Elle était simplement jalouse. Jalouse de sa meilleure amie… Quoi de plus méprisable ? Mais c’était plus fort qu’elle. Quand Alice avait parlé de Franck à Lily, cette dernière n’avait pas pu retenir un soupir (discret, du moins l’espérait-elle) d’envie. Quand elle avait officialisé sa relation avec le garçon en question, Lily avait eu un sourire factice pour la féliciter hypocritement. Celle-ci d’ailleurs, nageant dans le bonheur, n’avait rien remarqué.
Lily s’en voulait de réagir ainsi. Elle aurait aimé de réjouir sincèrement du bonheur tout neuf d’Alice. Elle aurait aimé écouter avec attention le panégyrique du garçon. Elle aurait aimé s’attendrir de l’émoi d’Alice provoqué par un simple rendez-vous. Elle aurait aimé choisir avec elle la tenue qui la mettrait le plus en valeur pour son cher et tendre.
Au lieu de tout cela, elle lorgnait la pendule quand Alice se mettait à parler de Franck, la taquinait quand la jeune amoureuse se désespérait de trouver la robe adéquate, la brusquait un peu quand elle s’affolait à l’idée de le revoir le soir-même. Mais elle ne voulait pas vivre par procuration.
Elle savait très bien pourquoi elle était jalouse d’Alice et elle avait encore plus honte de l’être. Le bonheur de son amie ne faisait que mettre en évidence la platitude de sa vie à elle, de sa solitude à elle. C’était là que le bât blessait. Elle n’était en fait qu’une gamine envieuse qui regardait si l’herbe du voisin n’était pas plus verte que la sienne.
Toutes ses amours avaient été de cuisants échecs. Enfin ses amours… Elles se comptaient sur le doigt d’une main… Elle n’avait eu qu’un seul amoureux, il y a deux ans, mais leur relation, qui avait duré un mois à peine, avait été une expérience douloureuse. Le garçon l’avait grossièrement envoyée paître quand il s’était rendu compte qu’elle ne voulait pas lui donner ce que lui recherchait dans une relation. La leçon qu’elle en avait tirée était que tous les garçons étaient des hypocrites, des pervers ou des manipulateurs.
Et il y avait eu James Potter. Il l’avait poursuivie de ses avances arrogantes et incessantes jusqu’au début de leur septième année. Mais maintenant qu’on était en janvier, il s’était fait plus discret, voire plus respectueux. Si elle avait cédé, elle aurait pu elle aussi s’afficher au bras de quelqu’un… Et pas de n’importe qui ! Brillant, séduisant, farceur, fier, sportif… Il était la coqueluche de la gente féminine : il n’avait qu’à tendre la main pour trouver une potiche. Mais il avait visiblement visé plus haut qu’une vulgaire groupie en cherchant à avoir Lily. Elle l’avait toujours repoussé avec hauteur sans prendre ses avances au sérieux.
Et maintenant qu’Alice sortait avec un gars, Lily contemplait, désolée, sa solitude. Elle s’imaginait parfois au bras de James, sous le regard envieux de dizaines de filles, mais se giflait mentalement et refusait de se complaire dans une chimère vaniteuse.
Vanité… C’était bien ce dont il s’agissait dans son cas. Pas dans celui d’Alice : Lily voyait bien que leurs sentiments réciproques n’étaient pas une recherche d’existence sociale. Mais chez elle… Elle tenait les garçons pour des êtres méprisables, mais à sa grande honte, elle devait s’avouer qu’elle aurait bien aimé que quelqu’un la fît exister aux yeux des autres, l’exhibât comme une jolie fille sympathique et désirable tout comme elle le ferait de lui. Elle s’était bercée d’illusions en sortant avec le préfet des Serdaigles, s’imaginant être amoureuse de lui parce qu’il l’avait regardée, alors qu’elle avait accepté sa proposition après une énième tentative de James. Elle avait simplement chercher à leur montrer, à lui et aux autres, qu’elle pouvait être populaire, appréciée, sortir de ses livres, s’ouvrir aux autres, s’afficher avec quelqu’un.
Allongée dans son lit, Lily poursuivait ses amères réflexions. Aucune de ses camarades de chambre n’était là, ce qui arrangeait bien la jeune fille. C’était bien beau de se sermonner, de s’empêcher d’être jalouse, de refuser d’être avec un garçon pour exister… Il n’empêche que ça faisait mal. Ça faisait mal d’être seule quand elle voyait certaines de ses camarades roucouler en se pavanant au bras de leur dernière… trouvaille. Ça faisait mal d’avoir à tenir la chandelle quand elle était avec Alice et Franck. Ça faisait mal d’avoir l’impression de perdre une amie en ne partageant plus les moments de complicité habituels. Ça faisait mal de sentir les regards condescendants se tourner vers elle quand elle rentrait seule dans la salle commune remplie de couples superficiels. Ça faisait mal de se sentir exclue des discussions, qui ne tournaient qu’autour de leur premier baiser ou de leur « première fois ».
Lily voulait paraître indifférente à tous ces émois, mais elle ne faisait qu’enfouir sa souffrance en s’efforçant de rester impassible. De toute façon, personne ne faisait attention à elle… Pas dans le sens qu’elle aurait voulu, du moins. Enfin, une personne, si, mais elle ne s’en était pas rendu compte.
Quelqu’un en effet la surveillait du coin de l’œil, à son insu. La personne en question avait bien repéré la solitude, visiblement douloureuse, de Lily, mais n’osait plus faire un pas vers elle. Il faut dire qu’il s’était pris tellement de refus que ses craintes étaient pour le moins légitimes… Vous l’aurez bien sûr reconnu !
Sous ses airs de m’as-tu vu en effet, James était un fin observateur, et encore plus fin quand il s’agissait de Lily. Il connaissait à la perfection sa silhouette gracieuse, sa chevelure ondulante, la forme de ses traits, la douceur de son sourire, mais aussi la signification de toutes ses moues adorables. Bref, il lisait sur son visage comme dans un livre ouvert.
Il avait eu du mal à parvenir à ce degré de connaissance, il devait bien le reconnaître. Quand il repensait à son attitude des années précédentes, il en avait plutôt honte : son air conquérant qui la faisait fuir, son sourire séducteur qui provoquait chez elle une mine dégoûtée, la main nonchalamment passée dans ses cheveux ébouriffés avec soin … Tout ce qui l’intéressait, c’était que Lily le regardât. Il était regardé, certes, mais pas apprécié pour autant. Il n’avait pas cherché, avant cette année, à la connaître réellement, à l’estimer pour elle-même et non pour l’image qu’elle renvoyait de lui-même.
Néanmoins, il savait aussi qu’il avait grillé ses chances auprès d’elle. Il l’avait presque harcelée, tout compte fait… Mais il n’avait jamais eu l’air sérieux. Peut-être l’avait-il vraiment été ; il n’empêche qu’elle ne l’avait jamais considéré comme tel.
Et pendant qu’elle se morfondait dans sa chambre, à ruminer ses idées noires dans le dortoir vide, un autre, dans la salle commune, se morfondait de la voir broyer du noir. Cette année promettait ! Ne vous inquiétez pas cependant : Lily venait de se faire lâcher par Alice, alors qu’elles devaient travailler toutes les deux à la bibliothèque. C’était sûrement la raison pour laquelle elle était si morose. Au lieu de rester seule au milieu des livres, Lily avait préféré rester dans sa chambre. Et tout ce qu’elle avait trouvé à faire, c’était de ressasser encore une fois les raisons de l’abandon d’Alice.
Elle aurait voulu que les hormones prissent moins de place dans sa vie et celle de ses condisciples, que les sentiments fussent autre chose qu’une recherche égoïste d’admiration. Simplement pour que sa solitude soit moins visible… Elle tentait de la cacher par un mépris travaillé, mais ce n’était que façade, car elle savait bien que, si un garçon se mettait à lui tourner autour, elle serait sans doute comme les autres, à flirter pitoyablement pour tenter de le garder.
Au fond d’elle-même, elle était bien forcée de reconnaître qu’il n’y avait qu’un garçon qui aurait pu lui faire réellement de l’effet. James. Enfin reconnaître… elle n’osait pas encore. Tout ce dont elle se rendait compte, c’était qu’elle se complaisait à rêver de lui quand elle laissait ses pensées vagabonder librement.
Mais le lorgnait-elle pour toutes ses qualités ? Ou pour le prestige qu’il pourrait lui apporter ? C’était encore à voir… Que voyait-elle en premier chez lui ? Était-ce son physique avantageux et son degré de popularité ? Non. Ça, elle le savait très bien, ça la faisait fuir (tout autant que fantasmer…) : parfois, elle se disait qu’elle aurait dû céder à toutes ses avances rien que pour faire taire les remarques désobligeantes, mais ça l’aurait dégoûtée d’avoir à en arriver à une telle extrémité.
Elle avait surtout remarqué l’importance qu’il accordait à ses trois amis, communément appelés les Maraudeurs. Elle voyait comme il était loyal, fidèle, dévoué, quand il s’agissait d’eux. Elle aurait aimé compté pour quelqu’un de la même manière que ses amis pour lui.
Un jour peut-être, ça lui arriverait enfin… mais elle ne voulait pas d’une histoire rapide qui ne servirait qu’à la racheter aux yeux de ses condisciples aux hormones agitées. Elle rêvait de discussions sérieuses avec un homme à l’écoute, de confidences auprès d’une oreille attentive, de gestes délicats avec quelqu’un de prévenant, de sourires complices avec un homme qui la comprendrait. Elle ne désirait pas un étalage de sentiments, mais plutôt des moments privilégiés avec quelqu’un d’intéressant, comme elle le voyait chez Alice. Elle ne lui enviait pas Franck, mais plutôt la relation qu’elle construisait sereinement et amoureusement avec lui.
Mais elle enviait aussi toutes les greluches qui batifolaient bruyamment avec leur compagnon éphémère. Comment pouvaient-elles trouver chaussure à leur pied et en changer régulièrement, alors qu’elle marchait pieds nus ? Qu’est-ce qu’elles avaient de plus qu’elle pour pouvoir ainsi se comporter ? Est-ce qu’elle attendait l’impossible ? Est-ce qu’elle était la seule à rechercher quelque chose de profond et de durable ? Sans doute que non… mais elles avaient un moyen différent pour essayer de l’obtenir.
Elle avait Alice, certes, si elle avait besoin d’un confident, d’un ami, mais maintenant que celle-ci fréquentait Franck, elle avait l’impression d’être reléguée au second plan. Pourtant, en réfléchissant, elle comprenait bien l’attitude d’Alice, car elle pensait aussi qu’une relation amoureuse apportait plus qu’une amitié. Avait-elle raison ? Toujours est-il que l’amitié diminuée qu’Alice, occupée par Franck, lui offrait ne la comblait plus comme avant. Recherchait-elle quelqu’un pour la remplacer, qui serait ami et confident ? Ou une relation d’une autre nature ? Difficile à déterminer, à vrai dire, surtout pour elle.
Mais est-ce qu’elle n’avait rien à se reprocher, quand elle regardait sa vie sociale ? A part Alice, il lui fallait reconnaître qu’elle tenait le reste des élèves pour médiocres ou insignifiants, exception faite pour quelques jeunes gens de sa promotion ou de sa maison, qui se comptaient sur les doigts d’une main. Elle daignait parfois converser avec les gens de la caste inférieure, mais sur des sujets communs ou prosaïques, comme si elle leur déniait le droit de pouvoir réfléchir ou parler intelligemment.
A force de ne pas s’intéresser vraiment aux gens, elle n’était plus, d’une certaine manière, vraiment intéressante à leurs yeux. Soit elle se considérait comme inférieure (vous avez le droit d’en douter), c’est-à-dire qu’elle les voyait comme trop fermés d’esprit pour qu’ils condescendissent à lui parler ; soit elle se considérait comme supérieure (l’option la plus probable…), c’est-à-dire que c’était elle qui était trop bornée pour accepter de les connaître. Était-elle orgueilleuse à ce point ? Honnêtement, elle pouvait parfois en avoir l’air, quand elle repoussait James Potter avec dédain par exemple.
Mais comment ne pas réagir ainsi quand elle le voyait arriver avec un sourire victorieux sur sa figure réjouie, avec une attitude pleine de morgue et de suffisance ? Pourtant, maintenant qu’il ne semblait plus s’intéresser à elle, c’était elle qui le trouvait intéressant, car elle découvrait sa vraie manière d’être. S’en mordait-elle les doigts ? Peut-être, mais tant pis pour elle. C’était de sa faute, après tout ! A force de l’éconduire avec fierté, elle s’était fermé une porte…
Et par rapport aux autres ? Tout le monde ne l’abordait pas avec grandiloquence ou suffisance comme le faisait James. Alors pourquoi s’en était-elle coupée ? Parce qu’elle avait trouvé Alice. Et en la trouvant, elle ne s’était plus donné la peine de rencontrer d’autres personnes. Alors, quand Alice était dans les bras de Franck, qui était resté sur le carreau ?
Elle se justifiait en arguant qu’elle n’avait eu d’atomes crochus qu’avec Alice, que les autres filles de son dortoir n’avaient absolument pas les mêmes centres d’intérêt qu’elle, qu’elles ne pourraient jamais avoir de vraies discussions. Qu’est-ce qu’elle en savait ? Et maintenant, partager un dortoir se résumait à ne pas se disputer sur l’ordre de passage dans la salle de bain. Quelle relation sociale exaltante…
Bon, à présent qu’elle s’était bien regardé le nombril, que faire ? Allait-elle rester à l’écart, fière et solitaire, en attendant la rencontre décisive ? Allait-elle changer du tout au tout en se jetant à la tête des gens pour apprendre à les connaître ? Faire l’autruche ou la greluche ? Voilà des perspectives réjouissantes. Ou alors une troisième voie ? Recommencer depuis le début, en changeant de regard sur les personnes qu’elle rencontrerait. James. C’était déjà fait, à vrai dire, sans que nul ne le sût, et encore moins l’intéressé. Ses camarades de chambre : ne pas les ignorer, ni les remballer, ni les mépriser, mais simplement les saluer, les apprivoiser.
Et Severus Rogue ?
Non, avec lui, aucun nouveau départ n’était possible. Il avait été son meilleur ami, avec Alice, jusqu’au moment fatal où il l’avait insultée devant tout le monde, alors qu’elle avait simplement voulu l’aider. C’était depuis cet épisode, en réalité, que Lily s’était repliée, était devenue plus fière, plus réservée vis-à-vis de ses camarades. Sa carapace s’était consolidée, mais menaçait désormais de se fissurer de partout depuis qu’il y avait eu Franck. Franck et son amour pour sa meilleure amie, qui avaient renversé toutes ses habitudes, bouleversé toutes ses certitudes, dévoilé toute sa solitude.
Elle pensait souvent à cet ami d’enfance qui l’avait si cruellement rejetée. Elle avait voulu passer outre en niant la douleur amère qui lui tordait le ventre et en affirmant qu’il avait disparu de sa vie. Mais plus facile à dire qu’à faire. Alors, pour ne pas avoir à souffrir encore, elle n’accordait plus aussi facilement sa confiance. Elle n’aurait pas beaucoup d’amis, certes, mais elle ne serait pas trahie.
L’arrivée de Franck ne pouvait sans doute pas être considérée comme une trahison d’Alice par rapport à Lily, bien que cette dernière en eût parfois, fugacement, le sentiment. C’était plutôt dans l’ordre des choses, un peu comme une enfant qui quitte le nid familial pour convoler ! Mais cela, Lily avait toujours du mal à l’accepter quand cela signifiait pour elle avoir une amie moins présente.
Elle se secoua finalement, pour s’empêcher de retomber dans ses moroses réflexions. Elle s’était fixé des résolutions : elle n’avait qu’à les mettre à exécution ! Une petite conversation, ce n’était pas un drame, tout de même… Bon, c’est vrai, quand on n’adresse plus vraiment la parole à son entourage depuis deux ans, le pas est grand ! Mais quand même…
Alors elle descendit dans la salle commune. Pourquoi ? Aucune idée. Elle avait seulement l’impression que se retrouver de gens plus ou moins indifférents serait une avancée spectaculaire par rapport à sa vie d’ermite. Ça valait au moins le coup d’essayer ! Un grand pas pour Lily, un petit pas pour l’humanité…