des trois enfants.
Un grand sourire illumina son visage et rappela à Hector pourquoi il avait accepté de prendre le grand ballon. Il ne pouvait rien refuser à sa cadette. Ni de l’emmener à Poudlard alors qu’elle était cracmole, ni de se ridiculiser en jouant à la balle en ayant presque seize ans. Il aimait sa sœur et voulait la protéger de tous les dangers. Et lui faire oublier son statut de cracmole et la situation en Grande-Bretagne.
Hector bondit rapidement en voyant Heaven lui renvoyer la balle. Il la lui renvoya directement avec force. Sa sœur sauta mais ses doigts ne frôlèrent que le plastique avant que la balle continuât sa parabole pour atterrir dans l’eau.
Son regard catastrophé se posa sur la surface turquoise et scintillante de la mer. Mais qu’est-ce qu’il avait fait ? Il n’avait pas le droit de faire de la magie hors de l’école et donc n’avait aucune chance de récupérer le ballon. Il observa Heaven se diriger vers leur grande sœur. C’était vrai qu’Hesper, elle, avait fêté ses dix-sept ans en février.
– Tu peux nous remonter le ballon, Hesper, s’il-te-plaît ?
– C’est bien fait pour vous, marmonna l’ainée. Demandez à papa, ça vous apprendra à ne pas faire attention.
Hector soupira. S’il fallait demander à leur père, ils ne récupèreraient jamais leur ballon. Sa sœur cadette se contenta d’hausser et de partir en direction des cabines, évitant sans peine un marin au badge rouge qui indiquait les infirmiers de croisière.
– Tu viens, Hect’ ?
– Toujours, Heav’, murmura le garçon en faisant un signe de la main à sa grande sœur.
Et c’était vrai, il était prêt à tout pour sa petite sœur. Elle était si pleine de vie, si enthousiaste. Il la considérait pratiquement comme une partie de lui-même. Tout comme tous les autres à vrai dire. Les jumeaux Hopkirk qu’ils les appelaient, tout en sachant qu’ils avaient dix mois d’écart.
Heaven l’attendait devant la cabine qu’ils se partageaient tous les trois.
– Tu as la clé, non ? On va mettre nos maillots de bain, comme ça on pourra chercher la balle !
– Et comment veux-tu remonter sur le bateau ensuite ? l’interrogea Hector, habitué aux plans plus ou moins réalisables de sa sœur.
– Hesper ne nous laissera pas nous noyer, sourit la benjamine.
Son frère sourit avec exaspération mais ne la contredit pas. Il savait depuis longtemps que cela ne servait pas à grand-chose pour ce genre de question. Et puis elle avait raison. La mer bleue l’attirait depuis la première fois qu’il l’avait vu et le garçon brûlait d’envie d’y plonger. Malgré l’inconscience de ce geste.
Les deux enfants traversèrent le bateau en courant joyeusement jusqu’à l’échelle d’urgence. C’était le meilleur moyen de se rapprocher du liquide bleu. Hector laissa dévier son regard vers l’horizon où se traçait le relief de Venise. Heaven savait-elle qu’il y avait une école de magie là-bas ? Une école qui accueillait les cracmols également. Une école éloignée du danger que présentait Celui-dont-on-ne-prononce-pas-le-nom. Une école où il voulait passer sa cinquième année avec elle. Il ne lui avait encore rien dit. Il n’en avait pas eu le courage. Il craignait sa réaction. Il ne l’avait pas dit à Hesper non plus. Elle voulait retourner à Poudlard. Pour voir ce qui se passait. Pour ne pas fuir. Il ne voulait pas avoir l’impression de l’abandonner. Il ne voulait pas la décevoir.
– Plouf, fit Heaven en sautant dans l’eau légèrement salée de l’Adriatique.
Hector chassa ses pensées. Il était là et il devait profiter de ces instants avec Heaven. Il sauta. L’eau turquoise était pratiquement transparente autour de lui. Elle l’entourait et avec elle venait une sérénité bienvenue. Hector adressa un sourire sincère à sa sœur qui s’éloignait déjà du bateau.
Les deux enfants s’amusèrent à s’éclabousser. Autour d’eux avaient apparu de petits animaux blancs-gris qui gambadaient à leurs côtés. L’un d’entre eux donna un coup de tête dans le ventre d’Heaven.
– Ils sont mignons, tu ne trouves pas ? rigola la jeune fille.
Hector hocha la tête pour approuver. Ses bêtes ressemblaient à des phoques mais leurs nageoires étaient plus grandes et leur donnaient un air maladroit. Leurs longues moustaches luisaient d’un turquoise parfait. Et leurs regards se vrillaient dans le sien pour qu’il ne voit plus que ses pierres bleues.
Hector rigola quand l’un d’entre eux fit un plaqué à sa sœur. Heaven passa sous l’eau. Il attrapa un bras de sa petite sœur pour la tirer à la surface. Un phoque lui donna sa nageoire en lui souriant. Hector lui rendit son sourire.
– Hector ! Heaven !
Hector leva le regard vers le bateau. La silhouette d’Hesper se distinguait contre les lumières du bateau de croisière. Les cherchait-elle depuis longtemps ?
Les bras commençaient à lui devenir lourds et ses jambes ne voulaient plus lui obéir. Combien de temps étaient-ils déjà dans l’eau ? Il fixa ses mains. Elles étaient toutes ratatinées. Le soleil se couchaient déjà également et ses rayons coloraient la mer en rouge et orange. Qu’il n’avait pas remarqué cela avant ! Il se retourna vers Heaven. Qui n’était pas là !
Le garçon pâlit soudain. Les phoques l’avaient tirée sous la surface ! Le phoque qui l’avait empêché de la repêcher lui donna un petit coup entre les côtes. Heaven devait simplement lui jouer un tour, jamais il ne lui serait arriver quelque chose… Si, il devait la remonter à la surface. Elle n’avait pas le droit de se noyer comme ça.
Hector repoussa le phoque qui lui lança sa balle et plongea dans l’eau qui devenait de plus en plus sombre avec chaque minute. D’autres phoques l’entouraient comme s’il voulait l’empêcher d’avancer. Mais ils ne pouvaient pas avoir d’intérêt à noyer Heaven ! Ils étaient si gentils, si mignons…
Non, il secoua la tête avec difficulté. Il ne devait pas se laisser avoir par leur apparence. Il devait retrouver Heaven et rapidement. L’adolescent nagea avec des mouvements animés par la panique et le désespoir. Il dépassa rapidement les phoques blancs et gris et se lança à la poursuite d’une tâche blanche plus lointaine. Il espérait que c’était Heaven car si ce n’était pas elle… non, il préférait ne pas y penser. Les phoques ne faisaient pas mine de vouloir le suivre et il progressa rapidement malgré la fatigue qui l’assaillait de plus en plus.
D’un coup il se prit les mains dans une masse noire. Hector rouvrit ses paupières – il les avait rabattues à cause de l’eau salée. Devant lui les cheveux d’Heaven formaient une auréole autour de son visage paisible. Était-il venu trop tard ?
Repoussant cette pensée dans le fond de son esprit, le garçon agrippa le poignet de sa sœur et la tira en direction de la surface. Elle était étonnement légère et il réussit à la faire remonter un peu. Puis un de ces phoques lui barra le chemin. Il lui adressa un grand sourire.
Hector le lui rendit. C’était gentil à lui de vouloir lui aider. Sa prise se relâcha et le bras de sa sœur glissa dans sa main. Non, il essayait encore de lui faire lâcher Heaven. Il ne fallait surtout pas que ça arrive. Le garçon referma la main et donna un grand coup en direction du phoque. Puis il reprit son ascension.
Soudain il se sentit attirer vers le haut. Il fusa à travers les flots et fut projeté vers le bateau. Comme il tenait néanmoins fermement le poignet de sa sœur, celle-ci le suivait au cours de son vol.
Les deux enfants s’écrasèrent sur le sol du bateau de croisière. Hector se ramassa et malgré la douleur qui pulsait dans son bras, se précipita sur sa petite sœur. Il retomba assis, soulagé. Elle avait un pouls.
– Qu’est-ce que vous faisiez ?! s’énerva Hesper face à lui. Pourquoi vous êtes allés vous baigner sans prévenir personne ? Vous savez très bien qu’il y a des charmers ! A quoi pensiez-vous ?!
– Peut-être… Heaven… d’abord…
Hector fit un signe las vers sa sœur. Maintenant qu’il était hors de l’eau, l’adrénaline retombait et il se sentait très fatigué. Il aurait pu s’endormir pour toujours immédiatement.
– Et toi aussi, sa sœur sonnait très inquiète d’un coup. Les charmers ont le pouvoir de faire oublier tous les soucis. Mais ils sont tout sauf inoffensifs. Leur repas préféré est l’homme, tu sais.
Hector hocha vaguement la tête. Il fallait qu’il parle de l’école de Venise à ses sœurs. Ils y seraient plus sûrs. Ce fut la dernière chose qu’il pensa avant de sombrer dans l’inconscience.
Au loin quelques animaux marins se lançaient une balle multicolore.