Mais où était-il donc passé ? Il ne s’était arrêté que quelques instants pour admirer et observer tout ce qui se trouvait autour de lui, n’avait fait qu’une toute petite pause dans les étranges toilettes nipponnes, avant de revenir dans les longs couloirs interminables du terminal. Il n’avait pas pu disparaître si rapidement. Et avec cette immense foule qui grouillait autour de lui, impossible de retrouver son ami. Pourtant, ses cheveux blonds foncés devraient détonner parmi la couleur noire de jais des japonais.
« Fraaaank !
- Allan je suis là, arrête de hurler comme un tordu, tout le monde nous regarde.
- J’ai eu tellement peur, j’ai cru que tu m’avais abandonné.
- C’est ce que je vais finir par faire si tu continues à hurler comme ça. Les Japonais vont nous prendre pour des malades hystériques à cause de toi ».
Frank avait déjà récupéré leurs bagages - il avait mis tant de temps que ça ? - et les entraînait à présent dans le hall de l’aéroport de Sado. Monsieur Matsui, qui devait leur servir de guide pour leur séjour, les attendaient là-bas pour les récupérer et les emmener jusqu’à leur prochaine destination.
Allan était épuisé par le voyage, ils en étaient à leur troisième escale et il avait hâte de se rendre enfin à l’hôtel où ils allaient loger pour la nuit. Ils traînaient dans les aéroports et les avions depuis pratiquement 20h et, même si le Japon était vraiment un pays fascinant - du peu qu’il en avait vu en tout cas - il avait hâte de s’arrêter enfin quelque part et de se remettre de ce long voyage.
Surtout qu’une grosse journée les attendait dès le lendemain. Ils n’étaient pas venus visiter le pays nippons en simples touristes, non, ils étaient chargés d’une mission de la plus haute importance. Enfin, Allan s’était chargé d’une mission personnelle de la plus haute importance. Personne ne lui avait demandé de faire ce voyage.
Mais en tant que magizoologiste, il ne pouvait laisser passer une telle occasion. Un animal très rare, uniquement visible dans l’archipel nippon, aurait récemment été aperçu sur l’île de Sado, dans les environs de la montagne Otsuka.
Allan n’avait pas hésité une seconde de plus, il avait rapidement préparé son excursion avant de prendre la voie des airs et de débarquer au Japon, entraînant avec lui Frank, son meilleur ami depuis maintenant 16 ans et occasionnellement assistant lorsqu’Allan le lui demandait.
Leurs métiers respectifs s’accordaient assez bien pour que Frank trouve un intérêt à suivre Allan dans ses excursions. En tant que peintre photographe, il avait la possibilité de prendre en photos toutes sortes de créatures magiques, sans compter les magnifiques croquis qu’il réalisait pour en faire de spectaculaires œuvres d’art.
Ils parvinrent finalement à retrouver monsieur Matsui, un japonais d’une trentaine d’années, doté de petite lunettes rondes et de cheveux noirs en batailles, qui les emmena jusqu’à son véhicule avant de prendre la direction de l’hôtel où ils devaient passer la nuit.
Ce ne fut que lorsqu’il posa enfin sa lourde valise dans un coin de la chambre et qu’il s’affala de tout son long sur le grand lit moelleux, qu’Allan prit pleinement conscience qu’il était enfin arrivé. Ses paupières se faisaient lourdes et il n’eut pas même le temps de se déshabiller qu’il tombait doucement dans le sommeil, bercé par les doux bras de Morphée…
« Allan debout ».
Un grognement lui répondit alors que le jeune homme roulait dans le lit pour se mettre sur le dos.
« Dépêche-toi on va être en retard, Matsui-san nous a donné rendez-vous dans le hall de l’hôtel à 7h je te rappelle ».
Il soupira avant de reprendre.
« Je n’arrive pas à croire que même là, je sois obligé de m’occuper de toi. On pourrait penser qu’à 27 ans tu serais tout de même capable de te gérer tout seul ».
Un objet froid et humide entra alors en collision avec son faciès. Allan ouvrit brusquement ses paupières et renvoya sur Frank le gant mouillé qu’il venait de lui lancer. Non mais quel goujat ! Ce dernier rigola de bon cœur devant l’expression outrée de son ami avant de renvoyer le gant d’Allan dans la salle de bain d’un coup de baguette magique.
« Si tu ne bouges pas tes fesses la prochaine étape c’est le seau d’eau compris ? ».
Et il quitta la chambre en refermant bruyamment la porte. Allan parvint tant bien que mal à sortir du lit et à prendre la direction de la salle de bain. Une petite demi-heure plus tard il descendit dans le hall frais et pimpant, prêt à partir à la recherche de la créature magique qu’il rêvait de rencontrer depuis des années. Frank était déjà là - armé de sa petite panoplie du parfait peintre-photographe - ainsi que monsieur Matsui, tous deux discutant tranquillement en attendant le retardataire.
« Ah ben enfin, un peu plus et je demandais à Matsui-san de partir sans toi, le taquina le blond, c’est bon tu as tout ce qu’il te faut ? Dans ce cas, on peut y aller ».
Ils montèrent une nouvelle fois dans le véhicule de monsieur Matsui et partirent sur les routes de la montagne Otsuka. Il leur fallut plus de 2h avant de parvenir à leur destination. Durant le trajet, leur guide leur avait donné diverses informations concernant la créature qu’ils recherchaient. Il avait été l’assistant d’une grande magizoologiste japonaise, le docteur Natsuki Akabane, la seule spécialiste à ce jour qui avait réussi à approcher de suffisamment près la créature qu’ils recherchaient afin de l’étudier.
Allan avait lu toutes les recherches faites par le professeur Akabane sur le tokitori, l’oiseau du temps, cette créature fantastique et merveilleusement rare que de nombreux sorciers avaient passé des années à chercher en vain. Et Allan avait peut-être une chance d’y parvenir aujourd’hui, de réaliser son rêve et de voir de ses propres prunelles cette créature fascinante.
Le petit 4x4 s’arrêta enfin prêt d’un sentier de terre. Le reste du trajet se ferait à pied, d’une part parce que cette zone était difficilement praticable en voiture et d’autre part parce que le bruit d’un véhicule risquerait de faire fuir les tokitoris présents dans les environs.
Après avoir enfilé son sac à dos, sa baguette magique dans la poche et son carnet de notes dans l’autre, Allan suivi le guide qui ouvrait la marche. Frank se tenait juste derrière lui, armé de son appareil photo, prêt à immortaliser tout ce qui pourrait avoir le moindre intérêt pour lui.
Ils marchèrent ainsi à travers la végétation luxuriante pendant près d’une heure sans rencontrer la moindre trace de la présence d’un tokitori dans les parages. Allan commençait à perdre espoir. Peut-être que ce qu’ils avaient pris pour une source fiable était en fait un énorme canular…
C’était un moldu en randonnée qui avait affirmé avoir aperçu un toki bleu dans les environs de la montagne Otsuka. Le toki étant une espèce disparue depuis de nombreuses années au Japon, il ne pouvait s’agir que du tokitori. Dans les grandes lignes, le tokitori comportait de nombreuses similitudes avec cet animal. Principalement parce qu’à la base, le tokitori était un simple et banal toki qui avait transmuté à la suite d’un évènement particulier.
Les sources que l’on avait sur le tokitori remontaient à plusieurs centaines d’années et faisaient aujourd’hui parti du folklore japonais. Les légendes racontaient qu’une nuit, un kappa, un démon des eaux, affamé et n’ayant pu trouver aucun humain pour se nourrir de son sang, s’était rabattu sur une femelle toki en pleine couvaison qui vivait dans les environs.
Un esprit du temps qui passait par là trouva le nid et ses trois œufs, ainsi que le corps de la mère vidé de son sang un peu plus loin. Il décida alors de prendre soin des oeufs, ne pouvant se résigner à les laisser mourir. Il créa une bulle d’espace-temps autour du nid permettant de préserver la chaleur de la mère encore présente sur les œufs, tout en laissant le temps suivre son cours à l’intérieur de la coquille afin que les petits toki puissent se développer parfaitement.
Quand fut venu le temps de sortir de l’œuf, les tokis, qui avaient passés un certain temps dans la bulle d’espace-temps avaient hérités d’une partie des pouvoirs de l’esprit du temps, leur conférant ainsi la possibilité de le manipuler, par l’intermédiaire de deux plumes argentés sur le haut du crâne, faisant office d’antenne. Ils étaient également dotés d’un magnifique plumage bleu nuit ainsi que de membres argentés. A cela venait s’ajouter deux prunelles d’un noir profond.
C’était principalement cette caractéristique qui rendait le tokitori extrêmement difficile à approcher. Au moindre danger, ou sentiment d’insécurité, ils accéléraient le temps autour d’eux afin de pouvoir s’enfuir rapidement sans être poursuivi par leurs ennemis. Il était donc extrêmement difficile d’observer cet oiseau, encore plus de l’approcher.
Au détour d’un chemin, ils arrivèrent près d’un immense lac, dans lequel miroitait le paysage alentour. On aurait dit qu’un monde se mouvait sous les remous de l’étendue d’eau. Frank demanda à faire une pause pour prendre quelques clichés. Allan en profita de son côté pour explorer les lieux et tenter de trouver des traces de la créature qu’ils recherchaient.
Il s’enfonça légèrement dans la forêt qui bordait le lac, s’égratignant le bras à plusieurs reprises, sans trouver la moindre trace de quoi que ce soit. Cet endroit semblait vide de toutes traces de vies. Il était également silencieux, tout à coup, comme si toutes les créatures vivantes avaient soudainement disparues.
Le sorcier ressentit alors l’étrange impression d’être observé. Il fit un tour sur lui-même sans rien voir quand il vit un mouvement à sa droite et tourna vivement la tête. Un sentiment de panique s’empara de lui. Là, à seulement un mètre au-dessus de lui, se tenait un étrange singe à écailles et aux mains palmées, un kappa.
Que disaient les manuels déjà à propos de ces créatures ? Il ne se rappelait de rien mis à part qu’il se nourrissait de sang humain et qu’il était doté d’une force redoutable. Force redoutable qu’il tenait de l’eau présente dans la cavité situé sur le haut de son crâne. Mais oui bien sûr, l’eau ! Il fallait qu’il trouve un moyen de la vider avant qu’il ne lui saute dessus. Son regard luisait d’une lueur affamé, qui n’avait rien pour le rassurer. Il fallait qu’il agisse vite avant de se retrouver avec un kappa autour du cou et plus une seule goutte de sang dans le corps.
Il sortit sa baguette magique mais le kappa fut plus rapide et une seconde plus tard, il se retrouvait avec ses crocs plantés dans le trapèze de l’épaule gauche, avant de pousser un hurlement de peur et de douleur. Il tenta de se débarrasser de la créature mais cette dernière était bien trop forte pour lui. Il allait mourir là, stupidement, parce qu’il s’était trop éloigné et était tombé sur la pire créature des environs.
Il sentait son corps faiblir à mesure que le singe démon aspirait son sang. Non, il ne voulait pas mourir, pas comme ça, pas ici. Pourquoi par Merlin, pourquoi n’arrivait-il pas à se dégager de l’emprise de l’animal ? Il entendit du bruit derrière lui suivit d’un cri.
« Par la barbe de Merlin ! Allan ! Merde lâche-le sale bête ! »
Frank tenta de le libérer de l’emprise du démon, en vain. Lorsqu’il tira dessus une nouvelle fois, Allan sentit les dents de la créature s’enfoncer encore davantage dans son épaule et poussa un hurlement de douleur.
« Pardon, excuse-moi Allan, qu’est-ce que je peux faire, qu’est-ce qu’il faut que je fasse ? »
Sur ces entrefaites, leur guide arriva en courant, sa baguette magique à la main.
« Il faut vider l’eau dans le creux de son crâne, vite aidez-moi à faire tomber votre ami au sol pour faire pencher la tête du kappa ».
Allan sentit qu’on le poussait en avant et tomba durement sur les genoux. Mais la créature tenait bon et seulement une toute petite quantité d’eau s’était écoulée de la cavité. Il vit alors Frank apparaître dans son champ de vision, pointant sa baguette sur le singe. Que s’apprêtait-il à faire ?
« Evanesco ! »
La pression sur son épaule se relâcha soudain et quelques minutes plus tard, Frank réussit à le libérer du singe démon avant de l’envoyer valser à l’autre bout de la forêt. Allan s’assit sur le sol quelques minutes, le temps de reprendre ses esprits.
« Par Merlin, merci Frank, si tu n’avais pas été là… ».
Sa phrase se perdit dans sa gorge. S’il n’avait pas été là, il serait sûrement mort à présent.
« Ça va aller ? lui demanda son ami.
- Oui oui t’en fais pas, donne-moi juste le temps de me remettre de tout ça et on pourra repartir ».
Ils en profitèrent pour manger un petit quelque chose, surtout Allan, avant de revenir près du lac et de reprendre leurs recherches. Il avait été vivement secoué par sa mésaventure, mais n’était pas prêt pour autant à laisser tomber. Plus que tout à présent, il voulait trouver un tokitori.
Ils firent le tour du lac et suivirent un sentier presque invisible avant de s’enfoncer directement dans la végétation. Après sa mésaventure, Allan n’était pas très rassuré à cette idée mais il suivit monsieur Matsui sans rien dire. Quelque chose attira soudain le regard d’Allan. Une chose difficilement repérable que seuls ceux qui en avaient connaissance étaient capables de déceler. Des traces de magie temporelle. Elles étaient presque imperceptibles, mais bien présentes.
Allan bifurqua soudain dans cette direction et continua tout droit, suivit de près par Frank - qui ne le lâchait plus d’une semelle - et de leur guide qui se retrouvait à présent en position de suiveur.
Ils tombèrent alors sur la plus merveilleuse découverte qu’ils pouvaient faire à ce stade, une splendide plume bleue. Allan la ramassa et se tourna vers Frank un sourire rectangulaire sur les lèvres.
« Woaw elle est magnifique, s’exclama Frank.
- Et le plus beau dans tout ça c’est que, si on a trouvé une plume ici, ça veut qu’il y a de grandes chances pour que l’on tombe sur son propriétaire ».
Ce qu’Allan espérait plus que tout. La plume était en plutôt bon état, ce qui signifiait qu’elle était tombée assez récemment et donc que l’oiseau devait toujours se trouver dans les parages. Ils marchèrent encore quelques minutes avant de tomber sur une chose qui dépassait toutes ses espérances. Allan se retint de pousser des cris de joie et d’excitation.
Un nid ! Un magnifique nid entouré d’une jolie bulle d’espace-temps protectrice empêchant tout prédateur de pénétrer à l’intérieur. Le mâle, avant l’accouplement, se devait de créer une bulle la plus parfaite possible ainsi qu’un nid, afin de séduire la femelle. Si cette dernière était satisfaite du présent, elle acceptait alors de se donner au mâle tokitori et pondait et couvait ses œufs dans la sphère protectrice. C’était tout bonnement merveilleux d’avoir pu tomber sur une chose pareille. Il était tellement rare de pouvoir observer ce phénomène.
A l’intérieur se trouvait une chose encore plus extraordinaire, 4 minuscules tokitori bleu ciel, couleur des oisillons à peine de sortis de l’œuf - en était témoin les coquilles vides toujours présentes d’un joli bleu argenté. Le plumage des tokitori s’assombrissait au bout de plusieurs semaines, au fur et à mesure qu’ils apprenaient à maîtriser leurs pouvoirs temporels, et prenaient leur définitive couleur bleu nuit lorsque l’animal atteignait sa taille adulte.
Le tokitori était un oiseau qui pouvait vivre pendant extrêmement longtemps. Le docteur Akabane avait émis l’hypothèse d’une longévité de plusieurs siècles. Toutefois, cette durée pouvait fortement varier selon des facteurs difficilement déterminables. Mais la magizoologiste avait pu observer une longévité chez certains spécimens de seulement quelques années.
Ceci serait dû à une anomalie présente dans la bulle crée par le père, rendant la sphère d’espace-temps instable et modifiant la valeur du temps qui s’écoulerait différemment et raccourcirait la durée de vie de certains tokitoris. Il semblerait que cette particularité se produise principalement chez les couvées issues de mâles sans expériences qui, ne sachant trop comment s’y prendre, créeraient des bulles imparfaites.
Un autre élément important qu’avait relevé le professeur Akabane, était le rôle joué par les plumes située sur le dessus du crâne des créatures, faisant offices d’antennes leur pemettant de contrôler le temps. Elles sembleraient fortement liées à la vie ou fin de vie de l’animal. Un tokitori gravement blessé ou en fin de vie perdait ses deux antennes et mourait généralement dans un délai de 24h. C’était donc un signe avant-coureur du décès de la créature.
Les antennes des tokitori comportaient également une propriété magique qui les rendait extrêmement précieuses et très convoitées par les braconniers. Bien que le tokitori soit une espèce protégée, de nombreux sorciers tentaient de le capturer à cause des propriétés de ces dernières ainsi que de son plumage.
Une seule plume de tokitori comme celle qu’il venait de ramasser pouvait valoir plusieurs dizaines de gallions, prix qui augmentait d’avantage s’il s'agissait des plumes situées sur la tête de l’animal. Et il allait sans dire que certains étaient prêts à tout pour de l’argent, même à s’en prendre à des créatures innocentes et pacifiques telles que le tokitori.
Fort heureusement ce dernier, grâce à sa faculté de manipulation du temps était en capacité de se défendre efficacement. Ce qui le classait dans la catégorie XXX des créatures magiques, dû à son statut d’espèce protégée et à la difficulté qu’éprouvaient les sorciers à le trouver. Et Allan avait eu la chance inespérée de tomber sur un nid remplis de bébés venant tout juste de naître.
Frank en profita pour prendre quelques photos, pendant qu’Allan tentait de dessiner quelques croquis, mais comme toujours, son talent inégalable pour le dessin le désespérait. Ils restaient tout de même assez loin du nid afin de ne pas perturber les oisillons ni la mère qui devait se trouver dans les environs. Et il espérait de tout cœur qu’elle pointe le petit bout de son bec.
Monsieur Matsui, qui avait disparu depuis quelques minutes, revint vers eux pour les prévenir qu’il avait une course urgente à faire et qu’il était obligé de les quitter pour quelques heures. N’ayant pas l’intention de bouger d’ici pour le moment Allan et Frank n’y virent pas d’inconvénients et le guide promit de revenir les chercher d’ici la fin de la journée. A moins qu’ils ne préfèrent rentrer en transplanant ou passer la nuit ici, auquel cas, ils pouvaient le contacter directement sur son téléphone.
Après le départ de leur guide, les deux sorciers montèrent une sorte de planque de fortune afin de pouvoir observer de loin ces oiseaux extraordinaires. Les petits oisillons ne faisaient rien de particulier, si ce n’était piailler en émettant un son proche du miaulement d’un chaton qui faisait complètement craquer Allan, mais il ne cessait de prendre des notes sur tout et n’importe quoi.
Au bout d’une heure et demie cependant, le temps commençait à se faire long et les deux amis attendaient avec impatience la venue de maman tokitori qui ne devrait plus tarder à rentrer au nid à présent. Du moins il l’espérait. Le brun tournait et retournait la magnifique plume qu’il avait trouvé par terre toute à l’heure.
« Tu sais que cette simple plume pourrait nous rapporter une petite fortune ?
- Une petite fortune ? C’est à dire ?
- Je pourrais facilement en tirer 20 ou 30 gallions.
- Sérieux ? Tant que ça ?
- Ouais, c’est pour ça qu’on trouve pas mal de braconniers dans les parages qui essaient d’en attraper. Une seule de ces créatures pourrait les rendre riches. Ça me dégoûte tellement ces gens qui sont prêts à torturer ou à tuer simplement pour de l’argent... ».
Allan sentit une colère sourde monter en lui. Il éprouvait une telle animosité envers ces gens, qu’il ne savait pas ce qu’il aurait été capable de faire s’il avait l’un d’eux en face de lui. Et il espérait sincèrement que cela n’arrive jamais.
« Qu’est-ce qu’elles ont de si spécial ces plumes en fait ? demanda curieusement Frank.
- Eh bien, en gros, elles sont imprégnées de magie temporelle. Il est donc possible, d’une certaine manière de contrôler le temps grâce à elle. Et tu imagines bien que certains seraient prêts à n’importe quoi pour obtenir un tel pouvoir.
- Mmh ça je n’en doute pas une seconde…
- Si tu broie le calamus et le rachis de la plume, tu obtiens une petite quantité de poudre qui te permet de manipuler le temps. devant le regard perplexe de Frank, Allan précisa. La tige de la plume si tu préfères.
- Ah d’accord, je comprends mieux. rigola-t-il. Et du coup, avec la poudre ?
- Avec la poudre tu peux manipuler le temps, sauf que c’est extrêmement instable et que pour vraiment te balader dans le temps, il faut lancer un certain nombre de charmes très complexes, ce qui fait que très peu de sorciers en sont capables. Tu connais les retourneurs de temps ?
- Oui j’en ai déjà entendu parler.
- Ben cette poudre entre dans la constitution de certains d’entre-eux. Principalement les retourneur de temps japonais, étant donné que le tokitori se trouve quasi uniquement ici. Il est interdit de chasser ou capturer les tokitoris, mais pas de ramasser leurs plumes. Certains en ont même fait leur métier. Le seul problème avec les chercheurs d’or bleus, comme on les appelle, c’est qu’ils ne respectent pas forcément l’environnement dans lequel vivent les tokitoris et détruisent leurs nids pour récupérer les plumes qui s’y sont déposées.
Du coup, les oiseaux sont sans arrêt obligés de changer de coin et d’aller construire leur nid ailleurs ce qui les perturbe beaucoup, ne serait-ce que pour les accouplements. Normalement les tokitori sont des animaux sédentaires, ils construisent un nid et restent au même endroit pendant des années. Ainsi les mâles peuvent retrouver facilement les femelles. Le problème c’est qu’avec ces changements permanents, les couples se forment assez difficilement pendant la saison des amours, et déjà que les tokitoris ne disposent pas d’une population très étendue, si en plus ils n’arrivent pas à se reproduire, ils risquent de disparaître ».
Un silence s’installa lorsqu’Allan s’arrêta de parler, chacun perdu dans ses pensées et ses réflexions. Un mouvement attira alors leur regard. Allan cru bien pleurer de joie en voyant arriver la femelle tokitori dont il avait tant espéré la venue. Elle était absolument magnifique, encore plus belle que tout ce qu’il avait pu imaginer. Elle s’approcha gracieusement de son nid, jusqu’à trouver ses bébés tout juste nés qui se mirent à piailler ou plutôt à miailler.
Frank était littéralement en train de mitrailler la petite famille de photos, tandis qu’Allan prenait des dizaines de notes, aux anges, ses prunelles brillant de joie et d’excitation. Il ne se lassait pas de les observer, se retenant à grand peine de se rapprocher pour les regarder de plus près.
Cela devait bien faire une heure qu’ils étaient là, à admirer la petite famille de tokitori vivre tranquillement sa vie, quand ils entendirent des bruits tout près suivit de plusieurs cris. Allan se releva brusquement, attrapant sa baguette. Il était prêt à mettre sa baguette au feu qu’il s’agissait de braconniers. Comment avaient-ils su où les trouver ? Probablement de la même façon qu’eux...
Ils virent alors arriver quatre hommes baguettes en main, s’approchant en silence du nid, tenant un étrange instrument qui ne disait rien qui vaille à Allan. Sans réfléchir, il se mit à crier.
« Maman tori ! Va-t’en ! Ils viennent pour t’attraper ! ».
L’oiseau leva brusquement la tête, ses prunelles noires rencontrant celles d’Allan, avant de disparaître soudainement. Il ne put s’empêcher de s’émerveiller devant la vitesse à laquelle elle s’était enfuie. S’il n’avait pas su qu’elle accélérait le temps autour d’elle, il aurait pu penser qu’elle s’était tout simplement téléportée.
Il poussa un soupir de soulagement. Les petits étaient en sécurité dans la bulle, c’était d’ailleurs pour cette raison que la femelle s’était enfuie en laissant ses bébés. Quiconque tentait de s’introduire dans la bulle subissait une accélération instantanée du temps, réduisant tout ce qui entrait dans la sphère à un état de décomposition très avancé, c’est à dire en poussière. Il n’y avait qu’un autre tokitori qui était en capacité de pénétrer à l’intérieur. Toutefois, la bulle ayant un diamètre d’environ cinquante centimètres, et un tokitori adulte mesurant en moyenne soixante-dix-huit centimètres de hauteur, elle ne pouvait rester entièrement à l’intérieur de la bulle.
A ce moment-là, les quatre hommes se tournèrent vers eux, un regard haineux sur le visage. Oups, ils n’avaient visiblement pas appréciés la petite intervention d’Allan. Et ce dernier en était plus que ravi. Il avait pu permettre à la femelle de fuir rapidement en toute sécurité et rien que pour ça, Allan était prêt à subir leur courroux. Encore qu’ils n’étaient pas des plus impressionnants, maintenant qu’il les voyait de plus près, les sorciers s’étant avancés à leur hauteur.
« Vous êtes qui vous ? Pour qui vous vous prenez ? Vous nous avez fait perdre notre butin bande de crétins. Et pour la peine, vous allez nous le payer ».
Un sourire s’afficha sur les lèvres d’Allan. Ils étaient presque ridicules avec leurs menaces. Qu’allaient-ils leur faire ? Les tuer pour avoir voulu sauver une espèce protégée ? Elle était pas mal celle-là.
« Mes très chers messieurs, en tant que membre de la commission des créatures fantastiques, je tiens à vous rappeler qu’il est formellement interdit de toucher à une seule plume d’un tokitori, à moins qu’elle ne soit tombée d’elle-même. Et si vous avez un problème avec ça, je peux immédiatement en référer à mes supérieurs qui se feront un plaisir de venir vous citer vos droit en personne avant de vous confier aux autorités compétentes. Est-ce que cela vous tente ? Si je dois user de la force pour en arriver là, soyez bien sûr que je m’en ferai un réel plaisir ».
Les braconniers n’ayant pas l’air de prendre très au sérieux les menaces d’Allan, ce dernier sortit son badge, preuve irréfutable qu’il faisait bel et bien parti de la commission. Ces derniers étaient dotés d’un sortilège permettant d’alerter rapidement les membres de la commission en cas d’infraction au règlement, et d’un sort de localisation grâce auquel les autorités pouvaient se rendre rapidement sur les lieux du délit.
En apercevant le badge, les trois hommes du groupe eurent un mouvement de recul. Le quatrième ne bougea pas, comme paralysé, et Allan reconnu…
« Matsui ?! Alors c’est vous qui les avez amené jusqu’ici ! C’était ça votre urgence ? Vous vous êtes servis de nous pour trouver les tokitori et ensuite vous êtes allés chercher ce groupe de bras cassés pour en capturer un ? J’attendais beaucoup mieux de l’ancien assistant du docteur Akabane. Vraiment… Soyez certains que je saurais avertir les bonnes personnes. Maintenant je vous conseille de partir très vite et de ne pas revenir dans les parages, c’est compris ? ».
Les hommes regardèrent Allan quelques secondes, avant de faire demi-tour et de revenir sur leurs pas. Le brun hésitait encore à les attaquer, ressentant une haine profonde envers ces hommes qui s’en prenaient à des créatures aussi merveilleuses sans le moindre scrupule. Mais, il n’aurait pas valu mieux qu’eux et les laissa donc partir, à regret. Il sentit une main se poser sur son bras.
« Woaw Allan, je pensais pas que tu pouvais être aussi dissuasif, c’était hm… impressionnant ».
Il tourna la tête vers Frank qui lui souriait, fier de son ami et de son pouvoir de dissuasion. Ce n’était pas tous les jours qu’il avait l’occasion de le voir exercer une quelconque forme d’autorité, lui qui passait son temps à se faire materner par tous ceux qui l’entouraient.
« Ben faut croire qu’il y a un début à tout. Je te jure que si j’avais pu, je leur aurais donné la leçon de leur vie… enfin, le plus important c’est que la maman et les petits soient sains et saufs, c’est tout ce qui compte. Je pense qu’il vaut mieux qu’on remballe nos affaires et qu’on les laisse tranquille ».
Allan se dirigea jusqu’à leur campement de fortune et commença à rassembler ses affaires. La femelle tokitori profita de ce moment pour refaire son apparition. Elle se dirigea vers le nid, vérifia que les oisillons allaient bien avant de venir lentement, précautionneusement dans leur direction.
Allan avait un mal fou à croire ce qu’il voyait. Le tokitori se rapprochait doucement d’eux, semblant évaluer et jauger leurs moindres faits et gestes et leurs réactions. Frank n’avait pas bougé d’un millimètre et Allan venait de revenir à ses côtés. La femelle s’avança encore un peu jusqu’à ce qu’elle ne soit plus qu’à un mètre d’eux. Ses pupilles brillaient d’un éclat qui ressemblait à s’y méprendre à de la gratitude. Dans ses écrits, le professeur Akabane décrivait ces oiseaux comme étant extrêmement intelligents et très reconnaissants lorsque l’on faisait quelque chose pour eux. Et c’était ce qui était visiblement en train de se passer.
La maman tokitori émit un son très faible mais mélodieux, ressemblant à des remerciements venus du fond du cœur. Allan ne la lâchait pas du regard, ses globes oculaires brillants d’émotion face à cette proximité avec l’oiseau. Ce dernier fixait également Allan et ne détournait pas le regard une seconde, s’avançant encore et encore, si proche à présent, qu’Allan aurait pu le toucher s’il l’avait voulu.
Ce qu’il tenta de faire, levant lentement le bras dans sa direction et laissant seulement un ou deux centimètres entre ses doigts et la tête de l’oiseau. Il sentit soudain quelque chose d’extrêmement doux au bout de ses doigts, la femelle avait rapproché sa tête afin qu’Allan puisse la caresser. Deux larmes coulèrent doucement le long de ses joues tant il était ému.
Frank immortalisa silencieusement ce moment, tentant de ne pas effrayer la femelle et de ne pas gâcher cet instant de bonheur pour son ami. La créature se recula doucement, émit un nouveau cri mélodieux, un nouveau et dernier remerciement, avant de partir rejoindre ses petits.
Ce moment resterait gravé à jamais dans l’esprit d’Allan qui était à l’instant l’homme le plus heureux du monde. Il pouvait mourir en paix à présent, il avait réalisé son rêve et rien n’aurait pu le rendre plus heureux. Il avait passé des heures et des heures à étudier les recherches du professeur Akabane, à épier la moindre rumeur concernant la présence d’un tokitori au Japon, et voilà qu’aujourd’hui, après toutes ces années, son rêve était enfin réalisé, le but de toutes ces recherches enfin achevé. Et, même s’il n’avait pas pu les étudier aussi longtemps qu’il l’aurait voulu, il avait tout de même vécu une expérience extraordinaire.
Ils récupérèrent rapidement leurs affaires et transplanèrent un peu plus loin, afin de pouvoir revenir à leur hôtel et se remettre tranquillement de leurs émotions. Surtout pour Allan. Et puisqu’il était au Japon, pourquoi ne pas en profiter pour étudier les locaux et expérimenter la vie dans l’archipel ? Rien ne pouvait être plus radieux et merveilleux que ce jour dont il se souviendrait à jamais.